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PREMIÈRE PARTIE- LA COMMUNICATION AU SERVICE DE LA PARTICIPATION ET DE L'ÉCHANGE

1. CADRE GÉNÉRAL

LE MEXIQUE À LA RECHERCHE DE SON AVENIR ÉCONOMIQUE

Le Mexique est, à juste titre, fier de son histoire. Les grandes civilisations disparues lui ont legué des pyramides spectaculaires et de nombreux sites archéologiques. S'il est vrai que les conquérants espagnols détruisirent systématiquement la culture indigène, une bonne part de leur glorieux passé se reflète encore dans la pensée et les comportements des Mexicains d'aujourd'hui. Ils font preuve d'un grand talent pour le dessin et les projets créatifs, manifeste dans nombre d'edifices modernes des plus imposants dont certains sont d'une beauté très originale. Les aspirations des Mexicains à retrouver la grandeur passée s'expriment aussi au travers de vastes programmes de développement, produits d'une imagination fertile.

Malheureusement ces aspirations semblent continuellement contrariées par la réalité, ce qui provoque un certain sentiment de frustration. En premier lieu, la conquête espagnole et les siècles de domination culturelle qui l'ont suivie ont engendré méfiance et préjugés, comme souvent dans des pays qui ont subi la colonisation. Plus encore, la domination exercée par le grand voisin du Nord a marqué très profondément l'idée que les Mexicains se font d'eux mêmes et du monde. Les difficultés économiques qu'ils ont dû affronter au cours de ces 15 dernières années ont contribué à accroître encore davantage leur déception.

Depuis 1955 jusque dans les années soixante-dix, la croissance du Mexique a reposé sur un modèle de développement interne qui protégeait l'économie en limitant les importations. Le taux de change restait volontairement élevé, afin de réduire le coût des biens du capital et des intrants nécessaires à l'industrie. L'inflation demeurait faible, et la dette extérieure du pays peu élevée. Mais cette économie semi-fermée manquait de dynamisme et ne pouvait soutenir la compétition sur les marchés internationaux. Aussi les exportations demeurèrent-elles limitées alors que les importations des biens de capital augmentaient peu à peu, jusqu'à ce que dans les années soixante dix le déficit de la balance des paiements mexicains ne devienne chronique.

Au même moment eut lieu le "choc pétrolier": l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), tout récemment créée, obtint d'importantes augmentations sur les prix de ce produit et les pétrodollars inondèrent le marché financier international. De nombreuses banques de pays industrialisés ne sachant où placer ces fonds, le Mexique en profita pour réaliser d'immenses emprunts. Sa dette extérieure augmenta de façon dramatique, passant de 15 000 millions de dollars EU en 1975 à 70 000 millions en 1981.

La découverte de pétrole dans le Golfe du Mexique et le surplus qui en résulta entre 1978 et 1981 suscitèrent l'espoir d'une certaine amélioration de l'économie. Pourtant, malgré le pétrole - et, dans certains cas, à cause de lui - le pays a traversé une série de crises économiques majeures au cours de ces 15 dernières années.

La première de ces crises a éclaté en 1982-83. Durant la période où les bénéfices pétrolier représentaient près de 70% du revenu global des exportations, le Gouvernement s'appuya entièrement sur ces profits pour financer ses dettes, extérieure et intérieure; sans penser à couvrir ces coûts au moyen de mesures fiscales comme une augmentation des impôts, par exemple.

Cette confiance aveugle dans les revenus pétroliers s'avéra désastreuse lorsqu'en 1982 les prix du brut chûtèrent. Presque en mêe temps, il fallut faire face à une croissance exhorbitante des taux d'intérêt sur les marchés mondiaux qui provoquèrent, bien entendu, le gonflement du service de la dette. En outre, les dépenses gouvernementales augmentaient rapidement: le déficit du secteur public, qui s'était maintenu en dessous de 5% du Produit intérieur brut (PIB) dans les années soixante-dix, atteignit 14% du PIB en 1982; un record. L'inflation, demeurée inférieure à 15% par an dans les années soixante-dix, grimpa à 59% en 1982 et à 102% par la suite.

Le Gouvernement instaura en 1983 un programme de stabilisation économique comportant des mesures fiscales sévères, afin de freiner le déficit des dépenses publiques et de la balance commerciale, tout en réduisant l'inflation. Ce programme remporta quelques succès mais au prix d'une baisse de croissance économique sévère.

