19. La malnutrition protéino-énergétique

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Le kwashiorkor
Le marasme nutritionnel
Cas intermédiaires
La malnutrition protéino-énergétique chez l'adulte
MPE légère ou modérée

 

La malnutrition protéino--énergétique (MPE) également connue sous le nom de malnutrition protéino-calorique, est, à l'heure actuelle, le plus grave problème nutritionnel auquel se heurtent l'Afrique et d'autres régions en développement. Ses deux grandes formes cliniques sont le kwashiorkor et le marasme. Dans le premier cas, il s'agit surtout d'une carence protéique, et dans le second, d'une carence énergétique (calories). Il existe cependant beaucoup de cas intermédiaires qu'il est difficile de ranger dans l'une ou l'autre catégorie. On sait aussi que de nombreux enfants dont le régime alimentaire ne contient pas suffisamment de protéines et d'énergie subissent un arrêt de croissance et sont sujets à ces maladies, mais ne présentent aucun signe ou symptôme annonciateur évident autre que l'arrêt de croissance.

Le kwashiorkor

Dans la forme grave de malnutrition protéino-énergétique, connue sous le nom de kwashiorkor, le régime peut être suffisant pour calmer la faim, mais il est en général très déficient en protéines et en énergie. Il se compose donc presque toujours essentiellement d'hydrates de carbone et ce en trop faibles quantités pour satisfaire les besoins de l'enfant. Cet état est souvent lié aussi à une maladie infectieuse.

Le kwashiorkor atteint le plus souvent les enfants de un à trois ans, après le sevrage. Aussi longtemps qu'ils reçoivent de bonnes quantités de lait maternel, ils bénéficient d'ordinaire d'un apport protéique de bonne qualité nutritionnelle qui contient tous les acides aminés essentiels à la santé et à la croissance.

C'est souvent parce que la mère s'aperçoit qu'elle est de nouveau enceinte qu'elle arrête l'allaitement. Croyant en effet que son lait devient alors un poison pour l'enfant, elle le sèvre. Mais les mères peuvent aussi cesser d'allaiter assez tôt pour bien d'autres raisons, entre autres parce que certaines d'entre elles doivent aller travailler ou vivre loin du foyer. Le jeune enfant peut alors être mis à un régime de bouillies ou uji faites avec l'aliment de base de la famille qui peut être du maïs, du manioc, de la banane, du mil, du riz, du sorgho ou quelquefois du blé. Il est parfois envoyé chez une parente, souvent une grand-mère, pour faciliter le sevrage définitif.

Jusqu'à ce moment, le jeune enfant a vécu en relations très étroites avec sa mère. Elle l'a porté sur son dos pour aller puiser l'eau ou travailler au champ, il a dormi dans le même lit qu'elle, et elle lui a donné le sein aussi souvent qu'il l'a voulu. La rupture soudaine de cette intimité cause un grave choc psychologique qui peut faire perdre l'appétit à l'enfant et, par conséquent, favoriser l'apparition du kwashiorkor. Dans plus d'un dialecte, le terme local pour désigner le kwashiorkor est « personne supplantée ». L'enfant a été supplanté par le fœtus que la mère porte en elle.

D'autres maladies peuvent aussi jouer un rôle important en précipitant l'installation du kwashiorkor franc chez l'enfant déjà mal nourri. Les plus importantes sont les infections gastro-intestinales qui provoquent des diarrhées susceptibles d'entraver l'absorption normale, et parfois aussi des vomissements, d'où pertes de nourriture. Les vers intestinaux et d'autres parasites peuvent être d'importants agents, et on sait aussi que la rougeole, la coqueluche et diverses autres maladies infectieuses sont fréquemment des causes immédiates du kwashiorkor. Presque toutes les maladies infectieuses entraînent une perte accrue d'azote, qui ne peut être compensée que par l'apport de protéines dans le régime.

La maladie

L'arrêt de croissance est constant. Si l'on connaît l'âge exact de l'enfant, on constatera que sa taille est inférieure à la normale, tout comme son poids (ce dernier n'étant généralement que de 60 à 80 pour cent du poids normal), sauf s'il existe desœdèmes importants. Ces signes peuvent être difficiles à déceler s'il y a œdème ou si l'on ne connaît pas l'âge de l'enfant.

L'atrophie musculaire est également typique, mais elle peut être masquée par l'œdéme.

