Cinquième partie - Politiques et programmes nutritionnels

Table des matières - Précédente - Suivante

30. Politique alimentaire et nutritionnelle
31. Organisation gouvernementale aux fins de la planification et des politiques nutritionnelles
32. Programmes nutritionnels et stratégies sanitaires
33. Évaluation des programmes de nutrition
34. Problèmes-nutritionnels et solutions pratiques

 

30. Politique alimentaire et nutritionnelle

Aspects généraux des problèmes de misère et de privation

De nombreuses contrées d'Afrique ont connu ces dernières années une crise alimentaire aiguë et certaines ont même souffert gravement de la famine. Dans tous les pays africains, certaines couches de la population sont en proie à de sérieux problèmes de malnutrition. Quantité de facteurs expliquent que ces problèmes aient persisté, et dans certains cas se soient aggravés, malgré l'accélération du développement. Parmi ces facteurs on peut citer des conditions météorologiques adverses, la montée en flèche des prix des carburants et des engrais alors que ceux des produits africains d'exportation fléchissaient ou se laissaient distancer, une grave pénurie de devises, et bien d'autres.

La sous-alimentation et la malnutrition représentent une importante donnée du vaste et complexe problème de la misère et de la privation qui pèsent sur des millions d'Africains, et peut-être sur la majorité des habitants du continent. Les pauvres, les affamés, les mal nourris ne peuvent mener une existence normale; ils ont moins de chances de se réaliser comme individus et ne peuvent contribuer pleinement au développement de leurs pays respectifs. Le nombre des individus pauvres ou mal nourris, ou les deux à la fois, semble s'accroître dans maints pays. Cela vient en partie de ce que la population de nombreuses nations augmente plus vite que la quantité de services et de biens nécessaires pour combattre la malnutrition et la misère. Mais il est clair aussi que le progrès économique tel qu'on le mesure d'après le produit national brut ou la production industrielle ne se traduit pas par des améliorations de la qualité de vie des masses populaires. Souvent le fossé qui sépare les riches et les pauvres continue à se creuser.

La malnutrition les infections se combinent pour menacer dangereusement la santé de la majorité de la population mondiale qui vit misérablement. Cette menace perpétuelle pèse particulièrement sur les enfants de moins de cinq ans; nombre d'entre eux, atteints à la fois de malnutrition et d'une série d'infections, finissent par en mourir. Ils sont alors remplacés, les parents éprouvant le désir, et souvent un réel besoin, d'avoir de nombreux enfants vivants. Les enfants qui parviennent au-delà de la cinquième année ne sont pas pour la plupart ceux qui ont échappé à la malnutrition ou aux maladies infectieuses, mais ceux qui y ont survécu. Et rares sont ceux qui ne portent pas pour le restant de leurs jours les stigmates de ces atteintes précoces à leur santé. Ils sont souvent retardés dans leur développement physique, psychologique ou affectif, et ils peuvent présenter d'autres anomalies qui risquent de contribuer à réduire leur capacité de vivre pleinement leur existence d'adultes, sinon leur espérance de vie. Parmi les autres facteurs qui influencent le développement de ces enfants figurent le manque de stimulation inhérent au milieu et les privations lices à la pauvreté.

Comment réduire au maximum la morbidité et la mortalité, comment éviter les séquelles définitives résultant de l'action combinée de la malnutrition et des infections'? Telle est la question qui se pose au personnel de santé et aux économistes experts en développement, aux gouvernements et aux institutions internationales. La réponse ne réside ni dans les hôpitaux de luxe comme ceux qui se créent dans les capitales et les centres départementaux des pays en développement, ni dans les produits recherchés des industries alimentaires, tels que les protéines de soja texturées ou les farines composées pour bébés dont le prix est élevé. Nul besoin non plus de médecins hautement qualifiés ni de technologie alimentaire à la pointe du progrès. Pour faire avancer la solution de cc problème gigantesque les nations prospères devraient prendre la résolution de faire de la lutte contre les privations l'objectif numéro un, et les gouvernements des pays africains accepter d'y voir une exigence prioritaire.

