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MISE EN OEUVRE DES REGIMES FISCAUX FORESTIERS

Deux aspects particulièrement importants de la mise en œuvre des régimes fiscaux forestiers, ont retenu notre attention dans cette étude. Il s’agit des procédures adoptées pour déterminer ou fixer le montant des redevances forestières et des procédures utilisées pour leur recouvrement.

 

Procédures adoptées pour déterminer le montant des redevances forestières

Les pays africains utilisent plusieurs méthodes différentes pour déterminer le montant des taxes forestières. Certains ont recours pour cela à des mécanismes du marché ou à des calculs fondés sur des informations commerciales. Ces méthodes rentrent dans trois grandes catégories:

Redevances basées sur le marché. Un petit nombre de pays utilisent des mécanismes du marché pour déterminer les taxes forestières. Ces mécanismes sont les ventes aux enchères, les ventes par appels d’offre et les ventes par négociation et ils sont le plus souvent utilisés pour vendre les produits issus des plantations forestières. Les pays qui prélèvent des redevances basées sur le marché sont l’Ethiopie, le Zimbabwe et le Ghana. Fait intéressant, le Ghana envisage de recourir à des ventes aux enchères pour fixer certaines redevances intéressant les produits des concessions de forêts naturelles. La vente aux enchères des produits des concessions forestières a également récemment été introduite au Cameroun, malgré les critiques soulevées par cette initiative.

Le principal avantage de l’utilisation des mécanismes du marché pour déterminer les redevances forestières est que ces mécanismes devraient en théorie permettre d’obtenir les prix les plus élevés. Ils devraient aussi refléter les conditions de chaque vente (qualité du bois, accessibilité et conditions du marché), sans qu’il soit nécessaire de recourir à des systèmes de taxation compliqués pour tenter de tenir compte de toutes ces variables. Le principal inconvénient est que ces mécanismes ne fonctionnent que s’il existe une réelle concurrence sur le marché. Si les acheteurs sont peu nombreux ou de connivence, ils peuvent s’entendre pour n’offrir que des bas prix. L’autre problème est que, pour que les mécanismes du marché fonctionnent bien, il faut que le produit qui est mis en vente et les conditions de la vente soient clairement définis et compris. C’est la raison pour laquelle ils sont efficaces dans les plantations, alors que leur utilisation pour vendre les produits des forêts naturelles pose plus de problèmes.

Redevances basées sur la valeur résiduelle. La méthode d’évaluation résiduelle ou d’évaluation du bois sur pied consiste à estimer la valeur des arbres sur pied, en soustrayant de la valeur des produits forestiers (bois rond ou, dans certains cas, produits forestiers tels que sciages et panneaux dérivés du bois), la totalité des frais d’exploitation, de prélèvement et de transformation. Dans le monde, beaucoup de pays déterminent leurs redevances forestières sur la base d’un calcul de la valeur résiduelle et en Afrique, l’Ethiopie, Madagascar et l’Ouganda ont adopté cette approche.

L’approche basée sur la valeur résiduelle, qui se fonde aussi sur des informations commerciales, présente l’avantage de pouvoir être utilisée dans des situations où il serait difficile de laisser jouer à fond les mécanismes du marché. Mais cette démarche a aussi des inconvénients: de nombreuses informations sont nécessaires pour calculer la valeur résiduelle, dont beaucoup doivent être fournies par les producteurs (pas toujours disposés à coopérer). En outre, les valeurs résiduelles varient normalement avec chaque vente, de sorte que les barèmes des redevances peuvent devenir très compliqués si l’administration forestière tente d’établir les redevances en tenant compte de toutes ces variations.