En outre, alors que le service de la dette extérieure pesait encore très lourdement sur l'économie nationale, un tremblement de terre dévasta la ville de Mexico, en septembre 1985. Les coûts de reconstruction de la ville furent estimés à près de 2% du PIB. De plus, comme si ce désastre n'avait pas suffi, les prix du pétrole chûtèrent encore en 1986. Cette nouvelle crise amena le Fonds monétaire international à soutenir un programme d'ajustement structurel destiné à réduire les dépenses nationales, en introduisant des mesures fiscales plus sévères encore. En 1986, le PIB mexicain chûta de près de 3,8%. Le taux d'inflation, relativement stable depuis 1983, se mit à grimper de nouveau, pour atteindre 86% en 1986 et 132% en 1987.

Lorsque le Président Salinas de Gortari arriva au pouvoir en 1988, il affichait parmi ses priorités de rendre à la population son niveau de vie de 1979. Pourtant, en 1992, les familles aux revenus modestes percevaient encore 19% de moins en termes réels que ce qu'elles gagnaient dix ans auparavant.

Les Mexicains furent profondément déçus par les résultats économiques de leur pays au cours des années quatre-vingt, la décade dite "perdue". Mais ils n'étaient pas au bout de leurs peines: le 20 décembre 1994, la brutale dévaluation forcée du peso mexicain de plus de 50% de sa valeur par rapport au dollar EU les entraîna dans une nouvelle crise.

Laissons un Mexicain résumer la situation: "La fameuse histoire de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) comme les déclarations du Gouvernement, nous avaient portés à croire que notre pays s'intégrait peu à peu au monde industrialisé, à égalité avec les autres signataires du traité, Etats Unis et Canada. Et c'est juste quand nous commencions à penser que tout allait bien, à croire qu'enfin la prospérité pourrait revenir, que le monde s'écroula autour de nous."

Cette crise économique dure encore; c'est la plus grave des dernières décennies. De plus, le pays est contraint de s'adapter aujourd'hui aux nouvelles données d'une économie ouverte et de l'ALENA. C'est, comme nous allons le voir, un moment particulièrement difficile pour le secteur agricole et les populations rurales.

La gravité de la situation économique de ces 15 dernières années a eu un impact profondément négatif sur les activités de développement agricole et rural. Il est donc essentiel de tenir compte de ce contexte au moment d'évaluer les expériences de communication rurale décrites dans cette étude.

LA SCÈNE RURALE MEXICAINE

Il est un autre moment de la grandeur du Mexique qui remonte à un passé bien plus récent que les grandes civilisations précolombiennes; c'est la Révolution mexicaine. Ce fut, en Amérique latine, le premier soulèvement populaire contre les grands propriétaires terriens et les riches, oppresseurs des masses pauvres. La Révolution, qui éclata en 1910, avait au départ comme seul objectif de renverser Porfirio Dìaz. Elle se transforma en une longue épopée sanglante sur fond de revendications socio-économiques. Elle se prolongea jusque dans les années quarante, lorsque ses objectifs devinrent enfin partie intégrante de la future politique nationale.

La Réforme agraire fut le point fort de cette Révolution à laquelle les paysans prirent, jusqu'à la fin, une part très active. Des leaders paysans comme Emiliano Zapata, ou Pancho Villa se transformèrent en héros nationaux. C'est dans les années vingt et trente que démarra le processus de redistribution des terres, à la suite de l'expropriation d'une bonne partie des grands propriétaires de latifundia.

On adopta alors le système de l'ejido. C'est une forme traditionnelle d'occupation des sols, venue du fond des âges précolombiens; il repose sur la propriété collective de la terre mais prévoit le droit de l'exploitant à l'usufruit, sur la parcelle qui lui est assignée. Jusqu'à une époque récente, ce droit ne pouvait être partagé, cédé ni loué. Par contre il pouvait être transmis par héritage. Un membre de l'ejido exploite, en général, une parcelle de 10 hectares irrigués, ou de 20 hectares de terre pluviales. Il existe au Mexique 20 000 ejidos qui regroupent près de 3,5 millions de familles paysannes. De fait, un ejido est une communauté de familles qui habitent, en général, dans le même village. Encore que, dans les terres plus récemment acquises à ce système, on a eu tendance a créer des villages plus vastes regroupant divers ejidos, soit plusieurs milliers de personnes. Chaque ejido possède, aux alentours du village, ses propres terres, elles mêmes divisées en parcelles individuelles. Dans tous les cas, le lot de terrain situé dans le village, où se dresse la maison familiale, fait également partie des droits individuels.

