1. L'intermédiation financière et la mobilisation de l'épargne

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1.1 Le rôle de l'épargne dans le développement économique
1.2 L'intermédiation financière dans les pays en développement
1.3 La marche vers une collecte accrue des dépôts dans les pays en développement

RESUME

Ce chapitre passe en revue le rôle de l'épargne dans le développement économique et la nécessité d'un système financier efficace apte à augmenter la mobilisation de l'épargne

Il met en évidence la classification des intermédiaires financiers formels, semi-formels et informels et explicite la structure bivalente qui prévaut dans maints pays en développement.

Il décrit brièvement les institutions que l'on peut trouver dans les secteurs formel et informel ainsi que certaines formes d'associations financières non structurées.

Il identifie l'intérêt nouveau manifesté quant à la collecte des dépôts dans les pays en développement et les bénéfices potentiels de cette approche.

Il constate la faiblesse de maints systèmes financiers et la menace qui en découle pour la sécurité des dépôts.

1.1 Le rôle de l'épargne dans le développement économique

L'accumulation du capital, considéré comme condition préalable à la croissance économique, est l'un des traits communs des théories de la croissance. Ainsi, les économies individuelles ou celles des ménages forment une part essentielle du processus de l'accumulation de capitaux. L'épargne détermine, dans une large mesure, le taux de croissance de la productivité et du revenu. En général, les pays en croissance rapide ont des taux d'épargne plus élevés que les pays à croissance lente.' Ces taux sont influencés par différents facteurs: le niveau de revenu par personne, le taux de croissance des revenus, l'âge moyen de la population et son attitude vis-à-vis de l'épargne. La macro-économie et la stabilité politique influencent les prévisions et donc le taux d'épargne. Les services offerts par le gouvernement, telle la sécurité sociale, peuvent toucher l'épargne, tout comme la disponibilité et la qualité des services financiers. La politique financière du gouvernement a aussi un impact, et des taux d'intérêts réels plus élevés portent à une expansion des circuits bancaires, dans la mesure où les épargnants sont encouragés à transformer leur épargne immobilisée corporellement en actifs financiers.

Jusque dans les années 80, toutefois, la plupart des pays en développement dépendaient principalement des sources extérieures pour financer leur développement et se préoccupaient peu de promouvoir l'épargne domestique. Mais, par la suite, l'afflux des ressources extérieures, qui consistaient en investissements privés étrangers, en subventions de l'Etat, en emprunts public et privé, a radicalement diminué et les efforts gouvernementaux pour mobiliser les ressources locales ont augmenté. Maintenant, sur le plan interne un taux d'épargne approprié est considéré comme essentiel afin d'atteindre une croissance économique durable dans les pays en développement.

Les taux d'épargne obtenus dans différents pays en développement ont, en fait, démontré que ces mêmes pays étaient capables de relever le défi en matière d'épargne. Une étude récente de la Banque Mondiale a analysé la moyenne des taux d'épargne et d'investissement dans quatorze pays en développement dans les années 70 et les années 30 (2) Les résultats montrent, qu'en moyenne, les ménages ont épargné 13 pour cent du produit national brut (P.N.B.) et investi 6 pour cent, ce qui leur laissait un excédent d'épargne de 7 pour cent du P.N.B. Les entreprises ont économisé à peu près 9 pour cent du P.N.B., mais investi plus de 15 pour cent du P.N.B., illustrant ainsi leur besoin de ressources. La communauté internationale s'est souvent révélée un prêteur net et les gouvernements en général des emprunteurs nets. L'équilibre sectoriel variait considérablement selon les pays. Par exemple, l'excédent d'épargne du secteur ménager s'échelonnait de 1,5 pour cent en Côte d'lvoire à environ 17 pour cent en Malaisie. En général les ménages finançaient leurs investissements à partir de leur épargne, alors que les entreprises utilisaient des fonds empruntés pour financer 45 pour cent de leurs investissements.

