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2. La nature des principaux arrangements préférentiels

Les préférences commerciales constituent depuis longtemps un instrument de politique étrangère et de politique commerciale utilisé pour établir des relations plus étroites dans les domaines aussi bien économique que politique entre les pays intéressés. Le traitement préférentiel que les pays développés accordent aux importations en provenance des pays en développement est devenu en outre un aspect indissociable des politiques de promotion du développement. Les divers régimes de préférences commerciales qui existent actuellement en faveur des pays en développement peuvent être classés en trois grandes catégories: i) le Système généralisé de préférences (SGP); ii) les régimes préférentiels spéciaux dont bénéficient certains groupes de pays en développement; et iii) les accords régionaux de libre-échange entre des pays développés déterminés et certains groupes de pays en développement.

i) Les origines du SGP remontent aux années 60, lorsque la nécessité d'améliorer les conditions du commerce des pays en développement a été examinée à Genève lors de la première session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) en 1964. La mise en place d'un SGP a ensuite été décidée à New Delhi lors de la deuxième session de la CNUCED en 1968, régime qui a revêtu une forme concrète dans un accord conclu sous l'égide de la CNUCED en octobre 1970[1]. Le SGP devait se traduire par des préférences tarifaires pour tous les pays en développement, sur une base non discriminatoire et non réciproque, principalement pour les articles manufacturés et semi-manufacturés, pour surmonter la dépendance des pays en développement à l'égard des exportations de matières premières, caractérisées par des tendances de prix peu favorables à long terme et des fluctuations marquées des quantités et des prix à court terme. La violation du principe de la nation la plus favorisée (NPF) que le SGP supposait était incompatible avec les règles fondamentales du GATT, mais ce problème a finalement été résolu d'une manière générale par l'adoption de la "Clause d'habilitation" sous l'égide du GATT en 1979 (voir plus loin la Section 6). L'UE a été le premier groupe de pays développés à introduire son SGP en juillet 1971, mais d'autres pays développés ont suivi peu à peu.

Le SGP était inspiré d'une approche qui avait fait l'objet d'un accord au plan multilatéral et tous les pays développés accordent des préférences selon ce régime, mais la portée et l'étendue précises du traitement préférentiel fourni sont décidées de manière unilatérale par chaque pays accordant des préférences. Ces régimes varient par conséquent d'un pays à un autre. Les différences concernent tous les aspects des SGP, c'est-à-dire les produits couverts, les marges préférentielles, les règles d'origine, les préférences spécifiques accordées aux pays les moins avancés, les critères à appliquer pour décider quels pays (ou certaines de leurs exportations) ne bénéficieront plus de ce régime dès lors qu'ils auront atteint un niveau déterminé de développement économique ou d'exportation et d'autres dispositions comme l'engagement des pays bénéficiaires de respecter les droits des travailleurs ou certaines normes environnementales.

Ces régimes varient aussi par la mesure dans laquelle ils s'appliquent aux produits agricoles. Tous comprennent quelques-uns de ces produits, mais le nombre et le type des produits visés varient beaucoup, et tel est également le cas aussi de l'ampleur des marges préférentielles. En 1992, par exemple, le régime de l'UE s'appliquait à 168 pays bénéficiaires et englobait 530 produits agricoles, tandis que celui des États-Unis s'appliquait à 133 pays en développement et 467 produits agricoles et que celui du Japon était applicable à 151 pays bénéficiaires et englobait 289 produits agricoles (Yamazaki, 1996, p. 412). Globalement (c'est-à-dire pour tous les produits agricoles couverts et pour tous les pays bénéficiaires), la marge préférentielle représentait 14 pour cent de la valeur des importations dans l'UE, 6 pour cent des importations aux États-Unis et 16 pour cent des importations au Japon (calculs tirés de Yamazaki, 1996, p. 414).

ii) Indépendamment du SGP, quelques pays développés accordent des préférences tarifaires spéciales et plus favorables à des groupes limités de pays en développement auxquels ils sont habituellement liés par d'anciennes traditions coloniales ou par des relations politiques régionales. Les régimes particuliers les plus connus sont ceux qu'applique l'UE dans le cadre de la Convention de Lomé (maintenant devenue l'Accord de Cotonou) aux pays ACP et l'Initiative en faveur du Bassin des Caraïbes, prise par les États-Unis, qui a récemment été étendue aux pays d'Afrique subsaharienne par la Loi relative à la promotion de la croissance et des opportunités en Afrique. Les marges préférentielles prévues par ces régimes spéciaux sont habituellement plus importantes que celles qui sont accordées en vertu du SGP, et lesdits régimes couvrent un plus grand nombre de produits. Parfois, les préférences s'appliquent même à certains produits agricoles "sensibles" qui sont totalement exclus de l'application du SGP, comme le sucre dans le cas aussi bien du régime appliqué par l'UE aux pays ACP et de l'Initiative en faveur du Bassin des Caraïbes pour ce qui des importations aux États-Unis. Les marges préférentielles prévues par ces régimes spéciaux pour certains produits agricoles peuvent être très importantes. Par exemple, le protocole concernant le sucre à la Convention de Lomé garantit aux bénéficiaires un prix égal à celui que reçoivent les producteurs de sucre de l'UE. Les préférences que l'UE accorde aux importations de bananes en provenance des pays ACP sont très spécifiques aussi. Si l'on considère par ailleurs les restrictions connexes applicables aux importations en provenance des autres pays, ces préférences ont suscité des problèmes majeurs dans le contexte du GATT/OMC, comme l'ont montré clairement les différends successifs qu'a suscités la question des importations de bananes.

