Page précédente Table des matières Page suivante


Chapitre II - Modalités d'action


1. Modalités de la gestion nationale de l'aide alimentaire
2. Conséquences en matière de développement


L'article 5 de la Déclaration de Barcelone157 stipule que la lutte contre la faim requiert la coopération internationale et la solidarité, ainsi que l'échange équitable et efficace de ressources humaines, naturelles, technologiques et financières. L'aide quantitative joue donc un rôle important dans la conduite des politiques de sécurité alimentaire, en particulier dans les pays à déficit alimentaire et à faibles revenus. En effet, au vu de l'importance de la sécurité alimentaire, les Etats qui ne bénéficient pas de tous les moyens nécessaires pour y parvenir ne peuvent que recourir à l'aide de la communauté internationale.

157 Voir supra Première partie, chapitre I, 1.1.1.

Le principe de l'aide alimentaire est néanmoins fortement controversé, dans la mesure où il a pour conséquence de placer les pays bénéficiaires dans une situation de dépendance par rapport aux donateurs. Cette situation, objet de biens des polémiques, soulève des problèmes d'éthique.

Est actuellement à l'étude un projet de "déclaration universelle" du droit à la nourriture. Les opinions divergent considérablement sur le bien fondé d'un tel texte: certains des pays développés n'encouragent guère sa préparation craignant qu'un instrument de ce type ne conduise à l'assimilation du droit à la nourriture au droit à la liberté, ceci consacrant la responsabilité directe des gouvernements en matière de garantie de ce droit. Pour d'autres pays, bien au contraire, ce projet est soutenu avec enthousiasme; ils y voient l'opportunité de garantir structurellement le droit à la nourriture et de permettre le recours institutionnel à l'aide internationale.

Néanmoins, il faut remarquer que la notion d'aide alimentaire a évolué: il est moins question de la faire reposer sur la communauté internationale, que de l'intégrer parmi les autres éléments du développement économique afin de réduire la dépendance des bénéficiaires. La Déclaration mondiale sur la nutrition de 1992 l'affirme en son point 14: l'aide alimentaire ne doit répondre qu'aux situations d'urgence et dans le but de passer de la phase de réhabilitation à celle du développement. L'objectif ultime doit être d'éviter la dépendance des Etats à déficit alimentaire vis à vis de la communauté internationale. De même, la Déclaration de Barcelone précise-t-elle que l'aide doit être guidée par l'éthique et être temporaire, dans l'attente de l'arrivée de l'aide technique et financière pour développer la production.

L'aide n'étant qu'une mesure d'urgence, elle n'a qu'un caractère temporaire et ne peut constituer qu'un outil à court terme de lutte; d'où la nécessité d'en organiser la gestion optimale. A cet égard, la FAO préconise que l'aide soit intégrée dans les plans de développement afin d'éviter la dépendance nationale, les effets contraires à l'incitation à la production, et le changement des modes de consommation en faveur de produits qui ne se trouvent pas localement.

Devant cette évolution de la notion d'aide alimentaire, la communauté internationale a entrepris de fixer des règles de fonctionnement spécifiques à cette forme d'assistance; néanmoins, c'est aux Etats bénéficiaires qu'il incombe d'organiser institutionnellement la gestion de l'aide, en l'incorporant dans leurs politiques de sécurité alimentaire nationales.

1. Modalités de la gestion nationale de l'aide alimentaire


1.1 Responsabilité de la gestion
1.2 Mécanismes de traitement: fonds communs de contrepartie
1.3 Organisation contractuelle de la fourniture


L'aide alimentaire ne repose pas sur des modes de gestion différents de ceux qui déterminent les actions de lutte contre l'insécurité alimentaire. A contrario, les programmes de développement, de restructuration, d'ajustement structurel prévoient tous des dispositions concernant l'aide alimentaire.

