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4. Les avantages des préférences commerciales

Quelle que soit la conclusion que l'on puisse tirer de la discussion plus théorique figurant dans la section précédente, dans la pratique, les préférences commerciales sont accordées aux pays en développement car ceux-ci exigent d'avoir plus largement accès aux marchés des pays développés et aussi parce que ces derniers considèrent qu'il s'agit là d'un moyen particulièrement utile d'offrir aux pays pauvres de meilleures possibilités d'expansion économique. De ce point de vue, les avantages escomptés par les pays en développement des préférences commerciales sont des avantages économiques "concrets" comme un meilleur accès aux marchés des pays développés, une augmentation du volume et des prix des exportations, un plus grand bien-être économique, plus d'emplois et une expansion économique plus rapide. En outre, il peut y avoir des avantages "intangibles" (mais néanmoins importants) comme une meilleure connaissance des marchés sophistiqués des pays développés, un prise de conscience accrue de la nécessité d'améliorer la qualité, une plus grande ouverture vers l'extérieur de l'économie, et de nouvelles alliances commerciales, etc.

Tous ces avantages, s'il se peut qu'ils existent en réalité, sont malheureusement très difficiles à identifier et à mesure empiriquement. La principale raison en est qu'il est très difficile de dire dans quelle mesure tel ou tel changement, est effectivement imputable aux préférences commerciales et n'aurait autrement pas eu lieu. Le taux de croissance constaté des exportations vers les pays développés qui accordent des préférences commerciales n'est pas un indicateur fiable dans la mesure où l'on ne peut pas déterminer clairement comment les exportations auraient évolué en leur absence. L'on peut se faire une idée un peu plus précise en comparant l'augmentation des exportations des pays en développement vers les pays développés qui accordent des préférences et celle des exportations à destination de pays développés qui n'en accordent pas, comme l'ont fait par exemple Weston, Cable et Hewitt (1980). L'on ne peut cependant pas tenir pour acquis que les exportations vers les pays qui accordent des préférences auraient, en leur absence, évolué de la même façon que les exportations effectivement destinées aux pays développés qui n'en accordent pas.

Ce problème fondamental, c'est-à-dire l'impossibilité de comparer "avec et sans", explique sans doute pourquoi assez peu d'études empiriques ont apparemment été consacrées aux avantages des préférences commerciales. Ce n'est qu'au moyen de modèles quantitatifs des échanges fondés sur des hypothèses touchant les élasticités que l'on peut comparer les courants commerciaux effectifs bénéficiant d'un régime préférentiel et les échanges hypothétiques qui auraient eu lieu si de telles préférences n'avaient pas été accordées. Étant donné que la plupart des régimes préférentiels sont extrêmement spécifiques pour ce qui est des produits qu'ils couvrent et les difficultés qu'il y a à estimer les élasticités à ce niveau de répartition, construire de tels modèles quantitatifs représente une entreprise majeure. Il y a cependant quelques études qui ont employé de tels modèles pour estimer l'impact des préférences accordées aux pays en développement sur le volume et la valeur des courants d'échanges, bien que, dans la plupart des cas, ces études ont porté sur des catégories de produits relativement vastes. Baldwin (1984) a analysé certaines de ces études. Il en ressort que l'augmentation des exportations des pays en développement rendue possible par le traitement préférentiel accordé dans le cadre des divers régimes analysés dans ces études est de l'ordre de 25 pour cent.

Un autre indicateur quantitatif approximatif des avantages (potentiels) découlant des préférences commerciales qui peut être estimé sans faire d'hypothèse quelconque concernant les élasticités est l'étendue des marges préférentielles. Conceptuellement, cet indicateur est relativement simple, bien que son interprétation économique soit limitée à plusieurs égards, comme on le verra plus loin. Dans certaines circonstances (rarement réalistes), la marge préférentielle est égale au surcroît de bien-être statique que le pays exportateur peut tirer d'une préférence commerciale. L'on peut calculer empiriquement la marge préférentielle sans difficulté majeure bien qu'il faille pour cela procéder à de longues opérations de traitement de données.[14] Fondamentalement, la marge préférentielle par unité de produit exporté vers un pays importateur déterminé est la différence entre le droit NPF et le droit préférentiel applicable à ce produit, l'un et l'autre étant exprimés sous forme de droits spécifiques.[15] La valeur totale de la marge préférentielle pour un produit donné est cette marge multipliée par la quantité exportée vers le pays importateur qui accorde la préférence.[16] Il va de soi que les valeurs totales des marges préférentielles peuvent alors être additionnées pour l'ensemble des produits. Afin d'harmoniser les chiffres pour les différents pays et produits, les marges préférentielles peuvent être exprimées sous forme de pourcentage de la valeur des exportations des produits en question.