Objectifs du développement. Tout d'abord, les gouvernements des pays développés et en développement doivent décider de cc qu'il faut entendre en fait par « développement ». Trop souvent par le passé on a pratiquement confondu développement et industrialisation, et pris comme critère la capacité productive et le produit matériel d'un pays. Les indicateurs du développement étaient le produit national brut OU le revenu moyen par habitant.

Les économistes ont tendu à considérer que l'amélioration de la nutrition et de la santé relevait du domaine social. Pourtant il apparaît clairement aujourd'hui que ces schémas classiques du développement n'ont souvent guère d'influence sur la qualité de vie de la majorité des citoyens d'un pays et peuvent même parfois aggraver la situation des moins favorisés. Nous devons donc nous demander: quel est le but du développement économique? A qui sert-il? Si les plans de développement ne prennent en considération ni l'amélioration de la santé ni celle de la nutrition, on pourrait sérieusement s'interroger sur ce qu'est réellement le développement.

Bien entendu, les pays en développement devraient tendre à une croissance économique globale, et spécialement à une intensification du développement agricole. Il faudrait cependant faire surtout porter l'effort sur les projets et le type de développement qui avantageront une forte proportion de la population, qui aideront à réduire la disparité des revenus et ont toute chance d'améliorer la nutrition, la santé, la qualité de vie de ceux qui sont actuellement victimes d'insuffisances. Les projets à fort coefficient de main-d'œuvre, par exemple, sont souvent préférables aux projets à fort coefficient de capital, et il est plus important d'aider la petite agriculture que les grands domaines.

La lutte contre les maladies infectieuses et les projets visant à assurer une alimentation plus abondante et de meilleure qualité sont des éléments absolument légitimes et importants d'un plan de développement. Ils peuvent par eux-mêmes contribuer à accroître la productivité et à améliorer la qualité de la vie. La réduction du taux de mortalité infantile, une plus faible incidence des maladies, une population mieux nourrie sont peut-être des indicateurs du développement plus éloquents que les moyennes nationales des automobiles et appareils téléphoniques par millier de familles, ou même le nombre de dollars ou de shillings par habitant. Qui oserait dire, par exemple, que le développement est très en retard en Chine alors que la malnutrition infantile a apparemment été presque éliminée, les principales maladies contagieuses maîtrisées et l'accroissement démographique stabilisé? Pourtant la Chine compte infiniment moins de lignes téléphoniques ou d'automobiles privées et a un revenu par habitant beaucoup plus bas que bien d'autres pays où la malnutrition est courante, la santé médiocre et la population en voie de croissance rapide.

Il n'est pas possible de proposer ici un schéma de développement comportant comme objectifs la réduction des maladies infectieuses et l'amélioration de la ration alimentaire. Cependant, on est en train de se rendre compte de plus en plus que les premiers soins médicaux peuvent être dispensés avec compétence par des personnes ayant une formation bien moins poussée que celle des médecins, et qu'il vaut mieux disposer d'un personnel sanitaire auxiliaire nombreux que l'on peut affecter aux dispensaires et consultations des villages et zones rurales les plus éloignés, que d'avoir quelques docteurs et des assistants de tous grades dans les hôpitaux des villes principales. Le personnel auxiliaire de santé peut venir à bout de la plupart des maladies communes avec un équipement simple et une gamme fort limitée de médicaments. Un système de santé qui s'appuie sur un personnel auxiliaire peut être conçu de façon à orienter son effort sur la médecine préventive bien plus que sur la médecine curative. Ce personnel est en mesure de pratiquer les vaccinations, d'assurer les services de protection maternelle et infantile, y compris le planning familial, d'administrer de simples programmes de nutrition et de faire prendre sur place des mesures de santé publique.

