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3. HISTOIRE, CULTURE ET PRODUCTION ALIMENTAIRE


3.1 Origine des Gaéliques, histoire primitive (histoire des origines) et structure clanique

Les Gaéliques écossais ou les Celtes gaélophones qui remplacèrent les Pictes en tant que principaux occupants des Highlands occidentales et des Hébrides vinrent d'Irlande il y a quelque 800 ou 1 000 ans. Au XIIIe siècle ils avaient évincé les dirigeants nordiques qui contrôlaient les îles après des siècles de raids vikings.[17] Les Celtes apportèrent avec eux la forme «gadélique» du gaélique qui reste plus proche de l'irlandais que du gallois; ils apportèrent aussi le goût des peuples celtiques pour la poésie et la musique. Leur habillement a évolué au cours des siècles, mais utilisait essentiellement le tissu écossais ou plaid qui donna naissance au kilt; il s'agissait d'un tissu à carreaux à l'origine des tartans fabriqués par l'industrie moderne du kilt.[18] L'image culturelle de l'Écosse est fondée en grande partie sur le système des clans, la musique et le costume de sa population celte.

Un système de clan s'est développé dans lequel les liens de parenté déterminaient les rapports de loyauté, ainsi que les droits de pâturage du bétail. Chaque clan obéissait à son chef en manifestant une loyauté sans faille. Le titre de seigneur des îles (Lord of the Isles) a été attribué au chef du puissant clan Donald après le départ des dirigeants nordiques et fut détenu par les chefs du clan Mac Donald jusqu'à son abolition par James IV, au XVe siècle.[19]

«Le système des clans» comme l'écrit Fraser Darling, «était entièrement différent du système féodal[20]. Les terres sur lesquelles vivaient le clan n'appartenaient pas au chef; elles appartenaient à la tribu et le chef était entretenu par ses membres; ces derniers lui vouaient une obédience implicite en tant que défenseur du territoire du peuple et chef de la lignée.».

La population pratiquait l'élevage, fondé essentiellement sur les bovins noirs et cultivait par ailleurs l'avoine et l'orge pour la farine et le pain. Un système de cultures mixtes et de rotation des cultures connu aujourd'hui sous le nom de run-rig était pratiqué sur d'étroites bandes de terre intercalées.[21] Ces bandes de terre agricole étaient constituées de hauts monticules de terre allongés parallèles aux courbes de niveau. La pomme de terre, connue néanmoins dans la région en 1695 pour avoir été mentionnée par Martin Martin, n'a pas été cultivée à grande échelle avant la fin du XVIIIe siècle.[22]

3.2 Relations avec les souverains d'Ecosse et d'Angleterre

La dynastie des Stuart a régné en Écosse de 1371 à 1603 (union des couronnes) et au Royaume-Uni (en tant que «Stuart») de 1603 à 1714. Les habitants des Highlands ont vécu à leur dépens une longue histoire de soutien aux souverains ou aux prétendants Stuart (la cause jacobite).

La césure historique pour les habitants des Highlands et des îles fut la révolte jacobite de 1745 à laquelle ils apportèrent un large soutien (l'engagement de chacun étant davantage fonction du parti adopté par le chef de clan que de la religion). Le mouvement a cherché à remettre sur le trône d'Angleterre un souverain de la dynastie Stuart en remplacement du monarque de la cour de Hanovre. Il fut mis un terme à la révolte en 1746 à la bataille de Culloden et par les représailles brutales qui suivirent. Le général «bourreau» Cumberland envoya ses troupes en les chargeant d'une mission consistant à tuer et à harceler les derniers jacobites et à détruire leurs villages; cette mission fut menée à bien sans merci.[23]

Le gouvernement du roi George II a ensuite interdit de porter les armes, de se vêtir d'un kilt ou d'un tartan et de jouer de la cornemuse.[24] Les terres des chefs déloyaux ont été confisquées et attribuées aux partisans du roi. Ces mesures ont certes été adoucies ou levées après quelques années, mais le peuple était alors moralement écrasé, un peu comme les Indiens d'Amérique du Nord un siècle plus tard auxquels ils ont souvent été comparés.[25] Un écrivain a résumé comme suit les mesures adoptées de façon succincte: «la culture gaélique proprement dite fut condamnée».[26]

Au cours du siècle qui a suivi la bataille de Culloden (la dernière bataille sur le sol britannique), la région a été victime de l'épisode connu sous le nom des «Clearances» («le grand nettoyage)», au terme duquel les agriculteurs occupant les terres ont été brutalement évincés pour laisser la place à l'élevage plus rentable du mouton.[27] Ces événements amorcèrent une immense vague d'émigration qui n'est pas encore terminée. Les familles qui restaient furent concentrées sur d'étroites bandes de terre du littoral qui étaient trop petites pour subvenir à leurs besoins.[28] La vulnérabilité actuelle de la population des Hébrides et de la côte occidentale est due dans une large mesure aux séquelles de cette limitation de l'accès aux terres. La situation présente rend d'autant plus dramatique la limitation de leur accès aux ressources halieutiques.

