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ANNEXE 7: Les avantages liés à l'accès d'exploitants étrangers aux fonds de pêche

par

J.M. Gates
Department of Resource Economics
University of Rhode Island
Etats-Unis d'Amérique

INTRODUCTION

Le prélèvement des droits dans les industries utilisant des ressources naturelles a de tout temps fait l'objet de rudes controverses. Les industries halieutiques sont relativement nouveau venues dans l'arène et les droits d'accès de pêcheurs étrangers le sont davantage encore. Il y a moins d'une décennie que le concept même est devenu une option politique plausible. En dépit de trois décennies d'argumentation très bien étayée et parfois éloquente, l'évolution des droits de pêche a été imperceptible, souvent dans un contexte glacial. En dépit de cette apparente inertie, l'attitude des économistes est demeurée optimiste sans que l'on puisse affirmer qu'il y ait eu unanimité. Le critère appliqué par Lord Darlington au cynisme étant diamétralement opposé aux principes d'économie1, ceci explique peut-être cela. L'économie est pour une large part l'étude de la création de la richesse ou de la valeur ainsi que dans des éléments généralement déterminants des prix. Rares sont les économistes qui auraient acquis la notoriété pour avoir étudié le prix d'un produit particulier. Toute politique fondée sur un droit d'accès a la pêche pose des problèmes intéressants aux fins des études économiques notamment car elle exige l'imputation d'un prix lorsqu'aucun prix n'existe. La fixation des droits peut également être considérée comme un élément d'un "jeu". Ce jeu peut avoir un résultat nul, les gains des uns étant égaux aux pertes des autres. Le résultat peut aussi être négatif, les joueurs en venant eux-mêmes à s'amputer pour se faire la nique. De façon plus productive, le jeu peut avoir un solde positif, les bénéfices dépassant les pertes, d'où un gain de valeur économique réelle ou de richesse. En développant mon thème, j'envisage de considérer les trois facettes suivantes du problème d'évaluation:

1 Cecil Graham: "Ou' est-ce qu'un cynique?"; Lord Darlington: "Un homme qui connaît le prix de tout et la valeur de rien"; (Oscar Wilde: L'Eventail de Lady Windemere, acte III)

(1) les objectifs des droits,
(2) le surplus du producteur et les droits potentiels,
(3) méthodes et problèmes de mesure.

LES OBJECTIFS DES DROITS

En fixant des droits il n'est pratiquement pas possible de distinguer les objectifs ou finalités et les moyens disponibles pour les réaliser. Comme on ne saurait utilement débattre simultanément des objectifs et des moyens, nous examinerons séparément les objectifs. Il est utile de présenter chacun d'eux, ce qui nous permettra d'établir une terminologie et un cadre de discussion. Parmi les objectif s à envisager nous citerons: (1) les avantages nationaux; (2) les revenus pour le Trésor national; (3) l'emploi, au plan régional; (4) la gestion halieutique; et (5) les objectifs des politiques étrangères. Ces objectifs ne s'excluent pas mutuellement et il ne faut pas être surpris de constater qu'un Etat en poursuit plusieurs à la fois. Comme dans tous les jeux, les objectifs peuvent être conflictuels. Il peut arriver que des flottilles étrangères exploitent un stock, que pêchent aussi les flottilles locales. Le stock qui est l'objectif commun peut être une espèce-cible ou une espèce de faux poisson. Les contingents alloués aux flottille étrangères peuvent, en accroissant le revenu du Trésor, diminuer l'excédent local pour le producteur et/ou le consommateur. L'objectif des bénéfices nationaux nets exigerait un dosage, auquel devraient être appliques les mêmes poids et mesures. Les pêcheurs locaux préféreraient peut-être que l'on donne à l'excédent pour le producteur local un poids accru. Un du pays ayant des besoins financiers pressants aux fins du développement souhaitera peut-être mettre davantage l'accent sur les revenus pour le Trésor national.

