21. Anémies nutritionnelles

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L'anémie est une maladie importante et très répandue en Afrique. Il existe de nombreuses classifications des anémies, dont certaines sont fondées sur les causes de la maladie. Les différents types d'anémie sont décrits en détail dans les traités ordinaires de médecine.

Les anémies d'origine nutritionnelle sont ducs, la plupart du temps, à une carence en fer ou en protides, ou au manque des deux à la fois, et plus rarement, à une insuffisance de folate (acide folique). Une carence martiale dans l'organisme est souvent due à une mauvaise absorption du fer contenu dans les aliments plutôt qu'à une faible teneur en fer du régime alimentaire dans son ensemble; elle peut également tenir à une perte de fer accrue provoquée par plusieurs conditions, dont la plus importante est une infestation sévère par ankylostomes. L'importance de la carence en fer qui est cause d'anémie chez les enfants et les femmes pendant la grossesse et l'allaitement a été évoquée précédemment aux pages 74-77. Les anémies macrocytaires, provoquées par une carence en vitamine B12 et en acide folique, sont mentionnées aux pages 90-92. Le manque d'acide folique est particulièrement fréquent chez les femmes enceintes.

Causes

Lorsqu'un individu a un taux d'hémoglobine inférieur à la normale, il est atteint d'anémie. L'hémoglobine se trouve dans les globules rouges du sang (hématies), sous forme d'un pigment rouge composé de protéines et de fer. Dans l'anémie, c'est soit la quantité d'hémoglobine de chaque globule rouge qui est faible (anémie hypochrome), soit le nombre total des hématies de l'organisme qui est diminué. La vie de chaque globule rouge est d'environ quatre mois et, pour permettre leur remplacement, la moelle rouge des os fabrique constamment de nouveaux globules rouges. Ce processus exige des protéines, des sels minéraux et des vitamines qui doivent tous provenir des aliments consommés.

Protéines. Elles sont nécessaires à la fois pour constituer la charpente des globules rouges et pour fabriquer l'hémoglobine que ces globules renferment.

Sels minéraux. Le fer est indispensable à la fabrication de l'hémoglobine et, si l'organisme n'en reçoit pas suffisamment, les globules produits seront plus petits que normalement et contiendront moins d'hémoglobine. Le cuivre et le cobalt sont aussi des sels minéraux nécessaires en petites quantités.

Vitamines. La vitamine B12 et l'acide folique sont nécessaires pour la maturation normale des hématies. L'acide ascorbique (vitamine C) joue également un rôle dans la formation du sang.

A sa naissance, l'enfant normal a un taux d'hémoglobine élevé (en général, au moins 125 pour cent de la valeur normale moyenne, ou 18 g par 100 ml) mais, pendant les premières semaines de vie, beaucoup de globules sont hémolysés. Le fer libéré n'est pas perdu mais mis en réserve dans l'organisme, particulièrement dans le foie et dans la rate. Le lait étant pauvre en fer, cette réserve est utilisée durant les tout premiers mois de la vie pour contribuer à l'augmentation du volume sanguin qui est nécessaire au fur et à mesure que le nourrisson grandit. Cette réserve, à laquelle s'ajoute la petite quantité de fer contenue dans le lait maternel, peut suffire jusqu'à l'âge de six mois. Mais ensuite, il est vivement souhaitable que d'autres aliments contenant du fer soient introduits dans le régime. A la naissance, un enfant prématuré possède un nombre réduit de globules rouges et, de ce fait, est plus exposé à l'anémie. De la même façon, une carence en fer chez la mère peut affecter ces réserves vitales et rendre l'enfant plus sujet à l'anémie.

Au-delà de l'âge de six mois, si l'enfant n'a pour tout aliment que le lait maternel, comme cela se voit couramment dans certaines parties d'Afrique, il ne reçoit qu'une quantité de fer trop faible pour permettre une augmentation normale du volume sanguin, et l'anémie survient. C'est là une cause fréquente d'anémie chez les enfants de six à douze mois. Il n'est pas possible d'y remédier en donnant du lait écrémé en poudre ou du lait en poudre ordinaire, à moins d'enrichir en fer ces produits qui en contiennent peu, auquel cas il en sera fait état sur l'emballage. Bien qu'il soit souhaitable que l'allaitement au sein dure bien au-delà du sixième mois, il est nécessaire d'introduire d'autres aliments contenant du fer dans la nourriture des enfants à partir de cet âge.