Un système d'intermédiation financière est nécessaire pour canaliser le flux des fonds passant des offrants aux utilisateurs. Un système financier efficace augmentera la mobilisation de l'épargne, permettra des coûts de transaction moins élevés, répartira les risques et allouera les ressources vers des emplois plus productifs. L'intermédiation financière implique généralement plusieurs institutions, différents instruments et marchés. La structure spécifique existante dans un pays reflète l'histoire, les circonstances et les politiques qui ont influencé le développement économique. Lors de l'analyse du rôle de l'épargnant dans les opérations financières dans les pays en développement, il est important d'examiner la différence entre la structure des systèmes financiers dans ces pays et celles des systèmes fonctionnant dans les pays industrialisés.

1.2 L'intermédiation financière dans les pays en développement

1.2.1 Le développement des systèmes financiers
1.2.2. Le secteur financier formel
1.2.3. Le secteur financier semi-formel
1.2.4. Le secteur financier informel

1.2.1 Le développement des systèmes financiers

L'offre d'intermédiation en services et produits financiers peut être classée en trois groupes: formel, semi-formel et informel. Le groupe formel comprend des organisations spécifiquement reconnues par le gouvernement comme des institutions financières sujettes aux réglementations et contrôles bancaires. Le groupe semi-formel se situe en dehors des réglementations bancaires, mais habituellement dispose d'une licence et est supervisé par d'autres organes gouvernementaux. Les intermédiaires financiers informels opèrent hors du cadre réglementaire et de tutelle du gouvernement. Le tableau 1.1 indique la gamme d'opérateurs existant dans chaque groupe. Les frontières ne sont pas absolues. Les structures réglementaires varient et les associations de crédit mutuel, par exemple, peuvent se situer dans le secteur formel d'un pays et dans le secteur semi-formel d'un autre pays.

Selon les facteurs historiques et le niveau du développement économique, différentes combinaisons de ces types d'intermédiaires, et pas nécessairement toutes, sont présentes dans les systèmes financiers des pays en développement. En Afrique, par exemple, alors que maints pays régis par les lois coloniales jouissaient d'une relative stabilité financière, les systèmes financiers se ressentaient d'une certaine négligence et de stagnation. Les secteurs formels et semi-formels étaient composés de quelques banques commerciales étrangères, de services postaux et de sociétés coopératives, offrant leurs services aux communautés expatriées et au commerce import-export. Ces intermédiaires proposaient peu de services aux populations autochtones, dont les besoins étaient principalement couverts par le secteur traditionnel. Le secteur financier formel resta peu développé en Afrique jusqu'au moment où les pays conquirent leur indépendance. En Asie, les systèmes financiers étaient plus avancés. Les banques étrangères étaient plus actives dans le financement du commerce interne, et la plupart des pays asiatiques avaient en outre un système financier autochtone bien développé comprenant des banques commerciales, d'importantes coopératives de services financiers, des banquiers et des prêteurs sur gages informels. L'Amérique Latine, politiquement indépendante depuis le début du XIX siècle, n'a pas souffert de la répression coloniale, mais l'instabilité financière a empêché l'émergence de systèmes financiers solides dans de nombreux pays.

Les fournisseurs des services d'intermédiation financière

SECTEUR FORMEL SECTEUR SEMI-FORMEL SECTEUR INFORMEL
Banque centrale Coopératives d'épargne et de crédit Associations d'épargne
Banques commerciales   Tontines
Banques de commerce Coopératives à buts multiples  
Caisses d'épargne    
Banques Rurales    
Caisses d'épargne Postales Caisses de crédit mutuel Entreprises financières informelles
Banques des Travailleurs    
Banques coopératives Coopératives à forme bancaire · banquiers locaux
    · sociétés financières
Banques de Développement Fonds de placement d'épargne du personnel · sociétés d'investissements villageois
· étatiques   Associations d'auto-assistance
· privées Banques populaires  
Sociétés d'investissement et de crédit immobilier Banques villageoises Prêteurs sur gages
    · commerciaux
Caisses de crédit mutuel Projets de développement · non commerciaux
    (amis, voisins. Parents)
Institutions de sécurité sociale Groupes d'auto assistance et clubs d'épargne  
Institutions d'épargne   Négociants et commerçants
Contractuelle    
· fonds de pension    
· compagnies d'assurance    
Autres institutions non ban-    
caires    
· sociétés financières    
· sociétés de prêts a durée    
déterminée    
Marchés financiers    
· actions et titres    

