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Introduction

Le Sommet mondial de l�alimentation a décidé en novembre�1996 de charger le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l�homme de mieux définir les droits liés à la nourriture tels qu�ils sont définis à l�Article�11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il s�agit notamment de proposer des moyens d�appliquer et de respecter ces droits pour appliquer les engagements et atteindre les objectifs du Sommet mondial de l�alimentation en tenant compte de la possibilité de formuler des directives volontaires concernant la sécurité alimentaire pour tous. La Commission des droits de l�homme et le Conseil économique et social ont approuvé ce mandat.

À Madras des enfants mangent ce qu�ils peuvent trouver dans les rues
La faim est une atteinte scandaleuse à la dignité humaine dont l�élimination appelle des mesures d�urgence.

La première mesure importante que j�ai prise pour accomplir cette tâche a été de convoquer une réunion de consultation à Genève les 1er et 2�décembre�1997. Les représentants d�organisations du système des Nations Unies et d�organisations non gouvernementales (ONG), ainsi que des experts y ont participé. La première journée a été consacrée à un débat général au sein du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur l�aspect normatif du droit à la nourriture tel qu�il est défini à l�Article�11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. La seconde journée a été consacrée à une réunion d�experts, qui avait pour thème l�application du droit à la nourriture, c�est-à-dire aux mesures pratiques à prendre aux niveaux national et international pour que ce droit puisse être exercé pleinement.

La Commission des droits de l�homme, après avoir examiné le rapport de cette consultation a, le 11�avril�1998, adopté la résolution�1998/23 sur le droit à la nourriture. Dans cette résolution, la Commission réaffirme que la faim est un outrage et une atteinte à la dignité humaine et réclame, en conséquence, l�adoption de mesures urgentes aux niveaux national, régional et international, en vue de son élimination. La Commission a réaffirmé également le droit de chacun d�avoir accès à une nourriture saine et nutritive, en conformité avec le droit à une nourriture suffisante, et avec le droit fondamental de chacun à être libéré de la faim pour se développer pleinement et préserver ses capacités physiques et mentales.

La Commission a donc estimé qu�il était intolérable que plus de 800�millions de personnes de par le monde, notamment des femmes et des enfants, de même que les habitants des pays en développement, ne disposent pas d�assez de nourriture pour satisfaire leurs besoins élémentaires en matière de nutrition, et soient ainsi privés de certains de leurs droits élémentaires.

La Commission s�est également félicitée de l�initiative prise par le Haut Commissaire de convoquer la Consultation sur le droit à une nourriture adéquate, qui est une façon concrète et pratique d�appliquer l�Objectif�7.4 de la Déclaration et du Plan d�action de Rome. La réunion a conclu que le droit à une nourriture adéquate dispose de fondements solides dans la législation internationale, mais que sa dimension opérationnelle et ses moyens d�application sont généralement mal compris.

Une conception des problèmes d�alimentation et de nutrition, fondée sur les droits de l�homme, diffère fondamentalement des modes de développement axés sur les besoins élémentaires. Elle met en jeu une base normative de type contraignant au niveau de l�État. Elle suppose aussi que les «bénéficiaires» du développement sont des sujets actifs et des «requérants», et définit les devoirs ou les obligations de leurs interlocuteurs. Enfin, elle introduit une dimension de responsabilité, qui est absente des stratégies fondées sur les besoins élémentaires.

L�un des principaux malentendus auxquels donne lieu l�application du droit à la nourriture tient à la conviction que l�obligation première est celle de l�État, qui est tenu de nourrir ses ressortissants (en réalisant le droit à la nourriture), plutôt qu�à respecter et protéger les droits en rapport avec la nourriture, et d�insister également sur les obligations des particuliers et de la société civile à cet égard.

La Consultation a donc recommandé qu�une réunion de suivi soit organisée pour approfondir les débats sur le contenu et les moyens d�application du droit à une nourriture adéquate. La Commission des droits de l�homme a fait sienne la recommandation de la Consultation au sujet de la tenue d�une telle réunion avant la fin de 1998.

Un bébé sur le dos de sa mère au Ghana
Chaque être humain a droit à une nourriture saine et nutritive.

En outre, la Commission a demandé au Comité des droits économiques, sociaux et culturels d�élaborer, avant d�en débattre et de l�adopter, un commentaire d�ordre général sur les droits liés à la nourriture. Un tel document contribuerait grandement à redonner un sens à la notion de droit à la nourriture, et aiderait les États parties au Pacte à mieux appréhender leurs obligations de rendre compte à propos de l�application de ce droit.

Le Haut Commissaire a donc organisé une deuxième série de consultations qui se sont tenues à la FAO, à Rome, les 18 et 19�novembre�1998. Je formule l�espoir que le choix du lieu de la réunion renforcera encore la participation des organisations s�occupant d�alimentation basées à Rome, qui sont constamment au contact des aspects pratiques du droit à la nourriture ou du déni de ce droit.