A. Les avantages nationaux nets

Les économistes donnent aux mot "avantage" un sens plus étroit et plus spécifique que l'usage quotidien. En donnant une définition suffisamment vague du terme, ont pourrait combiner au hasard les cinq objectifs que nous avons définis, le résultat pourra toujours être étiqueté "avantages nationaux nets". Nous nous trouvons en plein impérialisme linguistique; la sémantique estompe les contours de l'impérialisme linguistique et rend plus confus ce qu'elle devrait clarifier. Aux fins de notre exposé, les avantages nationaux nets doivent être considérés comme un simple instrument de mesure monétaire. En règle générale, on fait entrer dans cette catégorie les avantages pour les producteurs, les consommateurs et le Trésor public. Les avantages pour les producteurs et les consommateurs Sont mesurés, respectivement, par les "excédents pour les producteurs" et les "excédents pour les consommateurs". Nous aurons l'occasion d'approfondir ces notions1. Nous ne les évoquons ici que pour être a même d'énoncer un fait fondamental concernant l'objectif des avantages nationaux nets. Les politiques concernant l'accès aux exploitants étrangers et les droits connexes peuvent accroître les avantages pour un groupe aux dépens d'un autre c'est-à-dire que les décisions de politique générale affectent l'incidence ou la distribution des avantages, de même que leur volume agrégé. De la sorte, en donnant accès à des ressources ichtyologiques à des pécheurs étrangers, on peut augmenter des revenus du Trésor, d'où une diminution des bénéfices des producteurs locaux (pécheurs). La décision est largement tributaire du poids relatif que l'on donne aux composantes. Si l'on attache à chacune d'elles un poids égal, la redistribution aurait un résultat positif chaque fois que le gain pour le Trésor dépasse les pertes des producteurs locaux. En règle générale, les hypothèses des économistes tendent à affecter les composantes des avantages nationaux nets d'un poids égal2. Dans cette optique égalitaire, les options de nature à augmenter le total des avantages nationaux nets donnent un résultat positif en ce sens que le traditionnel gâteau représentant l'économie nationale a grandi. Les économistes attribuent souvent a ces politiques le qualitatif d'"efficientes".

1 Voir discussion ultérieure ou se borner à interpréter par: "avantages pour les producteurs" et "avantages du point de vue des excédents pour le consommateur"

2 Faire l'addition des composantes pour déterminer le bénéfice total net est une opération courante de bon sens intuitif. On perd facilement de vue le fait qu'elle met en jeu une structure de valeurs égalitaires, en d'autres termes que tous les bénéficiaires potentiels doivent être considères comme ayant également droit aux avantages

Les droits prélevés sur les flottilles étrangères en échange de l'accès aux pêcheries n'ont pas d'effets en soi sur l'excédent pour le producteur local ou sur l'excédent pour le consommateur local. Ils augmentent les revenus et les avantages nationaux, comparaison avec une situation dans laquelle les ressources sont allouées sans frais. Considérons, par contre, l'imposition d'une taxe aux pécheurs locaux, lorsque le problème de l'accès ouvert a été résolu par l'exigence de droits de pêche individuels. Si le problème de l'accès n'a pas été résolu, on peut y parvenir par taxation et la pêcherie constitue théoriquement un jeu dont le résultat est une somme positive.

B. Les revenus pour le Trésor national

Les droits imposés aux flottilles étrangères pour les prix de l'accès aux pêcheries constituent un système attrayant pour obtenir un revenu et ce, pour plusieurs motifs. Sur un plan général, l'agrégation des contingents attribués à chaque pays risque de produire un problème de surcapitalisation, lié au fait que trop de navires pourchassent des ressources ichtyologiques insuffisantes. Les droits, s'ils étaient fixes à un niveau suffisamment élevé, décourageraient une telle surcapitalisation. Ce faisant, ces droits convertiraient un jeu halieutique a résultat nul ou négatif en un jeu a somme positive. Les gains ayant des effets sur la nation hôte, il y aurait en outre un gain national net pour le pays hôte.

Si le revenu pour le Trésor est important, il appartient aux responsables politiques de déterminer la sensibilité de la demande étrangère de ressources au niveau des droits ou d'établir un dispositif incitant à la création d'un marché compétitif. Les participants auraient alors tout motif de révéler quel prix ils sont disposés à payer pour une part des ressources.

C. L'emploi au plan régional

Assez souvent le niveau de vie des communautés de pécheurs est bas et leurs perspectives d'emploi peu favorables. Leur isolement géographique et la présence d'une main-d'oeuvre dont les compétences ne sont guère requises dans d'autres secteurs de l'économie nationale peuvent limiter les migrations interrégionales de cette main-d'oeuvre, seule solution à ces disparités économiques régionales. Leur mobilité est d'autant plus limitée que leur entrée sur des marches du travail alternatifs se heurte à des obstacles parmi lesquels on peut citer: des facteurs géographiques, l'exigence d'un salaire minimum, des restrictions de type associatif, des animosités ethniques ou régionales, etc. Pour des raisons très variées, les Etats préfèrent parfois se tourner vers des industries locales fondées sur la présence de ressources naturelles (y compris les industries de la pêche) pour alléger les problèmes régionaux d'emploi. Lorsque leur intervention prend la forme de programmes de subvention aux navires, de nouveaux pêcheurs peuvent recevoir une aide, aux dépens des pêcheurs en place et du contribuable. Ces subventions constituent des paiements de transfert à somme négative, dans le cadre d'un objectif d'efficience économique ou d'avantages nationaux. Les droits versés par les étrangers au sens large, peuvent faire partie intégrante de politiques alternatives d'emploi régionales.