Comme conséquence de l'environnement dans lequel évoluent les marchés financiers, les pays en développement sont souvent caractérisés par une forte structure duale Outre les fournisseurs formels de services financiers, les opérateurs semi-formels et informels y jouent un rôle très important dans l'intermédiation financière. En général, les institutions formelles organisées s'orientent vers le milieu urbain et servent les secteurs monétaires modernes de l'économie, alors que les opérateurs semi-formels et informels servent les secteurs d'une économie plus traditionnelle, rurale, de subsistance. Toutefois, les recherches montrent de plus en plus que la réalité y est plus complexe, que les limites sont moins nettes et, que dans de nombreuses économies, il existe d'énormes flux de fonds entre les différents sous-secteurs du marché financier.

Deux explications sont d'ordinaire avancées quant à l'existence, aujourd'hui encore, d'importants secteurs financiers informels dans les économies en développements La première suggère que le secteur informel est une réponse aux insuffisances et à la réglementation excessive du secteur financier formel. Ainsi, les opérateurs formels se sont montrés trop bureaucrates, trop citadins, trop réglementaires et rigides pour faciliter les services d'épargne et de crédit dont a besoin une grande partie de la population. Selon la seconde explication, l'existence et le dynamisme du secteur informel dépendent plus du dualisme intrinsèque des structures économiques et sociales dans les pays en développement et de l'attachement de la population rurale aux valeurs traditionnelles et aux coutumes familiales, à la solidarité du village ou de la tribu, qu'à l'inefficacité des opérateurs formels. Cette hypothèse de l'existence du dualisme financier souligne l'importance des facteurs culturels et socio-politiques, simultanément à d'autres éléments économiques et financiers, pour expliquer la flexibilité et la vitalité du secteur informelle.(4)

En outre, les politiques financières et monétaires menées par maints pays en développement ont été inappropriées et ont même alimenté le dualisme. Dans certains pays, le dualisme a été induit par les restrictions exercées par les institutions du secteur formel sur les marchés financiers. Les pratiques restrictives consistent à établir des plafonds des taux d'intérêt sur les comptes d'épargne, ce qui réduit les coûts des ressources du secteur bancaire au-dessous des taux du clearing du marché, et à stipuler les documents et les garanties nécessaires aux prêts, ce qui permet seulement aux grosses entreprises du secteur formel d'accéder au crédit. En agissant ainsi, l'élite politique et économique qui contrôle les secteurs des affaires et des banques dans maints pays en développement est capable d'obtenir un crédit relativement bon marché pour financer ses opérations, alors que la majorité de la population doit accepter un bas rendement de son épargne et payer des taux d'intérêt élevés sur les prêts. En conséquence, les marchés financiers sont restés fragmentés et les opérateurs informels ont continué de travailler avec succès dans de nombreux pays.

1.2.2. Le secteur financier formel

Comme le démontre le tableau 1.1, le secteur financier formel, qui comprend les intermédiaires bancaires et non-bancaires, couvre de nombreuses institutions, dont la plupart sont soumises aux réglementations de la banque centrale et du trésor. Alors que les banques centrales elles-mêmes n'acceptent pas les dépôts du public, elles agissent généralement en tant que banquiers pour le compte du gouvernement et des autres banques, et on estime qu'elles détiennent 20 pour cent des actifs du secteur financier dans les pays en développement.(5)

Dans les pays en développement, les banques détiennent une plus grande part de l'ensemble des actifs du secteur financier formel (48 pour cent), que ce qu'elles ont dans les pays industrialisés (37 pour cent). Les banques commerciales sont, dans les pays en développement, la forme bancaire la plus ancienne et la plus répandue. initialement, elles étaient étrangères et orientées vers le milieu urbain, et beaucoup d`entre-elles ont, sous la pression du gouvernement, étendu leurs opérations aux zones rurales. Elles détiennent actuellement la plus grande part des dépôts ruraux du secteur formel dans beaucoup de pays en développement. Les banques d'affaires, dans la plupart des pays, s'intéressent aux dépôts inter-bancaires et des entreprises constituées en sociétés. Les bureaux de poste, avec leurs réseaux auxiliaires très étendus, recueillent une importante part des fonds des petits épargnants et épargnants ruraux mais n'accordent que rarement de prêts au secteur privé.

