MPE légère ou modérée

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Le diagnostic du kwashiorkor et du marasme nutritionnel ne présente aucune difficulté pour le médecin. Il s'agit toutefois de formes extrêmes de malnutrition protéino-énergétique qui peuvent exiger une hospitalisation et qui peuvent avoir pour l'enfant des conséquences très graves. Les formes dites légères ou modérées de MPE sont beaucoup plus courantes.

Les enfants souffrant d'une forme légère ou modérée de MPE ne présentent ni l'œdème massif qui accompagne le kwashiorkor ni l'aspect émacié caractéristique du marasme nutritionnel. On observe pourtant chez eux des signes évidents de malnutrition et ils risquent fort d'arriver à un stade plus avancé de MPE, ou de succomber à une maladie infectieuse.

Dans la plupart des collectivités africaines, la proportion des enfants atteints de kwashiorkor ou de marasme nutritionnel n'atteint pas 5 pour cent (et elle est souvent de 1 pour cent seulement). En revanche, dans ces mêmes collectivités, au moins 30 pour cent et parfois jusqu'à 75 pour cent des enfants présentent d'ordinaire des formes légères ou modérées de MPE.

Celles-ci se caractérisent surtout par une croissance et un développement inférieurs aux valeurs optimales. Pour établir le diagnostic, on a recours aux mesures anthropométriques du type décrit au chapitre 5. Les plus communes et les plus utiles sont la taille et le poids. Si la taille et le poids des enfants sont connus dans une collectivité, il est possible d'établir une classification nutritionnelle.

Bailey (OMS, 1975) a résumé de la manière suivante les trois systèmes principaux de classification selon le poids corporel:

Degré de malnutrition Poids en fonction de l'âge Poids en fonction de la taille
  Méthode OMS1 Méthode de Gomez2 Normes Harward3

(Pourcentage de la norme)

MPE 60-79 75-89 (degré I) 80-89
légère - modérée   60-74 (degré II)  
MPE Au-dessous Au-dessous Au-dessous
sévère de 60 de 60 (degré III) de 80

1 OMS, 1966.
2 Gomez, 1956.
3 Voir annexe 2.

Si la comparaison du poids corporel effectif avec celui du groupe d'âge offre un moyen simple et utile d'appréciation du degré de malnutrition, elle ne permet pas de faire une distinction entre les enfants en phase de malnutrition et ceux qui peuvent être convenablement alimentés au moment de l'examen mais qui ont un déficit pondéral dû à une malnutrition chronique antérieure.

Si l'âge, le poids et la taille sont connus, il est possible de définir trois catégories différentes d'enfants mal nourris. Chacune ne comprend que les enfants dont le poids corporel est faible par rapport au poids normal pour le groupe d'âge. A ces trois catégories s'ajouteraient les enfants dont le poids et la taille se situent dans des limites normales et ceux qui sont obèses ou présentent un excès pondéral. Ces deux groupes constitueraient des classes distinctes.

Les trois catégories ou types de malnutrition peuvent être définis comme suit:

Forme aiguë - Malnutrition récente de brève durée. Cette catégorie comprend les enfants de taille normale pour leur âge, mais dont le poids est faible pour leur âge et faible par rapport à la taille. Comme la taille est normale mais qu'il y a déficit pondéral, on peut conclure que l'enfant a souffert récemment d'une carence protéique ou énergétique passagère.

Forme chronique antérieure. Cette catégorie comprend les enfants dont le poids est faible pour leur âge, la taille faible pour leur âge, mais le poids normal par rapport à la taille. On peut en conclure que leur ration énergétique présente est suffisante, mais qu'ils portent les signes d'une longue malnutrition passée. Les enfants ayant recouvré la santé et ceux qui présentent un nanisme nutritionnel entrent dans cette catégorie.