Un ejido type possède différents comités de gestion interne, responsables de secteurs particuliers comme la santé, les activités féminines, l'eau potable et autres aspects de la vie communautaire.

Divers ejidos peuvent s'associer pour former une association de plus grande ampleur: une Union d'ejidos. Une union offre en général à ses membres différents services comme l'engrangement et la commercialisation des récoltes, la fourniture des intrants agricoles etc...

La législation mexicaine fixe à cinquante hectares irrigués la surface de terre que chacun a le droit de posséder; mais en pratique cette limite n'est pas respectée. En effet, avec le temps, les cultivateurs ont acquis d'autres terres sous le nom de divers membres de leur famille ou de tiers. Il est ainsi courant de trouver des propriétés de plusieurs centaines ou même de plusieurs milliers d'hectares dans la région de Sonora mais aussi dans les zones tropicales.

Néanmoins, le système de l'ejido concerne en général les paysans des zones les plus pauvres. Nombre d'entre eux pratiquent une agriculture de subsistance, alors que les meilleures terres, sous irrigation, sont entre les mains d'agriculteurs commerciaux.

DES AGRICULTEURS EN DIFFICULTÉ

A dater de la Révolution à laquelle ils ont pris une part très active, les paysans ont occupé, dans la société mexicaine, une place à part. Pendant plusieurs décennies, le Gouvernement est intervenu pour maintenir des prix de marché favorables aux agriculteurs. En 1982, les subsides publics représentaient 22% environ de la valeur de la prodution agricole. Mais par la suite, en raison des crises économiques successives et des programmes d'ajustement structurel qui conduisirent peu à peu à la libéralisation de l'économie mexicaine, le secteur agricole dut affronter de sérieuses difficultés. Les prix des produits chûtèrent de façon dramatique.

Ainsi, entre 1980 et 1988, l'indice national des prix au consommateur atteignit-il 9 800 pour cent. Durant la mêe période, les prix garantis aux agriculteurs pour leurs produits ne montèrent que de 6 380 pour cent, ce qui représente une perte sur les ventes de près d'un tiers en termes réels. La situation apparaît encore plus dramatique si l'on tient compte des coûts des intrants agricoles, qu'il s'agisse des engrais ou des pesticides: au cours de la même période leurs prix augmentèrent de 11 000 pour cent environ.

Cette pression sur le secteur agricole dure depuis 1988. L'une des mesures prises par le président Salinas de Gortari qui entendait contenter ainsi sa base électorale urbaine, consistait à fixer les prix des produits du panier de la ménagère; cela comporta des effets désastreux pour les paysans. Confrontés à une forte inflation ainsi qu'à des taux d'intérêt très élevés pour le remboursement de leurs emprunts et aux coûts démesurés des intrants, nombre de cultivateurs firent faillite.

A cet égard, l'expérience vécue par un ejido des basses-terres tropicales, près de Tampico, est emblématique. A la fin des années 80, après avoir analysé leur situation et élaboré un programme sur la base de l'approche participative, les paysans se lancèrent dans un projet d'élevage qui supposait un crédit bancaire. Au début, ils obtinrent des résultats satisfaisants; mais ils devaient s'en tenir à des prix de vente fixes, alors que les intérêts des prêts et les prix des intrants augmentaient. A la fin, ils furent incapables de rembourser leurs emprunts. La banque confisqua les animaux et l'équipement; les paysans se retrouvèrent ainsi endettés, obligés de chercher du travail à l'extérieur de l'ejido. La décision de fixer les prix du panier de la menagère mena également à la faillite nombre d'autres agriculteurs pourtant bien plus importants.

Autre facteur agravant: la réduction des investissements publics dans le secteur agricole; ceux-ci baissèrent de 74% entre 1981 et 1989, en pesos constants de 1980. Ainsi, vers le milieu des années 90, alors que les pays industrialisés continuaient à subventionner leur production agricole pour plus de 30% de sa valeur, le Mexique se limitait-il à moins de 4%.

