32. Programmes nutritionnels et stratégies sanitaires

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Les pénuries alimentaires, la faiblesse des revenus, le manque de terre et les privations sont parmi les causes fondamentales de la malnutrition. Pour éliminer ces maux fréquents en Afrique, il faudra du temps, de l'initiative, de l'argent et une volonté politique. En attendant que les gouvernements s'attaquent à ces gigantesques problèmes, un certain nombre de programmes nutritionnels et de mesures de santé peuvent déjà réduire les proportions de la malnutrition. Il ne s'agit pas de solutions de remplacement, mais d'efforts coordonnés qui devraient s'accomplir simultanément. Ainsi, tandis que les autorités prennent en main les problèmes de la pauvreté et des manques, certains programmes d'intervention directe spécifiquement conçus pour améliorer la nutrition peuvent être exécutés.

Des mesures destinées à prévenir chacune des importantes maladies de carence sont suggérées à la fin du chapitre consacré au type de malnutrition correspondant. Nous traiterons ici de quatre mesures d'ordre plus général dont il n'a pas suffisamment été question ailleurs. Il s'agit de l'enrichissement des aliments, des aliments de complément, des nutriments médicinaux et de l'éducation nutritionnelle. Les autres mesures de portée générale évoquées ailleurs dans ce manuel et qui revêtent tout autant d'importance sont la lutte contre les maladies infectieuses (chapitre 1), le planning familial (chapitre 3) et les services de pédiatrie (chapitre 19).

Enrichissement des aliments

On entend ici par enrichissement des aliments l'adjonction d'un ou plusieurs nutriments à un aliment dans le but d'en améliorer la valeur nutritive. Cette méthode a donné d'excellents résultats dans la lutte contre certaines formes de malnutrition. L'avantage de l'enrichissement est d'abord qu'il peut améliorer l'état nutritionnel d'une population sans appeler de sa part une quelconque action spéciale ni un changement d'attitude, et ensuite qu'il est d'ordinaire relativement peu coûteux.

L'enrichissement présente en revanche plusieurs difficultés et inconvénients. Il faut trouver une denrée qui convienne pour l'enrichissement, c'est-à-dire qui entre dans un circuit limité de fabrication ou de transformation où il peut être procédé à l'adjonction du nutriment, et qui soit régulièrement consommée par les groupes nutritionnellement vulnérables de la population. La solution de l'enrichissement n'est pas à retenir si la denrée visée est consommée en quantités très variables et si le nutriment à y incorporer est toxique à forte dose, si ce nutriment est susceptible de modifier la qualité de la denrée, y compris son goût et sa couleur, et si enfin ce nutriment peut être détérioré par le mode habituel de préparation et de cuisson de l'aliment.

L'enrichissement n'est souhaitable que si la carence à corriger est assez courante ou si le nutriment à ajouter est très bon marché. Il est préférable que l'enrichissement n'entraîne pas une hausse marquée du coût de la denrée pour le consommateur. L'adjonction d'un nutriment entraîne évidemment quelques frais, mais ceux-ci peuvent être couverts par l'État ou par le fabricant, ou par une très modeste majoration du prix de la denrée. Dans la plupart des cas il est bon que l'enrichissement d'une denrée ou d'un groupe donné de denrées par adjonction d'une certaine quantité de nutriments spécifiés soit rendu obligatoire. Un système efficace de contrôle et de surveillance est dès lors indispensable pour faire en sorte que les fabricants respectent la loi.