Redevances basées sur le prix de remplacement. Pour fixer le montant des redevances forestières, on peut aussi essayer de calculer le prix de remplacement des ressources forestières prélevées ou endommagées par les producteurs. Cette méthode se fonde elle aussi sur des informations commerciales (même si dans ce cas, elles ne portent que sur les coûts, et non sur les prix et les coûts). Les pays qui ont adopté cette procédure sont l’Ethiopie, le Kenya et le Malawi, mais elles a aussi surtout été employée pour déterminer les redevances afférentes à la production des plantations forestières, dans lesquelles le prix de remplacement peut être calculé plus facilement.

Les avantages et les inconvénients de l’approche basée sur le prix de remplacement sont à peu de choses près les mêmes que pour l’approche basée sur la valeur résiduelle. Celle-ci peut cependant être utile pour fixer les prix planchers associés à des mécanismes de marché (ex: prix de réserve, dans les ventes aux enchères de bois ronds).

L’autre moyen important auquel peuvent avoir recours les pays pour déterminer les redevances forestières pourrait être qualifié de " consultation ". Pour la fixation des redevances forestières, il semble que les consultations s’exercent à trois niveaux:

Consultation avec l’administration forestière. Dans un certain nombre de pays, les redevances forestières font l’objet de discussions techniques au sein de l’administration forestière avant d’être soumises aux ministres, pour approbation.

Consultation interdépartementale. Plus rarement, des consultations plus larges ont lieu au sein du gouvernement, lors de la fixation des redevances forestières. Certains pays ont des comités ou des procédures spécifiques pour ce processus (ex: Liberia).

Consultation élargie. Dans de nombreux pays, les redevances forestières sont discutées dans un cadre élargi, entre l’administration forestière et d’autres parties prenantes (ex: personnel d’autres ministères, industrie forestière).

Dans une certaine mesure, tous les pays entament des consultations pour déterminer le montant des redevances forestières (même s’ils ont recours à des procédures fondées sur des informations commerciales ou sur des mécanismes du marché). Toutefois, la procédure de consultation est parfois un élément majeur du processus et, lorsque c’est le cas, cela a été indiqué dans l’analyse qui suit.

La Figure 10 montre le nombre de pays qui utilisent chacune de ces six méthodes pour déterminer les redevances forestières. Beaucoup emploient (ou ont employé dans le passé) plusieurs méthodes; dans ce cas toutes celles qui sont utilisées dans un pays sont incluses dans la figure. En outre, deux pays (Burkina Faso et Lesotho) n’ont pas révisé leurs redevances forestières depuis très longtemps, de sorte qu’il n’a pas été possible de décrire les processus à l’aide desquels ils ont fixé leurs taxes forestières.


Figure 10 Nombre de pays africains utilisant chacune des six méthodes pour déterminer le montant des redevances forestières

 

Figure 11 Les différents processus utilisés dans les pays pour établir les charges forestières


Comme le montre la figure, le processus le plus répandu - et dans beaucoup de pays, c’est le seul - pour déterminer le montant des taxes forestières est la consultation, sous l’une ou l’autre de ses formes. Comme on le voit, les trois premières méthodes sont aussi assez répandues, mais relativement peu de pays y ont recours, car plusieurs d’entre eux ont utilisé plusieurs approches (voir Figure 11).

On remarque également que de nombreux pays ont recours à des mécanismes basés sur le marché (le plus souvent ventes aux enchères et ventes par voie de négociations) pour vendre les produits forestiers qui ont fait l’objet d’une saisie (lorsqu’ils ont été produits de manière illégale). Ces cas n’ont pas été inclus dans la figure qui précède. Ceci s’explique probablement en partie par le fait que ces ventes répondent à beaucoup de conditions déjà décrites précédemment (grand nombre d’acheteurs, produits clairement identifiés). Il est toutefois intéressant de noter que beaucoup de pays sont d’accord pour vendre les produits confisqués de cette manière, alors qu’ils semblent hostiles à l’idée de recourir de manière plus générale à des taxes basées sur le marché.