1.1 Responsabilité de la gestion

Les offices nationaux céréaliers ont été restructurés ou ont disparu au profit de nouvelles institutions chargées d'oeuvrer dans un but de sécurité alimentaire. Souvent d'ailleurs, la dénomination même de ces organes se réfère directement à leur objet: Commissariat à la sécurité alimentaire, Office national d'appui à la sécurité alimentaire, Food Security Department. Il s'agit d'instances qui en sus de leur mission de gestion du stock national de sécurité ont la responsabilité de la gestion de l'aide alimentaire.

Afin de gérer efficacement l'aide alimentaire, il est nécessaire d'intervenir à plusieurs niveaux: lors de son acheminement vers le territoire concerné, à son arrivée, au cours du stockage, à l'occasion de la commercialisation et de la distribution. Ainsi, au Burkina Faso, c'est la SONAGESS158 qui gère les infrastructures, équipements et matériels affectés à l'aide alimentaire; de plus, dans le cadre de ses activités de prestation de service, la SONAGESS met à la disposition des pouvoirs publics les moyens matériels et humains pour permettre, en cas de besoin, le stockage et la conservation des aides allouées au pays. L'article 6.3 du contrat-plan Etat-SONAGESS précise encore que la SONAGESS, pour remplir cette mission, doit tenir à disposition du gouvernement une capacité de stockage de 25.000 tonnes implantées le long des axes routiers ou ferroviaires, afin de stocker l'aide en cas de besoin.

158 Voir supra note 130.

Sur la SONAGESS reposent ainsi l'essentiel des responsabilités relatives à la préparation de l'arrivée de l'aide alimentaire qui sera stockée d'une manière décentralisée comme l'indique la disposition sus-mentionnée du contrat-plan. En outre, il lui incombe aussi de stocker et conserver l'aide en bon état, de restituer l'aide en qualité et quantité égales après que celle-ci ait été distribuée ou commercialisée à des bénéficiaires expressément désignés par le gouvernement (article 4(b) du contrat-plan).

Au Mali, l'OPAM159 reçoit les mêmes missions comme l'indique l'article 5 du contrat-plan conclu entre l'Etat et cet office. Les requêtes d'aide sont effectuées par l'OPAM qui évalue les besoins, les quantités devant être limitées au minimum nécessaire. Pour procéder à cette évaluation, l'OPAM se doit de tenir compte du niveau du stock national de sécurité et du déficit alimentaire estimé.

159 Voir supra Première partie, chapitre II, 3.1.

Le contrat-plan a prévu un processus pour effectuer les requêtes d'aide: (i) celles-ci se feront d'abord en septembre si la situation est grave et que l'OPAM estime que le stock national risque d'être entièrement épuisé; (ii) une actualisation des besoins est effectuée fin décembre après arrêté du bilan céréalier de la campagne agricole; (iii) les besoins d'aide pour la période juillet-octobre sont à préciser et actualiser entre janvier et mars. L'OPAM est ainsi tenu à respecter un calendrier précis, l'objectif d'une telle planification de gestion étant d'éviter les perturbations dans le fonctionnement régulier du marché et de ne pas constituer des stocks inutiles et lourds à gérer.

Il est à noter que si l'organisation de la gestion de l'aide alimentaire au Burkina Faso et au Mali offre des garanties d'efficacité, ce n'est pas toujours le cas dans d'autres pays où les dispositions juridiques nationales sont moins complètes.

En Mauritanie comme au Sénégal, c'est au CSA que revient la mission de gérer l'aide alimentaire (article 15 du décret mauritanien 89-056 sur la politique céréalière; article 2 du décret sénégalais 92-1200 créant le CSA). Les deux commissariats ont chacun un service spécialement affecté à la gestion de l'aide alimentaire:

(a) au Sénégal, la Division de l'aide alimentaire (article 8 décret 92-1200) est constituée de deux sous-divisions: le Bureau de transit par où arrivent les aides et le Bureau des opérations où s'organise le circuit de l'aide après son arrivée sur le territoire. Néanmoins, c'est à la Division commerciale du CSA qu'il revient de commercialiser les céréales objets de l'aide;

(b) en Mauritanie, le Département de l'aide alimentaire (article 3 décret 90-82) est quant à lui divisé en un Service de l'aide à la production et un Service d'aide aux sinistrés (article 6 du décret 90-82). Ainsi, d'une part, le CSA commercialise-t-il l'aide destinée à la vente (Bureau d'aide à la production) et d'autre part, supervise-t-il les distributions gratuites en cas de déficit alimentaire (Bureau d'aide aux sinistrés).

