L'évaluation du stock de pagre (Sparus scaeruleostictus) du Sénégal par l'approche structurée en âge

Martial Laurans, Catalina Perales et Mariama Barry
ENSAR, Laboratoire Halieutique, 65 rue de Saint Brieuc, 35042 Rennes, Cedex, France
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Introduction

Le pagre à point bleu (Sparus caeruleostictus), aussi appelé pageot à point bleu est une espèce de la communauté à sparidés (Fager, 1968; Domain, 1980 et 2000). Son biotope est caractérisé par un fond dure (roche) et ou par un fond constitué de sable grossier coquiller. Il n'aime pas les eaux trop chaudes et est très peu présent dans les zones de fortes dessalures (Domain, com pers). On le trouve à des profondeurs comprises entre 20 et 150 mètres de fond. Le pagre à point bleu semble se nourrir préférentiellement de crustacés et de mollusques (Dia et al., 2000). Cette espèce peut être définie comme carnivore à large spectre alimentaire (ibid.). Il est présent du Portugal en Angola et dans une grande partie de la méditerranée du sud.

Au Sénégal, il est ciblé par une partie de la pêche artisanale, surtout par les pirogues ligne moteur et les pirogues glacières. La technique de pêche utilisée est celle de la palangrotte. La pêche industrielle en capture également mais en moindre quantité. En effet, ce n'est pas une espèce cible comme l'est le poulpe ou les crevettes. Comme le thiof (Epinephelus aeneus), il est largement exporté vers l'Europe.

Aucune évaluation de stock n'a été réalisée par l'approche structurale pour cette espèce. Seul un travail sur le stock de guinée par pseudo-cohorte existe (Laurans et al., 2002b). Par l'approche globale, des évaluations ont pu être faites (Gascuel et Ménard, 1997; Laurans et al., 2001);une série d'abondance obtenue par modélisation linéaire existe (Gascuel et Thiam, 1994). Sachant l'importance économique de cette espèce, on peut s'étonner du faible suivi de cette espèce. Les travaux sur la biologie et sur l'écologie de l'espèce sont plus nombreux. La croissance est étudiée par Giret (1974) au Sénégal. D'autres travaux ont été effectués en Sierra Leone et au Ghana. Au niveau du Sénégal, le pagre à point bleu est une des espèces sur lesquelles de nombreux travaux concernant la migration ont été réalisés (Domain, 1980; Giret, 1974; Barry-Gérard, 1990).

Dans ce papier, après la définition du stock sur lequel nous travaillons, une présentation de l'évolution des captures et de l'évaluation des stocks au travers de différents résultats est faite.

Matériel et méthode

- Données

Les données de captures, d'effort et de fréquences de taille proviennent du CRODT (Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye). En pêche artisanale, des données de capture existent depuis 1974 pour le pagre à point bleu. Néanmoins, seule une partie des zones de débarquements était suivie. A partir de 1981, l'ensemble des lieux de débarquements est suivi d'une manière exhaustive. Les données de capture et d'effort sont issues d'une extrapolation à partir d'un plan d'échantillonnage précis (Ferraris et al., 1994). Ainsi, l'ensemble des données peut être désagrégé par métier et zone. Les structures de taille ne sont pour le moment disponible que sur la période 1989-1999.

En pêche industrielle (PI), les fréquences de taille couvrent la période 1982-1999. C'est une structure de taille PI pour l'ensemble des licences. Les données de captures et d'efforts sont récoltées de deux manières. Pour les navires étrangers et ce depuis 1982, un enquêteur se trouve à bord de tous les navires ayant une licence. Il récolte toutes les informations nécessaires au suivi. Pour les navires nationaux, des enquêteurs sont présents aux débarquements.

La relation taille-poids (1) et la courbe de croissance de Von Bertalanffy (2) que l'on a utilisé proviennent des travaux de Giret (1974). Concernant cette espèce, il n'y a pas de travaux plus récents provenant de la zone d'étude.

