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ANNEXE 17: Facteurs économiques influant sur le développement et la coopération halieutiques


par

James S. Campbell
Consultant, Pêcheries
Nouvelle-Zélande

INTRODUCTION

De nombreux facteurs politiques, sociaux et économiques, entrent en ligne de compte pour le développement des pêches dans le bassin du Pacifique. Politiquement, les Etats du Pacifique souhaitent maintenir leur liberté et préserver leurs droits démocratiques a un Gouvernement autonome. Sur le plan social, ils souhaitent se prévaloir d'un mode et d'un niveau de vie améliores, répondant a leur situation géographique.

Pour réaliser le premier de ces objectifs sociaux, ils doivent pouvoir se prévaloir d'une certaine indépendance économique. L'exploitation économique des ressources biologiques marines est capitale pour la réalisation de ces objectifs dans les nombreux Etats, et les territoires en développement du Pacifique. La situation du Pacifique, eu égard au développement halieutique est en contraste marque avec l'Europe, ou tous les Etats intéressés aux zones économiques exclusives de 200 milles telles que proposées ont atteint un degré très élevé de développement économique en matière de pêche.

Il importe essentiellement de comprendre les différents besoins politiques, sociaux et économiques de tous les Etats et territoires si l'on veut que la tolérance, la coopération et, en dernière analyse, la coordination s'instaurent pour l'utilisation des ressources ichtyologiques.

Concernant la coopération en matière halieutique, le principal problème dans le bassin du Pacifique est imputable à des disparités notables sur le plan des ressources disponibles, du développement technologique et économique, des besoins nutritionnels et de l'accès aux débouches. A un bout de l'échelle, des Etats tels que le Japon, très peuplé, sont tributaires, pour leur demande alimentaire, d'approvisionnements extérieurs. S'agissant de produits de la pêche, ceux-ci sont soit captures, soit achetés.

A l'autre bout de l'échelle, on trouve des ries et territoires entoures par la mer, disposant de quelques ressources ichtyologiques (très souvent constituées par des migrateurs), qui représentent l'une des très rares ressources naturelles d'importance économique dont ils peuvent se prévaloir.

Nous avons donc dans le bassin du Pacifique des Etats de grande taille et des îles et territoires minuscules par rapport a eux. Certaines de leurs économies sont modernes et développées mais nous trouvons aussi des économies de subsistance simples dans les territoires plus exigus.

Tous ces Etats, avec les vastes différences qui caractérisent leur taille, leur population, leurs ressources naturelles, leur développement et leurs technologies, enfin leur compétence commerciale et jusqu'à leur niveau de vie, ont en commun la responsabilité de conserver leurs ressources ichtyologiques tout en s'efforçant de réaliser l'exploitation optimale de ces ressources. Il est donc très nécessaire de faire montre de compréhension et de tolérance et de se rendre compte des besoins et aspirations très divers des différentes populations. La proposition de créer des zones économiques de 200 milles a encore accentue l'importance d'une meilleure compréhension et d'une coopération améliorée .

PRINCIPES INHERENTS AUX ZONES ECONOMIQUES EXCLUSIVES DE 200 MILLES TELLES QUE PROPOSEES

Si nous examinons le texte de négociation unique qui constituera la base d'un accord international, il apparaît que les premières conditions, pour les Etats côtiers, consistent à déterminer le volume des captures admissibles pour les ressources biologiques qui se trouvent dans leur zone économique exclusive et de garantir, par des mesures adéquates de conservation et de gestion, que les ressources biologiques ne sont pas compromises par une surexploitation.

Les Etats sont en outre tenus de maintenir ou de reconstituer les populations d'espèces exploitées à des niveaux susceptibles de produire, le rendement maximum soutenable, tel que déterminé par des facteurs écologiques et économiques pertinents, et compte tenu des nécessites économiques des communautés de pécheurs côtiers et des impératifs particuliers des pays en développement.

Ces principes sont rationnels et méritent d'être acceptes dans l'esprit même qui a préside a leur élaboration. L'aptitude à s'acquitter des responsabilités qu'ils impliquent doit être variable dans le Pacifique, compte tenu des vastes disparités existant entre les Etats souverains et précédemment évoquées.

FACTEURS ECONOMIQUES AFFECTANT LES ETATS EN DEVELOPPEMENT PRATIQUANT LA PECHE

La classification floue des Etats en pays avancés et en développement risque d'être quelque peu trompeuse. Nombre d'Etats peuvent être développés à certains égards de leur économie et être en développement quant a la pêche. Dans ma communication, ces Etats figurent parmi les pays en développement, encore que tous les arguments qui seront avances ne s'appliquent pas a eux.

