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Le boom de la Chine dans la gestion familiale des forêts

J. Liu et J. Yuan

Liu Jinlong is Participatory Forestry Specialist at the Sustainable Forestry Research Centre, Chinese Academy of Forestry.
Yuan Juanwen is a Ph.D. candidate at Wageningen University and Research Centre, Wageningen, the Netherlands.

Grâce à la réforme du régime foncier des forêts, la plupart des forêts collectives de la Chine rurale sont maintenant gérées par des ménages individuels.

Les ménages établissent des essences à croissance rapide, comme Populus sp., avec des cultures agricoles en intercalaire, et les agriculteurs peuvent, dans la plupart des cas, exploiter les arbres
FAO/J. Carle

Les ménages ruraux jouent un rôle important dans les forêts de Chine. D’après la législation chinoise, la terre appartient à l’État ou aux collectivités. Cependant, au titre d’un système d’utilisation des terres rurales créé au début des années 80 – le système de responsabilité familiale – les droits d’utilisation de la terre ont été alloués à des ménages agricoles individuels pour des périodes allant de 30 à 70 ans. C’est ainsi que la gestion de dizaines de millions d’hectares de forêts collectives a été confiée à des ménages individuels. Ces forêts familiales revêtent une grande importance sur le plan de la production, de la protection et de la réduction de la pauvreté. Le présent article fournit un aperçu historique de la foresterie familiale en Chine, décrit certains des aspects récents de la réforme du régime foncier qui l’ont influencée, et donne des exemples relatifs à différents milieux topographiques.

PATRIMOINE DE FORÊTS FAMILIALES

Avant 1949, la plupart des forêts de Chine appartenaient à des ménages et étaient gérées pour la production commerciale, ou de subsistance, de bois, de bois de feu, d’aliments et de médicaments. Elles étaient aussi appréciées pour leurs valeurs culturelles et spirituelles. Les forêts intensément aménagées étaient aussi précieuses que celles gérées suivant des systèmes d’exploitation traditionnels.

La période allant de 1949 au début des années 80 s’est caractérisée par la nationalisation et la collectivisation. Les terres privées étaient expropriées, et en un temps relativement court, dans les années 50, la constitution de communes avait éliminé la propriété privée des terres, y compris celle des forêts. De ce fait, il y avait alors deux types de propriété des forêts: 58 pour cent appartenaient aux exploitations agricoles collectives, aux villages administratifs ou aux groupes de production qui les géraient, et 42 pour cent appartenaient à l’État. Dans les années 60, la porte s’est légèrement entrouverte pour accorder aux ménages des droits d’utilisation de petites parcelles de forêts dans les régions montagneuses, mais cette libéralisation s’est terminée au début de la révolution culturelle de 1966.

Toutefois, au début des années 80, la Chine a appliqué des réformes de ses politiques rurales visant le marché libre, réformes qui ont fortement influencé le régime foncier des forêts. Encouragé par des expériences réussies du système de responsabilité familiale sur les terres agricoles, le Gouvernement chinois a décidé d’entreprendre des réformes semblables pour le système de propriété collective des forêts. En mars 1981, la politique des «trois points fixes» (propriété des forêts, droits d’utilisation des montagnes et responsabilité de la gestion forestière) s’est orientée vers l’abolition de la collectivisation et vers la décentralisation de l’utilisation et de la gestion forestières. Au titre de cette réforme, les droits d’usage se dissociaient de la propriété collective des forêts. Le gouvernement a créé un système comportant deux différents accords de propriété pour distribuer les terres forestières de façon équitable aux ménages individuels, système appelé «des deux montagnes» (car les forêts étaient souvent situées dans les montagnes). Sur les montagnes «à entretien autonome» ou «montagnes en tenure franche» (ziliu shan), aux ménages ruraux individuels étaient accordés des droits d’utilisation privée des forêts à des fins de subsistance. Les droits d’utilisation étaient attribués à long terme, normalement en fonction d’un contrat à durée illimitée, et pouvaient être hérités. Sur les «montagnes à responsabilité» (zeren shan), l’utilisation et la gestion des forêts collectives étaient assignées par contrat aux ménages d’un village ou à un groupe de production villageois. Les périodes contractuelles allaient de 5 à 15 ans pendant la phase initiale. Cependant, elles peuvent maintenant être prolongées jusqu’à 70 ans en vertu d’une loi approuvée au milieu des années 90. Simultanément à cette réforme, les collectifs ont eu de moins en moins de fonctions dans les affaires rurales, y compris la gestion forestière.