3.3 Systèmes de production alimentaire

Dans son ouvrage intitulé Description of the Western Isles of Scotland Martin Martin, donne un aperçu fascinant de la vie des Hébrides il y a 300 ans. Il fait état constamment dans cet ouvrage de l'abondance du poisson et des crustacés et de l'usage qui en est fait par la population pour l'alimentation comme pour les soins médicaux. Les algues marines étaient également utilisées comme aliment et comme médicament, tandis que les oiseaux de mer et les mammifères marins étaient consommés. Le poisson était conservé par séchage et salage, mais en raison de la rareté et du coût élevé du sel, les cendres d'algues servaient souvent d'agent de conservation.[29]

Lors de son voyage dans les Hébrides avec le Dr Johnson 80 ans plus tard, James Boswell fit des observations concernant la fabrication d'huile à partir de foie de poisson, utilisée ensuite pour le tannage et comme combustible d'éclairage.[30] L'huile d'éclairage était fabriquée à partir des foies de lieu noir. A différentes étapes de sa visite, le savant docteur s'est vu proposé du poisson sous différentes formes, notamment des «speldings» (aiglefin ou merlu séché salé), mais s'abstint néanmoins d'y goûter! En 1875 les résidents de St. Kilda exportaient plus de 500 gallons d'huile d'oiseaux de mer, utilisée comme médicament.[31] Les produits laitiers disponibles à l'époque précédant les Clearances, lorsque l'élevage était pratiqué, mais se sont raréfiés par la suite, même jusque dans les années 1940 comme le signalait le naturaliste Fraser Darling à l'époque où il habitait la région.[32]

Le recours à la pomme de terre comme principale source de féculents, à partir de la fin du XVIIIe siècle, a compté sans doute parmi les facteurs impliquant la croissance démographique au cours du siècle allant de 1770 à 1870. Il en a résulté par contre de graves problèmes lors des mauvaises récoltes de pomme de terre vers le milieu du XIXe siècle. «La plupart des gens des îles et de la côte occidentale avaient un niveau de vie très bas et, en s'en remettant exclusivement à une alimentation fondée sur la pomme de terre, sans chercher à élever leur niveau de vie, ils devinrent les victimes de leur propre fécondité exceptionnelle et se trouvèrent à la merci de l'état sanitaire de leurs cultures de pomme de terre.»[33]

La nourriture était rarement abondante dans les Highlands et les Hébrides, et la menace de la famine était toujours présente en arrière-plan. «La grande pénurie» pour reprendre les termes d'un auteur «faisait partie intégrante du paysage mental de l'habitant des Highlands». Un administrateur de biens de Sutherland faisait observer en 1812: «les gens de Highlands ont pour coutume de ne jamais accepter quelque chose faute de mieux tant que le spectre de la faim n'est pas devenu une réalité»[34].

La famine a frappé les Hébrides et la côte occidentale des Highlands à plusieurs reprises au XVIIIe et au XIXe - siècles - dans les années 1770, les années 1820 et plus gravement encore de 1840 à 1851, l'année la plus difficile ayant été 1846[35]. Dans les années 1840, la brûlure de la pomme de terre a été la principale responsable de la famine, provoquée par le champignon Phytophthora infestans[36] qui avait également frappé l'Irlande semant la détresse et la mort dans la population.

D'après une étude consacrée à l'alimentation en 1843, aucune paroisse de la côte occidentale des Highlands ni des îles ne signalait un apport quelconque de viande de bœuf, de beurre, de fromage ou de thé dans le régime alimentaire, tandis que pratiquement toutes faisaient état du poisson et de la pomme de terre (voir tableau 1 ci-dessous).

En dehors de la pomme de terre, les légumes frais ont été cultivés en très petites quantités dans la région jusqu'à l'après-guerre. Un plat simple et nourrissant, mais peu prisé, était la sauce de poisson obtenue en faisant bouillir du poisson ou des têtes et des arêtes et en y ajoutant un peu de farine d'avoine et de lait.

Tableau 1: Pourcentage des paroisses mentionnant la consommation de certains aliments en 1843[37]

Zone

Mouton

Pomme de terre

Poisson

Lait

Porc

Côte Nord-Ouest

100 pour cent

100 pour cent

30 pour cent



Hébrides

100 pour cent

86 pour cent

64 pour cent



West Argyll

100 pour cent

80 pour cent

60 pour cent

13 pour cent

7 pour cent

3.4 Attitudes vis-à-vis de la terre

Aucune description de la population des îles occidentales et des Highlands d'Écosse ne serait complète sans mentionner leur attachement remarquable à la terre. D'après l'historien T.C. Smout, «la population gaélique de l'Ecosse partage avec celle de l'Irlande une conception culturelle de la terre selon laquelle elle représente moins une propriété privée qu'une ressource commune: le propriétaire avait le droit de faire payer un loyer, mais non celui de retirer à la population la possibilité d'exploiter la terre». Il a observé par ailleurs que lorsque la culture gaélique était pratiquement intacte, la population considérait «l'occupation d'une terre traditionnelle comme le plus grand bienfait que la vie pouvait offrir.»[38]