Je formule le vœu que la FAO, le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Fonds international de développement agricole (FIDA) se rendent mieux compte que, sur un plan institutionnel, les différentes dimensions du droit à la nourriture sont leur principale raison d�être et qu�ils manifestent une plus grande volonté d�adopter dans leurs travaux une démarche fondée sur les droits, mais encore qu�ils prennent part aux efforts consentis par le système des Nations Unies pour intégrer les droits de l�homme en général dans tous les aspects de son travail.

Le droit à la nourriture met en jeu de nombreux intervenants. Outre les organisations basées à Rome déjà citées, l�Organisation mondiale de la santé (OMS), l�Organisation internationale du travail (OIT), le Fonds des Nations Unies pour l�enfance (UNICEF), le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la Banque mondiale et beaucoup d�autres interviennent dans des domaines qui couvrent l�exercice de ce droit. Je souhaiterais que les organisations mentionnées s�entendent et œuvrent dans le même sens pour éliminer la faim et la malnutrition, et c�est pourquoi j�attache une grande importance à l�instauration d�un dialogue entre elles et le Haut Commissaire.

À Moscou, des rayons vides témoignent de graves pénuries alimentaires
Le droit à la nourriture est étayé par la législation internationale, mais des moyens efficaces de l�appliquer restent à mettre en place.

La répartition des tâches est claire entre les institutions s�occupant des droits de l�homme et les acteurs du développement. Ce partage des responsabilités suppose au niveau international que l�on investisse l�appareil des Nations Unies au service des droits de l�homme de la mission de suivre l�application�� et les violations�� du droit à une nourriture adéquate, les organismes chargés du développement apportant une aide technique, financière et alimentaire.

Pour les organismes s�occupant d�alimentation et de développement, une clarification du droit à la nourriture est impérative pour permettre la mise en pratique des objectifs fixés en matière de sécurité alimentaire. À cet égard, les Principes directeurs de Maastricht interprètent l�appel lancé par le Pacte pour une application progressive des droits économiques, sociaux et culturels comme une obligation pour les États de réaliser des objectifs spécifiques afin de respecter une norme (ce qu�il est convenu de qualifier d�«obligation de résultat»).

Vendeurs de rue sur un marché au Togo
L�État doit être perçu davantage comme le protecteur des droits liés à la nourriture que comme un simple pourvoyeur de denrées alimentaires dans les situations d�urgence.

Les conférences mondiales sur le développement des années�90 ont fixé d�importantes orientations à cet égard en définissant des objectifs de développement quantitatifs et assortis de délais, notamment en matière d�alimentation et de nutrition. Ce cadre étant défini, les États peuvent maintenant, en fixant leurs propres objectifs nationaux, se doter d�un moyen d�appliquer le droit à une nourriture adéquate.

Il est un autre secteur tout aussi important que le système des Nations Unies et le secteur intergouvernemental: celui des ONG qui, avec la société civile en général, pèse d�un grand poids sur l�échiquier des droits de l�homme. En raison de sa nature propre, il est souvent à même de devancer les organismes intergouvernementaux sur le plan des orientations. Ainsi, un réseau d�ONG milite déjà en faveur d�un projet de Code de conduite international sur le droit à une nourriture adéquate qu�il a conçu et qui constituerait un excellent outil de travail, même s�il n�était pas adopté d�emblée par la communauté internationale.

Permettez-moi de vous dire mon point de vue: je suis déterminée à attacher le même prix à tous les droits de l�homme: civils, culturels, économiques, politiques et sociaux. Les droits économiques, sociaux et culturels n�ont pas bénéficié d�une attention suffisante jusqu�à présent, mais, comme l�a encore confirmé la Conférence mondiale sur les droits de l�homme de Vienne de 1993, «tous les droits de l�homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés».

Dans la pratique, nous ne sommes pas encore parvenus à assurer une protection et une promotion universelles interdépendantes et intimement liées des droits civils et politiques ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels. Bien que des normes précises aient été définies à propos du contenu des droits civils et politiques, la signification des droits économiques, sociaux et culturels reste floue. Si tous les droits de l�homme sont à traiter sur un pied d�égalité, il faut s�efforcer de clarifier le contenu universel minimum des droits économiques, sociaux et culturels.

À cet égard, il y a lieu de se féliciter vivement du Plan d�action du Sommet mondial de l�alimentation. En effet, l�Objectif�7.4 de ce Plan d�action permet un renforcement sensible du droit à la nourriture tel qu�il figure dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

À l�occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l�homme, qui représente un objectif commun pour tous les peuples et toutes les nations, je suis heureuse de présenter la publication de la FAO intitulée Le droit à la nourriture en théorie et en pratique, qui met en lumière les conceptions différentes mais complémentaires des nombreux intervenants concernés.

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Mary Robinson
Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l�homme

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