Yamazaki (1996) a estimé les marges préférentielles pour les exportations de produits agricoles des pays en développement résultant des différents régimes préférentiels appliqués par l'UE, les États-Unis et le Japon. L'étude a constaté que la marge préférentielle globale pour tous les pays accordant des préférences, tous les pays bénéficiaires et tous les produits agricoles a atteint 1 853 millions de dollars E.-U. en 1992, soit l'équivalent de 12 pour cent de la valeur totale du commerce bénéficiant d'un régime préférentiel. L'UE représentait 73 pour cent de cette marge, le reste étant partagé à parts à peu près égales entre les États-Unis et le Japon. S'agissant des régions exportatrices, l'Afrique bénéficiait d'un peu plus d'un tiers de cette marge globale, l'Amérique du Sud de près d'un quart et l'Extrême-Orient, l'Amérique centrale et les Caraïbes environ un sixième dans chaque cas. Pour ce qui était des produits, 46 pour cent de la marge préférentielle accordée par l'UE provenait du sucre, alors que ce produit ne représentait pas plus de 10 pour cent du total des exportations vers l'UE visées dans l'analyse. L'étude a également estimé la contraction des marges préférentielles résultant des réductions des droits NPF convenues lors du Cycle d'Uruguay, les régimes préférentiels étant constants. Il a été constaté que la marge préférentielle aurait diminué de 632 millions de dollars, ou d'un tiers. L'Extrême-Orient était la région dont la part de la marge préférentielle antérieure au Cycle d'Uruguay aurait le plus diminué, de 63 pour cent, tandis que l'Afrique aurait perdu 25 pour cent. Pour plusieurs petits pays, l'on a constaté que la marge préférentielle totale avait été éliminée, le Cycle d'Uruguay ayant ramené les droits NPF au niveau des droits préférentiels existant en 1992.

Sharma (1997) a, dans une étude de la FAO, estimé la marge préférentielle dont bénéficiaient les exportations de produits agricoles des pays ACP vers l'UE. En 1996, c'est-à-dire sur la base des droits NPF en vigueur au début de la période de l'après-Cycle d'Uruguay, la marge préférentielle globale pour tous les pays ACP et pour tous les produits agricoles était estimée à 710 millions d'écus (840 millions de dollars), soit 14 pour cent environ de la valeur du commerce considéré. Le sucre était à l'origine de 52 pour cent de cette marge préférentielle, suivi par le bœuf avec 21 pour cent. Selon l'étude, la marge préférentielle globale diminuerait de 16 pour cent pendant la période précédant 2000 par suite des réductions de droits opérées à la suite du Cycle d'Uruguay. Dans cette analyse, l'on a supposé que les réductions tarifaires du Cycle d'Uruguay n'affecteraient pas la marge préférentielle dont bénéficiaient le sucre et les bananes, représentant 60 pour cent du total en 1996.

Une étude réalisée pour la CNUCED par Tangermann et Josling (1999) a estimé les marges préférentielles dont bénéficiaient les exportations de produits agricoles sélectionnés des pays ACP d'Afrique (AACP) vers l'UE. Certains des résultats de cette étude sont reproduits ci-après aux tableaux 1 à 3. Pour l'ensemble des produits agricoles sélectionnés visés par l'étude, la marge préférentielle totale pour les pays AACP a été estimée comme étant de l'ordre de 630 millions d'écus, sur la base des données commerciales pour 1997 et des droits de 1999. La proportion représentée par la marge préférentielle dans la valeur des exportations variait beaucoup d'un produit à un autre. Elle était la plus forte lorsque les pays AACP avaient reçu des préférences spécifiques pour des quantités déterminées de bœuf et de sucre, telles qu'elles étaient fixées dans les protocoles joints à la Convention de Lomé.[17] Pour le bœuf, l'on a estimé que la marge préférentielle prévue par le protocole correspondant représentait jusqu'à 75 pour cent de la valeur des exportations. D'un autre côté, dans le secteur des céréales, la marge préférentielle dont jouissaient les pays AACP, selon les estimations, ne dépassait pas 0,5 pour cent.