Forme aiguë ou chronique - Malnutrition récente prolongée. Cette catégorie comprend les enfants dont le poids est faible pour leur âge, la taille faibles pour leur âge, et le poids faible par rapport à la taille. On peut en conclure qu'ils ont souffert et souffrent encore d'une carence protéique ou énergétique.

De même que l'on a établi trois degrés de malnutrition, on peut concevoir trois niveaux de traitement ou de prévention:

- Les cas les plus graves de kwashiorkor et de marasme nutritionnel appellent une hospitalisation. Le traitement hospitalier devrait autant que possible s'accompagner d'une éducation nutritionnelle et sanitaire de la mère et de l'enfant.

- Quelques pays ont créé des centres de récupération nutritionnelle pour le traitement et la prévention de la MPE. Ces centres peuvent constituer le deuxième niveau de traitement.

- Le troisième niveau est représenté par diverses sortes de dispensaires (consultations pédiatriques, centres de protection infantile, centres de traitement ambulatoire). Les formes bénignes ou modérées peuvent être traitées avec avantage dans les centres de récupération ou les dispensaires.

Centres de récupération nutritionnelle et centres de santé

Centres de récupération nutritionnelle (CRN). Ils ont vu le jour dans de nombreux pays au cours de ces 10 ou 15 dernières années. L'idée en a été lancée en 1955. On avait alors imaginé un centre organisé soit pour l'hébergement soit sur le modèle des garderies ou jardins d'enfants, où les petits patients souffrant de malnutrition passeraient chaque jour quelques heures ou resteraient en séjour, le but étant d'éduquer les mères à la faveur de la récupération nutritionnelle de leurs enfants. Les centres créés dans des pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine et des Caraïbes fonctionnent souvent de manière différente, mais la plupart ont un objectif commun. Un CRN se distingue d'une crèche sous divers aspects importants:

- Les enfants admis dans un CRN sont choisis en fonction de critères essentiellement nutritionnels, alors que dans les crèches la sélection s'opère à partir de critères sociaux, pédagogiques, économiques ou autres.

- La durée de fréquentation d'un CRN dépend d'ordinaire du temps nécessaire à la guérison de l'enfant; elle est donc limitée.

- L'éducation nutritionnelle de la mère est une importante fonction du CRN.

Le CRN prend en charge les enfants à la sortie de l'hôpital, pendant l'importante phase de récupération; il accueille aussi les enfants vivant dans la communauté et qui présentent des formes modérées de malnutrition; enfin il est ouvert aux cas bénins dont les progrès ne sont pas satisfaisants après traitement ambulatoire. Dans ce système progressif, les enfants sortant d'un CRN continuent à se rendre à des consultations, que le CRN lui-même dans certains cas.

Le CRN a toujours été considéré comme exerçant une importante fonction d'éducation nutritionnelle. Il est bon en outre qu'il puisse fonctionner à peu de frais et que ses services soient beaucoup moins coûteux qu'une hospitalisation. Une simple maison de village peut servir de centre, son personnel étant constitué par une ou deux villageoises intelligentes ayant reçu une certaine formation pratique en nutrition et alimentation des enfants. Un centre devrait pouvoir recevoir une trentaine d'enfants, auxquels seraient distribués au moins trois bons repas par jour; ils passeraient au centre 8 à 10 heures par jour, 5 à 6 jours par semaine, pendant 3 à 5 mois. Leurs mères seraient tenues d'aider au fonctionnement du centre un jour par semaine, ce qui aurait l'avantage non seulement de réduire les besoins en personnel mais aussi et surtout de leur faire acquérir une expérience directe. On pourrait ainsi leur apprendre à mieux alimenter leurs enfants avec les denrées locales et leur inculquer d'autres principes d'hygiène et de santé.