Les notions ci-après sont importantes du point de vue des Etats dont l'industrie halieutique est en développement:

(1) il importe d'évaluer d'urgence les ressources ichtyologiques. A cette fin, de nombreux Etats côtiers en développement auront besoin d'une assistance technique et financière considérable de la part des pays avancés;

(2) il faudra préparer des plans de gestion, une fois déterminé le volume total des captures admissibles de différentes espèces. Pour élaborer ces plans, il faudra déterminer les méthodes de pêche, les maillages, les espèces et les secteurs exploitables, la taille et les types de navires, le contingentement ainsi que d'autres modalités et conditions;

(3) des plans de développement devront être établis et préciser priorités et stades de développement. Ces plans de développement devront englober la capture, le traitement, l'entreposage, le transport et la commercialisation du poisson. Les Etats côtiers en développement auront besoin d'assistance dans tous ces secteurs;

(4) le calendrier du développement fera état de la capacité de l'Etat côtier d'exploiter ces ressources, souvent de manière progressive. Il donnera aussi une idée de l'étendue de l'exploitation étrangère qui pourra être autorisée sur une base dégressive;

(5) La mise en place de pêcheries locales, pourra, au départ, présenter dans de nombreuses îles et territoires un caractère de pêches de subsistance, visant a assurer l'alimentation des populations locales, la manipulation et la distribution du poisson étant perfectionnées. Dansées zones le développement halieutique, même à cette échelle, revêt une grande importance économique;

(6) lorsque le développement des ressources ichtyologiques amène à produire du poisson en quantité supérieure aux besoins des populations locales, la commercialisation de ce poisson à l'exportation a des conséquences économiques sérieuses et peut être un facteur déterminant de la mesure de développement possible;

(7) quand les espèces produites peuvent entrer dans la catégorie des poissons "de luxe" (tho-nidés, crevettes, homards, etc.) l'accès aux débouchés, à des prix rentables, ne présente guère de difficultés. Le transport jusqu'à ces débouchés est cependant de nature à affecter sérieusement cet accès et le coût élevé du fret peut opérer une fonction disproportionnée sur les dividendes;

(8) accéder aux débouches peut être malaise pour d'autres espèces de poissons, notamment lorsqu'elles ne sont pas bien connues sur les marches internationaux. Les Etats côtiers auront besoin d'une assistance considérable pour s'assurer l'accès aux débouchés;

(9) toute nouvelle entreprise de pêche est confrontée de nos jours a des coûts d'établissement, de capital et de fonctionnement bien plus élevés que ceux qui s'appliquent aux pêcheries déjà établies. Cela met les Etats en développement en position d'infériorité par rapport aux Etats établis dans le secteur de la pêche, et notamment à ceux qui sont engagés dans des activités de pêche à l'étranger, et dont les navires ont été achetés longtemps avant la vague inflationniste actuelle;

(10) cette disparité des coûts de production initiaux ne doit pas en venir à interdire aux Etats en développement d'exploiter leurs ressources naturelles en vertu des principes de la Convention sur le droit de la mer;

(11) le maintien de la liberté économique des Etats côtiers en développement suppose qu'ils reçoivent de l'aide dans tous les secteurs susmentionnés, en toute liberté et d'une façon qui n'hypothèque pas leur avenir;

(12) en d'autres termes, l'assistance qu'ils recevront dans le secteur de l'évaluation des ressources, des plans de gestion, du développement halieutique et de l'accès aux débouchés ne devrait comporter aucune obligation pressante de concéder des droits de pêche de nature à retarder ou à restreindre leur propre développement économique dans le domaine des pêches;

(13) les besoins des Etats en développement sur le plan de la formation sont bien supérieurs à ceux des pays avancés. Ces derniers disposent d'un vaste réservoir de compétences technologiques. Dans certains Etats et territoires du Pacifique, rares sont les personnes techniquement qualifiées qui pourraient, venant d'autres industries, se consacrer au développement des pêches.

FACTEURS ECONOMIQUES AFFECTANT LES PAYS DEVELOPPES PRATIQUANT LA PECHE

II existe aussi de nombreuses différences entre les pays susceptibles d'être classés dans la catégorie des pays avancés pratiquant la pêche. Certains sont très hautement développés dans tous les aspects de la pêche. Ils ont consenti des investissements considérables en navires et possèdent une grande compétence technologique. Ils ont accès à d'importants débouchés locaux et à l'exportation.

