FRANCE - FRANCIA

Son Excellence Monsieur Alain Juppé, Premier Ministre de la République française


Permettez-moi tout d'abord de vous dire, Monsieur le Président, combien je suis heureux d'être ici à Rome. Vous m'avez très chaleureusement accueilli et je me réjouis de vous voir présider personnellement nos travaux.

Je voudrais m'associer d'emblée aux propos que le Premier Ministre d'Irlande a tenus il y a quelques instants au nom de l'Union européenne, et, comme lui, souligner l'importance de l'enjeu qui nous réunit aujourd'hui. Avant de faire quelques remarques sur le problème alimentaire mondial, permettez-moi d'évoquer la situation d'urgence à laquelle la communauté internationale est aujourd'hui confrontée à l'est du Zaïre. Chacun d'entre nous, j'en suis sûr, ressent l'extrême détresse des centaines de milliers de réfugiés qui errent dans la région de Kivu. Les institutions des Nations Unies ont fait tout leur possible, dans des circonstances très difficiles, pour apporter à ces personnes en danger de mort une assistance humanitaire. Je voudrais en particulier rendre hommage à l'action du Haut Commissariat pour les réfugiés et au Programme alimentaire mondial. La France, pour sa part, a proposé vous le savez aux Nations Unies, dès le début de ce drame, l'envoi d'une force multinationale pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire à ces réfugiés. Nous nous félicitons de la décision de principe des Etats-Unis d'Amérique en faveur du déploiement de cette force multinationale et nous espérons qu'elle pourra être mise en oeuvre dans les meilleurs délais, sitôt adoptée par les Nations Unies. Je remarquerai d'ailleurs au passage qu'on critique souvent à tort les lenteurs ou la passivité de l'Organisation des Nations Unies, mais l'ONU, nous le savons, ne tient sa capacité d'initiative que de la volonté et de la diligence des Etats Membres; je me réjouis de voir que les choses bougent enfin.

J'en reviens à la situation des 800 millions d'hommes et de femmes qui, dans le monde entier, sont victimes de la faim ou de la sous-nutrition. Elle appelle une nouvelle mobilisation de la communauté internationale. Manger à sa faim est un droit élémentaire, peut-être le droit le plus élémentaire et le plus fondamental. Mais, pour une large part de l'humanité, c'est un combat de chaque jour que les aléas climatiques, les guerres, la désorganisation des marchés ou tout simplement l'absence de ressources rendent souvent désespéré. Même s'il est vrai qu'au cours des deux dernières décennies la sécurité alimentaire a plutôt eu tendance à s'améliorer, il n'en reste pas moins que la situation de centaines de millions d'hommes de femmes et, d'enfants, victimes de la faim ou de la malnutrition, nous impose d'agir.

Telle est la raison d'être de ce Sommet mondial. Je remercie M. Jacques Diouf d'avoir pris cette initiative qui témoigne de la hauteur de vues et de la détermination avec lesquelles il conduit son action à la tête de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. La France a été parmi les premiers à soutenir l'idée de consacrer une réunion des plus hauts responsables au problème de la sécurité alimentaire. Ce Sommet doit nous permettre de définir des objectifs clairs et des stratégies de mise en oeuvre à tous les niveaux - local, régional, international - en conjuguant les efforts des Etats et l'aide de la communauté internationale.

Il serait vain de penser que la sécurité alimentaire sera assurée parce que vers 2010, comme l'affirment de nombreux spécialistes, la production agricole sera potentiellement suffisante pour nourrir l'humanité. La situation devrait certes s'améliorer dans certaines régions, en Asie notamment, mais elle pourrait se détériorer en Afrique subsaharienne où la poursuite de la croissance démographique demande des gains de productivité considérables. L'accroissement de la production agricole ne se poursuivra pas forcément au même rythme, ne serait-ce qu'en raison de la nécessité de gérer avec précaution ces ressources rares que sont l'eau ou les sols. Les déficits alimentaires risquent donc de subsister et la libéralisation des échanges, qui est dans ce domaine comme dans d'autres, un réel facteur de progrès, ne pourra suffire à elle seule à les corriger.

La faim et la sous-nutrition étant avant tout un problème de pauvreté, la sécurité alimentaire passe par un développement durable, seul susceptible d'assurer à chacun les ressources nécessaires pour acquérir la nourriture dont il a besoin afin de vivre et de travailler.

Chaque Etat a bien sûr la responsabilité première de sa politique. Il lui revient de définir des stratégies de développement agricole adaptées, de conduire des politiques cohérentes, propres à favoriser le libre jeu du marché. Mais il lui faut aussi, parce que le marché ne peut tout régler, assurer à l'ensemble de la population agricole l'accès aux moyens de production, aux droits fonciers, comme à des réseaux de crédit adaptés. Il doit aussi veiller à améliorer les échanges entre les zones de production et les marchés urbains en développant les infrastructures et les services, en accentuant l'effort de recherche, de vulgarisation et d'éducation.

Trop longtemps, la sécurité alimentaire a été recherchée dans des politiques centralisées d'autosuffisance nationale qui ont montré leurs limites. Il semble aujourd'hui plus efficace de traiter les problèmes au niveau où ils se posent et de ne susciter l'intervention de l'Etat que lorsque celle-ci s'avère nécessaire.