Satisfaire les besoins énergétiques. Il est maintenant largement reconnu que la malnutrition dans les pays en développement est en grande partie due à un apport alimentaire inadéquat, et souvent associée à des maladies infectieuses. La carence en protéines n'est pas le problème nutritionnel le plus important dans le monde. On a trop mis l'accent sur le problème protéique et trop insisté sur les carences en protéines, en perdant un peu de vue l'objectif premier d'une politique alimentaire, qui devrait être de satisfaire les besoins énergétiques de la population. Dans la plupart des populations dont l'aliment de base est une céréale comme le riz, le blé, le maïs ou le mil, les carences protéiques graves s'observent rarement sans qu'il existe en même temps une insuffisance de l'apport énergétique ou une insuffisance alimentaire globale. La plupart des céréales contiennent de 8 à 12 pour cent de protéines et sont souvent consommées avec de petites quantités de légumineuses et de légumes. Si ces régimes satisfont les besoins énergétiques, les carences en protéines deviennent généralement peu courantes et intéressent certainement surtout les très jeunes enfants auxquels de fréquentes infections infligent des pertes accrues d'azote. Cependant, pour ceux dont l'aliment de base a une faible teneur en protéines, comme les plantains, le manioc, etc., la situation peut être toute différente.

La leçon à retenir est que la production commerciale d'aliments protéiques relativement coûteux, l'enrichissement des céréales en acides aminés, la production de protéines monocellulaires et diverses autres entreprises qui, il y a quelques années, étaient présentées comme des remèdes aux difficultés nutritionnelles mondiales ne peuvent contribuer que dans une très faible mesure à résoudre le problème de la malnutrition protéino-énergétique. De même, les essais tendant à modifier légèrement la teneur des céréales en acides aminés par changement génétique sont bien moins importants que les efforts visant à accroître les rendements à l'hectare des céréales et d'autres cultures vivrières. Les mesures qui permettraient aux gens d'acheter les aliments dont ils ont besoin sont de bien plus grande importance.

Une augmentation modeste de la consommation de céréales, légumineuses et légumes de la part des enfants réduirait considérablement la prévalence de la malnutrition protéino-énergétique et les arrêts de croissance dans la population enfantine d'Afrique, surtout si en même temps on combattait les maladies infectieuses.

L'allaitement maternel pendant les premiers mois de la vie peut assurer une alimentation adéquate, alors que le biberon, dont il est question dans d'autres parties de ce livre, est un des grands responsables de la diarrhée et du marasme nutritionnel.

Autres programmes prophylactiques. Des programmes de nutrition assez simples et relativement peu coûteux peuvent servir à résoudre des problèmes nutritionnels déterminés, dont les plus importants sont celui de la carence en vitamine A qui est l'une des principales causes de la cécité; celui du manque d'iode qui conduit au goitre et au crétinisme endémique; et celui de l'anémie due à une carence en fer ou en folate. Dans certaines régions, par exemple, on combat la xérophtalmie en administrant tous les six mois à tous les jeunes enfants une capsule contenant 60 000 µg de rétinol (200000 UI de vitamine A); ailleurs, on enrichit en cette vitamine, pour la même raison, les aliments de consommation courante. La vitamine A est un nutriment relativement bon marché et ce qui coûte le plus cher c'est le système de distribution. Il n'y a aucune raison pour que la cécité imputable à une carence en vitamine A ne puisse être totalement éliminée du monde au cours des dix prochaines années. L'iodation obligatoire du sel a été remarquablement efficace dans plusieurs pays pour combattre le goitre et la déficience mentale associée au crétinisme. Des mesures analogues, simples, permettraient de lutter contre les anémies nutritionnelles.

Renforcement mutuel des actions coordonnées. La lutte contre les maladies infectieuses et l'amélioration de la nutrition sont deux entreprises qui méritent une haute priorité dans les plans de développement et dans l'assistance internationale ou bilatérale aux pays africains. Elles devraient être menées de front car elles seraient ainsi complémentaires et d'un coût moins élevé.