Il faut relever que le CSA mauritanien est né de la fusion de l'OMC, l'Office mauritanien des céréales et du Commissariat à l'aide alimentaire (CAA) qui avait été créé en 1979160. C'est dire que l'aide alimentaire n'est plus gérée indépendamment du reste de la politique agricole nationale mais qu'au contraire, elle fait partie intégrante de la stratégie de sécurité alimentaire, objectif principal des pouvoirs publics.

160 Décret 79-158 du 3 juillet 1979 portant création du CSA.

Au Bénin, c'est l'ONASA161 qui tient le rôle de conseil dans la conduite de la politique d'aide alimentaire, de même qu'en Ethiopie, c'est l'organisation institutionnelle du code d'urgence toute entière qui traite l'aide, et plus particulièrement l'IMC162 qui en est l'acteur principal; enfin, en Tanzanie, cette responsabilité incombe au Département de la sécurité alimentaire, Food Security Department.

161 Voir supra note 14.
162 Voir supra Deuxième partie, chapitre I, 2.1.1.

Afin d'optimiser les résultats de la gestion de l'aide, certains Etats ont également eu soin de mettre en place des fonds de gestion de l'aide appelés fonds de contrepartie à l'aide alimentaire. C'est notamment le cas en Mauritanie et au Sénégal.

1.2 Mécanismes de traitement: fonds communs de contrepartie


1.2.1 Fonctionnement des fonds
1.2.2 Administration des fonds


Les fonds communs de contrepartie de l'aide alimentaire sont constitués des recettes provenant de la vente des aides; ils permettent de financer des opérations de développement à plus long terme.

1.2.1 Fonctionnement des fonds

C'est dans le cadre du projet de Restructuration du marché céréalier qu'a été créé au Mali le premier fonds de contrepartie de ce type; à ce jour, il est cependant scindé en deux fonds: le premier relatif à la gestion de la réserve de sécurité alimentaire (FSA), l'autre, le Fonds commun d'intervention (FCI), visant le financement de toutes les autres opérations et chargé notamment de celui de l'aide alimentaire163.

163 Dr. Abdoulaye Sali et M. Moctar Boukenem, Projet de Code de Gestion du Fonds de Sécurité Alimentaire, dans Programme de Restructuration du Marché Céréalier, juin 1995

D'autres exemples de fonds de contrepartie de l'aide se rencontrent en Mauritanie et au Sénégal où ils revêtent des formes similaires: chacun des deux décrets fondateurs traitent des modalités de traitement de l'aide dans un but d'amélioration de la sécurité alimentaire nationale164. Les articles premiers des décrets précisent la nature des fonds: ceux-ci proviennent principalement de la vente des aides alimentaires dont chaque donateur détermine la contribution; ils peuvent également résulter d'apport en nature ou de contributions financières ne provenant pas de la revente de ces aides. Les fonds sont placés dans des comptes spéciaux ouverts auprès des banques nationales, comptes sous signatures conjointes du Directeur de cabinet du Premier ministre et du responsable local du PAM, et en Mauritanie par le Commissaire à la Sécurité alimentaire et un représentant des donateurs (article 2 du décret sénégalais, article 4 du décret mauritanien).