Aucune donnée officielle n’indique l’étendue de la superficie qui est passée de la gestion collective à la gestion privée en vertu de la politique des «trois points fixes» dans les années 80, mais il est certain qu’elle devait être très vaste. Lu et al. (2002) ont estimé qu’elle était de l’ordre de 69 pour cent des forêts collectives. D’après Li (1996), en 1984, 1 781 comtés avaient adhéré pleinement à la politique des «trois points fixes». Au total, 99,7 millions d’hectares de forêts étaient de propriété collective, alors que 31,3 millions étaient gérés par 57 millions de ménages ruraux. D’après les statistiques, en 1986, dans la province de Jiangxi, 92 pour cent des forêts collectives étaient gérées par des ménages individuels, conformément à la politique des «trois points fixes» (Liu, 2006).

Dans certaines régions du sud-ouest de la Chine, dans la province de Yunnan, par exemple (Zheng, 2006), le système des «deux montagnes» a été modifié vers 1990 pour inclure une troisième «montagne», étant prévue une attribution ultérieure de forêts, appartenant à des collectifs ou des exploitations étatiques, à des ménages individuels par des contrats passés moyennant des mécanismes du marché, comme les soumissions. La durée du contrat variait entre plusieurs années et 70 ans. Les accords de partage des avantages variaient aussi.

Toutefois, de nombreux observateurs ont estimé que, lors de ses premières phases, le système de responsabilité des ménages favorisait moins efficacement la foresterie que l’agriculture. La mise en œuvre de la politique des «trois points fixes» a été suivie d’une forte réduction des forêts collectives au milieu des années 80 (Liu, 2006). Ce phénomène a été interprété de diverses façons. Certains l’attribuaient à l’essor de la demande de matériaux de construction dans les zones rurales à la suite du développement économique rural accéléré, d’autres estimaient que les agriculteurs doutaient de la stabilité de la politique et optaient, dès lors, pour des revenus économiques immédiats grâce à l’exploitation forestière, et d’autres encore l’attribuaient à la fragmentation des forêts. Chaque ménage possédait de très petites forêts de quelques hectares, normalement fractionnées; dans le comté de Liuyang de la province de Hunan, par exemple, les propriétés forestières ne dépassaient pas 1 hectare en moyenne, subdivisé en six parcelles. Les forêts fragmentées sont difficiles à gérer et peu rentables économiquement.

Dans quelques zones, la déception causée par le système de responsabilité des ménages était telle que les forêts assignées à des ménages individuels ont été remises sous gestion collective. Dans la province de Jiangxi, plus de 92 pour cent des forêts collectives étaient sous gestion privée en 1986, mais ce chiffre a baissé pour atteindre 60 pour cent en 2000.

Le développement des forêts familiales en Chine s’est heurté à de nombreuses difficultés, en particulier, l’insécurité des droits d’utilisation. Dans les superficies forestières intéressées par de grands programmes du gouvernement central, comme le Programme de protection des forêts naturelles, les agriculteurs ont à peine le droit d’exploiter des arbres, même s’il s’agit d’arbres plantés adultes. Les coûts de transaction élevés et la documentation complexe exigée pénalisent les petits forestiers ruraux et les empêchent de respecter les quotas d’exploitation. Les impôts élevés et d’autres redevances, comme les frais de boisement et ceux de protection contre les incendies, réduisent leur intérêt pour la gestion forestière.