Un CRN peut jouer un grand rôle dans l'amélioration de la nutrition. Pourtant un centre moyen accueillant 30 enfants pendant 3 mois chacun ne pourra s'occuper que de 120 enfants par an. Très peu de pays peuvent créer assez de centres pour traiter tous les enfants souffrant de malnutrition relativement légère. Pour contribuer vraiment à la solution des problèmes nutritionnels du pays, ils doivent pouvoir s'employer efficacement à assurer une éducation nutritionnelle et servir aussi de centres de démonstration et d'enseignement.

Centres de santé. De tels centres existent dans divers pays depuis de nombreuses années et il en est qui ont beaucoup contribué à réduire l'incidence de certaines maladies de carence. Le rachitisme était autrefois très fréquent dans les pays industrialisés et il constituait une des principales causes de mortalité infantile; la création de centres de protection infantile qui administraient aux enfants de l'huile de foie de morue et prenaient garde à leur santé a été au nombre des facteurs qui ont permis de le combattre. Les centres sont parfois désignés, depuis une époque relativement récente, sous le nom que leur a donné au Nigéria le docteur David Morley: «under-five clinics» (centres de consultation pour les moins de cinq ans).

Ces centres de santé sont conçus pour faire aller de pair l'aspect curatif et l'aspect préventif de la protection infantile. Ils ont aussi l'avantage de dissocier ces importantes activités pédiatriques des consultations hospitalières souvent surchargées.

Il n'existe pas de règle universelle établissant quels services un centre de santé est censé fournir, mais dans la mesure du possible il devrait être relié à quelque unité médicale plus complexe, c'est-à-dire bien souvent un hôpital. Il peut s'agir d'une association étroite, comme par exemple lorsque le centre est directement rattaché à un hôpital général ou à un hôpital pour enfants; ou au contraire le centre peut être à une certaine distance et ne faire appel qu'occasionnellement à un hôpital de la région ou de la zone. Si le centre est éloigné, il doit avoir un système bien organisé de communication avec l'hôpital et de transport des patients. Le personnel attaché à un tel établissement va du pédiatre expérimenté aux auxiliaires ayant quelques notions de puériculture-pédiatrie et de nutrition.

Le centre de santé devrait être en mesure de soigner au moins les maladies sans gravité telles certaines dermatoses, infections des voies respiratoires, maladies parasitaires, diarrhées, même accompagnées d'une légère déshydratation, et autres maladies courantes.

La médecine préventive pratiquée dans les centres devrait comporter au moins deux services essentiels: vaccination et nutrition.

Le premier de ces services devrait autant que possible être gratuit et il faudrait encourager les parents à faire vacciner leurs enfants. Dans la plupart des pays il serait bon de vacciner les enfants contre la variole; contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (vaccin DTCoq); contre la tuberculose (BCG); contre la poliomyélite (vaccin oral); et contre la rougeole (vaccin viral vivant atténué). La vaccination contre d'autres maladies comme le choléra peut être recommandée dans certaines régions. Il peut y avoir des centres qui assurent une prophylaxie antipaludique.

En matière de nutrition, les activités sont essentiellement de deux ordres: distribution de suppléments alimentaires aux enfants atteints de malnutrition, surveillance de la croissance et du développement des enfants.

Les suppléments sont destinés à compléter l'alimentation que reçoit au foyer le jeune enfant de famille pauvre souffrant de malnutrition. Les plus utilisés sont les aliments riches en protéines. Jusqu'à ces dernières années, ils étaient surtout préparés avec du lait écrémé en poudre.

A défaut de lait écrémé en poudre, on peut recourir à toutes sortes d'aliments riches en protéines, dont beaucoup sont à base de soja ou d'autres légumineuses déshuilées. Actuellement les programmes d'aide alimentaire permettent d'obtenir des préparations de maïs-soja-lait (CSM), de maïs-soja (CSB) ou d'autres mélanges pour les programmes d'alimentation des enfants.