Sir John McNeil, Président du Comité de supervision des opérations de bienfaisance en Écosse, envoyé aux Hébrides en 1846 au moment de la famine due à la maladie de la pomme de terre, souhaitait encourager l'immigration à grande échelle mais admettait que cela serait difficile compte tenu «de la ténacité de leur attachement à la terre»[39]. Lewis Grassic Gibbon a décrit cette attitude de façon particulièrement poétique en évoquant la disparition du petit fermier, «homme dont la maison et la ferme personnelles, comme la terre qu'il cultive, sont pratiquement la chair de sa chair».[40]

Dans une lettre de la Société britannique des pêches datée de 1787: «Ils s'intéressent exclusivement aux produits de la terre et leur seul objectif est d'avoir une ferme et une parcelle de terrain si petite soit-elle, ce qu'ils préfèrent de loin à tout autre mode de subsistance».[41]

La seule façon de comprendre le système de fermage et les petits fermiers consiste à les situer dans un contexte où les gens considèrent la propriété ou l'occupation des terres comme leur garantie majeure. Il est étonnant par ailleurs que cet attachement à la terre caractérise la population d'une région ou une poignée de personnes possèdent et contrôlent une superficie considérable.[42]

Un chroniqueur de cette époque a écrit[43]: «Ils s'accrochaient à la terre parce qu'elle constituait selon eux leur seule garantie de subsistance et de continuité. Ces gens étaient en quelque sorte les vestiges d'un système féodal qui avait progressivement décliné, et les avaient abandonnés loin de tout, dans des gorges profondes et de larges vallées».


[17] John MacLeod, Highlanders, A History of the Gaels, Hodder & Stoughton, 1996 J.D. Mackie, A History of Scotland, Penguin, 1964.
[18] J.F. Grant, Highland Folk Ways, Routledge & Kegan Paul, 1961
[19] Ronald Williams, The Lords of the Isles, the Clan Donald and the early kingdom of the Scots House of Lochar, Colonsay, 1985&1997
[20] F. Fraser Darling, A brief historical resume, dans West Highland Survey Oxford University Press, 1955.
[21] I. F. Grant, Highland Folk Ways, Routledge & Kegan Paul, 1961
[22] John MacLeod, Highlanders, A history of the Gaels, Hodder & Stoughton, 1996
[23] T.C. Smout, A History of the Scottish People 1560-1830, Fontana, 1969 J.D. Mackie, A History of Scotland, Penguin, 1964
[24] Norman Nicholl, Life in Scotland from the Stone Age to the 20th century. Adam & Charles Black, 1979
[25] James Hunter, Scottish Highlanders, a People and their Place, mainstream Publ. 1992; T.C. Smout, A Century of the scottish People, Colliers, Londres, 1986
[26] John Mac Leod, Highlanders, A History of the Gaels, Hodder & Stoughton, 1996
[27] Alexander MacKenzie, The History of the Highland Clearances, 1883, James Thin, 1991
[28] Michael Lynch, Scotland - a New History, Century /Pimlico, 1991/1992
[29] Martin Martin, A description of the Western isles of Scotland, 1716, James Thin, 1976
[30] James Boswell, the Journal of a tour to the Hebrides with Samuel Johnson, 1773, Collins, 1955
[31] Western Isles Council, The Economy and culture of Fisheries in the Western Isles, 1997
[32] John MacLeod, Highlanders, A History of the Gaels, Hodder & Stoughton, 1996
[33] F. Fraser Darling, A brief Historical Resume of the Highland problem, dans West highland Survey, Oxford University press, 1955
[34] Eric Richards, A History of the Highlands Clearances Agrarian transformation and the evictions 1746-1886 Croom Helm, 1982
[35] Ibidem
[36] F. Fraser Darling, West Highland Survey, Oxford University Press, 1955
[37] Ian Levitt & Christopher Smout, The State of the Scottish Working Class in 1843, Scottish Academic press, 1979
[38] T.C. Smout, A Century of the Scottish people, Colliers, Londres, 1986
[39] Ibidem
[40] Lewis grassic Gibbon, Sunset Song, 1932, dans A Scots Quair, Penguin, 1986
[41] Malcolm Gray, Crofting and Fishing: the West Coast, dans The Fishing Industries of Scotland, 1790-1914, a study in regional adaptation, Aberdeen Un., Oxford University Press, 1978
[42] John McEwen, Who Owns Scotland?, a study in Land Ownership, EUSPB Edinbourg, 1977/78
[43] A.J. Youngson, After the Forty-Five, cité dans Richards, A History of the Highland Clearances. Croom Helm, 1982

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