Cependant, une nouvelle étape de la réforme du régime foncier des forêts a été franchie ces dernières années, étendant les programmes de responsabilité familiale dans les forêts collectives, renforçant les droits d’utilisation forestière des ménages individuels et consolidant leur propriété. Les nouvelles stratégies visant à protéger les droits des forêts familiales actuellement à l’essai comprennent les associations de petits forestiers, les forêts paysannes en régime de copropriété, les partenariats entre les entreprises et les ménages et une politique financière et fiscale plus adaptée.

Les nouvelles politiques, qui varient entre les régions, appuient le transfert de la propriété ou la vente de forêts collectives et protègent les revenus économiques tirés de la forêt par les particuliers, en encourageant, par exemple, une perception plus transparente des redevances, favorisant la commercialisation ou abaissant les taux d’impôts et les redevances. C’est ainsi que, dans la province de Jiangxi, les redevances sur les grumes produites ont baissé, passant de 50 pour cent environ de leur valeur à 24 pour cent depuis la mise en vigueur de la réforme du régime foncier des forêts collectives en 2004. Les contrats sont maintenant à plus long terme et peuvent durer jusqu’à 70 ans. Grâce à la forte promotion et à la direction de l’administration forestière publique, la réforme du régime foncier devrait être mise en œuvre dans chaque province, indépendamment de sa part dans la production. De meilleurs liens entre les politiques forestières et la gestion des forêts devraient améliorer l’efficacité de cette gestion, les moyens d’existence ruraux et la durabilité de l’environnement.

Tendances des droits d’utilisation des forêts, comté de Jinzhou, province de Hunan, Chine

LES FORÊTS FAMILIALES DANS LES RÉGIONS DE MONTAGNE – LE CAS DU COMTÉ DE JINZHOU, HUNAN

Le comté de Jinzhou, situé à la limite sud-ouest de la province de Hunan, est une région forestière de première importance et un grand producteur de bois d’œuvre, comprenant 78 pour cent de couvert forestier. Près des trois quarts de la population, qui comprend 255 000 habitants, appartiennent à des ethnies minoritaires. En 2005, la foresterie contribuait pour 23 pour cent à la valeur totale de la production du comté, pour 60 pour cent au revenu des agriculteurs et pour 20 pour cent aux impôts perçus par le gouvernement.

Les droits de propriété forestière ont évolué au fil du temps, parallèlement aux changements politiques et sociaux (voir la figure). Depuis la fin des années 80, plus de 90 pour cent des forêts du comté sont sous gestion privée, réalisée en grande partie par les ménages au titre des arrangements suivants:

Les forêts restantes du comté de Jinzhou sont gérées par le comité du village, des forêts paysannes collectives, des forêts paysannes publiques ou des entreprises privées.

Un petit propriétaire forestier

Li Kaiyou est le chef d’une famille de cinq personnes appartenant au village de Dakai. Il possède 0,6 hectare de terres cultivables et 3,7 hectares de forêts.

En 2002, il a vendu 0,67 hectare de terrain planté en sapins de Chine adultes (Cunninghamia lanceolata) au prix de 12 000 yuans (environ 1 450 dollars EU). Après la récolte, il a repris ses droits d’utilisation et a planté de nouveau des sapins de Chine en 2003.

En 1987, il a loué 1 hectare environ de terre boisée à un ménage de son village et l’a repris en 2003 après son exploitation.

Il possède encore une parcelle de forêt de 0,5 hectare plantée en sapin de Chine. À 14 ans d’âge, les arbres mesurent 7 m de hauteur et de 12 à 14 cm de diamètre.

La partie la plus étendue de sa forêt, soit 1,7 hectare, est couverte de forêts secondaires mixtes naturelles. Il estime que c’est du gaspillage, car les essences feuillues donnent moins de revenus économiques.