L'expérience récente de nombreux Etats en développement, en Afrique notamment, montre également que le développement d'échanges régionaux est un facteur de sécurité alimentaire. Il faut tirer parti des complémentarités entre Etats voisins en facilitant les échanges à l'intérieur des sous-régions, en rapprochant par des liaisons routières les villes des campagnes voisines, fussent-elles séparées par une frontière. Les organisations régionales peuvent jouer un rôle important dans la constitution de marchés régionaux libéralisés, la coordination des politiques économiques et le développement des infrastructures.

Il convient aussi d'aider les pays en développement à tirer pleinement parti de la libéralisation des échanges consacrée par les accords de Marrakech. Pour faciliter cette évolution, la France souhaite que la décision prise par les ministres pour aider les pays à faible revenu soit pleinement appliquée. Ces mesures favoriseront le développement du secteur agroalimentaire dans les pays démunis. C'est la sécurité de ces Etats qui est en jeu, mais également la capacité à participer au commerce international des produits agricoles. Ce marché est un élément essentiel de la sécurité des approvisionnements et chaque Etat doit y jouer son rôle pour qu'à la demande des uns réponde l'offre de ceux qui disposent de capacités d'exportation stables et régulières.

Dans leurs efforts pour assurer la sécurité alimentaire de leurs populations, les Etats en développement doivent pouvoir compter sur l'aide de la communauté internationale. Le Programme d'action que nous avons adopté reflète bien l'engagement conjoint des pays en développement et des pays développés. Les progrès réalisés par de nombreux Etats en développement, en Afrique comme ailleurs, justifient que l'on poursuive cette aide avec la volonté de lui donner la plus grande efficacité possible.

Dans plusieurs domaines, cette volonté d'agir en partenariat doit conduire à une adaptation des programmes. C'est le cas notamment de la recherche, domaine dans lequel la France a apporté sa contribution. Il apparaît aujourd'hui que la recherche appliquée doit davantage porter sur les plantes que l'on appelle orphelines - précisément parce qu'elles étaient délaissées par les instituts de recherche d'Europe et d'Amérique du Nord - et tenir compte des conditions de production locales. Une adaptation est également nécessaire pour la vulgarisation, les transferts de technologies et la mise en place de réseaux de crédit agricole.

L'aide alimentaire, enfin, doit également être adaptée. Elle constitue un apport important - près de 10 pour cent des céréales importées par les pays les plus démunis - mais elle peut entrer en concurrence avec les productions locales si elle est mal conçue et mal gérée. Il faut donc développer les achats locaux, utiliser au mieux les fonds de contrepartie et garder à cette aide son caractère transitoire. Pour autant, ne négligeons pas l'importance qu'elle revêt pour éviter aux pays les moins avancés de subir les chocs parfois violents sur les marchés internationaux. Ainsi, au premier semestre de l'année 1996, lorsque les stocks mondiaux de céréales sont tombés aux niveaux les plus bas depuis la dernière guerre - très largement au-dessous du seuil jugé indispensable pour assurer la sécurité alimentaire du monde - les prix ont battu tous les records sur les marchés internationaux, les cours du blé dépassant largement les 200 dollars la tonne. Les pays importateurs à faibles ressources ont dû alors faire face à des dépenses qui, en augmentant de façon vertigineuse, ont sérieusement amputé leurs possibilités de développement. Cela démontre combien nous serions portés à réfléchir à l'opportunité de maintenir des politiques malthusiennes de mise en jachère, ou de limitation des capacités exportatrices de ceux qui ont la possibilité de produire.

Ce sommet conclut une série de grandes conférences organisées par les Nations Unies depuis 1992. Celles-ci ont renouvelé la réflexion sur le développement et fixé des lignes d'action. Permettez-moi d'y voir un signe de vitalité des Nations Unies qui, sous la conduite sage et éclairée de leur Secrétaire-général, M. Boutros Boutros-Ghali, se sont engagées dans un vaste effort d'adaptation pour mieux répondre aux problèmes de notre temps. La France qui s'est employée comme Président du G7 et au sein de l'Union européenne, à proposer des mesures pour améliorer l'efficacité de l'aide multilatérale au développement souhaite que le Plan d'action que nous avons élaboré soit véritablement le vecteur d'un travail en commun unissant pays en développement et pays développés, bailleurs de fonds bilatéraux et agences multilatérales, institutions des Nations Unies et Banque mondiale. L'importance des objectifs que nous avons retenus nous interdit la dispersion des efforts. La FAO devrait, à notre point de vue, jouer un rôle de premier plan dans cette action concertée. Elle a elle-même mis en place un programme spécial pour les pays à faible revenu et à déficit vivrier.

Avant de conclure ces quelques remarques, je voudrais redire que la France, depuis longtemps engagée dans l'aide au développement, prendra sa part dans cet effort collectif et continuera de plaider pour que la solidarité avec les pays les plus démunis reste une priorité de la communauté internationale. J'ai le plaisir de vous confirmer la participation de mon pays au Programme spécial de la FAO, programme auquel la France apportera une contribution financière substantielle.

L'enjeu de garantir à chacun le droit élémentaire d'échapper à la faim justifie pleinement que nous conjuguions tous nos efforts avec une réelle volonté d'aboutir.


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