Le meilleur exemple de programme d'enrichissement bénéfique est l'iodation du sel comme mesure de prévention du goitre endémique. Celle-ci est pratiquée depuis plusieurs décennies dans de nombreux pays, industrialisés et en développement. En Colombie, par exemple, une loi en matière d'iodation du sel a été votée il y a plus de 20 ans. Dans la province de Caldas, l'incidence du goitre, qui était d'environ 80 pour cent avant l'iodation, est tombée à environ 10 pour cent trois ans plus tard et à moins de 2 pour cent au bout de dix ans. L'iodation du sel a été un succès sur le plan de l'action nutritionnelle. Le sel, en tant que véhicule pour une opération d'enrichissement, présente maints avantages sur d'autres denrées. La quantité consommée varie peu, c'est un produit que l'on achète et utilise presque partout dans le monde, et le nombre des producteurs est restreint dans bien des pays.

L'addition de fluor à l'eau potable est d'une utilité démontrée dans la lutte contre les caries dentaires. Le fluor n'éliminera pas complètement les caries mais, consommé en quantités optimales pendant l'enfance, il en réduira beaucoup le nombre et aidera à conserver les dents. La fluoration ne peut se pratiquer que s'il existe un bon système de canalisation et si l'on peut contrôler en permanence le taux de fluor dans l'eau.

Les farines de céréales sont enrichies en vitamines B dans maints pays. C'est une précaution utile lorsque les carences en ces vitamines sont fréquentes, lorsque ceux qui risquent d'en être victimes consomment habituellement une farine de céréales convenant à cet effet et lorsque la mouture est assurée en majeure partie par de grandes entreprises capables de réaliser l'enrichissement dans des conditions satisfaisantes.

On a récemment tenté de combattre la xérophtalmie en ajoutant de la vitamine A à un certain nombre de denrées alimentaires. Il s'agit notamment du sucre, du sel, du thé et du glutamate monosodique (condiment très répandu en Asie). La faisabilité et l'efficacité de ce procédé sont à présent à l'étude. Depuis des années la vitamine A est ajoutée à des aliments comme la margarine dans les pays industrialisés, et on en additionne actuellement le lait écrémé en poudre destiné à l'aide alimentaire, comme cela a déjà été mentionné.

Les anémies nutritionnelles sont monnaie courante dans maints pays. L'enrichissement des aliments qui s'y prêtent en fer et peut-être aussi en folate offre un moyen simple de s'en défendre. Les tentatives en ce sens ont été freinées jusqu'ici par des difficultés d'ordre technologique et autre.

L'enrichissement peut aussi avoir pour but de remplacer des nutriments perdus en cours de traitement ou qui peuvent être présents dans l'aliment naturel auquel se substitue un produit manufacturé. La margarine enrichie en vitamine A comme succédané du beurre et les céréales fortement usinées enrichies en vitamines B pour remplacer les céréales grossièrement moulues ou pilonnées au foyer sont des exemples déjà cités. Les succédanés du lait maternel enrichis en vitamine A et autres nutriments, les boissons en bouteilles à base de fruits auxquelles on ajoute de la vitamine C fournissent d'autres exemples.

De façon générale, lorsqu'il existe une carence nutritionnelle dans un pays ou une région d'un pays, il faudrait envisager la possibilité d'y remédier par un programme d'enrichissement, puisqu'il se peut qu'il s'agisse là du moyen de contrôle le moins coûteux et le plus efficace.

Nutriments médicinaux

L'apport de nutriments spécifiques sous forme médicinale à certains groupes de la population constitue un autre moyen de combattre la malnutrition. Les vitamines et les sels minéraux peuvent tous être administrés de cette façon. Tout nutriment pouvant servir à l'enrichissement est également susceptible d'être fourni à des groupes de population sous forme médicinale. L'inconvénient de cette méthode par rapport à celle de l'enrichissement est que le système de distribution est nécessairement plus complexe et beaucoup plus onéreux. Lorsque les nutriments médicinaux sont fournis dans le cadre d'un programme de prévention il est impossible d'atteindre tous ceux qui en manquent et c'est souvent les plus vulnérables que l'on touche le plus difficilement. L'avantage de cette méthode est que le nutriment peut être administré sélectivement aux seuls individus menacés de carence, alors qu'avec l'enrichissement des aliments, bien des personnes convenablement nourries recevront un supplément de nutriment dont elles n'ont aucun besoin.