Des banques des travailleurs existent dans de nombreux pays de l'Amérique Latine pour consentir des petits prêts à la consommation et, de temps en temps, des prêts hypothécaires aux employés du secteur formel. De ce point de vue, elles fonctionnent comme les associations de crédit mutuel des salariés dans les pays industrialisés dont l'épargne et les remboursements des prêts sont directement exécutés au niveau de la feuille de paye. La participation peut être obligatoire ou non. Les banques des travailleurs peuvent être liées aux organisations syndicales.

Les banques coopératives existent encore dans certains pays en développement, bien que beaucoup d'entre elles aient fait faillite. Elles diffèrent des autres coopératives par le fait qu'elles ont habituellement le pouvoir d'offrir leurs services financiers aux non-membres. Ces banques sont peut-être plus limitées dans leurs offres de services que les autres banques établies. Elles ont généralement pour but de mobiliser les petits dépôts des épargnants et autres ressources, pour financer d'importants prêts aux coopératives membres.

Les sociétés d'investissement et de crédit immobilier, connues aussi comme associations mutuelles d'épargne et de crédit mutuel dans certaines parties de l'Afrique du sud, ont traditionnellement proposé des services d'épargne et de prêts hypothécaires à leur clientèle. Elles peuvent être régies par des lois spécifiques différentes de celles des banques et peuvent avoir leurs propres agences de tutelle. Les sociétés immobilières ont souvent leurs propres institutions bancaires centrales, tout comme les sociétés et organisations de coopératives.

Les sociétés financières agréées sont la forme la plus commune d'établissement financier non-bancaire que l'on trouve dans le secteur formel des pays en développement. Elles agissent généralement dans le cadre d'une structure organisationnelle limitée et mobilisent des dépôts du public et des autres établissements financiers pour investir principalement dans le commerce et le secteur immobilier. Bien que régies par les réglementations de la banque centrale, elles ont souvent été capables d'attirer d'importants dépôts en offrant des taux d'intérêt légèrement supérieurs à ceux des banques commerciales. D'un autre côté, leurs faiblesses en fonds propres et leurs politiques d'investissements risquées réduisent souvent la stabilité de ces établissements.

1.2.3. Le secteur financier semi-formel

Les intermédiaires du secteur financier semi-formel ne sont pas des établissements financiers agréés, mais ils sont habilités ou autorisés à fournir des services et des produits financiers. Ces dispositions ne sont généralement pas soumises à la réglementation des autorités bancaires, mais les opérateurs habituellement possèdent des licences et sont surveillés par d'autres organismes gouvernementaux, tels que le Bureau du Registre des coopératives. Ils disposent normalement de règlements, de statuts, de constitutions ou de normes de fonctionnement. Dans maints pays, ces intermédiaires financiers reçoivent le soutien et les subventions de donateurs et du gouvernement pour leurs opérations.

Les caisses de crédit mutuel et les coopératives d'épargne et de crédit sont des organisations financières spoontannées, à modèle coopératif, possédées et gérées par leurs membres. Leur but est d'encourager l'épargne par la création de possibilités locales de dépôts, puis d'utiliser les fonds mobilisés pour octroyer des prêts à leurs membres dans des buts sociaux, de production ou de consommation. Elles peuvent aussi procurer d'autres services financiers, comme par exemple des assurances garantissant les prêts. Les coopératives et associations de crédit mutuel peuvent opérer en milieu rural ou urbain. Les coopératives rurales couvrent en tant qu'organisations agricoles, qui aspirent à répondre aux besoins financiers saisonniers de leurs membres que les banques ne satisfont pas. Les coopératives urbaines sont dans beaucoup de cas centrées sur une société ou une profession, mais peuvent aussi être communautaires, et elles ont comme principal but de répondre aux besoins de crédit à court terme de leurs membres.