164 Décret 94-636 du 21 juin 1994 pour le Sénégal, Décret 86-201 du 19 novembre 1986 pour la Mauritanie.

De même, la destination des fonds est-elle expressément délimitée. Ceux-ci doivent servir exclusivement à la réalisation de programmes dans le cadre d'une stratégie alimentaire visant de façon prioritaire la sécurité alimentaire, ainsi qu'au financement des interventions dans les domaines de la production et de la régulation du marché intérieur (article 3 du décret sénégalais). Pour sa part, le fonds mauritanien répond aux mêmes objectifs mais sert aussi au financement du CSA.

1.2.2 Administration des fonds

La caractéristique principale de ces fonds est qu'ils sont administrés conjointement par les pouvoirs publics et par les donateurs. Sont instituées au sein de ces fonds des commissions paritaires, composées de différents ministres (Sénégal) ou de membres du CSA (Mauritanie) ainsi que de donateurs. La présidence des commissions est confiée à un national - le Ministre de l'agriculture au Sénégal, le Commissaire à la Sécurité alimentaire en Mauritanie; la vice-présidence revient à un représentant des donateurs (article 4 du décret sénégalais, article 6 du décret mauritanien).

La mission des commissions paritaires consiste à approuver le plan d'action ou le programme retenu pour l'utilisation des fonds, d'en assurer le suivi et le contrôle, de dresser en fin d'année un bilan des financements effectués et d'évaluer les programmes nationaux quant à l'objectif de sécurité alimentaire (articles 5 des deux décrets). La prise des décisions se fait par consensus.

Le gouvernement sénégalais a constitué auprès de la Commission paritaire un Comité de gestion plus particulièrement chargé d'assister celle-ci dans ses fonctions. Lui aussi composé de façon paritaire par des représentants des pouvoirs publics et des donateurs, ce comité est notamment chargé de préparer le plan d'action et reçoit la responsabilité du suivi technique et financier des opérations relatives au plan (article 9 du décret).

Le décret sénégalais comporte en outre des dispositions supplémentaires relatives au mode de passation des marchés et précise quels sont les actes qui doivent faire l'objet d'une passation de marché, par appel d'offre ou entente directe (article 11 du décret du Sénégal).

Outils précieux d'organisation et de gestion de l'aide alimentaire, les fonds de contrepartie offrent une garantie de traitement efficace dans un but de sécurité alimentaire: ils permettent en effet la transformation de l'aide en arme supplémentaire contre l'insécurité alimentaire.

1.3 Organisation contractuelle de la fourniture

Le PAM élabore de façon contractuelle avec les pays bénéficiaires de l'aide des accords de fourniture sous forme de Plans d'opération. C'est le Comité pour les politiques d'aide alimentaire qui, au sein du Programme, est chargé d'évaluer et de recommander des politiques d'aide, en conseillant les pouvoirs publics sur les améliorations à apporter à leurs actions.

L'objectif de cette aide est moins de répondre à l'urgence que de concourir à la réalisation de programmes de développement nationaux. Ainsi le Sénégal a-t-il conclu un plan d'opération avec le PAM en soutien à la nouvelle politique agricole; le Mali en a fait de même pour un projet de restructuration du marché céréalier, et l'Ethiopie a eu recours au PAM afin d'obtenir une assistance à la gestion de sa réserve d'urgence.

Visant un projet ou une action particulière, chacun des plans d'opérations a été conclu sur la base d'accords de base passés avec le PAM dans le début des années soixante-dix; les accords sont constitués de quatre articles principaux:

(a) le premier article édicté les dispositions générales sur l'objectif de l'accord, l'analyse du problème particulier et l'identification des bénéficiaires de l'aide;

(b) les obligations du PAM qui se résument à la fourniture de l'aide sont précisées au deuxième article: les précisions sur la forme, la quantité et la qualité de l'aide ainsi que son montant global; le transport des marchandises et leur assurance;

(c) le troisième article est consacré aux obligations du gouvernement;

(d) le quatrième article donne des précisions sur la date d'entrée en vigueur de l'accord, sur la durée de fourniture de l'aide et sur les modalités de résiliation du contrat.