Tableau 1: Marges préférentielles pour des groupes sélectionnés de produits agricoles exportés par les pays AACP vers l'UE conformément aux dispositions de la Convention de Lomé (droits de l'UE de 1999).

Groupe de produits

 

Nombre de rubriques tarifaires couvertes (dont nombre de produits effectivement exportés vers l'UE par les pays AACP)

Valeur de la marge préférentielle en 1997

Millions d'écus

Pourcentage de la valeur des produits exportés vers l'UE par les pays AACP

Poisson

373 (204)

156,8

13,3

Tabac

21 (19)

68,0

14,2

Fruits et légumes frais

135 (57)

22,7

7,3

Fruits et légumes traités

393 (119)

20,6

20,5

Céréales

23 (7)

0,0

0,5

Produits laitiers

162 (3)

1,3

28,3

Total des produits susmentionnés

1 107 (409)

265,0

12,4


Source: Tangermann et Josling (1999), p. 47 (Tableau II.4).

Tableau 2: Marges préférentielles pour le bœuf et le sucre exportés par les pays AACP vers l'UE conformément aux dispositions de la Convention de Lomé (droits de l'UE de 1999).

Groupe de produits

Valeur de la marge préférentielle en 1997

Millions d'écus

Pourcentage de la valeur des produits exportés vers l'UE par les pays AACP

Bœuf - préférences générales (Convention de Lomé)

17,0

13,7

Bœuf - préférences prévues par le Protocole

87,1

75,2

Bœuf - total des préférences

104,1

43,2

Sucre - préférences générales (Convention de Lomé)

1,0

4,8

Sucre - préférences prévues par le Protocole

256,5

56,7

Sucre - total des préférences

257,6

55,6

Total des préférences susmentionnées

361,7

52,7


Source: Tangermann et Josling (1999), p. 50 (Tableau II.5).

Tableau 3: Marges préférentielles applicables conformément aux protocoles au bœuf et au sucre exportés vers l'UE par des pays AACP sélectionnés conformément aux dispositions aux dispositions de la Convention de Lomé (droits de l'UE de 1999).

Produit et pays

Valeur de la marge préférentielle en 1997

Millions d'écus

Pourcentage de la valeur du total des exportations de produits agricoles du pays concerné vers l'UE

Protocole bœuf



Botswana

38,4

88,5

Kenya

0

0

Madagascar

2,3

1,2

Namibie

21,9

13,0

Swaziland

1,1

0,8

Zimbabwe

23,4

5,5

Protocole sucre



Congo

4,1

28,0

Kenya

0

0

Madagascar

5,4

2,7

Malawi

11,0

5,3

Maurice

168,8

46,6

Ouganda

0

0

Swaziland

63.3

48.9

Tanzanie

4.0

2.9


Source: Tangermann et Josling (1999), p. 51 (Tableau II.6).

Dans la même étude, les marges préférentielles ont été calculées aussi pour les droits NPF qui seraient appliqués s'il était convenu lors de la prochaine série de négociations de l'OMC sur l'agriculture que tous les droits doivent être ramenés à 28 pour cent de leur niveau de base d'avant le Cycle d'Uruguay.[18] Les résultats de ce calcul sont reproduits au tableau 4. Globalement, pour tous les produits visés par l'étude, cette diminution hypothétique des droits réduirait la marge préférentielle de plus de moitié.

Tableau 4: Marges préférentielles pour des groupes sélectionnés de produits agricoles exportés vers l'UE par les pays AACP conformément aux dispositions de la Convention de Lomé, droits hypothétiques de l'UE après la prochaine série de négociations de l'OMC (données concernant le commerce de 1997)

Groupe de produit

Valeurs de la marge préférentielle en 1997

Millions d’écus

% de la valeur des exportations vers l'UE du produit concerné par les pays AACP

% de réduction de la marge préférentielle par rapport aux niveaux de 1999

Poisson

75.0

6,3

52,1

Tabac

24.5

5,1

64,0

Fruits et légumes frais

8.9

2,9

60,6

Fruits et légumes traités

6.2

6,2

61,9

Céréales

0.0

0,5

10,9

Produits laitiers

0.4

8,0

71,7

Total des produits susmentionnés

115.1

5,4

56,6


Source: Tangermann et Josling (1999), p. 52 (Tableau II.7).