Les caisses de crédit mutuel et les coopératives d'épargne et de crédit sont généralement obligées par la loi à limiter leurs offres à leurs seuls membres. Néanmoins, elles ont obtenu une petite mais non négligeable part des marchés de l'épargne dans beaucoup de pays en développement. L'épargne des caisses de crédit mutuel, en tant que part des marchés de l'épargne du secteur privé, s'étend de 6.2 pour cent aux Caraïbes à 4.3 pour cent en Afrique, de 1.2 pour cent en Amérique Latine à 0.8 pour cent en Asie 6 Après 80 ans de développement, la part du marché du groupe des caisses de crédit mutuel aux U.S.A. n'est que de 6.9 pour cent. Les associations de crédit mutuel et les coopératives d'épargne et de crédit primaires sont généralement membres actionnaires de coopératives secondaires verticalement intégrées, qui leur procurent des services de banque centrale, de commercialisation et d'assistance à la gestion des entreprises. Dans certains pays en développement, ces établissements secondaires sont réglementés en tant qu'entités du secteur financier formel.(7) En effet, de nouvelles lois générales aux institutions financières de certains pays (Bolivie, Equateur) intègrent maintenant dans le secteur financier formel les caisses de crédit mutuel et les coopératives d'épargne et de crédit spécialisées en tant qu'institutions soumises à une réglementation. Toutefois, la plupart de ces dernières font toujours partie du secteur financier semi-formel, régi par les lois des caisses de crédit mutuel et contrôlé par des organismes régulateurs spécialisés indépendants des autorités bancaires.(8)

Des coopératives à forme bancaire sont apparues dans certains pays en développement, par exemple au Pérou, en Colombie, et en Bolivie. Il s'agit d'entités typiques, régies par les lois sur les coopératives, qui ont adopté des noms et/ou des méthodes opérationnelles qui les assimilent à des banques commerciales à guichet, bien qu'elles ne soient ni officiellement reconnues ni réglementées comme telles. Certaines de ces institutions ont fait faillite, entraînant des pertes d'épargne considérables, d'autres continuent à oeuvrer comme des quasi-banques et d'autres encore ont été converties en banques agréées.

Les fonds constitués par l'épargne des salariés sont administrés par leurs employeurs dans certains pays en développement (Costa Rica, Guatemala) en tant qu'avantages sociaux. Ces fonds peuvent être gérés par l'employeur seul ou conjointement a une association d'employés. Les indemnités ou autres avantages payés par l'employeur peuvent être versés à un fonds et associés aux décomptes des salaires. Les employés peuvent obtenir des prêts et ces fonds peuvent aussi être investis dans des activités commerciales ou des valeurs financières.

Les banques villageoises, comme celles fonctionnant au Mali, en Gambie et au Burkina Faso, sont des établissements organisés pour mobiliser des dépôts et faire des prêts au niveau du village. Elles sont passées dans la catégorie du secteur semi-formel car, contrairement aux banques rurales, elles ne sont pas formellement réglementées et contrôlées par les autorités bancaires.

Dans maints pays en développement, les groupes d'auto-assistance collectant les dépôts et les clubs d'épargne peuvent être considérés comme semi-formels, car ils sont enregistrés et ont souvent été reliés aux institutions du secteur formel. De nombreux intermédiaires de ce type reçoivent aussi le soutien de donateurs et du gouvernement, leur fonctionnement étant contrôlé par certaines organisations ou autorités.

1.2.4. Le secteur financier informel

Le secteur financier informel est formé d'une gamme hétérogène de personnes et de groupes qui offrent des services et des produits financiers. Ils échappent aux réglementations et au contrôle de la banque centrale et du gouvernement et peuvent n'avoir aucun statut légal. Certains de ces mécanismes existent depuis longtemps et continuent à prospérer même lorsque le système formel se développe et s'étend. D'autres naissent comme réaction aux restrictions du système formel, mais la libéralisation du marché financier peut leur faire perdre de leur importance. Il existe peu de documentation concernant l'échelle des activités dans le secteur informel, car les écritures ne sont pas communiquées aux autorités centrales.