Dans de nombreux pays, des comprimés contenant du fer sont distribués de longue date aux femmes enceintes qui fréquentent les consultations prénatales. C'est un bon moyen de réduire le risque d'anémie ferriprive durant la gestation. En Afrique, rares sont les femmes qui se présentent à ces consultations durant leur grossesse et celles qui le font sont souvent aisées et instruites. Cependant, la pratique d'administrer du fer est excellente et devrait être poursuivie.

Il faudrait en même temps encourager les femmes à venir toujours plus nombreuses aux dispensaires et créer de nouveaux centres dans les zones écartées.

Les pastilles de fluor prises régulièrement par les enfants offrent un bon moyen de limiter les caries dentaires lorsque l'eau consommée localement est pauvre en cette substance (moins de 0,5 partie par million).

On tend de plus en plus à donner aux enfants, tous les quatre à six mois, des capsules contenant de fortes doses de vitamine A, afin de prévenir la xérophtalmie. Dans quelques pays, on distribue régulièrement, dans certaines institutions, des comprimés de niacine pour prévenir la pellagre.

Les programmes de ce type sont à recommander lorsqu'ils répondent à un besoin, mais la majeure partie des pilules de vitamines et de sels minéraux qui sont fabriquées et vendues dans le monde sont ingérées par des individus bien nourris ou qui n'ont pas besoin du supplément de nutriments qu'ils absorbent de cette manière. En général, cette habitude de prendre des pilules inutiles n'est pas préjudiciable à la santé mais c'est un gaspillage d'argent pour les consommateurs. Dans un petit nombre de cas, l'usage immodéré de ces pilules, spécialement celles qui sont riches en vitamines A et D, peut engendrer un phénomène de toxicité et parfois même compromettre gravemént la santé.

Aliments supplémentaires et programmes d'alimentation

L'alimentation supplémentaire comporte deux aspects qui méritent considération. Il s'agit d'une part de la nécessité éventuelle d'aliments supplémentaires dans une zone ou un pays donné et, d'autre part, de l'opportunité d'instituer un programme d'alimentation.

Il est généralement reconnu que la période du sevrage représente, du point de vue nutritionnel, un moment critique de l'existence. Le lait maternel suffit à lui seul pendant les quatre à six premiers mois de la vie, après quoi, tout en continuant l'allaitement au sein, il faut commencer à donner à l'enfant d'autres aliments.

Il est une période, entre le cinquième mois environ et jusque vers la troisième année, où le jeune enfant ne peut plus se nourrir uniquement de lait maternel mais ne se trouve pas bien du nombre limité de repas et du type d'aliments auxquels les membres plus âgés de la famille peuvent être accoutumés.

Comme nous le verrons dans la sixième partie, il existe maintes méthodes traditionnelles excellentes d'alimenter les enfants en bas âge et des denrées disponibles sur place peuvent fort bien être préparées comme aliments de sevrage sans qu'il soit nécessaire de recourir à des industries alimentaires ou à des œuvres sociales.

Pourtant, lorsque sévissent la misère et la malnutrition, et spécialement dans les zones urbaines ou dans les zones rurales à forte densité de population, des programmes d'alimentation supplémentaire peuvent représenter une utile stratégie dans la lutte contre la malnutrition infantile. Les aliments supplémentaires ou les programmes d'alimentation supplémentaire doivent être fortement subventionnés ou être assurés gratuitement aux familles pauvres, sinon ils ne parviendront pas à aider les groupes les plus vulnérables de la population.

Les suppléments protéiques qui sont mis dans le commerce et coûtent plus cher que les céréales, les légumineuses ou le poisson séché d'origine locale sont sans intérêt pour les consommateurs pauvres et peuvent représenter pour les acheteurs une dépense superflue.