Il va de soi que ces estimations des marges préférentielles peuvent être répétées pour d'autres séries de droits préférentiels (supposés). L'étude de Tangermann et Josling, par exemple, a analysé quel serait l'impact sur les pays AACP du remplacement des préférences de la Convention de Lomé par le SGP de l'UE.[19] Le résultat est indiqué au tableau 5. L'on a constaté que pour les pays ACP d'Afrique qui sont au nombre des PMA, la marge préférentielle globale dans le cadre du SGP ne serait inférieure aux préférences de Lomé que de 7 pour cent, tandis que les autres pays ACP d'Afrique perdraient environ 85 pour cent de la marge préférentielle s'il devait leur être appliqué le SGP plutôt que les préférences prévues par la Convention de Lomé. Dans une mise à jour plus récente de ces études, Tangermann (2000) a également estimé l'évolution des marges préférentielles entraînée par le passage de la Convention de Lomé à l'Accord de Cotonou en 2000, ainsi que les marges préférentielles qui résulteront de la nouvelle série de préférences (droit zéro) appliquée par l'UE aux PMA conformément au régime "tout sauf les armes".

Tableau 5: Comparaison des marges préférentielles pour des groupes sélectionnés de produits agricoles exportés vers l'UE par les pays AACP selon les préférences de la Convention de Lomé et les préférences du SGP, (droits de l'UE de 1999).

Groupe de produit

Pays AACP de la catégorie des PMA

Autres pays AACP, en millions d'écus

Valeur de la marge préférentielle (en millions d'écus)

Préférences de Lomé

Préférences SGP (% de Lomé)

Préférences de Lomé

Préférences SGP (% de Lomé)

Poisson

41,7

41,7 (100%)

115,1

14,9 (12,9%)

Tabac

29,7

29,7 (100%)

38,4

10,3 (26,9%)

Fruits et légumes frais

3,8

3,9 (101%)

18,8

4,0 (21,0%)

Fruits et légumes traités

0,7

0,5 (68,4%)

19,8

2,2 (10,9%)

Céréales

0,0

0,0 (0%)

0,0

0

Produits laitiers

1,3

0,0 (0%)

0,0

0

Bœuf - préférences générales de Lomé

6,0

2,0 (33,1%)

11,1

0

Sucre - préférences générales de Lomé

0,5

0,0 (0%)

0,5

0

Total des produits susmentionnés

83,7

77,8 (93,0%)

203,7

31,4 (15,4%)


Source: Tangermann et Josling (1999), p. 56 (Tableau II.9).
Note: Dans ce tableau, le chiffre 0,0 indique une valeur positive inférieure à 0,1, tandis que le chiffre 0 indique une valeur zéro.

Il est relativement aisé d'établir de telles estimations des marges préférentielles, lesquelles peuvent aussi présenter un intérêt immédiat. Cependant, les résultats doivent être interprétés avec beaucoup de prudence. En particulier, l'impact effectif des préférences commerciales sur le bien-être des pays bénéficiaires peut être très différent des marges préférentielles calculées d'une façon aussi mécanique et sont habituellement bien moindres. Pour la même raison, l'impact effectif des réductions des droits NPF sur l'économie des pays qui reçoivent des préférences peut être bien moindre que l'érosion des marges préférentielles estimées d'une façon aussi mécanique. Certains des principaux facteurs à l'origine des différences entre les marges préférentielles estimées et les "véritables" effets économiques seront examinés plus loin, à la Section 8, dans le contexte de la question de savoir si une indemnisation peut être justifiée lorsque les marges préférentielles sont érodées.

L'impact effectif sur le bien-être des pays bénéficiaires dépend également de la façon dont les avantages découlant des préférences commerciales sont répartis entre les divers groupes d'acteurs qui opèrent sur le marché. En particulier, ces avantages iront-ils vers les agents économiques du pays en développement exportateur ou vers des agents du pays développé importateur? La réponse à cette question dépend en partie de la structure de la concurrence sur le marché en question et en partie de l'administration de la préférence commerciale. La corrélation entre la structure du marché et la répartition des avantages provenant des préférences commerciales est complexe et ne peut pas être examinée ici en détail. Le bon sens porte néanmoins à penser que plus l'avantage potentiel résultant d'une préférence commerciale va au pays qui accorde la préférence, et i) plus le commerce en question est concentré et ii) plus le produit provenant des pays en développement exportateurs est échangé dans une situation de pleine concurrence. Quoi qu'il en soit, lorsque les structures et les comportements sur les marchés d'importation des pays développés répondent à une situation de monopsone, une partie de la marge préférentielle ira aux agents du pays importateur plutôt qu'aux pays exportateurs.