Après le sevrage complet, l'enfant reçoit souvent durant ses deux premières années une alimentation comportant surtout des glucides. Il se peut qu'il prenne alors assez de fer, mais l'apport en protéines sera sans doute insuffisant pour maintenir un taux normal d'hémoglobine.

Cependant, bien que la plupart des aliments solides fournissent assez de fer aux enfants aussi bien qu'aux adultes pour satisfaire des besoins normaux, beaucoup de membres de la communauté ont des besoins accrus. Ceci peut être dû aux pertes de sang provoquées par des ankylostomes ou par une bilharziose, ou survenant lors des règles ou d'un accouchement, ou encore résultant d'une blessure. Les besoins de la femme sont accrus pendant la grossesse pour assurer le développement du fœtus et pendant l'allaitement pour fournir la quantité de fer présente dans le lait maternel. On sait aussi aujourd'hui que le fer contenu dans les végétaux, y compris les céréales, est moins bien utilisé que celui que fournissent la plupart des produits d'origine animale.

Pour toutes ces raisons, il est évident que l'anémie est fréquente chez les prématurés, chez les enfants âgés de plus de six mois qui ne reçoivent qu'un régime lacté, chez les femmes plus que chez les hommes, surtout en période de grossesse ou d'allaitement, chez les personnes atteintes de maladies parasitaires, et enfin chez les individus qui n'absorbent que de très faibles quantités de fer provenant surtout d'aliments d'origine végétale.

Diagnostic

L'hémoglobine est nécessaire pour transporter l'oxygène vers les tissus et nombre des symptômes énumérés ci-dessous sont dus au fait que le sang transporte moins bien l'oxygène. Parmi ces symptômes, on trouve:

· Fatigue
· Pâleur des muqueuses et du tissu sous-unguéal.
· Palpitations - le sujet se plaint qu'il « sent » battre son cœur.
· Essoufflement même après un effort normal.
· Œdéme (dans les cas graves et chroniques).

On établit le diagnostic clinique par examen de la langue, de la conjonctive de la paupière inférieure et de la région sous-unguéale, qui toutes sont plus pâles que normalement. Si la personne qui fait cet examen clinique est inexpérimentée, elle peut comparer le degré de coloration de ces parties du corps chez le malade et chez une personne saine - son assistant ou elle-même, par exemple. L'augmentation du volume du cœur (cardiomégalie) n'est pas fréquente chez les Africains, même dans les cas d'anémie grave.

Le diagnostic est confirmé par le dosage de l'hémoglobine dans le sang, que l'on peut réaliser en utilisant une des nombreuses méthodes existantes et qui vont, par ordre de simplicité (ainsi que de précision), de la méthode de Tallquist (une goutte de sang prise au bout du doigt ou au lobe de l'oreille est déposée sur un papier spécial et on en compare la couleur avec celle d'une échelle calorimétrique) à l'électrophorèse qui ne peut être exécutée normalement que dans un grand laboratoire. Un test utile est celui de l'hématocrite. Le sang à examiner est placé dans un tube gradué; après centrifugation, les globules rouges et le plasma sanguin se séparent et l'on peut mesurer le rapport relatif de leur volume. Un taux d'hémoglobine inférieur à 12 g pour 100 ml de sang chez une femme adulte et à 13 g chez un homme adulte est considéré comme anormalement bas. Le taux de ferritine sérique qui ne peut se mesurer que dans des laboratoires bien équipés donne une bonne indication de la présence de calculs ferreux dans l'organisme.

Traitement

Le traitement dépendra de la cause. En cas de doute, on prescrira à la fois du fer et des protides. Un supplément de folate est également à recommander pour les femmes enceintes.