On a récemment commencé à se rendre compte que les enfants qui présentent une croissance insuffisante ou une forme légère ou modérée de malnutrition sont presque toujours victimes d'une alimentation insuffisante et d'un déficit énergétique, rarement d'une carence en protéines uniquement. Par conséquent, il sera souvent nécessaire de fournir un supplément assurant sous une forme concentrée un apport énergétique équilibré par d'autres nutriments dont les protéines (voir chapitre 36).

La surveillance de la croissance et du développement est peut-être l'activité nutritionnelle la plus importante des dispensaires. A chaque visite, chaque enfant devrait être pesé et mesuré. Une bonne balance, souvent contrôlée, ainsi qu'un appareil simple mais sûr pour les mensurations, sont indispensables.

L'établissement de fiches où sont portés le poids et la taille des enfants peut être très utile à trois égards. Tout d'abord, cela peut aider à se rendre compte qu'un enfant est fortement menacé de MPE; ensuite les fiches fournissent des indications importantes pour apprécier les effets d'un traitement; enfin et surtout, elles permettent de suivre l'évolution de chaque enfant. L'objectif proposé aux dispensaires, qui était auparavant de prévenir la malnutrition, est aujourd'hui d'entretenir un taux de croissance satisfaisant.

L'expérience enseigne que les symptômes cliniques du kwashiorkor et du marasme sont généralement précédés par des mois et parfois des années d'arrêt de croissance pondérale. L'exception, assez commune, est le kwashiorkor qui se déclare soudainement après une maladie comme la rougeole, la coqueluche ou la diarrhée.

Entretenir une croissance satisfaisante est devenu dans ces dispensaires un objectif positif du personnel aussi bien que des mères. Un enfant dont le poids n'augmente pas pendant plusieurs mois fait l'objet d'une surveillance spéciale. Ces dispensaires fournissent aux mères des suppléments alimentaires suffisants pour quelque temps et leur indiquent comment améliorer le régime des enfants. L'infirmière utilise la courbe de poids pour apprécier l'efficacité de l'alimentation supplémentaire et de l'éducation nutritionnelle. Un enfant qui, malgré ces précautions, ne grossit toujours pas, est envoyé chez un médecin qui l'examine et, si besoin est, procède à des analyses de laboratoire et autres recherches.

Bien des pays, spécialement en Afrique, utilisent un graphique de croissance que la mère conserve. Ce graphique, réalisé et introduit dans les centres de santé par le docteur David Morley au Nigéria, puis révisé par l'OMS (OMS, 1978) comprend: un calendrier rappelant quand l'enfant a été vu pour la première fois, son âge, son anamnèse médicale récente et passée, son état nutritionnel, les vaccins qui lui ont été injectés, et les courbes de croissance inférieure et supérieure définissant une zone de normalité. La figure 32 donne une version de ce graphique adapté pour surveiller la malnutrition protéino-énergétique.

Par rapport à bien d'autres méthodes d'enregistrement de l'âge, le calendrier présente plusieurs avantages. Dans la plupart des systèmes en usage dans le monde, l'âge de l'enfant est indiqué en mois, ce qui, après la première année, devient de plus en plus compliqué et oblige à effectuer un calcul lors de chaque visite. Il peut en résulter des erreurs, et l'établissement de la courbe de poids peut ainsi être négligé, surtout dans un dispensaire surchargé de travail.

Avec le graphique de Morley, on inscrit tous les faits importants - sevrage, naissance d'un frère ou d'une sœur, maladies graves - aux points correspondants sur la courbe de croissance Grâce à ce graphique, l'agent de santé peut d'un coup d'œil connaître tous les faits importants concernant l'histoire médicale d'un enfant.

Le graphique doit être coloré et résistant. Avant de le remettre à la mère, il convient de le glisser dans une enveloppe en plastique fendue d'un côté. Il est considéré comme étant sa propriété, et non celle du dispensaire. L'expérience a montré dans plusieurs dispensaires que les pertes sont rares, et que les graphiques sont probablement même plus en sûreté ainsi, que ne peuvent l'être les fiches d'un petit hôpital dont un certain nombre s'égarent inévitablement.