ACCORD DE LIBRE ÉCHANGE NORD-AMÉRICAIN, NÉOLIBÉRALISME ET RÉFORME DE LA RÉFORME AGRAIRE AGRAIRE

Le Mexique traverse une période de transition. Comme on le sait, pour la Banque Mondiale, comme pour divers autres organismes de crédit international, le "marché" constitue le facteur essentiel de la modernisation et du développement.

Les succès obtenus par le secteur agricole chilien au cours des dernières décennies ont servi de modèle à de nombreux pays, dont le Mexique. En effet, la production alimentaire du Chili, destinée à la consommation interne mais aussi à l'exportation, a connu une très forte croissance - en particulier depuis la moitié des années 80 - grâce aux politiques adoptées par le Gouvernement du Général Augusto Pinochet. L'un des principaux facteurs de renaissance de l'agriculture chilienne a été l'adoption d'une nouvelle législation autorisant 40 000 petits agriculteurs à vendre les terres reçues au cours des réformes agraires mises en oeuvre de 1964 à 1973. En même temps, on supprima la limite de 80 hectares de terres irriguées pour chaque exploitation. Enfin, en abrogeant les lois qui avaient jusque là protégé les travailleurs, on libéralisa le marché du travail.

Cette renaissance de l'agriculture chilienne a pu compter également sur des facteurs comme une politique fiscale et tarifaire qui a placé les agriculteurs en compétition au grand désavantage des plus petits d'entre eux. Législation et politique fiscale nouvelles ont ainsi contraint nombre de petits producteurs à vendre leurs terres, à se présenter sur le marché du travail rural ou à émigrer vers les villes. Simultanément, le manque de protection juridique des travailleurs a favorisé la baisse des salaires dans le secteur; conséquence, les produits mexicains devinrent compétitifs face à ceux d'autres pays offrant le même type de produits d'exportation, en particulier ceux qui requièrent, comme les fruits, une main d'oeuvre importante. Cependant, il est évident que les récents succès de l'agriculture chilienne, fondés sur la création de grandes "haciendas" modernes et la baisse des salaires ont eu un coût social élevé.

Le Mexique applique actuellement des politiques proches du modèle chilien. Ainsi, le secteur des ejidos et d'autres petits prodcteurs considérés comme peu productifs, devrait être sacrifié à la modernisation. Il s'agit d'opérer une restructuration du secteur agricole à grande échelle.

Déjà, dès 1985, le Gouvernement a commencé à libéraliser l'économie, en supprimant progressivement les licences à l'importation qui avaient protégé jusque là 780 produits agricoles différents. Pour 1990, 33 produits seulement requéraient ces licences alors que l'on a autorisé la libre importation de produits de base dont le Mexique était également producteur comme le sorgho, le riz et les graines oléagineuses.

L'application de l'ALENA pèse encore davantage sur la situation. Cet accord a eu un impact dévastateur sur l'agriculture mexicaine, en particulier pour ce qui concerne les céréales de base que les Etats Unis et le Canada sont en mesure de produire à bien meilleur prix que le Mexique. Ainsi, le blé mexicain, qui nécessite l'irrigation, ne peut-il être compétitif face au blé cultivé en sec dans les grandes plaines du Canada.

Les effets de l'ALENA sur l'agriculture mexicaine sont si importants que le Gouvernement a requis l'aide de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) afin de réaliser une étude macroéconomique sur ses implications au cours des 15 prochaines années. Cette étude qui a duré deux ans s'est achevée en 1995 et a fourni des résultats surprenants. Elle portait sur environ 7,8 millions d'hectares de terres irriguees et pluviales. Il est apparu que, dans près de 30% de ces zones, la production n'était pas viable sur le plan économique (en d'autres termes, la vente des produits ne couvrait pas les coûts de production). L'étude montra également que, pour 70% au moins des terres considérées, les prix de vente des produits ne pouvaient être compétitifs sur les marchés internationaux.

En 1992, dans le cadre de son plan de restructuration agricole, le Gouvernement mexicain prit une mesure radicale et fort combattue: il modifia l'article 27 de la Constitution qui régissait la propriété foncière. La nouvelle disposition reconnaît aux membres des ejidos la propriété de leurs parcelles, et en autorise la vente. En d'autres termes, le nouvel article de la Constitution vise a remplacer les ejidos par des exploitations agricoles bien plus vastes, voire par de grandes fermes commerciales.