Ces plans d'opérations, dont le contenu et le fonctionnement ont été abordés lors de l'étude des programmes de développement nationaux ou de la Réserve d'urgence éthiopienne, ont des structures similaires. Ils définissent dans un premier temps les obligations du PAM (fournir l'aide alimentaire, évaluer le projet, affecter des agents sur place pour superviser et conseiller); néanmoins, ils consacrent la responsabilité des pouvoirs publics qui doivent régulièrement rendre des comptes sous forme de rapports sur l'état d'avancement des projets.

Selon une étude réalisée sur les politiques de sécurité alimentaire en Afrique de l'Ouest165, le bilan de ces plans d'opération et projets reste pour le moins mitigé: la plupart des plans d'opérations n'ont pas atteint l'objectif escompté pour des raisons diverses tenant à la trop grande ambition de ceux-ci par rapport à la contribution trop faible du PAM, à la fourniture de céréales parfois impropres à satisfaire les besoins des populations bénéficiaires, par le manque ou le caractère inadapté de l'assistance technique, enfin souvent par les conflits avec les objectifs des gouvernements.

165 Edouard K. Tapsoba, Food Security Policy Issues in West Africa: Past Lessons and Future Prospects, FAO, 1990, p. 45 et 46.

Si l'aide est organisée sous différentes formes au niveau national, elle est aussi au coeur des préoccupations régionales et internationales.

2. Conséquences en matière de développement


2.1 Coopération régionale entre les bénéficiaires
2.2 Coopération internationale entre les donateurs


Depuis la fin des années soixante-dix, les débats concernant la sécurité alimentaire sont centrés sur les difficultés, ou les réussites, de l'aide quantitative. En réponse, les pays bénéficiaires ont pris les mesures nécessaires de manière à faire de l'aide initiale un outil pour le développement économique. Pour leur part, les donateurs ont repensé la politique de l'aide alimentaire de telle sorte que celle-ci ne soit plus considérée comme un débouché pour les excédents mondiaux, mais plutôt comme une composante des politiques alimentaires nationales. Dans cet objectif, la Conférence mondiale de l'alimentation de 1974 a adopté un appareil juridique complet: la Déclaration universelle pour l'élimination définitive de la faim et de la malnutrition, et les vingt-deux résolutions y afférentes visant à la réalisation des objectifs établis à la Convention.

L'une des ces vingt-deux résolutions est consacrée à l'aide alimentaire166; elle apparaît comme le complément nécessaire à la sécurité alimentaire mondiale dans les pays défavorisés. L'objectif de la résolution est triple: (i) faire face aux situations d'urgence, (ii) répondre aux besoins nutritionnels, (iii) stimuler l'emploi par des projets de développement.

166 Résolution XVIII incorporée dans l'article 12 de la Déclaration, voir aussi Assia Bensalah-Alaoui, Bibliothèque de Droit International, Tome 99, L.G.D.J. 1989, p. 108.

La résolution souligne le besoin de planification des actions d'aide alimentaire, afin de faire de celles-ci un instrument du développement.

En outre, la communauté internationale a élaboré une politique d'aide autour de ces mêmes objectifs en adoptant aussi la Convention relative à l'aide alimentaire; certains pays bénéficiaires, notamment ceux du Sahel, ont eux aussi organisé leur action en matière d'aide en élaborant la Charte de l'aide alimentaire des pays du Sahel.

2.1 Coopération régionale entre les bénéficiaires

En raison des difficultés particulière du Sahel, les Etats de la région sont les récipiendaires de l'aide publique par habitant la plus élevée d'Afrique.