Les soins spéciaux nécessaires sont clairement indiqués sur la feuille.

Neuf facteurs particulièrement importants ont été identifiés, car ils interviennent le plus souvent lorsque les enfants accusent un déficit pondéral. A savoir:

· Poids de la mère inférieur à 43,5 kg.

· Nombre de grossesses ayant précédé la naissance de l'enfant visité supérieur à sept.

· Décès de l'un des parents ou rupture du mariage.

· Décès de plus de quatre frères ou sœurs de l'enfant, survenu entre le premier et le douzième mois spécialement

· Poids à la naissance inférieur à 2,4 kg.

· Grossesse plurigemellaire.

· Gain de poids inférieur à 0,5 kg par mois durant les trois premiers mois de la vie, ou n'atteignant pas 0,25 kg par mois durant les trois mois suivants.

· Infections du sein maternel et difficultés d'allaitement, liées en particulier à un déséquilibre psychique de la mère.

· Rougeole, coqueluche, diarrhée grave ou répétée dans les premiers mois de la vie.

Les opinions diffèrent considérablement quant aux poids standard à utiliser dans les pays en développement. Dans le graphique de Morley, une ligne supérieure indique ce qu'est un poids satisfaisant pour un enfant bien portant et bien nourri d'âge déterminé. Une ligne inférieure indique, selon une quelconque « norme » arbitraire, ce que doit être au minimum le poids de l'enfant.

La norme a sans doute une importance très relative. Ce qui compte, plus que la courbe de poids réel par rapport aux courbes « standard », c'est cette courbe elle-même telle qu'elle résulte de pesées successives. L'agent de santé doit surtout s'assurer que l'enfant évolue selon un schéma à peu près normal.

Des recherches sont en cours au sujet d'un certain nombre de tests biochimiques et de paramètres physiques qui pourraient aider à dépister les cas où la MPE guette un enfant. Il ne faut cependant pas se dissimuler que pendant bien des années encore, dans la plupart des dispensaires des pays en développement, la majorité des enfants devront être examinés par un personnel auxiliaire et non par des médecins, et que leur état nutritionnel continuera d'être déterminé d'après de simples mesures anthropométriques, sans le secours de tests biochimiques (voir page 27).

32. Graphique de croissance chez l'enfant.

Date de la visite

Poids Circonférence du bras

Jour

Mois

Année

kg

V

J

R

             
             
             

Le personnel des dispensaires devrait consacrer le plus de temps possible à répandre des informations sur la nutrition et la santé, soit au sein de groupes soit auprès d'individus. On a beaucoup discuté des moyens d'inculquer des notions de nutrition et d'hygiène à ceux qui ne possèdent guère d'instruction. Les agents de santé devraient surtout insister sur la valeur de l'allaitement maternel et sur le contrôle et l'espacement des naissances, en s'attachant aux problèmes de nutrition et de santé particuliers à la zone considérée.

On ne saurait trop souligner combien il importe qu'un dispensaire travaille en liaison avec d'autres services de santé. Le dispensaire lui-même, ou ses installations, pourrait aussi être utilisé pour des consultations prénatales toujours nécessaires aux femmes qui accompagnent leurs enfants, ainsi que pour des activités de planning familial. Les dispensaires devraient en général faire partie intégrante des services locaux de protection maternelle et infantile, dont ils constituent un important élément.

Formulaire

Prévention

Les mesures préventives devraient tout d'abord viser à s'assurer que tous les membres de la collectivité, en particulier les jeunes enfants, les femmes enceintes et les mères allaitantes, reçoivent des quantités suffisantes d'aliments énergétiques, de protéines et d'autres nutriments, dans le cadre d'un régime équilibré. Elles devraient tendre en second lieu à réduire l'incidence des infections gastro-intestinales (diarrhée en particulier) et d'autres maladies en rapport avec la malnutrition.