Au cas où les flottilles étrangères sont des flottilles hauturières dotées d'une capacité de traitement à bord et motivées par le profit, leurs réactions au paiement d'un droit d'accès sont intéressantes. Le poisson qu'elles désirent peut être capturé par leurs propres navires ou par ceux de l'Etat hôte, faire l'objet de ventes directes (bord à bord) et/ou d'entreprises conjointes. Si les pêcheurs locaux paient des droits moindres (ou nuls) les navires de pêche locaux bénéficient d'un avantage concurrentiel, toutes autres choses étant égales d'ailleurs, par rapport aux navires de pêche étrangers. Bien évidemment, les autres choses sont rarement égales. Les navires locaux peuvent être désavantagés. Néanmoins, si les différences entre le taux des droits applicables aux pêcheurs locaux et étrangers augmentent, on peut en arriver à une situation dans laquelle tous les autres désavantages concurrentiels qui peuvent grever les navires locaux, sont compenses. A ce taux et au-delà, les navires transformateurs étrangers sont incites à se procurer leur poisson auprès de navires de pêche locaux, ce qui stimule l'emploi local ou régional. Alternativement, les droits peuvent atteindre un niveau auquel l'excédent pour le producteur, applicable aux navires étrangers est ramené à zéro, de sorte que leur demande d'accès tombe à zéro. En vertu d'un raisonnement par analogie, on peut affirmer qu'un système de droits, pénalisant les navires de traitement pourrait, à long terme, stimuler les investissements étrangers dans des infrastructures locales de transformation. Ce développement de ta capacité de traitement locale pourrait contribuer à l'emploi régional par le biais de la création d'emploi à terre dans l'industrie de la transformation et aussi grâce à l'accroissement du nombre de navires locaux affectés à la capture. On notera que l'emploi régional peut être stimulé sans qu'il soit nécessaire de détourner des revenus du Trésor pour subventionner l'industrie de la pêche locale. Un tel "détournement" constituerait une incitation d'appoint mais, comme on l'a noté précédemment, il s'agirait d'un paiement de transfert à somme négative. Dans une optique de recherche d'avantages nationaux nets, on comparerait les avantages totaux et les recettes du Trésor imputables aux droits et aux excédents pour les producteurs locaux, ce qui permettrait de déterminer la politique donnant les plus grands avantages totaux. Si les revenus potentiels pour le Trésor dépassaient les avantages potentiels liés au développement des pêcheries locales, en visant l'objectif des avantages nationaux nets, on choisirait de renoncer a l'accroissement du nombre d'emplois régionaux associe au développement des pêches. Par contre, si ce dernier apparaît comme l'objectif prioritaire, en dépit des conflits que cela comporte avec la recherche des avantages nationaux nets, il faudrait conclure que certains avantages sont plus égaux que d'autres. En décrivant le dosage de la sorte, le coût des créations d'emplois régionales peut être évalué rationnellement en termes de manque à gagner pour le Trésor. Si l'on suppose que chaque emploi créé fasse perdre au Trésor US$ 1 000 de revenus annuels, on peut être amené à favoriser l'objectif "emploi". Par contre, s'il en coûte, mettons, US$ 50 000 par an et par emploi crée, les responsables politiques peuvent considérer que la facture est trop lourde compte tenu des autres demandes formulées à l'encontre des revenus du Trésor.

D. Gestion halieutique

Différents lettrés et parfois des représentants de l'industrie ont suggéré un système de taxes sélectives, pour canaliser l'effort de pêche en le détournant des espèces surexploitées pour l'appliquer à des espèces moins utilisées. La justification est la même, que l'exploitation soit le fait des flottilles locales ou étrangères. Souvent, les flottilles étrangères capturent plusieurs espèces de poisson en dehors de l'espèce-cible. Les proportions de captures accessoires ou de faux-poisson sont en général liées dans une certaine mesure à la sélectivité de l'engin et à la stratégie de pêche. En outre, pour un navire déterminé, elles sont très variables. Le pays hôte peut limiter les captures accessoires d'espèces qu'il souhaite se réserver. Ces restrictions peuvent être à double tranchant et c'est le cas des systèmes établissant des contingents par navire. On pourrait aussi envisager de prélever un droit pour les captures accessoires. Le problème avec ses mécanismes dangereux tels que le contingentement des captures accessoires, réside dans le fait qu'un navire détermine peut prendre trop de faux poisson, par suite de variations aléatoires du taux de captures. Si le taux de survie du poisson rejeté à la mer est faible, il est peu rationnel, tant sur le plan économique que biologique, d'exiger que cet excédent soit rejeté a la mer. Ce qu'il faut, au contraire, c'est un mécanisme plus délicat, qui élimine toute incitation économique a capturer l'espèce de faux-poisson, sans toutefois décourager les captures devenues excessives par suite d'événements fortuits. Exiger un droit pourrait dans certains cas du moins, constituer une solution. En fait, le contingentement des captures accessoires a des fins de gestion est une forme un peu curieuse de ce qui est proposé. Tout contrevenant aux règles de contingentement devrait verser un droit appelé "amende" ou "sanction". Les principales différences sont de deux ordres: (1) sémantique et (2) économique, vu le niveau des droits qui visent a constituer une sanction ou tout simplement à constituer l' incitation souhaitable. Dans un système plus souple, on imposerait un droit modeste pour les captures accessoires situées dans une fourchette de 0,5 écarts-types par rapport à la moyenne. Pour les captures qui s'en écarteraient davantage, les droits pourraient augmenter progressivement jusqu'à un niveau où le patron de pêche aurait intérêt à rejeter le poisson plutôt qu'à payer un droit.