Constatant néanmoins que l'aide répond essentiellement à un objectif d'assistance humanitaire et que les apports ne se font relativement bien qu'en période d'urgence, les gouvernements du Sahel et les donateurs ont tenté de trouver les moyens d'accroître l'efficacité et la régularité de l'aide alimentaire. Dès 1986, à l'occasion du colloque de Mindelo sur les politiques céréalières, les parties concernées par l'aide alimentaire se sont accordées à considérer celle-ci comme n'étant et devant n'être qu'un ultime recours d'intervention, ouvert seulement lorsque la mobilisation des excédents nationaux et régionaux se révèle insuffisante ou impossible. Elles ont également reconnu le besoin de grande souplesse dans les calendriers de l'aide, de manière à ce qu'elle ne puisse pas concurrencer les productions vivrières locales et décourager l'effort de production.

Ces analyses ont abouti à l'adoption du texte de la Charte de l'aide alimentaire des pays du Sahel à l'issue du sommet de Guinée Bissau, le 10 février 1990. Les Etats membres du CILSS167 ainsi que l'Allemagne, le Canada, les Etats-Unis, la France, les Pays-Bas et l'Union Européenne ont soutenu le projet qui se voulait moins un instrument international imposant des obligations et le respect de procédures formelles, qu'un engagement à faire diligence pour déterminer et mettre en application les principes d'une philosophie commune de l'aide alimentaire.

167 Voir supra Première partie, chapitre I, 2.1.1.

Les dispositions contenues dans la Charte sont de caractère général et rassemblées autour de cinq points principaux relatifs à: (i) la définition des objectifs de l'aide alimentaire, (ii) l'évaluation de la situation alimentaire, (iii) l'évaluation des besoins d'aide alimentaire, (iv) la mise en oeuvre de l'aide alimentaire, (v) les bilans et perspectives.

Les objectifs en sont simples: contribuer à la sécurité alimentaire en répondant efficacement aux situations de crises et, à plus long terme, en corrigeant les insuffisances structurelles par le soutien au développement (point I de la Charte).

Le point II relatif à l'évaluation de la situation alimentaire appelle à l'étroite collaboration entre bénéficiaires et donateurs de manière à disposer d'informations fiables sur la situation alimentaire de la région; il recommande une harmonisation des critères d'appréciation de celle-ci par rapport aux besoins propres des pays. La concertation doit se traduire par un échange d'informations sur la répartition, la distribution, la nature de l'aide. Donateurs et bénéficiaires sont tenus de définir en commun la répartition quantitative des aides, le choix des produits, leurs origines et leurs destinataires, de manière à pouvoir planifier annuellement les contributions.

La concertation se manifeste en deux directions: d'une part entre les différents Etats concernés, à savoir ceux du Sahel; d'autre part entre bénéficiaires et donateurs. L'appel à ce type de concertation constitue le coeur de la Charte; les modalités de réalisation sont traitées aux points III et IV du texte.

Ce principe de coopération appelle donateurs et bénéficiaires à se concerter au moins une fois par année afin d'évaluer les besoins en aide et d'élaborer un plan indicatif d'approvisionnement que chacun s'engage à respecter (point III in fine). Des dispositions particulières précisent les modalités de la mise en circuit de l'aide: notamment, celle-ci ne sera distribuée gratuitement que dans les situations d'urgence; elle devra être commercialisée de telle sorte qu'elle ne porte pas préjudice aux prix du marché intérieur; enfin, le produit de l'aide devra être affecté aux fonds de contrepartie pour soutenir les actions de développement (point IV, 3).

Toutes les dispositions de la Charte visent ainsi à ce que le principe de l'aide soit entendu non pas comme une action ponctuelle mais plutôt comme le moyen de contribuer à la sécurité alimentaire régionale par un appui à la capacité nationale de produire et d'acquérir des aliments de base. L'objectif de ce texte de coopération internationale correspond à la volonté générale des pays demandeurs et de la communauté internationale de faire de l'aide un outil pour le développement et la sécurité alimentaire.

Si les pays du Sahel ont commencé à mettre en oeuvre ce type de politique en renforçant leurs institutions de gestion des situations de crise et d'aide alimentaire, les donateurs ont pour leur part également restructuré leur contribution à la sécurité alimentaire.