W en gramme, L en centimètre, K en unité mois^-1.

- Stock

Dans cette étude nous ne considérons un seul stock de pagre le long du littoral sénégalais. Cette hypothèse est reprise de travaux antérieurs (Giret, 1974; Champagnat et Domain, 1978). N'ayant pas la possibilité de contrôler cette hypothèse, nous la prenons comme correcte.

- Capture en nombre d'individus

Les captures en poids sont transformées en nombre d'individus pêché par classe de taille. Cette transformation intervient pour les métiers ayant subi un échantillonnage de la structure de taille de leur capture. La structure de taille échantillonnée est considérée comme représentative de la population, elle est extrapolée (3) à la population en utilisant la relation taille-poids.

Pour une classe de taille i donnée:

avec Ni le nombre d'individus extrapolé pour la classe de taille i, ni le nombre d'individus de l'échantillon pour la classe de taille i, P la masse totale des captures du métier considéré et p est la masse totale de l'échantillon.

Pour certains métiers, les captures sont faibles, aussi, aucune structure de taille n'est disponible. Dans ce cas, ces captures sont ajoutées par extrapolation à la somme des captures en individus des autres métiers.

Pour la pêche industrielle, les données ne permettent pas de faire une distinction entre les différents métiers. Malgré un diagramme d'exploitation qui varie selon la licence, la même structure de taille PI est appliquée à l'ensemble des métiers de la pêche industrielle. La capture totale en nombre d'individus est obtenue en sommant par classe de taille les captures de tous les métiers.

La décomposition polymodale de la capture totale est effectuée à l'aide du logiciel NORMSEP (Boer, 1986) à partir de la méthode de décompositions polymodales par le maximum de vraisemblance (Hasselblad, 1966). L'ajustement est réalisé sous contrainte, avec des longueurs moyennes à chaque âge fixées en fonction du modèle de croissance. Les modes étant difficilement distinguables pour certaines années, il est difficile d'ajuster un modèle des écartypes. Aussi, à partir de l'année 1994, pour laquelle les modes sont assez visibles, le logiciel NORMSEP appliqué sans contrainte sur les écartypes permet d'obtenir les estimations pour ces derniers. Ces écartypes sont appliqués aux autres années. Ainsi, un tableau des captures aux âges par année est obtenu de 1999 à 1998.

- Analyse des cohortes (VPA)

La méthode d'analyse des cohortes utilisée ici est similaire à celle développé pour le thiof. Aussi, nous renvoyons à l'article de Laurans et al. (2002a), pour cette partie. Une valeur de mortalité naturelle égale à 0.3 an^-1 est prise. Cette valeur est une moyenne entre la valeur donnée par la formule de Taylor et celle de Pauly.

L'impact de la PI sur la PA (et inversement) est abordé à travers de l'évolution de rendements par recrue où l'on considère l'effort de l'une des pêcheries constantes et au travers d'un isoplète de rendement par recrue fonction du multiplicateur d'effort de la PI et de la PA.

Résultats

- Captures

Figure 1: Production de pagre par la pêche artisanale (PA) et industrielle (PI).

Les captures de pagres sont caractérisées par une proportion importante de la PA dans les débarquements (figure 1). Ces captures se caractérisent par une période de forte augmentation entre 1982 et 1990, période d'expansion de la pêcherie. Il faut toutefois noter une diminution en 1988 et 1989. Après 1991, les captures ont fortement diminué; cette baisse est surtout le fait de la pêche industrielle. En effet, les captures de la pêche industrielle ont diminué de 80 pour cent de 1990 à 1999. Sur cette même période la part des captures effectuée par la PI est passé de 50 pour cent à 22 pour cent. Ceci s'explique par une diminution des cpue de l'ensemble des flottilles qui constituent la PI, sauf pour celle de la pêche industrielle glacière sénégalaise.