L'œdème, qui provoque un gonflement dû à la présence de liquide dans les tissus, est un signe constant. Habituellement, ce sont les pieds qui commencent à enfler, puis les jambes (figure 24), et éventuellement les mains, le scrotum et le visage (figure 25). Pour déceler la présence d'œdème, le médecin presse de l'index ou du pouce la peau au-dessus de la cheville. S'il y a œdème, la dépression ainsi formée ne s'efface qu'au bout de quelques secondes.

Les modifications du comportement ne sont pas toujours observées. L'enfant est généralement indifférent à son entourage et irritable lorsqu'il est déplacé ou dérangé. Il préfère demeurer dans la même position et il est presque toujours triste (figure 26).

Altérations des cheveux. Les cheveux de l'enfant africain normal sont généralement d'un noir foncé, de texture épaisse et ont un aspect brillant qui réfléchit la lumière. Dans les cas de kwashiorkor, la texture est souvent altérée, tandis que les cheveux deviennent plus fins et perdent leur crêpage. Ils perdent aussi leur lustre, se font ternes et cassants et leur teinte vire au brun ou au brun-rouge. On peut arracher facilement de petites touffes sans pratiquement causer de douleur au sujet. Si l'on examine un de ces cheveux au microscope, on constate que la racine en est altérée et le diamètre plus petit que celui d'un cheveu normal. La résistance à la traction est également diminuée.

Altérations de la peau. La peau de l'enfant, plus particulièrement celle du visage, peut avoir une teinte plus claire que celle de ses parents. Parfois, une dermatose se produit aux endroits où s'exercent des pressions ou des frottements, par exemple à l'aine, sur la face postérieure des genoux et aux coudes. Des plaques plus sombres apparaissent qui peuvent peler ou desquamer, un peu comme une vieille peinture écaillée, cuite par le soleil. D'où le nom de «dermatose en peinture craquelée» (figure 27). Sous cette desquamation se trouvent des zones dépigmentées qui peuvent ressembler à une brûlure en voie de guérison. Ces lésions peuvent se compliquer d'infection secondaire. Il apparaît parfois des crevasses qui évoluent vers l'ulcération.

Diarrhée. Les selles sont souvent molles et contiennent des particules d'aliments non digérés. Elles sont parfois nauséabondes, liquides ou sanguinolentes.

Anémie. Rares sont les cas qui ne présentent pas quelque degré d'anémie. Ceci est dû au manque de protéines pour synthétiser les globules. L'anémie peut être aggravée par une carence en fer, par le paludisme, l'ankylostomose, etc.

Hépatomégalie. Au toucher, le foie peut apparaître grossi. C'est la conséquence d'une infiltration de graisse dans cet organe, toujours constatée à l'autopsie des malades morts du kwashiorkor.

Œdème du visage. Les joues enflées soit par des tissus adipeux soit par les liquides de l'œdème présentent l'aspect caractéristique connu sous le nom de «visage lunaire ». Ce signe se manifeste chez les enfants assez émaciés et atteints d'un léger œdème. La cause en est inconnue.

Signes en rapport avec d'autres carences. Dans tout cas de kwashiorkor, on constate, à la palpation, que persiste une certaine quantité de graisse sous-cutanée. La mesure dans laquelle cette graisse fait défaut donne une idée du degré de carence énergétique. On constate très fréquemment des lésions de la bouche et des lèvres, liées à une carence en vitamine B. On voit quelquefois des cas de xérose ou de xérophtalmie dus à une avitaminose A.

Résultats des examens de laboratoire. Le taux des protéines sériques est abaissé, la fraction albumine étant plus affectée que la fraction globuline. L'amylase du sérum est diminuée. L'analyse du suc duodénal révèle une activité réduite des enzymes pancréatiques.

Le kwashiorkor, maladie extrêmement grave, est une cause fréquente de mort chez les jeunes enfants. Beaucoup de cas bénins échappent à l'attention des parents et par conséquent ne sont jamais diagnostiqués. L'enfant guérit s'il reçoit plus de protéines et une ration énergétique suffisante. Dans les cas graves présentant les signes et symptômes décrits ci-dessus, l'issue sera probablement fatale si l'enfant n'est pas correctement soigné. Dans tous les cas, il y a infiltration de graisse dans le foie, mais on ne sait si de ce fait l'individu risque de se trouver ultérieurement plus sujet aux maladies hépatiques.

Diagnostic différentiel

Les autres effets que peut avoir le kwashiorkor à la longue, tels que l'arrêt permanent de la croissance et le développement mental retardé, sont examinés à la page 137.

Lorsqu'on s'efforce de faire un diagnostic, le fait que l'enfant a le kwashiorkor n'exclut pas qu'il soit atteint aussi d'autres maladies.

