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II. L'évolution historique des systèmes d'approvisionnement des villes

Au Congo, la production et l'échange des légumes existaient bien avant l'installation coloniale française en zone rurale du sud du pays (régions du Pool, du Niari et de la Bouenza). Il s'agissait alors d'une polyculture vivrière avec des traits semblables à la production rurale d'aujourd'hui. Les légumes étaient surtout produits pour l'auto-consommation et les surplus commercialisés avec une monnaie locale sur des marchés très actifs.

L'installation coloniale a eu un rôle déterminant: (i) par la croissance démographique de Brazzaville, centre de consommation de plus en plus important[1]; (ii) par la diffusion d'un nouveau mode de culture des légumes, qu'on peut appeler culture de jardin, ou encore maraîchage (voir V). Au départ, les allochtones - fonctionnaires et missionnaires européens, réfugiés asiatiques - cultivaient des jardins pour satisfaire leurs propres besoins de consommation. Des autochtones étaient employés dans ces jardins, et certains s'installèrent peu à peu à leur compte pour la production et la vente de légumes de type tempéré aux expatriés. Les nouvelles techniques culturales ont été incorporées dans les systèmes de culture et d'échange qui leur préexistaient: ce sont les autochtones qui, dans les années 1900, ont organisé les circuits de distribution de ces produits, caractérisés tout d'abord par la vente directe par les producteurs puis par leurs épouses et filles sur des points de vente informels. Cette combinaison de traits anciens (ex.: variétés locales) et de techniques introduites (culture sur planche, apport de matière organique), a été pérennisée par la pression foncière qui n'a cessé de rejeter les systèmes de culture extensifs à la périphérie de la ville.

Le cas de Bangui est similaire avec quelques particularités néammoins. Avant la colonisation, Bangui était caractérisé par le sous-peuplement de son arrière-pays, ce qui explique que la “mise en culture des alentours urbains apparaisse à la fois comme typique, vitale et ancienne (Prioul, 1971)”. Comme à Brazzaville, les employés de maison initiés au maraîchage se sont peu à peu installés à leur compte. Les systèmes de culture approvisionnant Bangui en légumes ont donc dans un premier temps été très spécialisés dans la culture des légumes tempérés. Ce ne serait que depuis une trentaine d'années que les urbains se seraient tournés vers la polyculture de plein champ associant cultures vivrières et légumes, comme dans les champs du sud du Congo. Ces champs, situés à une distance de 10 à 30 kilomètres de Bangui, sont avant tout consacrés à la production de manioc. Les urbains y ont introduit des variétés de légumes et même des techniques issues du maraîchage: ainsi, les jardins de saison sèche sont cultivés sur planches; en saison humide, la tomate de plein champ est toujours repiquée et fait l'objet de tuteurage, ce qui est rarement le cas dans les zones rurales du Congo. A l'heure actuelle, du fait d'une chute du pouvoir d'achat des urbains, causée par les politiques d'ajustement structurel et la dévaluation, la demande en légumes de type tempéré régresse alors que l'offre était dans un processus d'expansion avec l'installation dans le maraîchage d'urbains sans emploi. Ce contexte conduit au développement de la culture des légumes locaux dans les jardins et les champs banguissois.

Dans toutes les situations urbaines, la présence d'allochtones dans les capitales, ou l'implantation de projets de développement comme c'est le cas à Bissau, ont permis la diffusion des techniques maraîchères. Le développement d'une production maraîchère à proximité de la ville se heurte par la suite à la pression foncière ou à des baisses de consommation, mais il peut être stimulé par une crise de l'emploi en ville ou des actions de l'Etat en matière de stabilisation foncière. A Antananarivo, la densité urbaine et l'aménagement d'infrastructures de transport reliant la ville à sa plaine n'a pas permis à une production intra-urbaine de se pérenniser. A l'heure actuelle, elle se limite à une centaine de producteurs de cresson, sur des parcelles d'une centaine de m2. Cependant, le péri-urbain proche (20 kilomètres des limites de la ville) approvisionne toujours l'essentiel du marché des légumes-feuilles.

De cet aperçu historique, on retiendra surtout les points suivants:

a) l'installation coloniale en ville a joué un rôle déterminant dans la diffusion de systèmes de culture maraîchers en péri-urbain;

b) la diffusion du maraîchage se fait par la formation, mais aussi par l'accès à des intrants importés;

c) la spécialisation de la production et l'utilisation d'intrants sont accélérés par la pression foncière;

d) la pression foncière peut conduire à la régression du maraîchage péri-urbain. Ses effets peuvent être accrus ou atténués par l'action de l'état;

e) le niveau de développement du péri-urbain est également affecté par l'état des infrastructures reliant la ville à son arrière-pays agricole;

f) l'existence avant la colonisation d'un arrière-pays agricole contribue à la coexistence d'une production rurale et d'une production péri-urbaine;

g) le développement de la production de légumes de type tempéré peut être freiné par la régression du pouvoir d'achat des urbains au bénéfice des légumes locaux;

h) le développement de la commercialisation s'est fait historiquement à l'initiative des producteurs, péri-urbains et ruraux, tirant parti des opportunités générées par l'accroissement démographique des centres urbains.


[1] Quelques chiffres pour montrer la rapidité du développement de la capitale du Congo, colonisé en 1880: 5250 habitants en 1900; 50 000 en 1945; 76 000 en 1950; 122 000 en 1961, année de l'indépendance.

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