- Capture en nombre d'individus par groupe d'âge

L'utilisation des données de fréquences et de la relation taille-poids permet d'obtenir les captures en nombre d'individus par classe de taille (figure 2a). Ces graphes montrent que l'exploitation se fait sur le groupe d'âge 2. Ce sont les individus mesurant environ 26 cm. Le diagramme d'exploitation diffère selon la pêcherie. Ainsi, la pêche industrielle ne capture que peu d'individus supérieurs à 30 cm. Inversement, dans les classes de taille les plus faibles cette proportion est plus forte. La décomposition poly modale donne les captures en nombre d'individus par groupe d'âge (figure 2b). Pour l'année 1994, on peut noter l'importance du groupe d'âge 2. Cette prédominance est présente pour l'ensemble des données de la série (tableau 1, en annexe). De ce fait, une part substantielle des captures d'une année sont très dépendantes du recrutement de l'année précédente.

Figure 2: Capture en individu par classe de taille pour l'année 1996

Figure 2: Décomposition polymodale des captures pour l'année 1994

- VPA

Au regard des données sur la mortalité par pêche, quelles que soient les valeurs d'entrée, la VPA est stabilisée et a convergé (figure 3a). En effet, quelle que soit la valeur du paramètre a entré, les valeurs de mortalité par pêche du début de la série sont confondues. La convergence est rapide, déjà pour l'année 1997 les valeurs sont très proches. Ceci est naturellement lié à des valeurs de mortalité par pêche (F) élevées. Cette série de mortalité montre certaines variations très fortes d'une année sur l'autre. C'est le cas en 1990, 1993 et 1996 où les valeurs sont très faibles. Rien ne semble expliquer à priori ces diminutions fortes sur une année. Sur l'ensemble de la période, la mortalité par pêche diminue.

L'année 1990 se caractérise par un fort recrutement (figure 3b). A partir de cette année et jusqu'en 1993, le recrutement diminue continuellement. Ensuite, la tendance s'inverse jusqu'en 1997, puis à nouveau une diminution en 1998. Globalement, le recrutement semble ainsi fluctuer sans tendance clairement établie sur le période. Pour les années récentes, l'influence de la valeur du paramètre a est significative. Avec une valeur de 1,1 qui signifie une augmentation de la mortalité par pêche de 10 pour cent la dernière année par rapport à la moyenne des trois années précédentes, le recrutement est bien moindre. Cette observation peut également être faite pour la série de la biomasse totale et féconde (figures 3c et 3d). Sur ces deux séries, l'influence du fort recrutement de l'année 1990 se fait ressentir une année après, en 1991. Ensuite, la biomasse totale (BT) et la biomasse féconde (BF) diminuent jusqu'en 1993 puis se stabilisent jusqu'en 1996 avant de réaugmenter. Cette dernière augmentation semble faire suite au bon recrutement de 1997.

Figure 3: Résultats de l'analyse des cohortes pour le stock de pagre du Sénégal. Pour chaque graphique, les trois courbes présentées correspondent à des valeurs différentes du paramètre a. A: mortalité naturelle moyenne

Figure 3: Résultats de l'analyse des cohortes pour le stock de pagre du Sénégal. Pour chaque graphique, les trois courbes présentées correspondent à des valeurs différentes du paramètre a. B: recrutement

Figure 3: Résultats de l'analyse des cohortes pour le stock de pagre du Sénégal. Pour chaque graphique, les trois courbes présentées correspondent à des valeurs différentes du paramètre a. C: biomasse totale

Figure 3: Résultats de l'analyse des cohortes pour le stock de pagre du Sénégal. Pour chaque graphique, les trois courbes présentées correspondent à des valeurs différentes du paramètre a. D: biomasse féconde.