Il faut comprendre aussi que les programmes d'alimentation supplémentaire ne sont que des palliatifs et qu'ils ne modifient pas les causes sous-jacentes de la malnutrition. Il faut bien s'assurer que la forte mise de fonds qu'ils exigent ne serait pas mieux utilisée pour mettre en œuvre des programmes davantage capables de prévenir la malnutrition ou de s'attaquer à ses causes fondamentales.

Les denrées entrant dans un programme d'alimentation supplémentaire devraient dans toute la mesure possible être produites sur place, être compatibles avec les habitudes et les pratiques alimentaires des intéressés, répondre aux exigences nutritionnelles et être choisies en fonction de la situation alimentaire et nutritionnelle des familles dans la zone considérée. Partout où cela est possible, les programmes d'alimentation supplémentaire devraient être accompagnés d'un travail d'éducation nutritionnelle.

Education nutritionnelle

L'éducation nutritionnelle est une importante stratégie qui doit recevoir une plus grande attention dans la plupart des pays. La base de tout programme d'éducation nutritionnelle devrait consister à encourager l'adoption d'un régime alimentaire nutritionnellement satisfaisant et stimuler une demande effective des aliments appropriés.

Par le passé cependant, l'éducation nutritionnelle a trop souvent été conduite de façon étrangement banale. Elle a consisté, dans divers ministères, à dire aux gens de manger tel ou tel aliment parce qu'il était « bon pour eux ». Le résultat est que très peu de programmes d'éducation nutritionnelle ont été couronnés de succès. Souvent ces programmes bien intentionnés étaient appliqués par des personnes dont la culture était différente de celle des intéressés. Maintes tentatives ont été faites pour modifier radicalement le régime alimentaire des populations cibles.

Ceux qui se donnent pour tâche l'éducation nutritionnelle sont instamment invités à partir du principe que la plupart des mères font de leur mieux pour nourrir convenablement leur famille - et à en tenir compte dans leur première « leçon ».

La principale cause de malnutrition en Afrique est une ration alimentaire totale insuffisante pour les jeunes enfants (carence énergétique). Par conséquent, le premier conseil à donner aux mères est de continuer à alimenter leurs nourrissons comme auparavant, mais à intervalles plus rapprochés, ou de leur donner un tout petit peu plus des aliments qu'ils consomment déjà. Mieux vaut un avis acceptable et pouvant être suivi qu'une tentative d'introduire des modifications radicales souvent dénuées de réalisme.

Tout changement préconisé en matière de nutrition devrait autant que possible être simple, applicable à la famille, compatible avec ses traditions et bien sûr judicieux du point de vue nutritionnel.

L'éducation nutritionnelle a souvent échoué parce que ses préceptes n'étaient pas conformes aux critères précités. Dans le monde entier on trouve des éducateurs et des manuels traitant de nutrition, qui invitent de façon pressante les mères sans ressources à donner chaque jour à leur enfant de la viande ou du poisson ou un œuf ou trois tasses de lait. Cela peut être justifié sur le plan diététique ou nutritionnel, mais c'est absurde à tous autres égards. Sauf dans de très rares communautés et pays, les familles pauvres n'ont pas les moyens de fournir aussi souvent de tels aliments à leurs jeunes enfants. On peut les remplacer par des denrées de peu de prix citées ailleurs dans ce manuel et dont les légumineuses offrent un excellent exemple.

L'éducation nutritionnelle est conduite par divers ministères (santé, agriculture, éducation, développement communautaire, affaires sociales, etc.) et peut aussi être dispensée par des organisations non gouvernementales. Tous ces organismes devraient convenir d'objectifs communs pour un programme d'éducation en nutrition. Chaque ministère doit décider de la façon dont il compte appliquer son programme d'éducation nutritionnelle. Parmi les éléments à déterminer, et que l'on se soucie trop rarement de définir clairement, figurent le contenu du message (dont il a été question plus haut), le public que l'on se propose d'atteindre à travers le programme, et enfin les instruments de communication. Cela aussi peut paraître élémentaire et évident, mais l'auteur sait par expérience qu'en fait, pour atteindre les buts visés, il faudra revoir entièrement, en fonction de ces notions, l'esprit et le mode d'application de la plupart des programmes d'éducation nutritionnelle adoptés en Afrique.