Toutes les mesures qui contribuent à améliorer le régime alimentaire ou la santé de la collectivité aident donc directement ou indirectement à prévenir la malnutrition protéino-énergétique. Les plus importantes sur le plan pratique varient selon les zones. On peut entre autres initiatives possibles:

1. Enseigner aux mères de bonnes pratiques de sevrage, c'est-à-dire les encourager à poursuivre l'allaitement le plus longtemps possible; commencer l'alimentation mixte vers le cinquième mois, tout en poursuivant l'allaitement au sein (les aliments semi-solides introduits dans la ration devraient comprendre de bonnes quantités de protéines); après le sevrage, l'alimentation doit apporter les calories nécessaires et de bonnes quantités de protéines. Si pour quelque raison un enfant de moins de cinq mois ne peut être allaité au sein, il est hautement souhaitable de lui faire absorber sous quelque forme des quantités adéquates de lait.

2. Accroître la production de toutes les denrées d'origine animale et végétale riches en protéines et veiller à leur utilisation optimale.

3. Faire distribuer des suppléments protéiques, tels que lait écrémé en poudre et haricots, dans les centres de protection maternelle et infantile, en enseignant aux mères à en faire bon usage.

4. Faire des démonstrations sur la préparation et l'emploi des aliments riches en protéines destinés aux bébés et aux jeunes enfants (voir page 252).

5. Faire comprendre aux gens combien il est vital de donner aux tout-petits de bonnes quantités d'aliments riches en protéines quand leur alimentation est essentiellement à base de bananes ou de racines féculentes comme le manioc, afin de compléter les aliments à forte teneur en glucides.

6. Mettre l'accent sur les besoins diététiques spéciaux des femmes enceintes et des mères allaitantes, ainsi que des enfants et, dans cette optique, veiller à une répartition équitable des aliments au sein de la famille.

7. Prévenir les maladies gastro-intestinales et spécialement la diarrhée, chez les jeunes enfants.

8. Garantir un traitement adéquat et, si possible, prendre des mesures prophylactiques pour prévenir les maladies infectieuses, parasitaires et autres.

9. Déterminer au moyen d'enquêtes la prévalence de la malnutrition protéino-énergétique ainsi que l'incidence relative du kwashiorkor et du marasme. Le personnel de toutes les unités médicales devrait être mis parfaitement au courant de tous les éléments du diagnostic, du traitement et de la prévention.

10. Corriger les éventuelles coutumes alimentaires préjudiciables à la santé.

11. Promouvoir l'éducation nutritionnelle et sanitaire.

12. Améliorer les services d'éducation et de santé, les approvisionnements alimentaires et l'économie de la communauté. Un niveau de vie plus satisfaisant peut aider à prévenir la maladie.

13. Encourager l'espacement des grossesses.

14. Encourager des mesures simples de stockage, transformation et commercialisation des aliments.

20. Le goitre endémique

On appelle goitre toute augmentation du volume de la thyroïde, glande située à la base du cou et en son milieu. Les cas isolés peuvent être dus à un certain nombre de causes indépendantes du régime de l'individu et sont donc sans rapport avec l'objet du présent ouvrage. Cependant, lorsque le goitre est fréquent ou endémique dans une collectivité ou dans une contrée, il est en général d'origine nutritionnelle.

Le goitre endémique est habituellement bénin et ne provoque pas souvent de symptômes et signes liés à une hypersécrétion ou hyposécrétion de thyroxine, c'est-à-dire d'hormone thyroïdienne. Ces états sont décrits dans les traités de médecine.