Les données historiques et épidémiologiques autorisent à penser qu'une réduction des taux de mortalité infantile et des améliorations de l'état sanitaire et nutritionnel peuvent être des conditions préalables au succès des tentatives de planning familial. Dans les pays surpeuplés du monde, le contrôle des naissances mérite une haute priorité, et les parents devraient être aidés dans tous les pays à faire en sorte d'avoir le nombre d'enfants qu'ils souhaitent.

Il parait très logique de recommander des programmes coordonnés ayant un triple objectif: lutte contre les maladies infectieuses, amélioration de la nutrition, services de planning familial largement accessibles. Ces trois types d'action peuvent se compléter et se renforcer mutuellement.

Politique alimentaire et nutritionnelle nationale

Les politiques alimentaires et nutritionnelles devraient représenter une importante partie intégrante des plans nationaux de développement. Cette exigence, pourtant reconnue et dont il a été tenu compte dans les plans quinquennaux de développement de la Tanzanie et de la Zambie, par exemple, n'est pas suffisamment prise en considération dans la plupart des pays d'Afrique.

L'objectif général d'une politique alimentaire et nutritionnelle sera d'améliorer en qualité et en quantité le régime de la population afin d'assurer à tous une alimentation adéquate. En matière de nutrition il existe ce paradoxe qu'une surconsommation ou l'abus de certains éléments du régime comporte aussi des risques pour la santé. Ainsi, consommer une quantité d'aliments disproportionnée à la dépense d'énergie conduit à l'obésité. Les régimes occidentaux typiques, riches en produits animaux, qui apportent une forte dose de cholestérol et de matières grasses saturées, augmentent les risques de cardiopathie. Par conséquent, une répartition plus équitable de la nourriture entre les pauvres et les nantis pourrait améliorer la santé des uns et des autres.

Une politique alimentaire et nutritionnelle nationale devrait prendre en considération les incidences nutritionnelles des politiques intéressant trois secteurs différents: l'approvisionnement alimentaire, la demande alimentaire et l'utilisation biologique.

Approvisionnement alimentaire. Pour qu'une population soit convenablement nourrie, il faut qu'une quantité suffisante de denrées de la qualité voulue soit disponible dans le pays. La stratégie fondamentale sur laquelle doit reposer la politique alimentaire consiste donc à améliorer et à accroître la production de vivres. Les moyens d'y parvenir relèvent surtout du domaine agronomique. Il faut toutefois amener les responsables des décisions relatives à l'agriculture à prendre conscience des exigences nutritionnelles de la population, à comprendre les incidences nutritionnelles de leurs décisions et à reconnaître que la politique agricole influence les prix des aliments, lesquels à leur tour influencent la consommation. De façon générale, le besoin se fait sentir en Afrique de développer la production de certaines denrées alimentaires, notamment les céréales et les légumineuses, qui sont couramment consommées dans une région donnée. Du point de vue nutritionnel, lorsque des animaux comme les bovins doivent disputer à l'homme des aliments ou des terres à culture, il est préférable de donner la priorité à la production de céréales, de légumineuses, de plantes-racines et de légumes, plutôt qu'à l'élevage. De même, il est généralement souhaitable de faire porter l'effort sur les cultures vivrières plutôt que sur les cultures de rapport.

Un autre aspect de l'approvisionnement alimentaire est celui qui touche à la commercialisation des denrées, y compris leur transport et leur stockage. La politique devrait tendre à rendre celle-ci aussi simple et rationnelle que possible, et à faire le minimum de place aux intermédiaires. Cela contribuera à assurer que le producteur reçoit une juste rémunération de ses produits et que le consommateur achète ses aliments au prix le plus juste. Les coopératives constituent l'un des systèmes susceptibles d'avantager à la fois le producteur et le consommateur.

Outre la production et la commercialisation, les facteurs qui influent sur les approvisionnements alimentaires sont la transformation commerciale des denrées et l'industrialisation, ainsi que les politiques intéressant l'importation et l'exportation, c'est-à-dire également les vivres fournis à titre gracieux dans le cadre d'accords multilatéraux ou bilatéraux.

