BURUNDI

Son Excellence Monsieur Pascal Firmin Ndimira, Premier Ministre de la République du Burundi


Au nom du Gouvernement du Burundi, en mon nom propre, nous voudrions saisir l'occasion qui nous est offerte de nous adresser à cette auguste assemblée pour d'abord réitérer au Directeur général de la FAO nos vives félicitations pour avoir organisé le présent Sommet mondial de l'alimentation. Ma délégation et moi-même saisissons cette occasion pour exprimer au Gouvernement italien toute notre gratitude pour l'accueil et la délicate attention dont nous avons fait l'objet depuis notre arrivée à Rome. Monsieur le Président, nous voudrions joindre aussi notre voix à celle de ceux qui nous ont précédés sur cette tribune pour réitérer nos vives félicitations pour votre élection à la Présidence de ce Sommet.

La participation du Burundi à ce Sommet intervient à un moment où mon pays, de près de 6 millions d'habitants, le plus densément peuplé d'Afrique après le Rwanda, connaît une situation alimentaire et nutritionnelle préoccupante. Jadis un des rares pays d'Afrique subsaharienne autosuffisant à plus de 95 pour cent sur le plan alimentaire, le Burundi aujourd'hui fait la «une» des pages humanitaires les plus sombres de la planète.

S'il est établi que les raisons de cette dégradation sont aujourd'hui d'ordre essentiellement politique, les entraves géographiques et économiques à la sécurité alimentaire ne devraient pas être éludées.

C'est pour cela qu'avec votre autorisation, notre discours sur le cas atypique du Burundi mérite une attention particulière. Il s'agit d'un moratoire en faveur d'un peuple agricole ardu au travail, mais dont les espoirs de survie dans un contexte d'extrême pression démographique sont compromis par trois années de guerre, trois mois de blocus illégal et un enclavement naturel que le Burundi n'a pas cherché.

Durant la décennie 1980-1990, le Burundi a connu un bilan alimentaire relativement confortable. Les besoins énergétiques et protéiniques étaient couverts à plus de 100 pour cent essentiellement à partir de la production locale. Les importations comptaient pour moins de 3 pour cent dans le bilan alimentaire.

Cette apparente autosuffisance alimentaire cachait mal malgré tout les problèmes divers de sécurité alimentaire. Ainsi, les disparités socioéconomiques faisaient qu'environ 20 pour cent des ménages avaient un bilan nutritionnel déficitaire, plus de 30 pour cent des enfants entre 0 et 5 ans étaient à risque de malnutrition et 6 pour cent présentaient une malnutrition aiguë patente. Les maladies liées à la carence nutritionnelle constituaient une des cinq principales causes d'hospitalisation et parfois de mortalité infantile. Ce tableau est devenu aujourd'hui nettement plus sombre. Depuis 1993, le déficit de la production alimentaire oscille chaque année entre 10 et 20 pour cent. Le taux de malnutrition aiguë a plus que doublé, particulièrement dans les groupes vulnérables. Une bonne partie des populations vulnérables se retrouvent dans les camps de déplacés ou réfugiés intérieurs, qui comptent aujourd'hui environ 500 000 personnes, ou dans les camps de réfugiés éparpillés dans les pays voisins et dont les effectifs avoisinent 300 000 personnes. La dégradation de la production alimentaire s'est accompagnée d'un appauvrissement de plus en plus important des populations dont le produit intérieur brut moyen atteint aujourd'hui 200 dollars par habitant et par an; soit une diminution de 15 pour cent environ en l'espace de trois ans.

La problématique alimentaire du Burundi, qui ressemble à maints égards à celle qui prévaut dans la région des grands lacs, soulève des inquiétudes, des interrogations profondes et mérite un diagnostic serein, non complaisant, afin d'éviter que les catastrophes humanitaires prévisibles dans cette région ne s'amplifient sous le regard de l'humanité entière.