Il semble que le but de cette initiative soit de procéder, comme au Chili, à une réforme de la réforme agraire. Les opposants avancent les coûts sociaux qui en découleront probablement. En effet, près de 28% de la population mexicaine vit encore dans les campagnes où le nombre des pauvres est passé de 14,2 millions en 1984 à 189 millions en 1992 et l'impact social pourrait être important. Les nouvelles conditions liéés au néoliberalisme et à l'application de l'ALENA pourraient bien obliger les membres des ejidos et autres petits propriétaires à abandonner leurs terres dans les prochaines années. En 1995, on parlait déjà de prendre en compte la situation des petits agriculteurs mexicains dans le cadre des programmes de réduction de la pauvreté.

Désireux de nuancer certains effets négatifs, le Gouvernement a lancé PROCAMPO, un programme sur 15 ans qui a pour objectif d'aider les agriculteurs à s'adapter à la situation nouvelle. PROCAMPO offre aux agriculteurs une subvention fixe de 300 nouveaux pesos (environ 50 dollars EU en octobre 1995), pour chaque hectare cutivé (cette somme est de 900 pesos pour un hectare de coton, vu ses coûts de production plus élevés).

S'il est vrai que les agriculteurs ont des difficultés à s'adapter aux politiques néoliberales, à l'ouverture des marchés et à la réduction des aides gouvernementales dans bien d'autres pays latino-américains, il n'en reste pas moins que la situation des paysans mexicains s'avère exceptionnellement grave.

LE CONTEXTE AGRO-ÉCOLOGIQUE ET LA PRODUCTION AGRICOLE

Le territoire mexicain présente certains caractères physiques très particuliers. Pour une bonne part, le pays se situe en effet à hauteur de la grande ceinture désertique de la planète et environ la moitié de ces terres reçoivent moins de 600 mm de pluie par an. Mais l'autre extrémité du Mexique (en particulier les basses plaines côtières tropicales) souffre d'un excédent de précipitations, avec une moyenne de 1 700 mmm par an qui peut même dépasser 2 000 mm dans certaines zones.

Entre 1950 et 1967, la production agricole a connu un taux de croissance annuel en augmentation constante, qui a même atteint près de 6%, surpassant ainsi le taux de croissance démographique. Mais dans les années soixante-dix ce taux est retombé à 1%, soit bien moins que le taux de croissance de la population. Alors que pendant des décennies le Mexique avait suffi à ses besoins alimentaires, il se vit obligé, dans les années soixante-dix, d'importer des céréales. Depuis lors, ces importations n'ont fait que croître. Dans les années quatre-vingt, la production agricole a en effet subi une chûte de 1,2% par an.

Jusque dans les années soixante-dix, le développement agricole du Mexique reposait sur le développement des zones irriguées. Ce secteur bénéficia d'importants investissements, et le pays compte aujourd'hui près de 6 millions d'hectares de terres iriiguées dont 3,2 millions regroupés en 78 districts d'irrigation. Ces districts ont été mis sur pied par le Gouvernement qui se chargea de leur gestion et de leur entretien jusqu'en 1989, date à laquelle il entreprit de les transférer aux agriculteurs; cette opération devait prendre fin en 1996. Ce transfert constitue une opération d'une ampleur jamais égalée qui a nécessité de grands efforts en matière de communication; c'est ce que nous verrons plus avant.

Le reste des régions mexicaines irriguées comprend de petits systèmes connus sous le nom d'Unités d'irrigation qui, bien que mis en oeuvre par le Gouvernement ou avec son aide, ont dès le début été gérés par les usagers eux-mêmes.

Dans les années soixante, au terme de plusieurs décennies durant lesquelles il avait concentré ses efforts dans les zones irriguées, le Gouvernement commença à s'intéresser aux zones pluviales qui constituent environ 75% des terres arables. Dans cette optique, les basses-terres côtières tropicales semblaient particulièrement riches de promesses pour l'agriculture. Ces plaines, semi-abandonnées pendant des décennies, ne portaient qu'un élevage extensif et peu productif. Et malgré cela, on estima qu'elles présentaient un potentiel agricole moyen/élevé. Le choix de les mettre en valeur, plutôt que de poursuivre les investissements dans l'irrigation, impliquerait un véritable bouleversement dans la politique agricole du Gouvernement.