D'autres Etats peuvent être partiellement développés sur le plan halieutique. Cela est souvent lié à l'existence d'une demande élevée et plus rentable d'espèces destinées à l'exportation, telles que les thonidés, les langoustes et les crevettes; le chalutage et les autres types de pêche sont moins développés.

Parmi les facteurs économiques affectant les Etats avancés sur le plan de la pêche on peut citer:

(1) certains Etats très peuplés sont tributaires du poisson, importante source traditionnelle de protéines animales;

(2) ces Etats ont l'habitude soit de capturer, soit d'acheter le poisson et mettent davantage l'accent sur les captures, souvent dans des eaux étrangères qui se trouvent désormais situées dans la zone de pêche exclusive d'autres pays;

(3) la hausse des prix du carburant et de l'escalade des autres coûts, joint au déclin des stocks d'espèces de poisson très recherchées par suite de leur surexploitation, a suffi à rendre la pêche hauturière moins rentable. Inévitablement les Etats pratiquant la pêche hauturière en ont subi certains préjudices économiques;

(4) il conviendrait d'opérer une distinction entre cette forme de désavantage économique et toutes les autres contraintes économiques susceptibles de résulter de la réduction des secteurs dans lesquels ces pays pourront pêcher à mesure que les dispositions du nouveau droit de la mer seront mises en oeuvre;

(5) les effets économiques de la limitation de l'accès aux fonds de pêche ou de la réduction des contingents là ou l'accès est maintenu, rendront superflu un tonnage considérable de navires de pêche et provoqueront le chômage pour un certain nombre de leurs effectifs;

(6) le redéploiement à court terme de ces navires, sur des fonds qui ne sont pas encore protégés, constituerait un simple palliatif pour l'Etat pratiquant la pêche hauturière et irritera l'Etat sur les fonds de pêche duquel ces navires seront redéployés;

(7) la baisse de l'offre de certains types de poissons affectera les industries a terre (traitement, fabrication, distribution et commercialisation);

(8) les captures mondiales des espèces de poisson le plus demandées pourront subir initialement une baisse, à mesure que les Etats côtiers assumeront pleinement leurs responsabilités de gestion des ressources;

(9) cela peut créer des conditions commerciales plus favorables pour les espèces de poissons actuellement moins demandées. Celles-ci pourraient faire l'appoint d'une offre déficitaire d'espèces plus demandées ayant subi les effets de la surpêche;

(10) les Etats avancés dont l'offre de poisson peut être affectée par les restrictions imposées à leurs activités de pêche, pourraient compléter leurs captures réduites en achetant davantage de poisson aux autres pays. Cela pourrait constituer un élément favorable au développement de ces pays, notamment dans le Pacifique, dont le développement sera tributaire de l'accès aux débouchés;

(11) cela réduirait les répercussions défavorables sur l'économie dans les secteurs de la fabrication et de la commercialisation des Etats pratiquant la pêche hauturière;

(12) toute contraction de l'effort de pêche entraîne nécessairement des effets et des préjudices. C'est un phénomène constant du développement des industries halieutiques et du commerce du poisson;

(13) la notion de zone économique exclusive de 200 milles est un corollaire direct de la surexploitation de la plupart des fonds de pêche dans le monde. Les modifications entraînées par la mise en oeuvre des principes du droit de la mer ne font qu'accélérer ce qui se serait inévitablement produit si la capacité de pêche mondiale avait continué de dépasser sensiblement le volume disponible des espèces de poissons très demandées.

COMMENT ASSURER LA COOPERATION EN MATIERE DE DEVELOPPEMENT HALIEUTIQUE DANS LE PACIFIQUE?

Ce bref énoncé des principaux facteurs économiques affectant les Etats du Pacifique, tant en développement qu'avancés, illustre d'importantes disparités quant à leurs intérêts, leurs objectifs et leurs aspirations.

La coopération au développement des industries halieutiques ne pourra être réalisée sur une base harmonieuse et durable que si certaines conditions sont remplies. A mon avis, les principaux éléments dont il faudra tenir compte peuvent être énoncés comme suit:

(1) chaque Etat doit comprendre les forces et les pressions qui motivent les autres;

(2) nombre d'intérêts et de motivations risquent d'être conflictuels. En conséquence, compréhension et tolérance sont des ingrédients essentiels d'une coopération effective;

(3) le développement des industries halieutiques du Pacifique sera retardé si un degré très élevé de coopération venait à faire défaut;

(4) l'un des secteurs les plus manifestes de communauté d'intérêts, et partant, susceptible de se prêter à la coopération, est celui de la détermination et de l'évaluation des ressources;