Néphrose. Si l'œdème est le symptôme principal, il peut y avoir confusion avec le kwashiorkor. Dans le cas de néphrose, toutefois, l'urine contient beaucoup d'albumine ainsi que des cylindres et des cellules. Dans le cas de kwashiorkor, il n'existe généralement que des traces d'albumine. S'il y a des lésions cutanées et d'autres signes de kwashiorkor, le diagnostic est établi. Une ascite est fréquemment observée dans la néphrose, alors que cela est rare dans le kwashiorkor. En Afrique, l'œdème est bien plus souvent provoqué par cette dernière maladie que par la néphrose.

Anémie grave due aux ankylostomes. Elle peut être à elle seule cause d'œdème. Souvent, les jeunes enfants sont en même temps atteints de kwashiorkor. Dans les cas d'anémie due seulement aux ankylostomes, il n'existe aucune altération cutanée, sauf la pâleur. Dans tous les cas, une analyse des selles s'impose.

Dysenterie chronique. Cette maladie ne comporte pas d'œdème.

Pellagre. Elle est rare chez les jeunes enfants. Les lésions de la peau sont parfois identiques mais, dans la pellagre, elles se produisent surtout sur

les parties du corps exposées au soleil (et non à l'aine, etc.). Il peut souvent y avoir diarrhée, perte de poids, mais jamais œdème, altérations des cheveux, etc.

Traitement

1. Hospitalisation. Tous les enfants gravement atteints doivent, si possible, être admis à l'hôpital avec leur mère et soigneusement examinés pour déceler toute infection éventuelle. Un examen clinique complet sera effectué, et on recherchera en particulier les infections respiratoires, telles que pneumonie ou tuberculose. On analysera les selles, l'urine, le sang (taux d'hémoglobine, hématozoaires du paludisme), et l'enfant sera pesé et mesuré.

Si le traitement en hôpital est impossible, ce qui est souvent le cas, il faudra soigner l'enfant au mieux dans un centre sanitaire, un dispensaire ou tout autre service médical.

2. Régime. Le lait écrémé en poudre constitue souvent la base du traitement. La façon la plus simple de reconstituer ce lait à l'hôpital est de mettre une cuillerée à café de poudre pour 25 ml d'eau bouillie et de bien mélanger le tout. L'enfant doit recevoir chaque jour 150 ml de cette préparation par kg de poids corporel, répartis en six repas, à environ quatre heures d'intervalle. Si l'enfant a suffisamment d'appétit, peut coopérer et se sent assez bien, on pourra lui administrer ce mélange au bol ou à la cuiller. Sinon, le mieux est de le lui faire prendre à l'aide d'une sonde gastrique. Cette sonde de polythène doit mesurer environ 50 cm de long et être d'un diamètre intérieur de 1 millimètre. On l'introduit par une narine et on la fait descendre dans l'estomac. On fixe l'extrémité extérieure à la joue avec du ruban adhésif ou du sparadrap. La sonde peut rester en place pendant cinq jours en toute sécurité. La meilleure façon de donner ce lait est le goutte-à-goutte permanent, comme pour une perfusion. On peut aussi l'administrer de façon intermittente à l'aide d'une grande seringue et d'un embout s'adaptant à la sonde. La préparation sera alors donnée en plusieurs fois, à quatre heures d'intervalle. Avant et après chaque repas, il faudra injecter 5 ml d'eau chaude, préalablement bouillie, dans la lumière du tube pour éviter que ce dernier ne s'obstrue.

Certains mélanges sont meilleurs que le simple lait écrémé en poudre. Tous néanmoins peuvent s'administrer de la même manière. La plupart contiennent une huile végétale (par exemple huile de sésame, de graine de coton), de la caséine (protéine pure du lait, par exemple le « Casilan Glaxo »), du lait écrémé en poudre et du sucre. L'huile végétale augmente la valeur énergétique de la préparation et semble être mieux tolérée que les matières grasses contenues dans le lait entier. La caséine augmente le prix du mélange mais, comme souvent elle contribue à réduire la durée de l'hospitalisation, c'est de l'argent bien placé. Voici une bonne formule, facile à retenir, pour faire la préparation sucre-caséine-huile-lait: 1 volume de sucre, 1 volume de caséine, 1 volume d'huile et 1 volume de lait écrémé en poudre, auxquels on ajoute la quantité d'eau nécessaire pour obtenir 20 volumes. On peut conserver très longtemps un bon stock du mélange sec sucre-caséine-huile-lait dans des boîtes bien hermétiques. Pour préparer un repas, il suffit alors de verser la quantité requise du mélange dans un récipient gradué et d'y ajouter de l'eau jusqu'au niveau voulu. Puis on agite, ou mieux encore on bat au fouet pour obtenir une préparation homogène.