E. Politique étrangère

II n'est pas facile de négocier lorsqu'on n'a pas de contrepartie à offrir, aussi toute ressource y compris les contingents attribués aux pêcheurs, risque d'être considérée par les fonctionnaires des Affaires étrangères comme faisant partie des actions qu'ils détiennent dans le capital de négociation. Le pouvoir d'achat de ce capital de négociation est d'autant plus élevé que les droits sont faibles. Il s'ensuit que l'on n'utilisera pas nécessairement l'"argument" du paiement d'un droit. Par contre l'attribution (ou le refus d'attribution) d'un contingent de poisson aux flottilles étrangères peut faire partie d'un lot plus considérable de problèmes à négocier. Ces couplages dont la politique étrangère & l'habitude, constituent des casse-têtes pour les penseurs, qui cherchent à réparer les pots cassés mais risquent d'être inévitables. Même dans le cas où l'attribution d'un contingent ne constituerait qu'un élément dans le contexte général des problèmes de politique étrangère, il faut souhaiter que les négociateurs auront une juste notion de la valeur de contingents et qu'ils seront à même de prendre des décisions informées.

III. EXCEDENT POUR LE PRODUCTEUR ET DROITS POTENTIELS

Les droits susceptibles d'être prélevés pour l'accès à une pêcherie découlent du concept d'"excédent pour le producteur" ou de "dividende économique". Si ces expressions sont équivalentes, je préfère la première compte tenu de son analogie avec la notion d'avantages pour les consommateurs. Dans l'un et l'autre cas, nous admettons que les utilisateurs des ressources ou les acheteurs des produits attribuent à l'utilisation ou à l'acquisition, une valeur au moins égale à celle qu'ils auraient a payer pour exploiter la ressource ou acheter la denrée. En vertu de l'axiome qui s'applique aux échanges volontaires, les personnes ne dépensent pas davantage (en fait, elles dépensent généralement moins) pour obtenir un privilège d'accès ou pour acheter des biens ou des services que le prix qu'elles mettent à ces privilèges ou à ces denrées.

Selon une définition générale des excédents pour le producteur, c'est la différence entre revenu total et coût de substitution pour tous les intrants utilisés pour produire ce revenu. Pour la pêche, c'est un peu plus complique. Je me propose d'examiner dans l'ordre une série d'exemples, en commençant par le cas le plus simple (et le moins réaliste). Pour rendre la discussion plus concrète, on a préparé le tableau 1, qui illustre des coûts et des recettes typiques, pour un navire de pêche hypothétique. Les éléments spécifiques du coût et leur importance varieraient selon les applications; le tableau précité suffira cependant à illustrer les principes que nous recherchons.

A. 1: le cas le plus simple

Dans ce premier cas, le plus simple, on attribue aux facteurs de production onéreux leur coût d'opportunité1. Les coûts enregistrés sont alors égaux au coût d'opportunité. Exemple: le paiement en espèces, de US$ 22 000, versé au patron de pêche/propriétaire en compensation du coût d'opportunité pour son investissement en capital. Dans cette hypothèse, l'excédent pour le producteur est égal aux profits, qui s'élèvent à moins de US$ 9 000. Cette mesure du profit ne répond pas à des méthodes comptables normales, mais à un concept économique de profit, le bénéfice résiduel du risque encouru, tous coûts de production déduits.