Dans les cas d'anémie provoquée par une carence en fer, les adultes devront recevoir de 200 à 250 mg de sulfate ferreux sous forme de comprimés, trois fois par jour, la dose étant déterminée par la teneur en sulfate ferreux des comprimés. Les enfants recevront une préparation de sulfate ferreux à la dose de 50 mg par jour et par année d'âge. Aux malades souffrant de vomissements ou gravement atteints, on pourra administrer par voie intramusculaire du fer injectable pendant quelques jours. Les adultes recevront 5 ml (50 mg par ml) par jour ou tous les deux jours. Pour les enfants, les doses seront proportionnellement réduites.

Si l'anémie s'accompagne chez les enfants d'une carence évidente en protéines, elle ne sera pas guérie par le seul apport de fer: du lait écrémé en poudre enrichi en vitamine A (voir page 112), ou des protéines sous quelque autre forme, seront également nécessaires. En Afrique tropicale, un apport protéique se révèle utile dans de nombreux cas d'anémie. Les anémies macrocytaires (globules de dimension supérieure à la normale) répondent généralement bien à l'acide folique ou à la vitamine B12. Bien entendu, si des œufs d'ankylostome sont présents dans les selles, on administrera un anthelmintique approprié. L'acide ascorbique (vitamine C) facilitera l'absorption du fer fourni par les aliments.

Bien d'autres formes d'anémie sont importantes en Afrique tropicale, mais elles ne sont pas strictement d'origine nutritionnelle. Elles sont décrites dans la plupart des ouvrages courants de médecine.

22. Neuropathies nutritionnelles

Le système nerveux étant le système de communication de l'organisme forme un ensemble très complexe. S'il ne fonctionne pas normalement, il peut en résulter des conséquences importantes. Le système nerveux a besoin d'oxygène et de nutriments. Son énergie est fournie par les glucides. Un grand nombre d'enzymes complexes contrôlent son fonctionnement. Ces enzymes sont des protéines. Leurs activités exigent la participation d'un certain nombre de vitamines.

Il n'est donc pas surprenant que des carences alimentaires puissent provoquer des symptômes et signes prouvant que le système nerveux a subi des perturbations ou des lésions.

Le lien entre alimentation et système nerveux n'est pas encore pleinement compris. Il s'agit d'un domaine fort complexe qui déborde le cadre du présent ouvrage. Il importe cependant que le personnel médical tout entier garde présent à l'esprit le fait que toute maladie du système nerveux peut avoir une origine nutritionnelle. S'il est impossible d'obtenir un diagnostic sûr, on devrait donner des conseils au patient et l'aider à avoir une alimentation équilibrée.

Les vitamines du groupe B occupent une place spéciale dans la physiologie du système nerveux. On verra dans le chapitre 24 que ces vitamines se trouvent communément dans les enveloppes extérieures des graines de céréales. Le blutage tend à réduire la quantité de vitamines B contenue dans les farines. Aussi les carences en vitamines B deviennent-elles plus fréquentes en Afrique, où les neuropathies de divers types se multiplieront sans doute. Par exemple, l'auteur a observé dans une institution tanzanienne des cas de neuropathie dus à un changement de régime, la farine de maïs légèrement broyée ayant été remplacée par une farine très finement moulue qui constituait la source principale d'énergie.

Les neuropathies peuvent se manifester par une faiblesse générale ou des fourmillements dans les pieds, des sensations douloureuses de brûlure, l'ataxie, la surdité d'origine nerveuse, des troubles de la vision, une abolition ou une exagération des réflexes, etc. De nombreux facteurs peuvent s'associer pour provoquer ces manifestations, et il est donc difficile de les classer.

L'ouvrage de Davidson (1972) contient des détails sur les états mentionnés, et donne la classification suivante:

Groupe I. Lésions affectant surtout les nerfs périphériques. Ce groupe comprend:

· Les polyneuropathies du béribéri (voir pages 101-104), de l'alcoolisme et de la grossesse.
· Le syndrome dit « des pieds brûlants ».

Groupe II. Lésions affectant surtout le système nerveux central. Ce groupe comprend:

· L'encéphalopathie de Wernicke.
· L'amblyopie nutritionnelle.
· Les syndromes liés à l'atteinte d'un faisceau médullaire: ataxie spinale; paraplégie spasmodique et lathyrisme; dégénérescence combinée sous-aiguë (carence en vitamine B12).


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