Demande alimentaire. Elle est largement déterminée par le revenu individuel et les prix des aliments. Etant donné que les pauvres gens sont les plus exposés aux déficits alimentaires et à la malnutrition, toute politique ayant pour effet d'accroître le pouvoir d'achat des ménages à faibles revenus les mettra en condition d'améliorer leur nutrition. Ainsi la multiplication des emplois et de meilleurs salaires deviennent des éléments d'une politique nutritionnelle. Dans maints pays africains, les salariés représentent une minorité au sein de la population laborieuse. La plupart des travailleurs pratiquent l'agriculture pour leur propre compte. Aider ces exploitants pauvres à améliorer leurs revenus et leur productivité aura le même effet qu'augmenter le salaire des ouvriers pauvres en milieu urbain.

Parallèlement à la politique de l'emploi et du revenu, la politique fiscale du gouvernement devrait assurer une distribution équitable de la richesse si l'objectif à atteindre est d'améliorer la nutrition des plus défavorisés.

Les prix alimentaires affectent à la fois l'offre et la demande. S'ils sont bas, cela signifie en général que l'agriculteur obtient moins pour ses produits, et s'ils sont trop bas il sera moins porté à produire ou à vendre. D'un autre côté, des prix contenus augmentent le pouvoir d'achat de la population. Abaisser le prix d'une denrée de base commune comme la farine de mais équivaut à élever les revenus ou à accroître la capacité de dépense de tous ceux qui se la procurent dans le commerce. De même, une hausse des prix (phénomène plus courant) équivaut évidemment à amoindrir le revenu des acheteurs. Les pouvoirs publics disposent de plusieurs mécanismes pour aider à satisfaire les besoins des producteurs comme ceux des consommateurs. L'un de ceux-ci consiste à subventionner le prix d'une denrée. En d'autres termes, on peut majorer le prix payé au producteur pour un sac de mais sans élever le prix que le consommateur devra payer au marché ou dans la boutique. Cela peut être coûteux pour l'État, mais c'est un moyen d'aider les pauvres et d'améliorer la nutrition. Trop souvent par le passé, les politiques de prix et les subventions ont été orientées vers les denrées consommées surtout par les groupes à revenus supérieurs. Une limitation des prix du fromage ou du lait en poudre ou des aliments en boite pour nourrissons, ou encore une subvention sur la viande de bœuf ou la margarine, n'aurait guère d'intérêt pour le consommateur pauvre et pratiquement aucune incidence nutritionnelle. Il en serait ainsi même si ce consommateur manquait par exemple de protéines et pouvait avoir avantage à consommer plus de viande.

Parmi les politiques qui influencent la demande et peuvent servir à améliorer la nutrition des ménages pauvres figurent l'alimentation complémentaire, l'éducation nutritionnelle, les conseils au consommateur et l'espacement des naissances.

Utilisation biologique. Ce troisième domaine, rarement pris en considération par les économistes, tend à être celui auquel s'attachent le plus le personnel de santé et même les nutritionnistes. Ses divers aspects sont traités dans plusieurs chapitres de ce manuel. Les éléments d'une politique en la matière comprennent la lutte contre les maladies infectieuses parasitaires, lesquelles ont un lien important avec la malnutrition. Ils comprennent aussi la prise en compte des facteurs écologiques intéressant la santé et la nutrition; l'élargissement et l'amélioration des services de santé, spécialement les services simples accessibles aux catégories pauvres; l'hygiène alimentaire; la fourniture d'eau à usage domestique et l'assainissement du milieu; l'espacement des naissances; enfin l'éducation sanitaire et nutritionnelle.