2.2 Coopération internationale entre les donateurs

Ce texte régit les interventions en matière d'aide alimentaire en faveur des pays en développement. Partie intégrante de l'Accord international sur les céréales au même titre que la Convention sur le commerce des céréales avec laquelle elle fonctionne de concert168, la Convention relative à l'aide alimentaire est pourtant juridiquement indépendante: elle a été mise en chantier dès 1967 et a été l'objet de longues négociations avant d'aboutir au texte actuel qui est entré en vigueur le 1er juillet 1995, pour une période de trois années (article XXII de la Convention). Comportant vingt-six articles, la Convention (i) arrête les obligations des parties donatrices (néanmoins, lesdites obligations relèvent plus de l'engagement volontaire, tout comme dans le cas de la Charte de l'aide alimentaire du Sahel), et (ii) est administrée par un Comité qui, ouvert à chacune des parties, est chargé du suivi régulier de la situation alimentaire des pays concernés. Ce comité est aussi responsable de l'échange d'informations entre donateurs et bénéficiaires, et dispose de tous pouvoirs pour veiller à la bonne application de la Convention (article X).

168 Voir supra Première partie, chapitre I, 1.2.

L'objectif de cet instrument est d'apporter chaque année aux pays concernés une aide d'un niveau au moins égal à dix millions de tonnes de céréales propres à la consommation humaine (article I). Ce niveau qui était fixé à 7,6 millions de tonnes dans la Convention de 1986, constitue le principal élément nouveau de la Convention de 1995; en effet, depuis 1980, le niveau global de contribution des donateurs n'avait pas varié en dépits des objectifs fixés par la Conférence mondiale sur l'alimentation qui dès 1980 portait le niveau à 10 millions169. Après avoir précisé le montant de la contribution globale, est fixée la contribution minimale de chacun des pays donateurs; ces différentes contributions doivent tenir compte d'une planification préalable établie par les donateurs afin que les pays bénéficiaires puissent tenir compte du courant probable d'aide qu'ils recevront (article III 8). De même, si un donateur ne fournit pas sa contribution annuelles, la part qu'il n'aura pas versée sera reportée l'année suivante, ce qui constitue une obligation au respect des engagements pris par le pays concerné (article III 9). Il est cependant à regretter que les modalités de planification de ces apports ne soient pas exprimées de manière plus précise.

169 Assia Bensalah-Alaoui, op. cit., p. 307, qui souligne que cette hausse aurait dû intervenir plus tôt: prévue pour trois ans, la Convention de 1980 aura finalement régi toute la décennie (et peut-être plus!) puisque celle de 1986 n'a apporté aucune amélioration. Son amélioration s'impose pourtant.

Quant aux conditions de déclenchement, le Comité peut recommander l'augmentation de la quantité d'aide allouée aux bénéficiaires "s'il s'avère qu'en raison d'un déficit marqué de la production de céréales alimentaires, ou de toute autre difficulté, un pays donné, voire une ou plusieurs régions se trouvent confrontés à des besoins alimentaires critiques...". Ces termes marquent l'évolution de l'acception qui s'est opérée depuis 1980: le texte original portait "l'ensemble des pays"; celui de 1986 faisait référence à "des" pays; la Convention de 1995 est donc plus précise car elle envisage la possibilité de déblocage supplémentaire de l'aide si une seule région ou même un seul Etat est affecté par une crise grave.

Des dispositions précisent les formes que peuvent revêtir les apports des donateurs. Ainsi, le principe est que l'aide doit se traduire par des dons en céréales pour les pays à faible revenu et à déficit alimentaire; elle peut également prendre la forme d'espèces destinées à constituer les réserves de sécurité et à promouvoir les opérations triangulaires permettant à un Etat d'acheter des céréales à un Etat voisin. L'aide peut enfin consister en ventes de céréales à crédit aux pays nécessiteux, avec un paiement par annuités raisonnables remboursables sur vingt années ou plus (article IV).