Dans les régions où le goitre est endémique, il est fréquent qu'un grand nombre de personnes présentent une augmentation plus ou moins marquée du volume de la glande thyroïde, et un pourcentage variable de ces individus présentent un gonflement énorme, déformant le cou. Cet état est généralement plus fréquent chez les femmes, en particulier lors de la puberté et pendant la grossesse. La glande hypertrophiée peut être lisse (goitre colloïde), ou bien bosselée (goitre adénomateux ou nodulaire).

La cause la plus commune du goitre endémique est le manque d'iode dans l'alimentation. La teneur en iode du sol varie selon les lieux et ceci se répercute sur la quantité d'iode présente dans les plantes comestibles qui y poussent et dans l'eau de chaque région. Les aliments qui viennent de la mer sont très riches en iode. C'est généralement dans les régions de plateaux et de montagnes éloignées de la mer que le goitre endémique sévit le plus, encore qu'il y ait des exceptions.

Certains aliments consommés en grande quantité peuvent favoriser l'apparition du goitre chez un individu, même si l'apport en iode est normal. Les substances possédant cette propriété ont été appelées agents goitrigènes; elles existent dans certaines variétés de choux, choux rouges, navets et quelques autres aliments végétaux.

On dit que l'eau qui contient beaucoup de calcium et autres sels minéraux prélevés dans le sol est une eau dure, et elle semble entraver l'utilisation normale de l'iode apporté par la nourriture. Il est possible que ce soit un facteur secondaire dans l'étiologie du goitre endémique.

Incidence

Relativement peu d'enquêtes ont été effectuées pour préciser la prévalence du goitre dans les différents territoires d'Afrique de l'Est, mais on pense qu'il est courant dans certaines régions. Au cours d'une enquête dans les hauts plateaux Ukinga de la province de Njombe en Tanzanie, l'auteur a examiné 3 242 personnes et a constaté que 2 448 d'entre elles avaient un goitre, soit une incidence d'environ 75 pour cent (figure 33).

Lorsqu'on fait des recherches sur l'incidence du goitre, il est conseillé d'examiner la glande thyroïde à la fois visuellement et par palpation afin d'évaluer le degré d'hypertrophie. Une classification commode des goitres selon leur volume est celle proposée par l'OMS (OMS, 1960). Elle peut être résumée ainsi:

Groupes Symptômes
0 Personnes ne présentant pas de goitre et personnes ayant une thyroïde augmentée de moins de cinq fois. (Chaque lobe d'une glande thyroïde normale a la taille approximative de l'ongle du pouce du sujet examiné).
1 Personnes qui, à la palpation, présentent une thyroïde augmentée de plus de cinq fois, mais celle-ci n'est pas facilement visible lorsque la tête est en position normale.
2 Personnes ayant un goitre facilement visible lorsque la tête est en position normale mais qui est plus petit que celui du groupe 3.
3 Personnes ayant un goitre volumineux, visible de très loin et qui peut défigurer.

Traitement

Thérapeutique par l'iode. L'iode administré par voie buccale guérira beaucoup de goitres et fera régresser la taille de certains autres, plus particulièrement le petit goitre colloïde observé chez les enfants et les personnes jeunes. Une préparation pratique d'iode est la solution de Lugol, à raison de 0,5 ml par jour dans de l'eau. On peut aussi prescrire 60 mg d'iodure de potassium par jour.

Extrait thyroïdien. Un adulte en recevra 20 mg par jour, par voie buccale, pendant deux semaines. La dose est augmentée de 20 mg tous les 15 jours, jusqu'à ce qu'une dose quotidienne de 100 mg soit atteinte.

On vérifiera à intervalles réguliers le poids, le pouls et si possible le métabolisme basal du sujet. Une perte de poids, un pouls plus rapide et une augmentation du métabolisme basal indiquent qu'il y a hyperthyroïdie. Il faut alors diminuer les doses ou arrêter le traitement.

Le traitement par extrait thyroïdien ne doit être entrepris que par un médecin.