Figure 12 Corrélation entre l’évolution historique des redevances forestières, en valeur réelle, (1990-99) et la méthode utilisée pour les déterminer

D’après les informations collectées dans les pays, quelques maigres éléments semblent confirmer l’hypothèse selon laquelle il est plus facile d’augmenter les redevances si l’on utilise une méthode basée sur les prix du marché (l’une quelconque des trois premières décrites ici). Ces arguments sont présentés à la figure 12. Pour les onze pays pour lesquels on dispose de données rétrospectives récentes sur les redevances forestières, cette figure met en corrélation l’augmentation annuelle moyenne des redevances forestières (ajustées pour tenir compte de l’inflation), et les méthodes utilisées pour les déterminer. La droite sombre qui traverse ces points représente l’augmentation moyenne pour tous les pays qui emploient cette méthode. Comme le montre la figure, l’augmentation réelle moyenne des redevances forestières au cours des dix dernières années semble plus élevée dans les pays qui utilisent au moins une des trois premières méthodes, que dans les pays où les redevances sont déterminées en consultation.

 

Procédures employées pour percevoir les redevances forestières et suivre leur recouvrement

Les méthodes de recouvrement des redevances forestières sont à peu près les mêmes dans la plupart des pays africains, et peuvent être résumées comme suit:

Redevances sur le bois rond issu des plantations forestières. La plupart des pays dont les ressources en plantations forestières sont significatives (Kenya, Lesotho, Malawi, Zimbabwe) ont des procédures bien établies et détaillées pour le recouvrement des taxes. Pour commencer, les fonctionnaires des administrations forestières marquent et mesurent les arbres qui vont être coupés (ou déterminent la taxe à payer). Ensuite, ils suivent les opérations d’exploitation pour s’assurer que les bons arbres ont été coupés et que les registres de production sont exacts. Ils peuvent aussi apposer un timbre officiel sur le bois rond, une fois qu’il a été coupé. Les redevances sont ordinairement payées sur la base du volume de la production ou du nombre d’arbres coupés, à raison d’un tarif variant en fonction de l’espèce et des dimensions et/ou de la qualité de l’arbre. Les redevances sont souvent perçues à l’avance (après le marquage et le mesurage, mais avant la coupe) ou, parfois, par tranches, au fur et à mesure que les superficies sont coupées. Un certain nombre de pays ont signalé les défauts de ce processus, notamment lorsque les fonctionnaires sous-payés sont chargés de contrôler de gros volumes de bois qui se vendent très cher.

Redevances basées sur la superficie. Un certain nombre de pays perçoivent des redevances basées sur la superficie des concessions forestières. Ces redevances représentent un pourcentage important des taxes totales perçues dans le secteur, en particulier dans les pays où les systèmes d’exploitation par concessions sont relativement bien développés (ce qui est le cas dans beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest). Ces redevances sont parfois perçues en une seule fois, au début de la période couverte par la licence ou, plus souvent, une fois par an. Les redevances basées sur la surface sont presque toujours perçues au début de la période couverte par la licence ou en début d’année, par l’administration forestière centrale. Il est quasiment impossible d’échapper au paiement de ces redevances, qui constituent ordinairement une source de revenu relativement fiable pour l’administration forestière. Un petit nombre de pays ont toutefois signalé des arriérés de paiement de la part des producteurs.