(5) plusieurs institutions internationales sont d'ores et déjà actives dans la coordination de la recherche. Il n'est pas douteux que ces recherches coordonnées sur les ressources, et particulièrement les ressources d'espèces de migrateurs, présenteront des avantages pour tous les Etats du Pacifique;

(6) la coopération halieutique dans tout le Pacifique, demeure tributaire d'une condition essentielle à savoir: l'acceptation, dans un esprit de bon vouloir, des principes et de l'esprit sous-jacents à l'accord sur le droit de la mer, concernant les ressources biologiques;

(7) certains Etats hésitent à admettre ces principes tant qu'ils n'auront pas été approuvés sur le plan international. Cependant, on est si près de cette approbation, ou, à tout le moins de leur acceptation de facto, qu'il semblerait bien n'exister aucune raison valable pour laquelle l'esprit de l'Accord proposé ne devrait pas déjà influer sur nos actions et notre approche à la coopération dans le bassin du Pacifique;

(8) les obligations que l'on se propose d'imposer aux Etats pratiquant la pêche, à qui sont concédés des droits de pêche dans les zones exclusives, sont clairement définies dans le texte unique de négociation;

(9) l'observation immédiate de ces obligations constituerait une première étape de la réalisation de la coopération en matière de conservation et de gestion halieutiques auxquelles l'Accord donne tant d'importance;

(10) le refus des Etats étrangers pratiquant la pêche d'observer désormais certaines obligations fondamentales telles que la fourniture de données détaillées sur les captures, les dimensions légales du maillage, ainsi que d'autres mesures normales de conservation n'est guère un indice d'esprit de coopération. Un tel refus, s'il est manifesté maintenant, aura nécessairement une influence sur la volonté des Etats côtiers d'offrir leur coopération par la suite et c'est le contraire de ce qu'il importe de faire;

(11) la coopération volontaire est restée la vraie coopération - respecter les lois et les règlements consiste simplement à observer la lettre et non pas l'esprit;

(12) la coopération et le développement peuvent revêtir de nombreuses formes: programmes d'assistance, entreprises conjointes, échanges de techniques, formation d'opérateurs, développement de débouchés, etc.;

(13) il conviendrait que tous les Etats exigent que la coopération et le développement dans le Pacifique soient conçus de telle sorte que le bénéficiaire d'une aide ne soit pas obligé a concéder en échange des droits ou des avantages;

(14) à mon avis, la coopération réelle présente un intérêt réciproque à condition que les objectifs et les principes de la coopération soient observés;

(15) pour ce qui est des Etats du Pacifique, avec les très importantes disparités que présente leur développement économique, il faut émettre de sérieuses réserves quant aux opérations d'échange. Je ne crois pas que l'échange, par un pays très sous-développé, de droits de pêche à long terme contre une assistance au développement à court terme de la part d'un pays technologiquement avancé constitue un exemple de coopération réelle;

(16) en conséquence, si nous nous fixons l'objectif très imprécis d'acquérir un esprit de coopération véritable, l'aide ne doit s'accompagner d'aucune obligation. Les entreprises conjointes doivent être mutuellement intéressantes et absolument équitables pour les deux parties. Les échanges de techniques et la formation des opérateurs ne devraient faire l'objet d'aucune réserve;

(17) impartir du savoir-faire en matière de traitement et de conditionnement est chose normale entre acheteurs et vendeurs, et sera une conséquence naturelle de l'amélioration des rapports commerciaux;

(18) l'accès aux débouches constitue cependant un problème à part. Dans le passe, des barrières protectrices avaient été érigées sur les marches de poisson importants, contre les espèces mêmes que les Etats en cause capturent dans les eaux d'autres Etats côtiers. L'amélioration de la coopération doit incontestablement aller jusqu'à ouvrir les débouchés aux industries halieutiques récentes des pays en développement. L'amélioration des relations commerciales devra aider d'une part le pays acheteur, qui a besoin de poisson pour ajuster l'offre à la demande, mais aussi l'Etat côtier, qui se trouve dans l'obligation de développer son industrie de la pêche.

CONCLUSION

II n'est pas possible, en trente minutes seulement, de produire un plan de développement de la coopération halieutique dans le Pacifique. Il faudrait pour cela procéder à une étude bien plus sérieuse.

Je me suis efforcé de mettre en lumière les éléments importants qui affectent le développement et la coopération, pour stimuler la réflexion et le débat. Des pressions impérieuses s'exercent de toutes parts et plus elles sont conflictuelles, plus grande est la nécessité de faire montre de compréhension, de tolérance et de coopération.

L'échange sincère d'informations et d'opinions constitue toujours un bon point de départ sur cette voie.


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