En général, il peut être sage de faire appel à plusieurs moyens de communication, mais une campagne intense par la radio est souvent le moyen le moins coûteux et le plus efficace de toucher la grande masse. En plus des ondes contrôlées par l'État, il faudrait utiliser la radio commerciale et privée (et la télévision) pour des émissions éducatives sur la nutrition. Les efforts devraient converger vers certaines questions et certains domaines prioritaires. Il faudrait, rappelons-le, insister sur les petits changements qui amélioreront les habitudes diététiques et non sur les réformes radicales. Bien des échecs passés viennent de ce que l'on a tenté de diffuser une masse énorme d'informations générales sur la nutrition, au lieu de revenir inlassablement sur quelques idées simples et fondamentales rapportées à un nombre limité de domaines prioritaires.

Les initiatives des divers ministères et organisations devraient être étroitement coordonnées de manière que les messages reçus de différentes sources par les familles se complètent et se renforcent mutuellement. Différentes institutions dispensent parfois des avis contradictoires.

Qui devrait être l'éducateur, quand devrait-on enseigner et à qui faudrait-il s'adresser? Les réponses à ces questions sont en général fort simples. Tous ceux qui possèdent les connaissances nécessaires (chaque membre d'une équipe sanitaire, chaque instituteur, chaque agent de vulgarisation agricole) devraient répandre l'éducation nutritionnelle. Ils ne devraient perdre aucune occasion de le faire, qu'il s'agisse du médecin traitant un malade, de la sage-femme à la consultation prénatale, de l'agent sanitaire se rendant dans les foyers, du vulgarisateur participant à une réunion d'agriculteurs ou baraza, de l'instituteur en classe ou rencontrant des parents. L'éducation nutritionnelle devrait chercher à atteindre chaque habitant du pays.

Même si le message concerne la malnutrition protéino-énergétique chez les enfants d'âge préscolaire, ce problème est d'une telle importance que chacun peut avoir intérêt à en être informé.

Dans de nombreux pays africains, les éléments de l'éducation nutritionnelle auxquels il convient d'accorder la priorité pourraient être les suivants:

· Repas plus fréquents pour les très jeunes enfants, à base des aliments présentement utilisés.

· Ration accrue à chacun des repas pris par les enfants durant le sevrage et dans la période qui suit.

· Consommation plus grande, de la part des enfants, de n'importe quelle légumineuse disponible et couramment utilisée dans la famille.

· Utilisation d'aliments comme les arachides, qui sont à la fois protéiques et énergétiques.

· Encouragement de l'allaitement maternel et avis contraire à l'usage du biberon (c'est-à-dire protection et promotion de l'allaitement au sein).

· Plus ample utilisation des aliments riches en carotène (légumes à feuilles vert foncé, fruits et légumes jaunes) pour les jeunes enfants dans les régions où l'on constate une carence en vitamine A.

· Pour les femmes enceintes, incitation à fréquenter les dispensaires où on leur fournira, au besoin, du fer et d'autres suppléments et où on pourra suivre les progrès de la gestation.

· Encouragement des familles à se rendre avec leurs jeunes enfants dans des centres de consultation pour les « moins de cinq ans » et autres dispensaires, et à surveiller la croissance des enfants.

· Informations sur l'utilité de la vaccination et sur les endroits où elle se pratique.

· Messages divers pouvant aider à réduire les maladies infectieuses qui contribuent souvent à la malnutrition.