Les raisons du manque de développement relatif des basses-terres tropicales sont nombreuses. En premier lieu, il faut mentionner des problèmes d'ordre géographique, comme les inondations à l'époque des pluies, les sécheresses à d'autres moments, et le nombre limité de voies d'accès permettant de traverser forêts et brousse. De plus, il n'existait pratiquement aucun soutien à la production, en termes d'assistance technique, de crédit ou d'autres intrants. Cette situation perdurait dans un contexte de conflits socio-économiques touchant à la propriété foncière, auxquels s'ajoutait la résistance des habitants à s'organiser, à accepter des innovations techniques ou des interventions venues de l'extérieur.

Pourtant, la considération fondamentale qui influa sur le choix du Gouvernement fut celle des coûts de développement: il serait bien moins onéreux d'installer des systèmes de drainage, de construire des routes et autres ouvrages d'infrastructure dans les plaines tropicales humides que de construire et d'agrandir les systèmes d'irrigation qui avaient jusqu'alors constitué sa priorité.

LES LEÇONS DU PLAN LA CHONTALPA

C'est dans ce contexte politique que vit le jour, au milieu des années soixante, l'un des deux projets agro-industriels les plus importants jamais réalisés dans les basses-terres tropicales d'Amérique latine. Ce projet portait le nom de Plan La Chontalpa et concernait l'Etat de Tabasco. Il avait pour objectifs de drainer une aire de 83 000 hectares, construire des digues, des routes, des ponts, et mettre à la disposition des familles rurales qui s'y installeraient tous les services nécessaires: matériel agricole, crédits, intrants et assistance technique.

On commença donc par exproprier et déboiser 60 000 hectares de terres, afin de créer de nouveaux ejidos et d'incorporer de nombreuses familles au sein du nouveau sytème de production agricole collective. Les ejidos existants, quant à eux, se réorganisèrent en unités collectives de production, et l'on forma des Unions d'ejidos.

Le projet obtint de bons résultats sur le plan de la création d'infrastructures. On construisit en effet 1 200 km de drains, 600 km de routes, 70 ponts, 85 puits profonds. On bâtit également 22 nouveaux villages pour loger 4 400 familles, ainsi que les écoles, les centres sanitaires et les diverses installations nécessaires à la transformation des produits agricoles de base.

Malheureusement, la dimension humaine faisait défaut. En effet le Plan La Chontalpa constituait l'une de ces énormes opérations dont les décisions vont du haut vers le bas: aucune concertation, aucun accord préalable avec les futurs usagers n'avaient été recherchés. Les autorités gouvernementales prirent seules toutes les décisions. La collectivisation de la production qui devait conduire à augmenter la productivité et à mieux gérer le capital et les moyens techniques, se heurta à la résistance des populations locales qui ne s'identifièrent jamais avec le projet.

Un Mexicain racontait ainsi: "Pour tenter de motiver davantage les paysans, un fonctionnaire du Gouvernement n'arrêtait pas de leur répéter que les infrastructures leur appartenaient. Un jour, un paysan demeura songeur devant une maison construite par le projet et demanda si elle était, vraiment, bien à lui. On lui affirma que tel était le cas, en effet. La nuit même, le paysan revint à l'édifice, en préleva une partie du toit et l'emporta pour réparer sa propre maison."

C'est aussi ce que stigmatise, de façon plus concise, un document élaboré en 1984 par le Secrétariat à l'agriculture et aux ressources hydriques (SARH): "La vaste infrastructure du projet... souffre de sous-utilisation, de manque d'entretien et de la mauvaise installation des drains dans les parcelles individuelles; elle met en outre en évidence l'utilisation impropre des puits et du matériel d'irrigation, ainsi que des sols. L'inexistence d'un véritable processus participatif de la part des bénéficiaires constitue l'une des causes majeures de cette situation.

DE NOUVELLES PERSPECTIVES POUR LES BASSES-TERRES TROPICALES

Vers le milieu des années soixante-dix, en dépit de l'expérience négative du Plan La Chontalpa, les autorités mexicaines reportèrent de nouveau leur attention sur les basses-terres tropicales. Il était en effet urgent d'accroître la production alimentaire nationale et ces 46 millions d'hectares de terres humides, représentant 23% du territoire, ne pouvaient demeurer plus longtemps en marge du développement national.

On élabora en 1975 le premier Plan national hydrique. Celui-ci constitua le point de départ d'une approche nouvelle qui prenait en compte les divers usages de l'eau, souvent conflictuels, et comportait des implications directes pour les basses-terres tropicales. Le plan mettait l'accent sur le potentiel agricole supplémentaire offert par les plaines côtières tropicales pour répondre à l'accroissement rapide de la population mexicaine.