La quantité à donner est la même que celle indiquée pour le lait écrémé en poudre, à savoir 150 ml par kg de poids corporel et par jour, ce qui fournit au sujet environ 28 Calories, 1 g de protéines et 12 mg de potassium pour 30 ml de lait reconstitué.

EXEMPLES DE RÉGIMES THÉRAPEUTIQUES:

Enfant pesant 5 kg, au régime lait écrémé en poudre
5 x 150 ml/jour = 750 ml/jour.
Préparation administrée en six repas (un toutes les quatre heures) = 125 ml/repas.
Le mélange liquide se fait en ajoutant 5 cuillerées à café de lait écrémé en poudre à 125 ml d'eau.

Enfant pesant 5 kg, au régime sucre-caséine-huile-lait
5 x 150 ml/jour = 750 ml/jour = 125 ml/repas.
Le mélange liquide est obtenu en ajoutant 5 cuillerées à café de mélange sec à 125 ml d'eau bouillie.

L'une et l'autre de ces préparations peuvent s'administrer au bol, à la cuiller ou à l'aide d'une sonde gastrique.

3. Médication. a) Dans tous les cas graves de kwashiorkor, donner de la pénicilline ou tout autre antibiotique (par exemple pénicilline bénéthamine) par injection intramusculaire, à raison de 500 000 unités par jour, pendant cinq jours.

b) Dans les régions ou sévit le paludisme, il est bon de faire prendre un antipaludique de synthèse, par exemple un demi-comprimé (125 mg) de chloroquine quotidiennement, pendant trois jours, puis un demi-comprimé par semaine. Dans les cas graves, et lorsqu'il y a vomissements, administrer la chloroquine par injection.

c) Il est bon de donner du potassium en cas de déshydratation, car il sert à corriger le déséquilibre électrolytique, par exemple 0,5 g de chlorure de potassium dilué dans de l'eau (environ trois cuillerées à café), trois fois par jour.

d) Si l'anémie est très grave, on la traitera par des transfusions sanguines et des préparations de fer à base de dextran de fer (par exemple Imferon) qu'on injectera par voie intramusculaire à raison de 1 ml quotidiennement pendant cinq jours. Dans d'autres cas, on administrera une préparation ou des comprimés de sulfate de fer.

e) Si l'examen parasitologique des selles révèle la présence d'ankylostomes, d'ascaris ou d'autres parasites intestinaux, on donnera un anthelmintique dès que l'état général de l'enfant commencera à s'améliorer.

f) Si les vomissements persistent, il faudra donner des aliments en moindre quantité et plus fréquemment.

A souligner que chaque enfant atteint de cette maladie doit être traité comme un cas particulier. Avec le régime ci-dessus, un cas sérieux de kwashiorkor devrait, entre le troisième et le septième jour, commencer à perdre ses œdèmes. Il se produit souvent une perte de poids de ce fait, mais la diarrhée s'atténue ou cesse, l'enfant devient plus gai et plus vif, et les lésions de la peau commencent à régresser.

Lorsque la diarrhée est arrêtée, l'œdème disparu et l'appétit revenu, il est bon de cesser l'alimentation par sonde si l'on a utilisé ce moyen. On peut continuer à donner la même préparation sucre-caséine-huile-lait, ou du lait écrémé en poudre à l'aide d'une tasse, d'une cuiller ou d'un bol. Le biberon et la tétine sont à déconseiller. Si l'anémie persiste on peut donner à l'enfant du fer par voie buccale et un demi-comprimé (125 mg) de chloroquine par semaine.