Par le passé, nombreuses ont été les mesures adoptées par les pouvoirs publics qui ont en fait aggravé et accru la malnutrition. Il s'agit d'un phénomène involontaire, dû au fait qu'il n'a pas été pris garde aux incidences nutritionnelles de telle ou telle politique. On peut citer à cet égard: la réglementation des prix et des salaires, les politiques fiscales, l'importance excessive donnée aux cultures marchandes par rapport aux cultures vivrières, l'attribution d'une grande partie des crédits budgétaires afférents à la santé publique aux hôpitaux nationaux et régionaux plutôt qu'aux unités sanitaires rurales et aux services de prophylaxie. Même certains programmes de nutrition sont voués à l'échec parce qu'ils ne parviendront jamais à toucher les familles pauvres ou les groupes les plus vulnérables, ainsi, les programmes visant la fabrication et la vente d'aliments de sevrage riches en protéines, l'éducation nutritionnelle encourageant les mères à donner chaque jour à leurs enfants de la viande et des œufs, les déjeuners scolaires subventionnés dans les écoles secondaires payantes, l'enrichissement en acide aminé d'une céréale alors que cet acide aminé peut être limitant dans cette céréale mais non dans le régime des pauvres gens mal nourris, et enfin la subvention à la production laitière.

31. Organisation gouvernementale aux fins de la planification et des politiques nutritionnelles

Nous avons déjà souligné la nécessité de coordonner la planification et les politiques nutritionnelles. Les principales activités relatives à la nutrition relèveront de services publics et ministères car dans presque tous les pays africains le système comporte cette répartition des fonctions gouvernementales. En conséquence, à moins que ne soit créé un ministère de l'alimentation et de la nutrition, quelque mécanisme sera nécessaire pour assurer une planification et une coordination adéquates de la politique alimentaire et nutritionnelle nationale. Le but est de s'assurer que les éléments de la politique nutritionnelle relevant des divers ministères sont compatibles, coordonnés et si possible harmonisés. Cependant, l'exécution des programmes devrait rester à la charge des ministères, départements et organismes existants.

Aujourd'hui les ministères sont assujettis à des contrôles et sont en contact à la fois avec l'autorité politique générale et avec quelque organe central de planification responsable des plans globaux de développement ainsi que du budget des divers ministères.

Certains de ces derniers auront compétence pour des aspects particuliers de la mise en œuvre ou pour tel ou tel programme de nutrition. Les ministères de la santé, de l'agriculture et de l'éducation devraient particulièrement mis à contribution. Les ministères responsables du gouvernement local, du développement rural et des services sociaux ou du développement communautaire joueront aussi un rôle important. Diverses institutions ou commissions ont été créées dans les pays africains pour veiller à la coordination des activités nutritionnelles. En Zambie, une Commission nationale de l'alimentation et de la nutrition a été instituée peu après l'indépendance. En Tanzanie, le Centre de l'alimentation et de la nutrition a été constitué en tant qu'organe semi-étatique relevant du Ministère de la santé. Dans bien d'autres pays existent des comités interministériels chargés d'examiner les questions de nutrition qui intéressent plusieurs ministères.

En général, il n'existe aucune unité ou organisation ayant pour tâche d'identifier, d'évaluer et de recommander, de façon systématique et exhaustive, les mesures et stratégies que le gouvernement pourrait adopter pour atteindre l'objectif d'une alimentation adéquate pour la population.

De même, il est rare qu'une structure ou unité ait été prévue pour analyser les incidences nutritionnelles du plan de développement et d'autres programmes ministériels. Il faut manifestement un organe qui centralise.

Le Comité mixte FAO/OMS d'experts de la nutrition (FAO, 1976) déclare:

Les responsabilités, les compétences et l'autorité nécessaires doivent être confiées à un organisme qui soit en mesure d'agir sur les décisions des responsables du plan (ministère de la planification, organisme central de planification) pour ce qui est du budget et du programme des ministères intéressés.