La politique appliquée par les pouvoirs publics débouche souvent sur une situation semblable si la préférence est limitée par un contingent tarifaire. Lorsque ce contingent est obligatoire, il en résulte une situation de rente qui peut être aussi élevée que la marge préférentielle. En présence de contingents obligatoires, les importations préférentielles doivent faire l'objet d'un permis pour veiller à ce que les importations effectuées sur la base du taux préférentiel ne dépassent pas le contingent tarifaire. La théorie économique et l'expérience pratique montrent qu'en pareil cas la rente, c'est-à-dire la marge préférentielle, va au détenteur du permis. Pour la plupart des contingents tarifaires, en particulier lorsque le contingent préférentiel n'est pas alloué à des pays exportateurs spécifiés, les gouvernements des pays importateurs tendent à ne délivrer de permis qu'aux société commerciales enregistrées sur leur territoire. Autrement dit, lorsque des préférences commerciales sont limitées par des contingents tarifaires qui ne sont pas spécifiquement alloués à des pays exportateurs déterminés, la marge préférentielle a fortement tendance à aller non pas vers les pays exportateurs mais plutôt vers le pays importateur.[20]

Comme indiqué ci-dessus, tout surcroît statique de bien-être économique estimé dans les études quantitatives, par exemple au moyen d'une évaluation des marges préférentielles, peut, dans le meilleur des cas, refléter un élément des différentes incidences positives potentielles des préférences commerciales. Bien d'autres avantages, en particulier les avantages dynamiques et les avantages intangibles mentionnés ci-dessus, ne se prêtent guère à une estimation quantitative sur la base de données globales. Des études de cas détaillées sont nécessaires pour évaluer les avantages spécifiques que les divers pays bénéficiaires ont tirés des préférences tarifaires. Faute de telles études, il est difficile aussi de dire à quels égards les avantages globaux varient d'un groupe de pays en développement à un autre et de faire des généralisations quant à la question de savoir quelles sont les catégories de pays en développement qui "méritent" le plus des préférences tarifaires. Un certain nombre d'hypothèses paraissent cependant attrayantes à première vue.

Premièrement, si les préférences commerciales sont considérées comme un type d'assistance économique que les pays riches peuvent fournir aux pays pauvres, il semble logique de penser qu'un traitement préférentiel devrait être accordé à plus grande échelle et de façon plus généreuse aux pays bénéficiaires potentiels n'ayant atteint qu'un niveau de développement économique relativement faible. Des considérations ressortant à l'économie politique vont dans le même sens. Pour le pays qui accorde la préférence, le "coût" politique de celle-ci tient à la résistance opposée par les producteurs nationaux de produits concurrents, tandis que l'"avantage" politique tient à la mesure dans laquelle les contribuables sont disposés à aider les populations des pays plus pauvres. Plus le pays bénéficiaire potentiel est pauvre, et moindre sera l'élément "de coût" car la menace d'une concurrence apparaît probablement comme moins sérieuse lorsque les pays bénéficiaires potentiels sont relativement peu développés. De même, l'"avantage" est élevé lorsque les bénéficiaires potentiels sont plus pauvres, la nécessité d'une assistance apparaissant alors particulièrement clairement. Simultanément, les avantages dynamiques et "intangibles" des préférences commerciales sont plus élevés pour un pays parvenu à un niveau de développement économique relativement faible.