Cependant, les sévères leçons du Plan La Chontalpa avaient porté. Le SARH décida que le développement des basses-terres tropicales devrait être projeté et réalisé avec la participation des habitants des zones concernées. Il conviendrait d'apporter, aux divers problèmes posés sur le plan physique, technique ou socio-économique, des solutions adaptées aux situations locales et acceptées par les populations. Ces propositions devraient tenir compte de la capacité de réponse des paysans mais aussi des ressources réellement disponibles. De plus, il apparut fondamental de favoriser une plus grande cohésion sociale pour mieux résoudre les conflits, et de promouvoir le développement par la participation. Il était évident que ces objectifs ne pourraient être atteints sans mettre en oeuvre, à toutes les étapes du projet, un processus de communication ou de dialogue avec les paysans.

LES DÉFIS DU DÉVELOPPEMENT DANS LES BASSES-TERRES TROPICALES

Les basses-terres tropicales constituent un ensemble paradoxal. Tous les aspects du sous-développement, analphabétisme, dénutrition, maladies, extrême pauvreté coexistent avec une réelle richesse en ressources naturelles. Parmi celles-ci les forêts, de l'eau en abondance grâce aux fortes précipitations, des terres au potentiel agricole moyen/élevé, la majeure partie des gisements de gaz et de pétrole mexicains.

Ici pourtant, le développement de l'industrie pétrolière a eu des effets généralement négatifs sur l'agriculture. D'une part, l'extension des surfaces bâties et la pollution ont affecté le milieu naturel, d'autre part la croissance économique des secteurs commercial et industriel a fait grimper le coût de la vie tout en réduisant le volume de main d'oeuvre disponible pour les campagnes.

L'un des problèmes les plus sérieux qui se posent dans les plaines côtières est la dégradation du milieu naturel provoquée par la pression démographique, trop importante pour les ressources disponibles. Jadis, on pratiquait la culture itinérante. Tant que cette agriculture nomade a pu respecter des cycles suffisamment longs pour que les terres se reposent et retrouvent leur fertilité avant le retour du paysan, il n'y avait pas de gros problèmes. On pouvait parler d'équilibre entre l'homme et son milieu.

Mais la croissance rapide de la population a entraîné la réduction de la durée du cycle agricole dans nombre de ces zones. De plus, au cours des dernières décennies, de vastes superficies ont été livrées à l'élevage, réduisant d'autant les terres agricoles disponibles. Ces deux facteurs associés ont provoqué de sérieux problèmes d'érosion et réduit la fertilité des sols.

L'abondance et la violence des pluies a causé le ravinement et l'érosion de la terre, mais aussi des inondations et la saturation des sols rendus plus compacts. Il est donc impossible d'obtenir des récoltes satisfaisantes sur ces terres sans construire de bons systèmes de drainage. Notons cependant que si l'abondance des pluies est un problème pour l'agriculture, elle offre des perspectives intéressantes pour la pisciculture.

Les communautés agricoles de ces régions ont subi un processus d'appauvrissement continu. Ici, au début des années 80, 90% de la population active rurale gagnaient moins que le salaire minimum légal national et 52% des familles paysannes se trouvaient au dessous du seuil de pauvreté.

Le taux d'analphabétisme, qui atteignait 32% chez les adultes, était parmi les plus élevés du pays. Les conditions de vie étaient précaires: moins de la moitié des foyers ruraux bénéficiaient de l'eau potable au robinet; 30% seulement étaient reliées à un réseau d'égout, 44% n'avaient pas l'électricité.

La dénutrition était fréquente et la consommation de calories bien au dessous de ce que les normes internationales prévoient pour un être humain en bonne santé.

Les populations locales se caractérisaient par leur diversité ethnique, linguistique et culturelle. En effet, 60% de la population indigène du Mexique vit dans ces zones, et tous n'y parlent pas espagnol. En général, la vie économique et productive des populations repose sur la structure familiale et relève de l'autosuffisance.

Les problèmes humains, économiques et physiques des basses-terres tropicales représentent donc un immense défi pour le développement. Les efforts entrepris par le Gouvernement mexicain pour relever ce défi, dans des circonstances économiques extrêmement difficiles, sont remarquables. Comme l'a été la façon dont les deux projets financés par la Banque Mondiale ont abordé le problème, et l'usage fait à ce propos de la communication.

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