Dans la pratique, cet organisme de planification (appelons-le unité de planification alimentaire et nutritionnelle) doit être en mesure d'exiger la participation de différents ministères à une table ronde où seront communiqués des renseignements sur les répercussions de leurs activités au niveau de la nutrition. Cet organisme doit pouvoir procéder à une analyse indépendante et il est en outre souhaitable qu'il soit capable d'aider les ministères - isolément ou en groupe - à définir, préparer et évaluer les programmes. L'une de ses tâches essentielles sera aussi d'offrir une assistance aux ministères pour la mise en place de leurs propres services de planification et la création d'instruments efficaces de décision, par exemple en ce qui concerne l'élaboration et l'évaluation de critères applicables aux programmes et aux projets. Cela implique également, en pratique, une indépendance financière de ce service vis-à-vis des ministères intéressés et une autorité suffisante pour qu'il soit pris au sérieux, tant par les ministères que par les organes supérieurs de décision.

L'unité de planification alimentaire et nutritionnelle doit s'efforcer de recueillir diverses opinions sur la nature du problème de la nutrition, en général et dans ses divers aspects et ses manifestations locales, ainsi que des avis sur le rôle que chaque ministère est appelé à jouer dans l'action générale de planification nutritionnelle et dans la coordination de l'exécution. C'est pourquoi il serait souhaitable d'organiser de temps à autre des groupes de travail ad hoc auxquels participeraient des membres des divers ministères et qui pourraient examiner des éléments particuliers de la politique alimentaire et nutritionnelle. Ces groupes de travail pourraient aussi, le cas échéant, accueillir des participants d'autres organismes - instituts de nutrition, universités, etc.

L'unité devrait posséder les compétences nécessaires sur le plan technique et analytique, mais elle pourrait également faire appel à l'assistance d'autres spécialistes dans des domaines tels que la nutrition, la santé publique, l'économie générale et agricole, la statistique, l'éducation et la vulgarisation, le management et le marketing.

L'unité ferait rapport à l'organisme responsable de la coordination générale à l'échelon interministériel et des décisions relatives au développement national. Elle préparerait les instructions prescrivant que l'on examine les répercussions des plans sectoriels sur la situation nutritionnelle générale du pays. Les politiques et les programmes élaborés sur la base de ces différents éléments constitueront la stratégie nationale en matière d'alimentation et de nutrition. Celle-ci pourrait, dans une certaine mesure, faire l'objet d'un document (plan d'alimentation et de nutrition) dont la préparation incomberait également à l'unité, mais ce n'est là qu'un élément accessoire d'une planification efficace.

L'auteur était membre du comité mentionné ci-dessus et il est persuadé qu'une telle unité (qu'on l'appelle commission, centre ou autrement) serait extrêmement utile dans la plupart des pays africains. En Zambie et en Tanzanie, il faudrait peut-être renforcer et remanier dans cet esprit le mandat de l'unité existante (Commission et Centre respectivement). Dans d'autres pays on pourrait être amené à créer une nouvelle unité, comme cela a déjà été prévu au Kenya, relevant peut-être du Ministère des finances et de la planification, ou du cabinet du Président.

La politique alimentaire et nutritionnelle représente une partie trop importante du développement national pour qu'on puisse l'ignorer ou la concevoir comme élément totalement distinct des activités de plusieurs ministères.

Tous ceux qui ont un rôle dans le domaine de la nutrition peuvent s'employer, d'une part, à coordonner leurs activités avec celles de leurs collègues d'autres ministères et, d'autre part, à faire pression sur le gouvernement pour qu'il instaure dans le pays une unité capable de veiller à la politique nutritionnelle, à sa planification et à sa coordination.