L'amélioration se poursuivant, on constate généralement, pendant la deuxième semaine d'hospitalisation, un gain de poids et, tout en continuant à donner du lait, il faut alors introduire progressivement une alimentation variée afin d'apporter à l'enfant les calories, les protides, les sels minéraux et les vitamines qui lui sont nécessaires. Pour éviter les rechutes, il importe qu'à ce stade, la mère participe à l'alimentation. Il faut lui indiquer ce qu'on donne à l'enfant et pourquoi. Elle collaborera d'autant mieux et veillera d'autant plus à dispenser ce régime à son enfant si la nourriture que reçoit ce dernier à l'hôpital se compose surtout de denrées qu'elle utilise chez elle. Dans un grand hôpital, ce n'est pas toujours possible, mais il faut au moins que le régime soit à base d'aliments disponibles sur place. Ainsi, dans les régions où l'on consomme du maïs, l'enfant peut être nourri par exemple d'une bouillie de maïs additionnée de lait écrémé en poudre. Pour un enfant plus âgé, on peut ajouter deux fois par jour des arachides écrasées ou, si c'est la coutume, il les mangera grillées. On peut aussi donner quelques cuillerées de papaye, de mangue, d'orange ou autre fruit mûr, ou encore, à un ou deux repas, une partie hachée menu des légumes verts et de la viande dont se nourrit la mère. Si l'on trouve des œufs et si les coutumes l'autorisent, la mère peut apprendre à faire cuire un œuf à la coque et des œufs brouillés pour l'enfant. Une autre solution consiste à incorporer un œuf cru à une bouillie pendant sa cuisson. Les aliments protéiques tels que viande, lait suri, œufs, haricots, pois et arachides sont tous importants. Les aliments riches en protéines d'origine animale sont souvent assez chers. Ils ne sont toutefois pas indispensables et un bon mélange de céréales, de légumineuses et de légumes peut tout aussi bien faire l'affaire. Si l'on ne peut se procurer des aliments contenant des vitamines, il faut donner une préparation polyvitaminée, car les mélanges décrits ci-dessus en contiennent peu.

Ce ne sont là que des exemples. Si le régime alimentaire des habitants de la région est à base de bananes, celles-ci seront utilisées à la place du maïs, et dans ce cas, il faudra d'autant plus veiller à donner en appoint des aliments riches en protéines.

L'enfant, après sa sortie de l'hôpital, doit être présenté régulièrement à la consultation des malades externes ou au centre pour les moins de cinq ans et suivre le régime indiqué ci-après pour les cas bénins.

Les cas bénins ou moyens peuvent souvent, pour diverses raisons, être soignés à la maison et non à l'hôpital et devraient, si possible, être suivis par le service ou la consultation des malades externes. Il est de beaucoup préférable que ces cas soient soignés en consultation spécialisée (c'est-à-dire qu'on leur consacre une après-midi ou qu'on les traite dans un centre de protection infantile) plutôt que dans la bousculade de la plupart des consultations de malades externes. Il est bon en effet que ces consultations se passent dans le calme et que le médecin ait le temps de donner des conseils détaillés à la mère et de voir si elle comprend bien ce qu'on attend d'elle. Il ne sert à rien de lui remettre à la hâte un paquet de lait en poudre ou de toute autre préparation alimentaire.

Le traitement des malades externes doit se fonder sur un supplément alimentaire, mais il est préférable, le plus souvent, que ce supplément soit fourni dans le cadre de l'alimentation. Il faut peser l'enfant, indiquer à la mère le nombre de cuillerées à café de poudre à lui donner par jour et lui montrer une cuiller. Le meilleur moyen d'administrer les suppléments alimentaires est de les ajouter à la nourriture habituelle (comme la bouillie ou uji). Ainsi en va-t-il en tout cas pour le lait écrémé en poudre. Il faut demander à la mère combien de repas l'enfant prend par jour. S'il ne mange qu'aux heures des repas familiaux, c'est-à-dire le plus souvent deux fois par jour, on lui conseillera habituellement de lui donner deux repas supplémentaires.

Si on a les moyens de préparer le mélange sucre caséine-huile-lait, on pourra s'en servir pour traiter les malades externes. Le mieux sera de fournir le mélange tout préparé dans des sachets de plastique scellés hermétiquement.

Le marasme nutritionnel

C'est une autre forme grave de la malnutrition protéino-énergétique. Alors que le kwashiorkor est dû surtout à une carence en protéines, le marasme tient principalement au manque de nourriture et, par conséquent, d'énergie. Il peut se manifester à n'importe quel âge jusqu'à trois ans et demi environ mais, contrairement au kwashiorkor, c'est au cours de la première année qu'il est le plus fréquent. C'est en fait une forme d'inanition qui peut tenir à maintes causes. Pour une raison ou pour une autre, l'enfant ne reçoit pas des quantités suffisantes de lait maternel ou d'un autre aliment qui lui convienne.