Les régimes préférentiels spéciaux dont bénéficient des groupes limités de pays en développement ont récemment suscité des difficultés au GATT/OMC car ils ne sont pas conformes à la "Clause d'habilitation", qui ne s'applique qu'au traitement préférentiel accordé à tous les pays en développement par le SGP (voir ci-dessous la Section 6). Cela ayant fait apparaître la nécessité de restructurer les régimes préférentiels spéciaux, l'UE a décidé le 26 février 2001 d'admettre en franchise de droits presque toutes les importations en provenance des PMA en vertu d'un régime parfois appelé l'Initiative "tout sauf les armes".[2] Cet arrangement prévoit que presque tous les produits des 48 (maintenant 49) PMA reconnus par l'Organisation des Nations Unies bénéficieront d'un accès en franchise de droits et de contingents aux marchés de l'UE.[3] L'accès en franchise n'est pas applicable aux armes (25 lignes tarifaires). Dans le cas de trois produits agricoles (bananes, sucre et riz), l'accès en franchise doit être accordé en trois étapes progressives (quatre pour les bananes) sur une période de trois ou quatre ans.

Une forte résistance a été opposée dans l'UE à l'admission en franchise de certains produits agricoles prévus par cette initiative. Les groupes qui défendent les intérêts des industries du sucre et du riz, en particulier, ont énergiquement critiqué cette initiative, craignant qu'elle ne condamne à terme les marchés de ces produits, hautement protégés dans l'Union. Ils craignaient que les PMA n'exportent, en se prévalant des règles d'origine, l'intégralité de leur production nationale de sucre et de riz vers l'UE tout en important les quantités de ces produits dont ils auraient besoin pour leur consommation intérieure en s'approvisionnant sur le marché mondial. En outre, l'on craignait que les PMA n'importent du riz brut, le traitent et l'exportent ensuite vers l'UE, ajoutant ainsi une valeur suffisante pour respecter les règles d'origine.[4] Cela risquerait ensuite de forcer l'UE à libéraliser le régime appliqué aux marchés de ces produits, en particulier parce que l'UE ne peut pas réexporter ces quantités du fait des limites que l'OMC impose aux exportations subventionnées. Il serait difficile d'apaiser ces craintes en resserrant les règles d'origine. Après tout, pour les produits homogènes comme le sucre, non seulement il est difficile de vérifier quelle est réellement l'origine d'une expédition donnée, mais encore il est virtuellement impossible d'empêcher le pays bénéficiaire d'un régime préférentiel d'exporter l'intégralité de sa production intérieure tout en consommant un produit importé.[5] Une autre solution aurait pu consister à fixer des contingents pour les exportations bénéficiant de préférences, et cela a été effectivement envisagé par l'UE dans le contexte du débat sur l'initiative "tout sauf les armes" et sur les produits "sensibles" comme le sucre. En définitive, toutefois, il n'a pas été fixé de contingent qui limite l'entrée en franchise de droits en vertu de cette initiative, bien que des mesures de sauvegarde puissent être invoquées s'il surgit des "difficultés sérieuses" sur les marchés de l'UE.

iii) En raison, principalement, des problèmes posés au GATT par les régimes préférentiels spéciaux dont bénéficient des groupes limités de pays en développement, les pays développés ont commencé à transformer certains de ces régimes en zones régionales de libre-échange, conformes au GATT, comportant une libéralisation réciproque du commerce entre les pays développés et les pays en développement intéressés. Un exemple est celui des nouveaux accords euroméditerannéens que l'UE a conclus avec plusieurs pays du bassin de la Méditerranée et dont d'autres sont encore en cours de négociation avec divers pays de cette région.[6] Des régimes semblables fondés sur la réciprocité sont censés remplacer un jour les préférences accordées par l'UE sur la base de la Convention de Lomé aux pays ACP qui ne font pas partie de la catégorie des PMA (voir plus loin la Section 6). Bien que ces régimes régionaux de libre-échange aient par le passé été le prolongement de préférences commerciales non réciproques en faveur de pays en développement, ils n'appartiennent plus à la catégorie de préférences tarifaires en faveur de pays en développement à strictement parler. Ces régimes réciproques ne seront donc pas abordés non plus dans cette étude.

En résumé, s'agissant de la nature des arrangements préférentiels en faveur des pays en développement, l'on peut distinguer trois grandes catégories, c'est-à-dire le Système généralisé de préférences (SGP), les régimes préférentiels spéciaux accordés à des groupes de pays en développement (comme dans le cadre de la Convention de Lomé/Cotonou ou de l'Initiative pour le Bassin des Caraïbes) et les accords régionaux de libre-échange entre pays développés et pays en développement. Cette dernière forme de régime préférentiel, toutefois, qui repose sur des préférences réciproques, ne relève pas à strictement parler des préférences commerciales en faveur des pays en développement.


[1] Pour les origines du SGP, voir par exemple Borrmann et al. (1985), p. 23-27, Long (1985), p. 99 et suivantes, et Senti (1986), p. 112 et suivantes et les ouvrages qui y sont cités.
[2] Les préférences spéciales dont bénéficient les PMA sont conformes à la Clause d’habilitation; voir plus loin la Section 6.
[3] Pour un résumé de l’Initiative “tout sauf les armes”, voir Commission européenne (2000a).
[4] Ces craintes ont été confirmées par une analyse réalisée par la Commission européenne (2001).
[5] Voir Josling (1997).
[6] Pour une analyse des conditions applicables au commerce agricole en vertu de ces accords, voir Grethe et Tangermann (1999).

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