1 La notion de coût d'opportunité est examinée ci-après, lorsque nous cherchons à ajuster les chiffres figurant au tableau 1

Avant d'en arriver à des cas plus complexes, on notera que cette marge de profit négative est trompeuse, comme nous allons le voir par la suite. Ce résultat illustre aussi un problème auquel nous reviendrons, à savoir que l'excédent pour le producteur est fonction d'une part des captures par unité d'effort et, partant, de la quantité totale d'effort autorisée. Si l'on envisage d'accorder l'accès à un navire supplémentaire, il faudrait à tout le moins mesurer le surcroît de revenu constitué par le paiement des droits, par le nouvel arrive par rapport au fait que son entrée réduira (d'une quantité très minime), pour tous les navires déjà présents l'excédent pour le producteur. Lorsqu'on établit le total pour l'ensemble de la flottille, on constate parfois une réduction du revenu potentiel imputable aux droits. Voyons dans un exemple concret, comment cela se produit.

B. Les incidences de l'effort de pêche sur les droits potentiels, dans le cas le plus simple

Pour illustrer la sensibilité des droits à l'effort de pêche, nous étudierons l'hypothèse d'un modèle de population virtuel dans lequel l'effort de pêche total et partant, la mortalité par pêche tombent de 1,1 à 1,0. Les captures diminueraient de 5,2 pour cent, les captures par unité d'effort augmentant de 3,4 pour cent. Avec une flexibilité agrégée du prix total de demande arbitrairement fixée à 0,5, le revenu brut par navire et par an augmenterait de 6,1 pour cent. Pour le navire de notre exemple le stock brut passerait d'un niveau actuel de US$ 329 000 (tableau 1) à un nouveau niveau de US$ 349 000 par an. La part de prise brute de l'équipage augmenterait, plus ou moins selon le système d'estarie pratiqué.

Dans le cas d'un système typique d'estarie "dissociée", les frais imputables à chaque sortie sont déduits du montant brut des stocks. Le résidu est alors réparti entre l'équipage et le navire. On impute en général, au titre des frais de sortie, le coût du carburant, des approvisionnements et de la glace. L'imputation des frais de sortie varie toutefois avec le navire. Certains navires appliquent un système d'estarie "nette", les frais de sortie n'étant pas déduits avant le calcul des parts de prise. Aux fins de notre exemple, nous nous placerons dans l'hypothèse d'un système d'estarie dissociée, égal à 41.

Dans notre hypothèse, des frais de sortie s'élevant à US$ 70 000 sont déduits de la nouvelle valeur brute du stock, soit US$ 349 000 et US$ 279 000 peuvent être répartis. La part de prise brute de l'équipage augmenterait de 7,8 pour cent, passant de US$ 153 000 à US$ 165 000. Au net, elle passerait de US$ 132 000 à US$ 144 000 et la part de prise individuelle serait portée à US$ 29 000, soit une augmentation de 12 pour cent. Dans une hypothèse de prime constante, on obtient une nouvelle part égale à US$ 30 000 par homme et par an.

La part brute pour le navire augmenterait aussi de 7,5 pour cent, passant à US$ 114 000. Au net, elle progresserait de 62 pour cent et s'élèverait à US$ 21 000.

La part du capitaine, en tant que membre de l'équipage, serait de US$ 29 000. Si l'on ne suppose aucune modification des prises, la part totale du capitaine augmenterait de 5,3 pour cent, passant à US$ 40 000.

Quant aux indicateurs de performance financière, ils se présentent comme si le revenu du capital atteint un nouveau niveau de US$ 21 000, soit 62 pour cent d'amélioration. Le revenu moyen de l'investissement est désormais de 6 pour cent contre 4 pour cent précédemment. Le revenu total factoriel des propriétaires est majoré de 20 pour cent, son niveau atteignant US$ 61 000. Les bénéfices des propriétaires, au titre de la main-d'oeuvre et de la gestion, soit US$ 39 000, progressent de 34 pour cent. Quant aux profits, de moins US$ 9 000, ils sont maintenant de plus US$ 1 000. On conclura qu'une réduction apparemment "faible" - environ 10 pour cent de l'effort de pêche total -a permis une progression substantielle des profits. Nous n'en sommes qu'au début car le potentiel de droits ne semble encore guère élevé. Pour faire mieux, il nous faut d'abord faire une digression sur le concept de "coût d'opportunité".