Les causes les plus importantes conduisant au marasme sont les maladies infectieuses et parasitaires de l'enfance, dont la rougeole, la coqueluche, la diarrhée, le paludisme et autres affections parasitaires. Des infections chroniques comme la tuberculose peuvent également provoquer le marasme. D'autres causes fréquentes du marasme sont la prématurité, la déficience mentale et les troubles digestifs (défaut d'absorption, vomissements, etc.). Cependant, la cause la plus courante est l'interruption précoce de l'allaitement maternel, parfois due au décès de la mère, à l'arrêt de la sécrétion lactée, à la séparation de la mère et du nourrisson (en raison de problèmes familiaux, du travail de la mère, etc.) ou au désir de la mère de nourrir son bébé au biberon plutôt qu'au sein (influencée par la publicité ou par des civilisations étrangères, elle croit que cela fait « plus évolué »ou que c'est mieux). Bien entendu, un arrêt précoce de l'allaitement ne conduit pas obligatoirement au marasme. En Afrique tropicale, cependant, une très large proportion de la population n'a pas les moyens d'acheter assez de lait pour nourrir correctement un bébé. On a alors tendance à trop diluer le mélange acheté. De même, peu de familles disposent d'eau courante ou d'appareils permettant de stériliser facilement les biberons de lait pour le nourrisson. Même si le lait est acheté en quantités suffisantes pour satisfaire les besoins en énergie et en protéines, l'enfant est souvent atteint d'infection gastro-intestinale qui amorce le cercle vicieux aboutissant au marasme.

Une autre cause rencontrée dans certaines parties d'Afrique est un allaitement prolongé auquel on n'ajoute pas, ou trop peu, d'autres aliments. Il est rare qu'une mère puisse produire, au-delà de six mois, suffisamment de lait pour apporter à l'enfant toutes les calories et autres éléments nutritifs qui lui sont nécessaires.

La maladie

On constate toujours un arrêt de croissance. Si l'on connaît l'âge de l'enfant, on remarquera que son poids est très en dessous de la moyenne (moins de 60 pour cent). Dans les cas graves, l'amaigrissement est évident, les côtes sont saillantes, l'abdomen est parfois protubérant, le visage a un aspect simiesque caractéristique, les membres sont très émaciés. L'enfant n'a « que la peau et les os » (figure 28).

Les muscles sont toujours atrophiés à l'extrême. S'il existe encore un peu de graisse sous-cutanée, son épaisseur est très faible. Si l'on prend entre le pouce et l'index la peau qui pend, toute ridée (particulièrement autour des fesses et des cuisses), on constate l'absence de la couche normale de tissu adipeux.

La plupart des enfants atteints de marasme ne sont pas apathiques comme ceux qui souffrent du kwashiorkor. Les yeux profondément enfoncés semblent, au contraire, bien éveillés (figure 29). De même, l'enfant est moins irritable, moins triste.

L'enfant a généralement bon appétit. En fait, comme tout être affamé, il peut être vorace. Il tète violemment ses mains, ses vêtements ou tout ce qu'il peut trouver. Il émet parfois des bruits de succion.

Les selles peuvent être liquides mais ce n'est pas là signe constant dans cette maladie. Des diarrhées d'origine infectieuse, comme on l'a mentionné précédemment, précipitent souvent l'évolution.

Il y a presque toujours anémie due à une carence en fer, protéines et autres éléments nutritifs.

Contrairement au kwashiorkor, il n'y a ni œdème ni dermatose avec peau craquelée. Des ulcérations peuvent se produire aux endroits où s'exerce une pression, mais celles-ci sont généralement localisées sur les saillies osseuses, et non dans les régions de frottements. Des altérations des cheveux, identiques à celles que l'on constate dans le kwashiorkor, peuvent se produire, mais il s'agit plus souvent d'un changement de texture que de couleur. La déshydratation, bien que n'étant pas en soi un caractère de la maladie, l'accompagne souvent et provient de la diarrhée sévère (et parfois des vomissements).

Traitement

Il est analogue à celui du kwashiorkor. Cependant, il faut surtout veiller à apporter au sujet des quantités convenables de calories. Il est très important de déterminer la cause sous-jacente de la maladie. S'il s'agit d'une diarrhée infectieuse, la déshydratation peut exiger un traitement spécial par injections intraveineuses de solutés ou par sonde gastrique, mais en utilisant une composition beaucoup plus diluée que dans le cas du kwashiorkor. S'il est impossible de trouver une veine, les liquides pourront être injectés dans la cavité péritonéale. Simultanément, il convient d'administrer, par voie buccale, des sulfamides ou de la tétracycline. Une fois la diarrhée arrêtée, un régime alimentaire riche en énergie est nécessaire. L'utilisation d'huile végétale avec le lait écrémé en poudre revêt encore plus d'importance ici que dans les cas de kwashiorkor, car elle assure un apport énergétique élevé.

Il est bon de rechercher la tuberculose. S'il y a un doute, on pratiquera une réaction à la tuberculine et, si le résultat est positif, il convient de faire une radiographie pulmonaire.