Traitement chirurgical. Les goitres très volumineux, plus particulièrement les goitres adénomateux, peuvent ne pas réagir favorablement aux traitements par l'iode ou l'extrait thyroïdien. La seule façon d'en débarrasser le patient est alors l'intervention chirurgicale. L'ablation du goitre est appelée thyroïdectomie.

Etats associés au goitre

Le crétinisme endémique dont les enfants peuvent être atteints est observé surtout dans les contrées où sévit le goitre endémique, et il est généralement dû à une carence en iode de la mère. L'enfant peut paraître normal à la naissance, mais son développement est lent, sa taille petite, il est mentalement retardé, a une peau rugueuse et épaisse et un visage caractéristique: affaissement du nez et souvent langue hypertrophiée et saillante.

La surdi-mutité (incapacité de parler et d'entendre), le nanisme, certains troubles mentaux et incapacités neuromotrices sont nettement plus fréquents chez les enfants dont la mère a un goitre (figure 34), surtout dans les zones de grande endémie goitreuse. On a montré que lorsqu'une femme enceinte a un goitre dû à une carence en iode, le fait de lui donner de l'iode au début de la grossesse réduit beaucoup le risque qu'elle donne naissance à un enfant atteint de crétinisme ou mentalement retardé.

Une personne souffrant de goitre risque plus qu'un individu normal de présenter des signes liés à une sécrétion excessive (hyperthyroïdie) ou insuffisante (hypothyroïdie) de thyroxine. De même, le carcinome (cancer) de la glande thyroïde se déclare plus fréquemment chez les individus qui ont un goitre.

Les goitres bénins, particulièrement s'ils sont volumineux, adénomateux, ou situés très bas sur le cou, peuvent provoquer des troubles de compression, tels que gêne respiratoire, toux persistante et altération de la voix.

Prévention

Dans les régions où le goitre est endémique, il constitue un problème de santé publique et il faut l'aborder comme tel. Certains goitres ont un aspect déplaisant et peuvent donner lieu à l'un des états cités ci-dessus. Le risque qu'un pourcentage même faible d'enfants de mères goitreuses soit atteint de crétinisme, de surdi-mutité ou de retard mental est important et mérite que l'on y prenne garde. Plutôt que d'essayer de soigner chaque personne atteinte dans la communauté, mieux vaut essayer de prévenir l'apparition du goitre. Ceci peut être réalisé de façon très satisfaisante par addition d'iode à tout le sel de cuisine qui est vendu dans la région. Le sel sert de véhicule à l'apport thérapeutique d'iode car c'est un produit presque universellement acheté et consommé. Ainsi, si on ne vend dans une contrée que du sel additionné d'iode, on peut supposer que tous les habitants auront un apport en iode suffisant. Cependant, dans les parties d'Afrique où les populations rurales fabriquent ou extraient elles-mêmes le sel, la vente de sel iodé ne résoudra pas le problème.

L'adjonction d'iode au sel fera régresser le volume de beaucoup de goitres existant déjà et empêchera à l'avenir l'apparition de nouveaux goitres. Le sel est le plus souvent iodé par adjonction d'iodure de potassium ou de sodium, mais l'iodate de potassium est préférable dans la plupart des climats africains. La quantité ajoutée doit être suffisante pour procurer environ 1 partie d'iode pour 20000 parties de sel, mais cela dépend de la consommation de sel dans la région considérée.

Dans les régions où le goitre est endémique, il est préférable qu'une loi soit promulguée pour garantir que seul le sel iodé soit commercialisé. L'iodation du sel s'est révélée très efficace pour prévenir le goitre en Suisse, dans certaines parties des Etats-Unis, en Colombie et ailleurs.

Si l'iodation du sel n'est pas possible, il faudrait envisager des injections d'huile iodée comme mesure préventive.

Dans les endroits où il a été démontré que le goitre était dû à la présence de substances goitrigènes dans le régime, la prévention consiste à supprimer l'aliment particulier qui en est responsable.


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