Redevances sur la production de bois rond industriel basées sur le volume. Tous les pays perçoivent une forme quelconque de redevances sur la production de bois rond industriel, basées sur le volume. Si elles sont ordinairement basées sur le volume de la production, ces taxes peuvent aussi être basées sur le nombre d’arbres coupés. Contrairement à ce qui se passe pour le bois rond issu des plantations forestières où le volume de la production est généralement mesuré ou estimé avant la coupe, les pays comptent ici sur le suivi de la production (soit dans la station forestière soit durant le déplacement du bois rond), pour estimer le montant total des redevances dues. A part cette particularité, les procédures sont généralement les mêmes que celles qui ont été décrites plus haut pour les plantations forestières. Les producteurs enregistrent le volume total de la production par espèce et / ou qualité et les fonctionnaires de terrain de l’administration forestière contrôlent ces chiffres au cours d’inspections sur place ou à des barrages routiers. Le bois rond est habituellement marqué avec un timbre officiel attestant que la production a été contrôlée. Dans certains cas, les producteurs marquent le bois rond eux-mêmes avec leur propre marteau de martelage (l’enregistrement des marteaux de martelage donnant lieu au paiement de taxes supplémentaires). Là encore, les principaux problèmes signalés par les pays sont le manque de ressources pour contrôler et suivre de manière efficace la production, et le risque de fraude lorsque les fonctionnaires de terrain sont sous-payés.

Redevances sur la production de bois de feu et de PFNL. La plupart des pays adoptent l’un des deux types de taxes sur le bois de feu et les PFNL. Certains pays prélèvent des redevances basées sur le volume ou le poids de la production (en particulier dans le cas du bois de feu ou de PFNL plus précieux, comme le rotin et le bambou). D’autres délivrent des permis de production spéciaux, valables pour une superficie et une période données, sur lesquels ils perçoivent des droits forfaitaires, au moment où ils sont attribués. Etant donné qu’il est plutôt difficile de marquer ces produits pour indiquer que les redevances ont été payées, les pays adoptent diverses formules (coupons, permis de circulation et permis) pour attester le paiement. Ces certificats doivent être présentés aux fonctionnaires de l’administration forestière en cas d’inspection de la production, de contrôles à des barrages routiers ou sur le marché. L’un des problèmes les plus courants, au niveau du suivi de la production, tient au coût du recouvrement et du suivi, qui est trop élevé par rapport au montant des recettes perçues. Bien que ces produits représentent l’essentiel de la production forestière dans quelques pays, il n’est souvent pas rentable de tenter de recouvrer ces redevances à grande échelle. C’est ce qui explique que dans de nombreux pays, une grande partie de cette production n’est pas enregistrée et l’efficacité du recouvrement des redevances est généralement faible.

Le texte ci-dessus a décrit les procédures adoptées pour recouvrer les taxes et suivre la production sur le terrain, dans la plupart des pays. Outre ces procédures, la majorité des pays ont aussi des systèmes pour enregistrer la production et les recettes perçues au niveau de l’administration forestière centrale, et pour vérifier les comptes des bureaux de terrain ou les inspecter en vue de lutter contre la fraud e ou la prévarication. Le plus souvent, ces systèmes sont peu efficaces en raison du manque de ressources déjà signalé. Toutefois, et c’est là un point plus positif, quelques pays (en particulier du Sahel) ont indiqué qu’ils avaient mis au point des approches novatrices pour tenter d’améliorer le recouvrement des recettes et le suivi de la production. Voici deux exemples de ces approches:

Incitations au personnel de terrain. Dans un petit nombre de pays, le personnel chargé d’effectuer les opérations de suivi et les inspections se partage une partie des recettes provenant des amendes et des ventes illicites de produits forestiers.

Association des communautés aux recouvrement des recettes. Bon nombre de ces pays ont aussi des mécanismes qui permettent aux communautés locales de suivre la production et de percevoir les recettes (ou de participer à leur recouvrement) pour le compte de l’administration forestière. Les communautés sont avantagées en ce sens qu’elles reçoivent une part des recettes perçues.

On ne dispose pratiquement d’aucune information sur le succès de ces systèmes même si, dans de rares cas, les pays ont signalé qu’ils avaient amélioré le suivi et avaient donné lieu à une augmentation des recettes perçues. On peut certes penser, compte tenu du manque de ressources de nombreuses administrations forestières africaines, que ces innovations amélioreraient la situation, en particulier lorsqu’il existe un grand nombre de petits producteurs que l’administration forestière n’a aucune chance de pouvoir couvrir.

 

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