En ce qui concerne la collecte des dépôts, il existe deux types d'associations financières informelles. Le premier est le mode d'épargne informel le plus répandu existant ou ayant existé dans la plupart des pays en développement, c'est-à-dire les tontines (associations d'épargne et de crédit tournant). Dans ce type d'association, chaque membre apporte un certain montant à intervalles réguliers et la totalité du montant recueilli est distribué aux membres à tour de rôle. Le système est strictement basé sur la réciprocité et, dans beaucoup de cas, les membres jouissent de statuts et de revenus égaux ou semblables. Dans maints pays, il existe aussi un autre type opérationnel de groupe informel d'épargne et de crédit où les fonds ne tournent pas mais sont accumulés. Ces fonds peuvent être conservés en liquide dans des coffres, ou déposés sur un compte bancaire ou consentis à titre de prêt aux membres. Il est courant que des mêmes groupes pratiquent à la fois des opérations tournantes et non-tournantes.

La société de financement est un autre type important d'institution collectant des dépôts dans le secteur informel. En Asie, le développement de ces institutions a constitué la réponse à la fois à la réglementation financière et aux opportunités économiques. Malgré leurs noms (sociétés et corporations), leurs bureaux souvent semblables à ceux des banques ou leurs liens avec des sociétés financières du secteur formel, ces intermédiaires sont considérés comme appartenant au secteur informel. En comblant un vide laissé par les institutions bancaires formelles et en opérant hors des règlements de la banque centrale, les sociétés de financement informelles ont réussi à gagner une part importante du marché de l'épargne dans de nombreux pays. Leurs taux d'intérêt supérieurs à la moyenne, leurs façons d'agir innovatrices et leurs coûts de transaction peu élevés ont été la clé du succès, surtout dans les zones rurales. Toutefois, dans beaucoup de cas, des faillites ont succédé à la phase de développement rapide, les épargnants subissant des pertes majeures. De tels problèmes ont été vécus au Pakistan et en Egypte dans les années 80 et au Costa Rica après l'effondrement de la Bourse en 1987, la faillite de sept sociétés financières provoqua une ruée vers les banques et les coopératives d'épargne et de crédit, obligeant trois coopératives à suspendre les paiements.

1.3 La marche vers une collecte accrue des dépôts dans les pays en développement

Dans les années 60 et 70, procurer un crédit à un taux d'intérêt bas était communément considéré comme étant la principale fonction des intermédiaires financiers dans les zones rurales des pays en développement. Cependant, l'échec généralisé des programmes de crédit, subventionnés et lourdement réglementés, à réaliser les objectifs d'une production accrue et d'une distribution plus équitable des revenus a été récemment mis en évidence pour illustrer la faiblesse de la politique axée sur le crédit du développement financier dans les pays en développement. Cette constatation a considérablement accru les efforts à la mobilisation de l'épargne, "la part négligée du financement rural", ainsi que, dans les dix dernières années, la mise au point de politiques et de programmes destinés à augmenter la collecte des dépôts par les intermédiaires financiers dans les pays en développement.(9) La mobilisation de l'épargne est maintenant considérée comme un facteur crucial du développement de marchés financiers solides. Il existe un nombre croissant d'excellents programmes de mobilisation de l'épargne dans les pays en développement et les gouvernements et organismes internationaux se sont récemment impliqués dans ces activités. Les ménages ruraux et modestes, en particulier, sont devenus le centre d'intérêt des politiques de promotion de l'épargne, et les idées reçues concernant les pauvres, qui n'ont pas la possibilité d'épargner et ne répondent pas aux objectifs économiques, ont été remises en question. La possibilité pour les petits exploitants de réaliser des dépôts est exposée dans l'étude de cas mise en lumière dans l'encadré 1.1.