Pronostic

La cause et la gravité de la maladie déterminent le pronostic. Un enfant atteint de marasme sévère et ayant également les poumons très atteints par la tuberculose a évidemment de faibles chances de survie. Par contre, celui qui ne présente pas de maladie infectieuse et n'est atteint que d'un léger marasme a de meilleures perspectives. Dans tous les cas, la réaction au traitement sera vraisemblablement plus lente que dans le kwashiorkor. Une fois l'enfant guéri, il est souvent difficile de savoir que faire, surtout s'il a moins d'un an. Il peut ne plus avoir de mère ou celle-ci peut être malade, et sans aucun doute son lait sera insuffisant. Il est donc indispensable d'enseigner à la personne qui en aura la charge des notions de nutrition. Si l'enfant a été amené par son père, il faudrait qu'une femme de la famille passe quelques jours à l'hôpital avant la sortie de l'enfant. On lui apprendra à le faire boire à la cuiller ou à la tasse, et non au biberon, à moins que l'enfant ait moins de trois mois. Le meilleur régime est généralement constitué par une bouillie légère, préparée avec des aliments locaux, à laquelle on ajoute deux cuillerées à café de lait écrémé en poudre (ou tout autre supplément riche en protéines) et deux cuillerées à café d'huile par kilogramme de poids corporel et par jour. Si l'enfant a plus de six mois, on indiquera à la personne qui s'en occupe les mets qui doivent faire partie de son alimentation. La mère ou la gardienne devra se rendre à l'hôpital ou au dispensaire une fois par semaine régulièrement si elle habite dans un rayon de dix kilomètres, une fois par mois si elle est plus éloignée. chaque visite, on lui donnera une provision d'un supplément adéquat pour une durée supérieure au temps prévu entre les consultations. On peut donner au jeune enfant des aliments différents, comme ceux indiqués dans le traitement des cas bénins de kwashiorkor (voir page 132) et ceux décrits dans le chapitre 36 consacré à l'alimentation des jeunes enfants.

Il est essentiel que la ration apporte des calories et des protéines en quantité convenable. En général, 120 Calories et 3 g de protéines par kg de poids corporel et par jour suffisent pour un traitement de longue haleine. Ainsi un enfant pesant 10 kg recevra 1200 Calories et 30 g de protéines par jour. A noter qu'un enfant ayant souffert de marasme peut être capable au début de sa convalescence de consommer et d'utiliser de 150 à 200 Calories et de 4 à 5 g de protéines par kg de poids corporel.

Comparaison des traits caractéristiques du kwashiorkor et du marasme

Traits Kwashiorkor Marasme
Arrêt de croissance Présent Présent
Amyotrophie Présente (quelquefois légère) Présente, sévère
Œdème Présent Absent
Altérations des cheveux Fréquentes Moins fréquentes
Modifications du comportement Très fréquentes Rares
Dermatose (peau sèche et craquelée) Fréquente Absente
Appétit Diminué Bon
Anémie Grave (quelquefois) Présente mais moins grave
Couché de graisse sous-cutanée Réduite mais existante Inexistante
Visage Possibilité d'œdéme Creusé, simiesque

Cas intermédiaires

Il importe de souligner que le kwashiorkor et le marasme nutritionnel sont des formes de malnutrition protéino-énergétique. Le kwashiorkor est le syndrome où ce sont surtout les protéines qui font défaut, alors que le marasme tient surtout à un manque d'aliments et d'énergie (figure 30). Il est fréquent de rencontrer des cas qui présentent des caractéristiques intermédiaires ou qui, de toute façon, sont souvent difficiles à classer dans l'une ou l'autre catégorie. Ils sont souvent qualifiés de kwashiorkor avec marasme. Ceci ne doit pas troubler outre mesure car le traitement est à peu près le même et chaque malade doit être soigné en tant qu'individu selon les signes cliniques et autres qu'il présente.

30. Caractéristiques de la malnutrition protéino-énergétique.

La malnutrition protéino-énergétique chez l'adulte

Bien que l'on utilise le terme de « kwashiorkor de l'adulte », il vaut mieux sans doute réserver le mot kwashiorkor pour la maladie qui atteint les enfants, chez lesquels elle est beaucoup plus fréquente, et qui présente certains caractères, tels que les lésions cutanées (peau sèche et craquelée), qui apparemment ne se manifestent pas chez l'adulte.