S'il est établi que les paramètres géographiques, démographiques et économiques constituent les contraintes naturelles et structurelles souvent avancées, il apparaît aujourd'hui que les aspects politiques et institutionnels l'emportent en tant que facteurs explicatifs de la crise alimentaire au Burundi. Les tensions et les guerres politico-ethniques, qui prévalent dans la sous-région et qui se sont intensifiées avec le processus de démocratisation, apparaissent aujourd'hui comme des contraintes majeures à l'amélioration de la situation alimentaire des populations burundaises. C'est pour cette raison, qu'après trois années de chaos politique, de massacres interethniques entretenus par des spéculations politico-ethniques autour d'instruments institutionnels dépassés par les événements, un nouveau pouvoir de transition est apparu au Burundi le 25 juillet 1996. Cet avènement quelque peu extra-légal d'un régime de transition doit être compris comme un acte humanitaire, un acte de sauvetage du peuple burundais pour tenter de redresser la situation politique, économique et sociale particulièrement préoccupante sur le plan alimentaire et humanitaire. La préoccupation première du Gouvernement du Burundi est d'abord d'arrêter les massacres de populations et ensuite de ramener le pays sur la voie de la paix, notamment à travers les négociations avec les factions armées.

Une fois le cessez-le-feu acquis, et au mieux les accords de paix conclus, le Gouvernement s'attellera à la vaste tâche de reconstruction et de relance économique du pays.

En attendant, le Gouvernement organise la population pour continuer à subvenir à ses besoins alimentaires et vitaux. Nous voudrions profiter de l'occasion pour remercier toutes les organisations multilatérales particulièrement la FAO et le PAM, ainsi que les organisations bilatérales qui apportent leur aide humanitaire en vue d'alléger la souffrance du peuple burundais.

La production agricole aurait pu s'améliorer cette année n'eut été l'effet néfaste du blocus économique imposé au Burundi. Malgré l'insistante intervention, combien louable, de la FAO, cet embargo bloque jusqu'à ce jour, entre autres produits, plus de 4 000 tonnes d'engrais, destinées aux cultures vivrières des populations paysannes. Faisant référence à la Déclaration qui vient d'être adoptée par le Sommet, ainsi que la plaidoirie de sa Sainteté Jean-Paul II dans son discours liminaire, nous voudrions décrier encore une fois, à l'intention de la communauté internationale, et en particulier à celle des pays voisins du Burundi, les effets néfastes de l'embargo sur le plan alimentaire et humanitaire, spécialement dans une économie paysanne aussi fragile que celle du Burundi. Nous espérons qu'avec ce Sommet, les pays qui nous ont imposé l'embargo comprendrons que notre seul souhait est de sortir le peuple burundais de la détresse et de le ramener sur la voie de la paix. Cette paix-là, on le sait aussi, sera acquise au prix du dialogue, de la négociation et d'un consensus social basé sur une volonté endogène. Mais ce consensus serait éphémère s'il ne se tissait dans le cadre de la souveraineté du peuple burundais. Nous demandons aux pays voisins du Burundi, auteurs du blocus, et à toute la communauté internationale d'aider à créer les conditions optimales pour tisser ce processus de paix en levant l'embargo qui, non seulement est antiproductif vis-à-vis du programme de paix, mais aussi condamne une population qui est à 95 pour cent agricole et rurale.

Nous voudrions profiter de l'occasion de ce Sommet pour saluer l'initiative humanitaire qui vient d'être prise pour sauver plus d'un million d'êtres humains qui errent dans la sous-région des grands lacs. Cependant, pour lui donner toutes les chances de contribuer de manière durable au processus de paix, cette action humanitaire devrait viser la résolution des problèmes de fond liés à la crise de la sous-région au moins à trois niveaux: premièrement, c'est le retour sur base volontaire des réfugiés dans leurs pays d'origine ou l'éloignement de ces populations des frontières de ces pays; deuxièmement, c'est la séparation de la population innocente des auteurs de massacres et du génocide commis au Rwanda et au Burundi; troisièmement, c'est l'arrêt du trafic des armes dans la sous-région. Nous nous en voudrions de terminer cette brève allocution sans remercier de tout coeur tous les pays amis et organisations qui contribuent à la recherche de solutions pacifiques à la crise qui secoue notre pays depuis plus de trois ans. Le Burundi reste disposé à accueillir toute contribution positive allant dans le sens de la restauration de la paix aussi bien dans notre pays que dans la sous-région. Sans la paix, le retour à la sécurité alimentaire serait une illusion au Burundi, car nous croyons que c'est par cette voie que nous pouvons espérer retrouver un meilleur et digne niveau alimentaire de la population burundaise. C'est sur ces mots d'espoir que nous voudrions terminer en vous remerciant de nouveau de nous avoir invités à participer à cette conférence. Que vive la FAO, que vive la solidarité internationale.


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