Encadré 1.1 Possibilité effective des petits exploitants à épargner à Taïwan et en Corée

Dans les années 60, Taïwan et la République de Corée commencèrent à promouvoir la mobilisation de l'épargne rurale, pour ne plus devoir compter sur le crédit subventionné. Le potentiel de mobilisation de l'épargne fut accru par des réformes complémentaires qui augmentèrent considérablement les taux d'intérêt sur les prêts et les dépôts. En conséquence, à Taïwan, l'offre de crédit agricole passa de 30 millions $ US en 1956 à 400 millions $ US en 1971. Une part importante de cette masse accrue de financement provenait des dépôts reçus des coopératives rurales. D'alléchants taux d'intérêt sur les dépôts, associés à de forts taux de rentabilité sur les investissements agricoles, jouèrent un rôle-clé dans l'augmentation des dépôts et leur mobilisation dans les zones rurales.

Les études réalisées en République de Corée à la même époque montrent les mêmes importantes possibilités d'épargne dans les zones rurales. Vers le milieu des années 60, après des années de soutien aux programmes de crédit subventionné, le gouvernement mit au point deux nouvelles politiques connexes: des taux d'intérêt plus élevés et une promotion nationale pour accroître l'épargne rurale grâce aux coopératives. Les résultats furent impressionnants. Les enquêtes menées auprès des ménages ruraux démontrèrent que l'augmentation de l'épargne passa de 12 pour cent du revenu ménager en 1963 à 33 pour cent en 1974. Motivés par d'intéressants taux d'intérêt sur les dépôts et par la capacité des coopératives rurales à sécuriser l'épargne de façon commode et bon marché, même les plus petites fermes et les ménages les plus modestes déposèrent d'importantes sommes d'argent. Les exemples démontrent que les possibilités d'épargne existent dans les pays en développement, même parmi les exploitants les plus pauvres.

Source: Agence pour le développement international; Mobilising Savings and Rural Finance: the AID Experience, Washington, D C . 1991.

Les caisses de crédit mutuel et les coopératives d'épargne et de crédit ont joué un rôle important dans la promotion de l'épargne, tant que les dépôts des membres ont été la principale source des fonds destinés aux prêts. Les caractéristiques-clé des programmes de mobilisation de l'épargne réalisés avec succès par des organisations affiliées au Conseil mondial des coopératives d'épargne et de crédit comportent:

- la tarification des comptes d'épargne à des taux d'intérêt positifs réels
- la promotion active et la publicité, particulièrement destinées aux détenteurs de petits comptes
- l'augmentation des heures d'ouverture des guichets et une offre de meilleurs services aux épargnants
- une gamme plus étendue des produits des comptes d'épargne
- l'automatisation des opérations de caisse
- l'amélioration des équipements de bureau pour rehausser leur image populaire.

A cet égard, la part du marché de l'épargne des caisses de crédit mutuel et des coopératives a réellement et notablement augmenté en Afrique, en Asie et en Amérique Latine; et ce, malgré l'inflation et autres difficultés économiques.)10)

Il existe désormais un nombre élevé d'exemples démontrant que les ménages modestes bénéficient des opportunités améliorées des dépôts, offertes par une épargne sûre, liquide, et génératrice d'intérêts. Ceci permet aux ménages d'obtenir une rémunération positive de leurs dépôts et d'éviter, au moins en partie, que l'inflation n'érode les liquidités. Les dépôts aident les personnes à accumuler des fonds, qui deviennent disponibles pour des investissements en capital matériel, et à favoriser les flux de liquidité destinés à la consommation. L'utilisation accrue du système financier dégage aussi une certaine efficacité sur le plan social grâce au partage des risques et à l'information efficace dans la distribution de fonds destinés à l'investissement. Outre ces considérations, l'utilisation de l'épargne en tant que protection contre l'éventualité d'une baisse ou des aléas des revenus est, dans de nombreux cas, le premier motif de l'accumulation de capital, surtout pour les ménages les moins riches dans les pays en développement. "