La grande majorité des donateurs étant des pays exportateurs des céréales, leur contribution se traduit généralement par des dons en nature. C'est aux pays bénéficiaires à organiser la vente de ces céréales pour financer leurs actions de développement, au travers des institutions chargées de sécurité alimentaire et des fonds de contrepartie. La Convention précise que les aides peuvent être acheminées par voie bilatérale mais encourage plus volontiers un acheminement multilatéral, sans toutefois préciser de quotas particuliers pour ce type d'acheminement (article V).

Cette convention qui constitue un instrument essentiel en matière d'organisation de l'aide alimentaire de la part des donateurs, pourrait donner force plus contraignante à certaines de ses dispositions; néanmoins, les intérêts restent trop sensibles pour instaurer un mécanisme plus rigide qui risquerait de décourager les bonnes volontés plutôt que favoriser l'augmentation des contributions.

A cet égard, l'Acte final de l'Uruguay Round dans le cadre du GATT, tel qu'adopté à Marakesch en 1994, est susceptible d'avoir des incidences relativement importantes sur le rôle de l'aide alimentaire. L'Accord sur l'agriculture qui constitue un point clef, opère un profond changement dans la gestion mondiale des ressources agricoles: le texte donne obligation aux Etats de réduire leurs subventions à l'exportation, ceci dans un laps de temps variable dépendant du niveau de développement du pays. Cette mesure risque de faire augmenter les prix, ce qui, pour les pays en développement, aurait des conséquences multiples: la réduction des subventions à l'exportation risque d'encourager la compétition entre les producteurs de produits céréaliers; une telle réduction obligera sans doute ces pays à importer encore plus. En effet, les surplus de céréales disponibles par chaque Etat sous forme de stocks risquent de diminuer considérablement, ce qui peut mettre le pays concerné dans une situation alimentaire d'insécurité et réduire à néant tous les efforts entrepris pour atteindre la sécurité alimentaire. Or, comme la plupart de ces pays sont incapables de couvrir leurs besoins d'importation par les voies seulement commerciales, il est fort probable que le recours à l'aide alimentaire sera intensifié.

Pour palier ce risque, il est prévu d'offrir à ces pays des garanties de compensation en cas de hausse des prix mondiaux. Une décision de l'Uruguay Round porte en effet sur les Mesures concernant ses possibles effets négatifs et le Programme de réforme des pays les moins développés et des pays importateurs en développement. Cette décision engage les pouvoirs publics concernés (i) à rechercher les mesures visant à l'assistance technique et financière aux fins de l'amélioration de la productivité et des infrastructures agricoles, et (ii) à réviser le mode de gestion de l'aide alimentaire.

Autre instrument régional touchant aussi à la sécurité alimentaire: signé en 1979 par la Bolivie, la Colombie, l'Equateur, le Pérou et le Venezuela, l'Accord de Cartagène vise à promouvoir le développement équilibré et harmonieux des parties à travers l'intégration et la coopération économique et sociale, et à favoriser les processus d'intégration régionale. L'objectif essentiel est de réduire la vulnérabilité externe des Etats concernés. En outre, les chefs de gouvernements des pays membres (réunion de Machu Picchu, 23 mai 1990) ont manifesté leur accord pour recommander aux ministres de l'agriculture d'adopter des mesures spécifiques dans le domaine de la sécurité alimentaire (point 9 de la décision). S'y conformant, la Bolivie a adapté les décisions appropriées en créant par décret le Conseil national de la sécurité alimentaire, Consejo Nacional de Seguridad Alimentaria170. Ce conseil, relevant du ministère chargé des affaires agricoles, élabore et coordonne les stratégies multisectorielles destinées à réduire le niveau de dépendance alimentaire national (article 5 du décret).

170 Decreto Supremo n° 22720, 30 janvier 1991.


Page précédente Début de page Page suivante