C. Les coûts d'opportunité et leurs incidences sur les droits potentiels

Chaque fois qu'un individu détermine de faire quelque chose, il choisit de ne pas exploiter une ou plusieurs autres possibilités qui s'excluent mutuellement. Le gain économique associé à la (meilleure) possibilité non exploitée est un "coût d'opportunité", entre pour une part dans le coût réel de l'option retenue. Ce concept apparaît en économie sous des formes variées. Dans le cas où un homme d'équipage peut gagner US$ 20 000 dans un emploi à terre, ces US$ 20 000 constituent son coût d'opportunité de pêche. Lorsque la part de prise nette par homme d'équipage n'est pas au moins égale à US$ 20 000, cet homme d'équipage perd de l'argent en échange d'un élément de plaisir de consommer la satisfaction ou la préférence qu'il associe à la pêche. Si la part de prise nette dépasse le coût d'opportunité, l'excédent est une combinaison d'un dividende factoriel et d'une prime associée au fait qu'il accepte les aléas d'une plus grande variabilité du revenu de la pêche. Ce qu'il faut retenir, c'est que tout paiement dépassant ce qui est requis pour obtenir un facteur de production (dans ce cas, le travail) représente une forme de paiement "excédentaire". C'est ce que nous appelons un dividende factoriel. Dans ce cas simple, dans lequel nous avions supposé que tous les intrants sont payés à leur coût d'opportunité, les dividendes des facteurs étaient, selon l'hypothèse même, égaux à zéro, l'excédent du producteur étant constitué par les seuls profits. Il nous faut maintenant assouplir cette hypothèse.

Supposons que le coût d'opportunité annuel d'un membre d'équipage et d'un capitaine soit égal à US$ 20 000 et US$ 30 000 respectivement. Chaque homme d'équipage, dans notre cas simplifié à l'extrême, reçoit alors un dividende factoriel annuel égal à US$ 27 000 - US$ 20 000, soit US$ 7 000. Le capitaine encaisse un dividende factoriel annuel de US$ 38 000 - US$ 30 000 soit US$ 8 000. Dans ce cas, au lieu d'un bénéfice résiduel par rapport au coût d'opportunité du capital, notre excédent pour le producteur consiste dans la somme des dividendes factoriels gagnes par le capital (en d'autres termes, le profit), la main-d'oeuvre (l'équipage) et la gestion (le capitaine). Le tableau 2 illustre l'application de ces concepts à l'exemple de notre navire à niveau constant d'effort et pour un effort réduit de 10 pour cent.

On notera combien il est capital de ne pas confondre les "bénéfices" comptables du navire et le concept économique de l'excédent pour le producteur ou de dividende factoriel total. Si l'on imposait à notre navire hypothétique un droit égal à US$ 27 000, le propriétaire ne pourrait payer ces droits dans le cadre du système de rémunération en vigueur qu'il faudrait alors renégocier. Il s'ensuit que l'augmentation des droits devrait sans doute être progressive, pour permettre cette renégociation interne des modalités que nous venons d'évoquer.

On notera aussi la sensibilité de l'excédent pour le producteur à la quantité totale de l'effort de pêche. C'est là un point capital. En effet, si l'on se fonde sur des faits historiques, faute d'en tenir compte, le potentiel des droits pourra être ramené à des niveaux négligeables, c'est-à-dire si proches de zéro que le potentiel de revenu ne justifie pas les coûts d'information et d'exécution requis pour obtenir cette précision des données1.

1 A mesure que le potentiel des droits se rapproche de zéro, la connaissance de leur importance devient économiquement hors de portée

Il est par ailleurs intéressant de noter qu'en introduisant les notions de coût d'opportunité et de dividende total de facteurs, la nécessité de disposer de détails très précis sur les systèmes d'estarie est devenue moins impérieuse. Il suffit de connaître le coût d'opportunité des hommes d'équipage et du capitaine. Les systèmes d'estarie comportant un grand nombre de facteurs interagissants, il est intéressant de pouvoir simplifier, en se contentant des statistiques de main-d'oeuvre, plus accessibles et des procédures budgétaires le plus accessibles.

D. La planification à différents niveaux

En économie, il est souvent utile et pratique de recourir au concept d'un "décideur central". Ce faisant, on ne perdra pas de vue le fait qu'une telle entité n'existe pas et qu'il s'agit d'une abstraction analytique délibérée. On l'a vu lors de la discussion des droits potentiels opposés aux systèmes de rémunération. Une nation hôte ne "contrôle" manifestement pas les systèmes de rémunération en vigueur à bord des navires étrangers souverains. Notons que ce cas est simplifie a l'extrême et l'on peut s'attendre implicitement à ce que les participants réagissent de telle sorte que les termes du système de rémunération seront renégocies, ce qui risque d'ailleurs de demander quelque temps.

Les flottilles hauturières mobiles illustrent cela beaucoup mieux. Ces flottilles seront vraisemblablement amenées à comparer l'excédent résiduel pour le producteur (au net des droits) disponible dans d'autres zones de pêche. Cette valeur résiduelle doit rester positive si l'on veut favoriser une nouvelle négociation interne des systèmes d'estarie. Toute nation hôte s'efforçant d'extraire l'excédent total pour le producteur s'apercevra que les flottilles réagissent de façon rationnelle et s'en vont ailleurs. Cette complication a des chances de simplifier le problème de l'information. En effet, les détails relatifs à l'économie des navires peuvent se trouver sans objet chaque fois qu'il suffit à l'Etat hôte, pour estimer approximativement des droits rationnels, de comparer les stocks bruts disponibles dans d'autres pays hôtes (Meuriot et Gates, 1982). On notera que le coût d'opportunité a refait son apparition sous une autre forme. Dans ce cas, le coût pertinent (d'opportunité) de l'exploitation d'une pêcherie est constitué par le manque à gagner potentiel dans une autre.