- Evolution des biomasses

La série de biomasse totale obtenue à partir de l'approche structurale est comparée à celle obtenue par l'approche globale (Laurans et al. 2001). Il s'avère que pour les quatre premières années, l'estimation par l'approche globale est supérieure (figure 4). Néanmoins les variations d'une année sur l'autre sont pour ces quatre années concordantes. Ensuite, jusqu'en 1997, les valeurs sont du même ordre de grandeur. Pour l'année 1998, l'estimation par l'approche structurale est plus élevée. Globalement, les deux évolutions sont peu cohérentes entre elles. Néanmoins, en admettant une valeur a de 1,1, on observe pour les deux modèles une tendance à la hausse jusqu'en 1991 puis à la baisse ensuite.

Figure 4: Biomasse totale selon l'approche globale (GLO) et structurale (VPA) avec a=1,1.

- Diagnostic de rendement et biomasse par recrue

Le diagnostic donné par la courbe de rendement par recrue ne change pas quelles que soient les valeurs du paramètre a (figure 6a). En effet, on note une surexploitation du stock de pagre. Celle-ci est plus importante quand la valeur de a augmente. Pour a=1,1, l'effort qui maximise le rendement par recrue est de 0,54; il est de 0,79 pour a=0,9. Pour la courbe de biomasse féconde par recrue (figure 6b), on se trouve quelle que soit la valeur au-dessus du seuil empirique de 10 pour cent considéré comme celui de surexploitation du recrutement. Néanmoins, pour a=1,1 et a=1, le résultat est 12 pour cent et 15 pour cent. Avec une valeur de 0,9, la valeur de BF/ R est de 19 pour cent. Aussi, ce stock en l'état actuel est à surveiller.

Figure 5: a, rendement par recrue

Figure 5: b, biomasse féconde par recrue en fonction d'un multiplicateur d'effort.

- Interaction PA/PI

Les isoplètes de rendement par recrue permettent d'avoir un autre regard sur l'état du stock de pagre (figure 6). Dans l'état actuel, toute diminution de l'effort de la part de la PI entraînerait une augmentation du rendement par recrue totale. En effet, la PI cible des individus de petite taille. Néanmoins, cette diminution doit être conséquente (50 pour cent) pour que l'augmentation soit de 5 pour cent.

Figure 6: Isoplètes des rendements par recrue, en abscisse le multiplicateur d'effort de la PA et en ordonnée celui de la PI.

Discussion

Le diagnostic que l'on obtient par l'approche structurale est proche de celui obtenu par l'approche globale (Laurans et al., 2001). Les indices obtenus par les deux approches sont proches en valeur (tableau 2). Le stock du pagre au Sénégal est surexploité. En effet, le multiplicateur d'effort qui maximise la production varie entre 0.54 et 0.79. Cette forte exploitation du pagre est notable si l'on compare les histogrammes de fréquence de taille utilisés par Giret (1974) et ceux que nous obtenons. Les poissons inférieurs à 25 cm semble être très peu pêchés avant 1975. Ce n'est pas le cas dans les données de la présente étude.

Les effets de la diminution de l'effort de pêche (figure 3a) n'ont pour le moment aucun impact sur l'état du stock à cause de la diminution du recrutement. Néanmoins, la remontée en 1997 peu avoir des effets bénéfiques, notamment sur la biomasse totale qui semble réaugmenter en fin de période. Il est donc possible que la situation du pagre s'améliore.

Ces diagnostics pourraient être affinés si les données concernant la croissance sont améliorées. En effet, ces données sont anciennes, aussi, il est possible que leurs valeurs aient changé suite à l'exploitation.

Comme les autres espèces démersales exploitées au Sénégal et ayant fait l'objet d'une évaluation dans le cadre du projet SIAP, le stock de pagre est surexploité.

Bibliographie

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ANNEXE

Tableau 1: Capture en nombre d'individus par classe d'âge.

Tableau 2: Comparaison des résultats obtenus par l'approche structurale et globale pour le stock de thiof du Sénégal.

* B/R relative (ne prends pas en compte la baisse de R).