Cependant, bien que la tendance croissante à la mobilisation ait ouvert la bonne voie, les politiques financières réalisées dans de nombreux pays en développement n'ont pas créé de systèmes financiers solides. Le taux d'inflation étant souvent bien au-dessus des taux d'intérêt sur les dépôts, la majeure partie de l'épargne intérieure n'a pas été réalisée sous cette forme. En terme d'actifs et d'instruments institutionnels et financiers, les systèmes financiers ont peu évolué, voire sont restés sous-développés. Par ailleurs, l'environnement macro-économique a souvent découragé leur intensification. Certains pays en développement, par exemple, ont été ou sont encore l'objet de troubles politiques, de conflits ou de guerres civiles. Evidemment, dans ces circonstances, la perturbation des activités économiques et les incertitudes concernant le futur affectent les décisions et les possibilités d'épargner et, en général, ébranlent la confiance dans le système bancaire. Dans les années 80, la faiblesse de nombreux systèmes financiers est devenue apparente et l'instabilité bancaire est apparue comme un problème, non seulement dans les pays en développement mais aussi dans plusieurs pays industrialisés. Ceci a soulevé des questions quant à la sécurité des dépôts dans les institutions financières et quant aux droits des épargnants en temps de crise bancaire.

Notes

1. The World Bank, Financial Systems and Development, Policy and Research Series 15, Washington, D.C., 1990, p.9, tableau 2.1.

2. Ibid., p. 11. Les pays concernés par l'étude étaient le Cameroun, la Chine, la Colombie, la Côte d'Ivoire, l'Equateur, l'lnde, la République de Corée, la Malaisie, Les Philippines, le Portugal, la Thaïlande, la Tunisie, la Turquie et la Yougoslavie.

3. Pour une étude récente et précise sur le dualisme financier des pays en développement, se reporter à D. Germidis, D. Kessler, et G. Meghir, Financial Systems: What role for the Formal and Informal Financial Sectors? Centre de développement des études, OCDE, Paris, 1991.

4. Ibid., p. 53-54

5. The World Bank. op. cil., p.2 1 .

6. P. Marion, Credit Union Achievements in Developing Contries, dans le Yearbook of Cooperative Enterprise 1990, Plunkett Foundation, Londres, 1 990.

7. P. Marion, Building Successful Financial Systems: The Role of Credit Unions in Financial Sector Development, Document technique, Atelier sur les financements ruraux et le développement du secteur financier, U.S. Agency for International Development, Washington D.C., 1987.

8. World Council of Credit Unions, International Digest of Laws Governing Credit Unions (édition anglaise), Madison, 1993.

9. En ce qui concerne les problèmes relatifs au crédit dans les pays en développement, voir J.D. von Pischke, Finance at the Frontier: Debt Capacity and the Role of Credit in the Private Economy, EDI Development Studies, The World Bank, Washington D.C., 1991, et R.C. Vogel, "Savings Mobilization: The Forgotten Half of Rural Finance", aux éditions D. Adams, D. Graham, et J.D. von Pischke, Undermining Rural development with Cheap Credit, Westview Press, Boulder Colorado, 1982.

10. Se reporter aux études de cas du World Council of Credit Unions and the World Bank "Credit Union Development Seminar", Madison, 1990, conduites au Ghana par L. Ito, au Togo par K. Akemakou, aux Philippines par R. Cowell, en Afrique par D. Magers, au Cameroun par D. Mahon et J. Bettinger, à Malawi par J. Jerving, au Niger par L. Ito, et au Togo par C. Aeschliman; et le World Council of Credit Unions, Mid-term Evaluation report cooperative sector low-cost housing project in Ecuador Rapport de projet 1993; et P. Marion, G. Almeyda, D. Magers, Credit Unions as Cooperatives: Experience and Potential, Technical Paper, World Bank Seminar on Donor Support for the Promotion of Rural Cooperatives in Developing Countries, Banque Mondiale, Washington D.C., 1990.

11. R.C. Vogel et P. Burkett, Mobilizing Small-Scale Savings Approaches, Costs and Benefits, Industry and Finance Series Vol. 15, The World Bank, Wsahington D.C. 1986.


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