On peut aussi, par le biais des droits, influer sur la stratégie de pêche et modifier la composition par espèces. A cette fin, des droits peuvent être prélevés en fonction du poids et s'accompagner d'un programme d'inspection à bord. A défaut, on les fixera sur une base navire/jour ou navire/ mois, avec ou sans restriction quant au faux-poisson. En l'absence de limitation à cet égard, les droits potentiels sont plus élevés et les coûts d'application le sont moins, car il suffit d'un programme de surveillance des statistiques pour déterminer la composition des captures.

Une utilisation judicieuse des droits peut favoriser le développement des installations de traitement a terre. Les droits imposés sur les captures ou les navires de pêche étrangers incitent a remplacer ces derniers par des navires de pêche locaux (exempts de droits). En imposant des droits aux navires transformateurs, on favoriserait le traitement dans des usines de transformation locales à terre à l'encontre du traitement en mer.

IV. EVALUATION DES DROITS POTENTIELS

On distingue généralement trois catégories de méthodes d'évaluation des droits potentiels. La première, à savoir la mise en vente à la criée, constitue aussi une méthode permettant l'encaissement des droits. Lorsque le nombre d'acheteurs potentiels est élevé et en dehors de toute collusion entre eux, la criée constitue le système idéal, le résultat souhaitable pouvant être obtenu à bon compte. Certaines difficultés peuvent toutefois surgir. Lorsque le nombre de soumissionnaires est faible ou que la structure commerciale facilite la collusion, le prix offert risque d'être sensiblement inférieur à la valeur potentielle. Il peut être préférable de procéder à une évaluation administrative des contingents attribués aux pêcheurs étrangers, pour vérifier de manière indépendante le fonctionnement du marche. Lorsque des objectifs multiples entrent en jeu (diplomatie, développement régional, gestion halieutique), organiser une criée dans un contexte de politique des prix conformes à ces objectifs peut être malaisé.

A défaut de vente aux enchères, on peut adopter des procédures d'évaluation administrative. Ces procédures peuvent être statistiques et "synthétiques". Lorsque les circonstances s'y prêtent, les méthodes statistiques (notamment les méthodes de régression à variables multiples) permettent de déterminer si le partenaire est enclin à payer, compte tenu d'observations antérieures sur les droits et les taux de participation. Ces méthodes ont révélé leur utilité dans de nombreuses applications économiques, depuis l'estimation des fonctions de coût jusqu'à la détermination de la mesure dans laquelle les pêcheurs sportifs sont enclins. Avant d'utiliser une méthode statistique, il importe de s'assurer de la disponibilité de certaines données: données transversales et/ou dans le temps. L'utilité de ces méthodes augmentera sans doute alors à mesure que le temps passe, des données de plus en plus complètes étant accumulées sur les transactions à titre onéreux avec des exploitants étrangers. De nombreux facteurs peuvent entrer en compte lors de la négociation des modalités d'accès, et la lecture a posteriori des observations, à des fins économétriques présente bien des difficultés.

Crutchfield, dans une étude récente (1983), donne l'exemple d'une variante de cette approche. L'auteur mesurait les avantages pour les consommateurs (variations de l'excédent pour les consommateurs) et, ce faisant, il affinait certaines des observations complexes que nous venons d'évoquer. En premier lieu, le Gouvernement du pays bénéficiaire, motivé par le bien-être des consommateurs, prendrait, si nécessaire, pour cela, certaines mesures y compris le subventionnement des flottilles. L'ubiquité des barrières commerciales donne toutefois a penser que l'intérêt des consommateurs pèse d'un poids moindre que celui de l'industrie. Le fait que des gouvernements soient enclins à subventionner des flottilles ne comporte pas nécessairement de rapport avec les avantages nationaux nets, qu'ils soient constitués ou non d'excédents pour les consommateurs ou les producteurs. Les gouvernements étant parfois disposés à s'engager dans des jeux a résultat négatif, les droits potentiels pourraient aller jusqu'à dépasser les mesures rationnelles que nous avons décrites, à savoir les avantages nationaux nets.

Parmi les méthodes "synthétiques", on peut citer l'approche de la budgétisation ou de l'ingénierie économique". On en trouvera une illustration dans notre tableau 1. La programmation mathématique est une application plus formelle de ces méthodes (cf. Meuriot et Gates, 1982).. Un modèle parlant des réactions des flottilles de pêche aux droits, aux contingents de faux-poisson, etc., peut alors être dressé.