LES FORÊTS FAMILIALES DANS LES PLAINES – LE CAS DU COMTÉ DE MINQUAN, HENAN

Le comté de Minquan, situé dans la partie orientale de la province de Henan, est un comté typique de plaines couvrant 120 000 hectares avec une population de 848 000 habitants.

Il y a 60 ans, le couvert forestier représentait environ 3 pour cent de la superficie des terres; des dunes de sable mouvant, des tempêtes de sable caractérisées par des vents impétueux, des terres salines et alcalines, la sécheresse et les inondations rendaient très précaires les conditions de vie et maintenaient la production de céréales à un niveau faible et instable. Des pénuries de bois de feu et de bois d’œuvre s’ajoutaient aux inconvénients. La dégradation environnementale allait de pair avec la pauvreté.

Cette situation a été renversée grâce à l’établissement de rideaux-abris, la plantation d’arbres en bordure de route et le long des berges des cours d’eau, les cultures intercalaires et l’agroforesterie, qui ont créé un environnement propice à l’agriculture et aidé aussi les agriculteurs à en tirer des revenus. En 2005, le couvert forestier avait atteint 27,6 pour cent, les arbres étaient au nombre de 45 millions et le volume du matériel sur pied s’élevait à 2,8 millions de mètres cubes. La récolte annuelle de bois est d’environ 150 000 m3, chiffre semblable à celui de la récolte des comtés riches en forêts du sud de la Chine. Le comté de Minquan fournit maintenant du bois d’œuvre à d’autres régions.

Les ménages ont joué un rôle important dans cette réussite en plantant des arbres qu’ils gèrent et possèdent sur des terrains agricoles et autour des maisons. Les agriculteurs peuvent exploiter ces arbres dans la majorité des cas. Ils préfèrent planter des essences à croissance rapide comme les espèces de Populus et Paulownia. Les arbres et les forêts sont aménagés conformément à une variété d’arrangements individuels ou collectifs (voir le tableau) (Zhu, 1997).

La plantation de rideaux-abris est un modèle typique de forêt paysanne dans les régions de plaine; les arbres sont gérés suivant une variété d’arrangements individuels ou collectifs
FAO/J. Carle


QUESTIONS À AFFRONTER

Le pourcentage de forêts gérées par des ménages en Chine est parmi les plus élevés du monde. Cependant, la foresterie familiale doit relever un grand nombre de défis institutionnels:

À long terme, le débat continuera à porter sur la manière d’améliorer l’efficacité des forêts familiales. La Chine est un pays si vaste que les mauvais rendements des forêts familiales ont une incidence mondiale sur le commerce des produits forestiers, l’environnement et le développement équitable. Vu les besoins croissants de forêts de production, la Chine pourrait devoir envisager une réforme des arrangements institutionnels en faveur de la mise en valeur des forêts familiales, en augmentant, par exemple, les associations de petits forestiers et en fournissant une formation commerciale et technique plus adéquate aux petits forestiers. À défaut, les forêts familiales risquent de s’amenuiser.

Bibliographie

Li, Y., éd. 1996. Forestry development strategy towards the 21 century. Beijing, Chine, The Forestry Publishing House. [En chinois]

Liu, J. 2006. Forests in the mist. Thèse de maîtrise. Wageningen, Pays-Bas, Université de Wageningen.

Lu, W., Landell-Mills, N., Liu, J., Xu, J. et Liu, C. 2002. Getting the private sector to work for the public good. Londres, Royaume-Uni, Institut international pour l’environnement et le développement (IIED).

Zheng, B.
2006. Changes and trends in forest tenure and institutional arrangements for collective forest resources in Yunnan Province, China. Dans Understanding forest tenure in South and Southeast Asia. Forestry Policy and Institutions Working Paper n° 14. Rome, FAO.

Zhu, Z., éd. 1997. Participatory forestry in China. Beijing, Chine, International Academic Publishers.


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