Ces exemples ne sont pas tous applicables à toutes les collectivités ou à tous les pays. Chacun d'entre eux a cependant un contenu pratique et une valeur pour maintes régions d'Afrique.

Dans ce continent et ailleurs, l'erreur la plus persistante et la plus fréquente en matière d'éducation nutritionnelle a peut-être été la place prépondérante faite aux protéines d'origine animale. Il est à présent généralement admis que le manque de protéines de cette nature n'est pas le problème essentiel et que, même s'il l'était, les produits animaux ne représentent pas une solution raisonnable ou possible dans une grande partie de l'Afrique. La malnutrition protéino-énergétique, qui est le grand problème nutritionnel, est beaucoup plus souvent due au fait que la ration alimentaire totale de l'enfant est trop faible, de sorte qu'il peut manquer à la fois d'énergie et de protéines. La solution consiste à accroître la quantité des aliments déjà présents dans le régime, et si l'on doit s'efforcer d'augmenter l'apport protéique, il faudrait insister sur les aliments d'origine végétale, comme les légumineuses, qui sont riches en protéines, et non sur les produits animaux. Il n'empêche qu'au cours des 20 dernières années une grande place a été faite en pure perte, dans quantité de programmes d'éducation nutritionnelle, à l'encouragement de la consommation de viande, de poisson, de lait, d'œufs et d'aliments protéiques manufacturés. Cette éducation a totalement échoué car son orientation était erronée: des raisons économiques empêchaient de suivre ses préceptes, et les aliments recommandés étaient souvent introuvables.

Les agents de l'éducation nutritionnelle auraient beaucoup à apprendre des spécialistes de la publicité commerciale, qui malheureusement ont souvent fort bien réussi à modifier les habitudes alimentaires et le comportement. La publicité a été dans bien des cas responsable de changements dont les conséquences nutritionnelles sont regrettables. Mais les entreprises commerciales ont montré que par leurs méthodes on peut amener des gens démunis à acheter des produits sans valeur nutritionnelle, comme les boissons gazeuses et les colas, et à abandonner l'allaitement au sein au profit du biberon, non sans conséquences souvent désastreuses pour le nourrisson. Cette promotion commerciale utilise habilement les moyens disponibles. Il faudrait davantage mettre à profit ce talent commercial pour faciliter l'éducation nutritionnelle et sanitaire.

33. Évaluation des programmes de nutrition

Des programmes de santé publique et de nutrition sont fréquemment mis en œuvre sans qu'on ait prévu un mécanisme quelconque d'évaluation. Une campagne visant à multiplier les lieux d'aisance, une politique tendant à tripler le nombre des dispensaires pour les « moins de cinq ans », un nouveau programme d'alimentation scolaire, un effort plus grand d'éducation nutritionnelle, tout cela peut être important pour un pays, mais il est très rare que les initiatives de ce genre fassent l'objet d'une évaluation appropriée.

L'évaluation consiste simplement à apprécier, mesurer ou juger les progrès accomplis dans le cadre d'un programme ou d'une activité, en fonction des objectifs déclarés. Les autorités qui financent le programme, les agents d'exécution, les populations qui en sont les bénéficiaires, devraient vouloir connaître au juste ses effets. Il faudrait que tout travail de nutrition appliquée comporte quelque forme d'évaluation.

S'agissant de déterminer le chemin parcouru vers certains objectifs, une évaluation digne de ce nom suppose réunies deux conditions préalables fondamentales. La première est que les objectifs visés aient été énoncés d'avance, de préférence par écrit. La seconde est que l'on dispose de certaines données de référence, aussi élémentaires soient-elles. En d'autres termes il faut connaître la situation telle qu'elle se présentait avant le lancement du programme et avoir une idée des transformations qu'il est censé entraîner.