Des méthodes "synthétiques" ont pour principaux avantages leur Caractère prospectif. Elles permettent ainsi à l'analyste de tirer parti de toutes les informations dont il dispose. La possibilité d'utiliser des informations plus ou moins certaines est à double tranchant. De la sorte, les résultats sont conformes à la connaissance subjective chaque fois que l'on utilise des informations subjectives. La mesure dans laquelle ces résultats traduisent les objectifs dépend toutefois de la validité des informations disponibles.

En outre, pour que ces méthodes trouvent leur application, il faut que les flottilles de pêche soient motivées par la mesure du gain économique décrit précédemment, à savoir le surplus pour le producteur. S'il n'en est sans doute jamais exactement ainsi, cette approche synthétique n'en constitue pas Moins une première approximation très utile, à laquelle on recourt largement en économie.

Nous avons examiné les ventes à la criée et les méthodes administratives d'évaluation des droits de pêche imposés aux étrangers et nous n'avons pas laissé entendre que l'une de ces méthodes soit en tout état de cause supérieure à l'autre, nous bornant à indiquer les avantages et les inconvénients de chacune. En dernière analyse, les droits seront inévitablement sujets à des jugements et analyses informés, concernant la réaction des flottilles. On ne saurait établir avec précision dans quelle mesure l'exploitant est disposé à payer, et il faudra toujours opérer des dosages entre les avantages et le coût d'une précision accrue.

REFERENCES

Crutchfield, S.R., 1983 Estimation of foreign willingness to pay for United States fishery resources: Japanese demand for Alaska Pollock. Land Econ., 59(1): 16-23

Meuriot, E. and J.M. Gates, 1982 An economy evaluation of foreign fishing allocations. University of Rhode Island, Kingston. Mar. Tech. Rep. Univ. R. I., (.84): 40 p.

Stokes, R.L., The new approach to foreign fishing allocations: an economy appraisal. Land Econ., 1981 57(4):568-82

Tableau 1

Coûts, revenus et résultats financiers d'un navire hypothétique


Valeur moyenne (milliers de dollars/an)

1. Revenu brut (stock)

329

2. Frais d'exploitation:


Carburant

53


Approvisionnements

9


Glace

8


Répartitions et entretien

17


Assurances

14


Taxes sur les salaires

6


Prévention et pensions

7


Frais de main-d'oeuvre pour le déchargement du poisson

4


Droits de quai

0,5


Engins et fourniture

18


Permis

0,7


Camions

1


Bureaux

0,3


Secrétariat et frais de justice

1


Frais de voyage

1


Total partiel

141

3. Parts de prise:


a. Equipage:



Part de prise brute de l'équipage

153



Part de prise nette de l'équipage1

132



Net par membre d'équipage

26



Prime d'équipage

1



Total par membre

27

  b. Parts du navire:



Part brute du navire

106



Frais de fonctionnement du navire

77



Quasi loyer du navire2

29



Amortissement

16



Part nette du navire

13

  c. Capitaine:



Part de prise du capitaine en tant que membre de l'équipage

26



Prime du capitaine

11



Total

38

4. Stock capitalisé 364
5. Indicateurs de résultats financiers:

Coût d'opportunité du capital

22 6%


Revenu du capital3

13


Revenu du propriétaire, pour travail et gestion5

29


Coût d'opportunité pour le propriétaire

38


Revenu factoriel total du propriétaire4

51


Profit6 total

-9


Pourcentage

2%

     

Notes:

1 Part de prise nette de l'équipage égale: part de prise brute de l'équipage moins quote-part des frais de sortie (carburant, approvisionnements, glace)

2 Quasi-loyer du navire égale quantité imputée pour intérêts et amortissement

3 Revenu du capital égale part nette du navire

4 Le revenu factoriel total du propriétaire mesure le revenu factoriel net du capital, du travail, et de la gestion au titre de l'exploitation d'un navire. C'est la somme de la part de prise du navire et de la part de prise du capitaine. Sa signification est évidente pour les navires exploités par leur propriétaire. Pour les navires auto-finances, dont les propriétaires sont au loin, cette mesure comprend des paiements effectués à différents individus. Pour les propriétaires finances en tout ou en partie autrement que par des actions, une part de cet élément est versée aux sources de financement à titre d'intérêts

5 Revenu factoriel total du propriétaire moins coût d'opportunité du capital

6 Profit: revenu du propriétaire, pour travail et gestion moins coût d'opportunité pour le propriétaire

Tableau 2


Dividende avec réduction

annuel constant

de 10 % de l'effort

(en milliers de dollars/navire/an)

Capital

-9

1

Travail

28

36

Gestion

8

10

Dividende total = excédent pour le producteur

27

47


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