Il est certain que l'on rencontre chez l'adulte, et plus fréquemment dans les communautés souffrant d'une déficience protéique chronique, un état provenant principalement d'une carence en énergie. Le poids du malade est nettement au-dessous de la moyenne pour sa taille (à moins d'œdème très important), les muscles sont atrophiés et la couche graisseuse sous-cutanée est moins épaisse que normalement. Des modifications du comportement sont fréquentes, le malade est généralement indifférent à son entourage et parait vivre dans un monde à part. Il est difficile de capter son attention et de la retenir. Le sujet a peu d'appétit et il est très affaibli.

On constate presque toujours un certain degré d'œdème qui peut masquer la perte de poids, l'atrophie et l'absence de couche graisseuse sous-cutanée. Ce sont le plus souvent les jambes qui sont le siège de l'œdéme (figure 31) mais, chez les hommes, il se situe également au niveau du scrotum; en fait, toutes les parties du corps peuvent être atteintes. Le visage est souvent bouffi. On a qualifié cet œdème « d'œdème de la famine » parce qu'il se manifeste quand il y a inanition due à la famine ou à d'autres causes.

Les selles peuvent être fréquentes, liquides et nauséabondes. L'abdomen est légèrement ballonné et, à la palpation, on peut facilement sentir les organes à travers la mince paroi abdominale. Au cours de l'examen, l'abdomen presque toujours un gargouillement et il est possible de détecter du bout des doigts des mouvements péristaltiques. Il n'est pas rare que ces malades attribuent leur mauvais état physique exclusivement à des troubles abdominaux. C'est pourquoi bien souvent quand ils arrivent à l'hôpital, ils ont déjà pris de puissants purgatifs, soit pharmaceutiques, soit à base de plantes médicinales, ou parfois des lavements poivrés qui ont aggravé leur état.

Les cheveux sont fréquemment altérés, plus souvent dans leur texture que dans leur couleur, bien qu'ils virent parfois au brun-rouge. Ils sont beaucoup plus fins et soyeux, moins frisés, moins lustrés. Ils sont d'un noir terne plutôt que brillant (un peu comme le cuir de chaussures noires enduites de cirage mais pas encore lustrées) et parfois clairsemés.

La peau est souvent sèche et écailleuse et peut ressembler à un carrelage irrégulier, particulièrement au niveau des tibias. Elle a tendance à se desquamer mais, contrairement à la dermatose du kwashiorkor classique chez l'enfant, elle n'est pas plus sombre et, lorsque les plaques sèches se desquament, elle ne présente pas cet aspect rose pâle comparable à la cicatrice d'une brûlure.

Il y a fréquemment enflure des deux parotides. Au toucher, les glandes ont une consistance dure et caoutchouteuse. L'anémie est toujours présente et elle peut être grave. La tension artérielle est basse. On ne trouve généralement que des traces d'albumine dans les urines.

On pense que tous les symptômes et signes ci-dessus font partie de la maladie, mais il est difficile de les dissocier de beaucoup d'autres qui sont fréquents dans ces cas, et que l'on attribue à d'autres processus pathologiques qui pourraient précipiter la maladie ou y être tout simplement associés. Ces derniers peuvent être: stomatite angulaire, langue rouge et douloureuse due probablement à une carence en riboflavine, selles sanguinolentes, diarrhée sévère provoquée par une dysenterie bacillaire (ou parfois amibienne), ulcères tropicaux dans les régions où ceux-ci sont fréquents, infection sévère par ankylostomes ou autres parasites intestinaux, paludisme et splénomégalie due à certains des troubles cités ci-dessus.

Traitement

Il suit les mêmes principes que celui appliqué aux enfants atteints de malnutrition protéino-énergétique. Cependant, on pourra donner plus vite au malade une alimentation variée, riche en protéines et en éléments énergétiques, comme celle à laquelle sont soumis les enfants qui relèvent de kwashiorkor ou de marasme. Il faudra veiller cependant à ne pas donner trop vite des haricots, car bien que souhaitables parce que riches en protéines, ils peuvent être indigestes et augmenter la flatulence. L'alimentation par sonde est rarement nécessaire. On doit prendre grand soin de traiter les infections associées. Dans le cas d'anémie grave, une transfusion sanguine peut apporter une amélioration générale rapide et abréger ainsi le temps d'hospitalisation.

Diagnostic différentiel

Anémie. Une anémie grave peut aussi causer l'œdème. Chez les adultes atteints de malnutrition protéino-énergétique, la dyspnée est moindre et la cardiomégalie généralement absente. On observe d'autres caractéristiques comme des altérations des cheveux et l'enflure des parotides, qui n'apparaissent pas chez les adultes atteints d'anémie.

Le manque de protéines alimentaires étant apparemment la cause de l'anémie, les deux états sont étroitement associés.


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