Mais, au-delà de la coopération à l'échelon national de tous les ministères et services publics, une collaboration est nécessaire au niveau du district et du village si l'on veut que les plans dressés en vue d'améliorer la nutrition soient vraiment efficaces. Il existe différents comités et organismes qui peuvent constituer de bons lieux de rencontre pour formuler les projets de coopération. Dans un pays, il s'agira, par exemple, du conseil de district, dans un autre du comité régional de développement, dans un troisième du comité local de lutte contre la faim. Un groupement de ce genre, ayant pour président un haut fonctionnaire ou une personnalité politique et des représentants pris dans les différents ministères, pourra mettre au point une politique coordonnée pour améliorer la nutrition et prendre ensuite les mesures qui conviennent. Le médecin entreprendra des enquêtes et présentera des rapports sur les problèmes médicaux. Le représentant des services de l'agriculture et ses collègues des services vétérinaires esquisseront alors la meilleure façon de résoudre le problème dans le contexte agricole existant. Les représentants de l'éducation nationale et du développement communautaire apporteront leur concours en apprenant aux habitants comment améliorer leur situation personnelle.

Au sein d'un village, un «comité miniature» de ce type pourrait aussi, dans le même esprit coopératif, dresser des plans. L'organisme responsable serait, par exemple, le service d'animation rurale du village ou un comité constitué spécialement dans le but d'améliorer la nutrition. Cet organisme pourrait se composer des leaders politiques locaux, des chefs de village, du maître d'école, du médecin ou de l'aide médicale rurale, des agents de terrain des services agricoles et vétérinaires, des auxiliaires de l'animation rurale, du président de la coopérative locale et d'autres personnes compétentes, par exemple un guérisseur ou une sage-femme.

Dans la pratique, voici comment pourrait s'accomplir un effort collectif de ce type:

Exemple. Le médecin chef de circonscription ayant mené une petite enquête clinique fera part de ses observations au conseil de district. Le problème majeur rencontré sera, par exemple, une carence en protéines résultant d'une alimentation constituée essentiellement de manioc. Le représentant des services agricoles peut juger que si une grande partie des terres ne conviennent pas pour la culture du mais, elles se prêtent en revanche à celle du mil, que l'on devrait accroître la production de légumineuses et qu'il serait possible d'aménager des étangs de pisciculture et de développer l'aviculture.

Le comité de village peut, de sa propre initiative ou sur instructions des autorités du district, décider des mesures à prendre. On peut aborder le problème en premier lieu dans les endroits où il existe déjà. L'assistant médical dresse la liste des familles dans lesquelles il a constaté des cas de malnutrition protéino-énergétique. Ii visite chaque foyer, ou le fait faire par son adjoint. Il obtient ainsi des indications sur le régime alimentaire et il est alors en mesure de donner des conseils efficaces, particulièrement en ce qui concerne l'alimentation des enfants. L'agronome inspectera la ferme ou shamba. Il pourra préciser le lieu où peuvent être étendues les cultures de mil, ou suggérer de faire alterner le maïs et les haricots dans le fond de la vallée, ou encore accepter d'échanger le médiocre coq local pour un coq de bonne race. Il pourra enfin choisir le site approprié pour l'étang de pisciculture et fournir les indications nécessaires. L'agent du développement communautaire viendra à son tour donner des conseils sur l'alimentation convenant aux jeunes enfants. Il montrera de quelle façon incorporer des haricots ou un œuf à la bouillie du bébé. Le responsable des coopératives s'emploiera, par exemple, à faire ouvrir une boutique coopérative de détail. Le leader politique pourra s'apercevoir que des terres fertiles ne sont pas cultivées en raison de lois successorales archaïques reposant sur des traditions anciennes, et faire en sorte que ces terres soient mieux exploitées.

Tout cela peut être réalisé dans un village par une équipe de personnes travaillant de concert. Il existe aussi des activités collectives qui peuvent être entreprises à l'échelon communal ou national pour améliorer la nutrition. Un comité de village averti peut essayer de veiller à ce que chaque ménage plante un certain nombre d'arbres fruitiers, cultive une certaine surface de légumineuses, exploite une basse-cour, etc. Il peut juger préférable de faire un verger communal à proximité du point d'eau du village et de construire sous celui-ci un grand étang de pisciculture collectif, ou encore décider qu'un déjeuner sera désormais servi à l'école du village. Les activités à entreprendre pour améliorer la nutrition varient selon les pays, les régions et les villages.


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