Cela peut paraître bien théorique ou compliqué, mais en fait il n'en est rien. Supposons par exemple un programme d'alimentation supplémentaire qu'entreprend une unité sanitaire pour traiter des cas de malnutrition relativement légers mais entraînant un net déficit statural. En gros, l'objectif peut être d'améliorer en trois mois l'état nutritionnel de 30 à 50 enfants fréquentant l'unité en question. Mais pour permettre une évaluation significative, il est préférable de préciser l'objectif et de l'exprimer de telle sorte que les résultats soient aisément mesurables. Un objectif spécifique pourrait être d'obtenir en trois mois, pour au moins 80 pour cent des enfants dont le poids initial n'atteignait pas 70 pour cent du poids normal pour leur âge, un gain de 10 pour cent. Les données de référence sont représentées ici par la fiche de pesée établie pour chaque enfant à la première visite. L'élément de comparaison nécessaire aux fins de l'évaluation sera son poids trois mois plus tard.

D'autres critères simples d'évaluation sont par exemple les connaissances nutritionnelles des mères avant et après l'éducation sanitaire, l'évolution du poids des nourrissons avant et après la fréquentation des consultations pour «moins de cinq ans », l'estimation de la ration protéique des familles avant et après une campagne de production et de consommation des légumineuses, le pourcentage des mères allaitant leurs enfants au sixième mois avant et après une campagne d'incitation dans une zone urbaine où une majorité de femmes ont commencé à nourrir leurs enfants au biberon.

Son utilité

L'évaluation est utile à plusieurs égards. Tout d'abord, elle aide l'agent d'exécution à savoir comment il s'acquitte de sa tâche et peut-être à trouver les moyens d'améliorer son travail ou d'accélérer les progrès. Elle peut permettre de voir que certaines actions donnent de bons résultats et d'autres des résultats négligeables. On pourra ainsi être amené à se concentrer sur les activités fécondes et à modifier, réorienter ou même abandonner les autres, c'est-à-dire à gagner du temps et à accélérer la réalisation des objectifs fixés.

En second lieu, l'évaluation est utile aux autres membres d'une équipe ainsi qu'aux planificateurs du programme. Ils peuvent analyser les rapports d'évaluation des différents agents d'exécution, ce qui leur fournira une idée des progrès d'ensemble et de la part qui en revient à chaque élément du programme. Cela permet une planification logique et peut conduire à quelque nécessaire révision des opérations.

Enfin, l'évaluation renseigne le grand public, ceux que le programme est destiné à aider, sur ce qui a été fait. L'adhésion de la collectivité étant indispensable au succès d'un programme, il appartient au personnel d'exécution de tenir les intéressés au courant de son déroulement. De la même manière, une société commerciale doit de temps à autre rendre compte à ses actionnaires de la façon dont marchent les affaires. Si on ne montre pas aux gens ce qui se fait et en quoi cela les concerne, si on ne leur fait pas comprendre le rôle qu'ils jouent eux-mêmes dans le processus de transformation, une grande partie de la valeur du programme risque d'être perdue. S'il a conscience des résultats obtenus, le public pourra fort bien être encouragé à coopérer plus pleinement et à favoriser les activités du programme. L'évaluation peut aussi servir à convaincre la population et les dirigeants qu'un aspect du programme qui les laissait sceptiques apporte des résultats. Par exemple, dans une zone où l'alimentation scolaire n'éveillait guère d'enthousiasme, les parents pourraient être grandement incités à apporter leur appui financier et à agir eux-mêmes dans le sens voulu si on parvient à leur prouver par des chiffres que les enfants recevant les repas à l'école se développent mieux, apprennent davantage et sont moins souvent absents.

L'évaluation est donc un acte positif qui peut valoir au programme des appuis plus décidés de la part du gouvernement, d'organismes extérieurs et du public. Elle peut aussi stimuler les agents d'exécution et les aider à se montrer plus efficaces et plus zélés.