Deuxièmement, l'on peut soutenir que les préférences commerciales sont plus importantes lorsque les exportations jouent un rôle relativement plus étendu dans le développement économique du pays bénéficiaire. Dans ce contexte, il faut tenir compte aussi des dimensions des pays bénéficiaires. Il est de fait que plus le pays dont il s'agit est petit, et plus le commerce est important en pourcentage du PIB et comme source d'amélioration du bien-être. La théorie du commerce suggère et les observations empiriques confirment que, dans les grands pays, le ratio entre le commerce extérieur et le PIB tend à être moindre que dans les petits pays car ils sont dotés d'une plus large gamme de produits caractérisés par des avantages comparatifs et différents à l'intérieur de leur propre territoire et aussi parce qu'ils peuvent mieux exploiter les économies d'échelle sur leurs marchés intérieurs. En un sens, les grands pays mènent leurs "échanges" entre les régions et entre les entreprises de leur propre territoire, tandis que les petits pays doivent commercer avec le reste du monde pour pouvoir exploiter leurs avantages comparatifs des économies d'échelle. Sur la base de cette considération, les préférences commerciales sont particulièrement importantes pour les petits pays en développement. Elles le sont de même pour les pays en développement "vulnérables", comme les pays insulaires ou sans littoral, pour qui l'accroissement des exportations est particulièrement important mais aussi souvent particulièrement difficile.

En résumé, les préférences commerciales peuvent avoir divers avantages pour les pays exportateurs intéressés. Il est difficile d'évaluer quantitativement l'ampleur de ces avantages, de sorte qu'il existe très peu d'estimations. La marge préférentielle est cependant un indicateur assez facile à calculer des avantages potentiels qu'elles apportent. Les estimations disponibles des marges préférentielles montrent qu'elles peuvent représenter une proportion significative de la valeur des exportations des pays en développement concernés. Toutefois, les marges préférentielles sont une mesure assez peu fiable des avantages économiques. Le surcroît de bien-être, pour les pays exportateurs intéressés, est habituellement bien moindre que la marge préférentielle. De plus, dans certaines conditions, la marge préférentielle bénéficie aux agents du pays importateur plutôt qu'aux pays exportateurs. En l'absence d'analyses approfondies des avantages apportés par les préférences aux divers pays bénéficiaires, il est assez difficile de se prononcer sur la question de savoir quels sont les groupes de pays en développement qui "méritent" le plus des préférences. Il existe néanmoins un certain nombre de raisons de bon sens qui permettent de soutenir que les préférences commerciales sont particulièrement importantes pour les pays les plus pauvres et pour les autres pays en développement vulnérables, comme les petits pays insulaires ou sans littoral.


[14] Techniquement, la difficulté qui suscite beaucoup de travail est que les statistiques commerciales doivent être combinées à des informations tarifaires, qui ne sont pas ventilées selon les mêmes produits.
[15] Dans la recherche empirique, il est souvent plus commode de travailler sur des droits ad valorem (ou leurs équivalents) et sur des valeurs commerciales plutôt que sur des quantités.
[16] Pour calculer les marges préférentielles pour plusieurs pays qui exportent vers un pays importateur accordant des préférences, il est plus commode d’utiliser les statistiques concernant les importations que les exportations car l’on peut utiliser la même source de données pour tous les pays exportateurs et parce que les données sont alors cohérentes.
[17] Pour les deux autres produits faisant l’objet de protocoles, c’est-à-dire les bananes et le rhum, les marges préférentielles n’ont pas été calculées. Il est difficile de donner une estimation des marges préférentielles applicables aux bananes en raison de la complexité de la structure du régime appliqué à ce produit par l’UE. Les préférences pour le rhum ne présentent plus aucun intérêt étant donné que le droit NPF appliqué au rhum par l’UE est maintenant égal à zéro.
[18] L’idée à la base de cette hypothèse était que les participants à la prochaine série de négociations de l’OMC pourraient convenir de réduire à nouveau les droits de 36 pour cent par rapport à leur niveau de base d’avant le Cycle d’Uruguay (de façon à éviter de réduire la base de calcul avec plusieurs séries successives de réductions), ce chiffre étant appliqué forfaitement à tous les produits (sans qu’une réduction moins prononcée soit prévue pour les produits “sensibles”) afin de compenser les réductions de droits inférieures à la moyenne appliquées aux produits “sensibles” lors du Cycle d’Uruguay.
[19] Cette partie de l’analyse a pour origine le problème juridique que posent à l’OMC les préférences que l’UE accorde aux pays ACP. Une solution théorique à ce problème consisterait à éliminer les préférences accordées à ces pays et à accorder aux pays ACP le même traitement qu’aux autres pays en développement.
[20] Pour une discussion un peu plus détaillée de cette question, voir Grethe et Tangermann (1999).

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