Un processus continu

Pour certaines activités, l'évaluation consiste à effectuer une mesure avant et après l'opération. La différence entre les deux chiffres obtenus indique le changement survenu en cours d'action, sinon entièrement produit par celle-ci. Ce type de mesure dénué de nuance n'est généralement pas valable pour l'ensemble d'un programme de nutrition appliquée, encore qu'il puisse être utilisé pour ses différentes composantes.

Dans tout programme de nutrition appliquée ayant une vaste portée, il importe au plus haut point que l'évaluation soit conduite en permanence pendant toute la période d'exécution.

En évaluant toutes les activités comprises dans un projet, on peut faire ressortir les points faibles du programme d'ensemble, et si cette surveillance est continue, des mesures correctives peuvent intervenir à un stade précoce, soit qu'il s'agisse d'éliminer un défaut soit qu'il faille réorienter le programme.

Le personnel

Bien qu'il y ait des exceptions, la majeure partie du travail d'évaluation doit souvent être confiée à ceux qui opèrent sur place et non pas à des experts en visite. Cela a beaucoup plus d'avantages que d'inconvénients. On admet généralement que l'exécutant n'est pas impartial: il mesure les effets de son propre travail et il est donc porté à exagérer ses succès et à minimiser ses échecs. Etant partie en cause et voyant les choses de très près, il ne peut guère considérer objectivement et d'un œil critique les activités du programme. Une personne étrangère, en revanche, qui vient spécialement pour évaluer le programme, a les coudées franches car elle ne sera ni avantagée ni lésée selon que son rapport est favorable ou négatif. Elle est donc plus impartiale et plus équitable que l'agent local. Un expert externe peut aussi avoir plus de compétence technique et même plus de temps à consacrer à son évaluation du programme.

Pourtant, l'évaluation par des tiers présente maints inconvénients. Tout d'abord, ils n'ont pas la même connaissance que les agents locaux du milieu et des habitants. Lorsqu'une évolution se produit dans la population, ceci est très important. L'agent local est connu, et s'il a bien fait son travail il jouit de la confiance que l'on accorde à un ami et à qui vous vient en aide. Une personne étrangère risque de donner l'impression qu'elle est venue pour étudier la population du lieu ou qu'elle s'en sert pour réaliser quelque expérience à ses fins propres. Cela vaut particulièrement dans le cas d'examens médicaux comportant des prélèvements d'échantillons de sang, d'urine ou de matières fécales. Bien des gens ont un réflexe de méfiance à l'égard des inconnus et ils ne consentiront à coopérer que lorsqu'on aura gagné leur confiance et que les mobiles leur apparaîtront clairement.

Une autre grosse difficulté est que les agents d'exécution et le public (qui sont souvent dévoués au projet) peuvent considérer que l'évaluation conduite par une personne étrangère au programme est en fait un contrôle et que l'on va donc s'attacher à découvrir les failles.

Des concours extérieurs sont parfois nécessaires aux fins de l'évaluation. Il faut y recourir de façon judicieuse, en essayant d'éviter au maximum les inconvénients précités. Un avis extérieur peut être extrêmement utile, par exemple, au sujet du type de données à recueillir, et le conseiller peut aussi aider à analyser ces données, dont le rassemblement sera laissé aux soins de l'agent local.

Il peut se faire que pour certains programmes de nutrition appliquée on décide de procéder à des mesures que le personnel du projet n'est pas techniquement à même d'effectuer. Il arrive aussi que cela exige un équipement ou des instruments spéciaux dont ce personnel ne dispose pas.

Dans certaines phases du programme, lorsque les agents de terrain n'ont pas l'expérience des statistiques, une assistance extérieure en la matière peut être précieuse. Le concours d'un ou de plusieurs spécialistes pour le dépouillement et l'analyse des données peut soulager les exécutants d'un grand poids. Ainsi l'analyse sera-t-elle peut-être plus valable et précise. Une assistance extérieure de cette nature est hautement utile sans être envahissante.


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