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PATHOLOGIE DES LOUPS ET DES DAURADES

R. GIAVENNI

INTRODUCTION

Je voudrais aborder les maladies de deux espèces de poissons marins qui sont actuellement les plus importantes et les plus intéressantes en écloserie industrielle : le loup ou bar (Dicentrarchus labrax), et la daurade (Sparus aurata). Pour simplifier, lorsque je parle de stade larvaire, j'entends les poissons âgés de l à 60 jours alors qu'en parlant d'alevins (“fingerlings”), je veux dire les poissons âgés de 60 à 180 jours.

Ce que je vais exposer ici est le résultat de mes propres études et observations réalisées en ltalie dans différents établissements aquacoles de reproduction artificielle, à l'échelle commerciale.

Il reste encore beaucoup de choses à faire pour améliorer les conditions de la reproduction artificielle ainsi que celles de l'élevage du loup et de la daurade, aux divers stades ultérieurs. La connaissance de la pathologie de ces espèces est devenue de plus en plus approfondie, essentiellement durant les cinq dernières années, mais beaucoup de problèmes persistent cependant.

Dans l'avenir, avec les progrès et le développement du domaine de la reproduction des poissons, nous pouvons nous attendre à l'éradication de plusieurs affections pathologiques, mais, en même temps, d'autres nouvelles maladies, actuellement inconnues vont probablement être mises en évidence.

LE STOCK DES GENITEURS (ou reproducteurs)

Les géniteurs, bien qu'ils soient le capital réel d'une installation de reproduction artificielle, sont rarement entourés des soins qu'ils méritent. En effet, à côté du maintien des conditions essentielles comme par exemple, la qualité de l'eau, son renouvellement, la densité des poissons…, il y a d'autres éléments qui devraient être pris en considération pour rendre ce capital profitable.

Une attention particulière devrait être donnée, en premier lieu à l'alimentation. Les loups et les daurades se nourissent tous les deux d'aliments secs et humides ou d'aliments frais. Puisque, en captivité, ils ne peuvent pas choisir leurs aliments, nous devrions réussir à leur donner une ration équilibrée du point de vue quantitatif mais essentiellement du point de vue qualitatif. Actuellement, l'utilisation d'aliment sec commercial est devenue de plus en plus répandue et les poissons sont quelquefois nourris uniquement avec cet aliment sec. D'autre part, nous savons que le processus industriel de la production alimentaire et une conservation inadéquate peuvent souvent détériorer la qualité de l'aliment (manque de vitamines, augmentation du rancissement). Ainsi, l'utilisation d'aliment sec est devenue essentielle pour nourrir les géniteurs mais il doit être de fabrication récente et bien stocké. Alors, une ration mixte avec aliments secs et frais ou congelés, permettra de couvrir les déficiences possibles des aliments secs composés.

Mais je pense que la meilleure solution devrait être la production sur place d'aliments humides à partir de matières premières essentielles; dans ce cas, nous pouvons produire des quantités journalières d'aliments sans problème de longue conservation et avec la possibilité d'incorporer tous les additifs (vitamines, médicaments) dont les poissons pourraient avoir besoin à un moment donné.

Un autre problème important, dans l'alimentation des géniteurs, est la quantité d'aliment qui doit leur être fournie.

Il est connu, en zootechnie que des poissons suralimentés ou sousalimentés ne peuvent pas devenir de bons géniteurs; pour cette raison, même si nous avons peu de renseignements sur les besoins alimentaires des poissons marins, nous admettons géneralement, à partir de l'expérience acquise dans l'élevage de la truite, uneration journalière variant durant l'année, de 1 à 3 % du poids du poisson.

De plusieurs manières, la majorité des pisciculteurs paraîssent insensibles au problème de l'exploitation correcte du 'stock de géniteurs". Je voudrais ici, faire remarquer la nécessité et l'importance d'une politique générale dans l'exploitation du “stock des géniteurs” de manière à prendre en considération tous les aspects caractérisant leur utilisation, pas seulement en tant que producteurs d'oeufs mais aussi en tant que producteurs sains, d'oeufs viables; en évitant en même temps, leur hyper - exploitation.

Ces objectifs peuvent être réalisés, d'une part, par l'élimination systématique d'une partie des geniteurs et par leur remplacement par de jeunes poissons pouvant être élevés comme futurs géniteurs et d'autre part, pour éviter au maximum la consanguinité, il est nécessaire de remplacer une partie des vieux géniteurs par des poissons adultes, sauvages, amenant ainsi du sang nouveau dans le stock de reproducteurs.

En tous cas, je pense que la “carrière” d'un géniteur femelle ne peut pas dépasser deux ou trois ans.

Evidemment, en parlant des géniteurs, je ne peux pas cublier de traiter leurs problèmes sanitaires.

Chez le poisson adulte, je n'ai jamais observé une maladie d'origine bactérienne, ni manifeste, ni même soupçonnée, alors que la fréquence des maladies parasitaires est élevée.

Sur un échantillon de 174 loups adultes examinés pendant 4 ans, 7 poissons seulement (4 % du total) étaient complètement indemnes d'ecto et d'endoparasites.

Je rapporte ici les résultats d'une recherche destinée à donner une image des maladies parasitaires observées chez le loup (Dicentrarchus labrax) :

ParasiteLocalisationN. de poissons infestés(%)
Diplectanum aequansPeau  22(12,6 %)
"
Branchies129(74,1 %)
Trichodina spPeau    3  (1,7 %)
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Branchies  24(13,8 %)
Amyloodinium ocellatumBranchies    2  (1,1 %)
Métacercaires non-identifiésPeau  32(18,4 %)
"
Branchies  55(31,6 %)
Caligus minimusPeau  29(16,7 %)
Cainocreadium labracisIntestin moyen  54(31,0 %)
Labratrema minimusIntestin moyen   4  (2,3 %)
Acanthostomum imbutiformeIntestin distal  91(52,3 %)
Nematodes non-identifiésParoi intestinale  13  (7,5 %)
Sporozoaires non-identifiésPéricarde et coeur    1  (0,6 %)

Parmi les ectoparasites, le trématode monogénien Diplectanum aequans est le plus répandu. Ce parasite branchial est l'un des plus difficiles à combattre à cause de sa haute résistance aux multiples produits chimiques à différentes concentrations et différentes durées de traitement. J'ai essayé le formol, l'acide acétique, l'eau douce et l'eau sur-salée, sans résultats appréciables; J'ai noté cependant, la disparition au niveau des branchies des stades larvaires du trématode en utilisant du formol commercial (375 p.p.m. pendant une heure de traitement ou 200 p.p.m. pendant 4 heures de traitement), aussi, je pense que les traitements systématiques peuvent prévenir les mortalités résultant éventuellement des dommages causés généralement par Diplectanum.

Acanthostomum imbutiforme, un trématode digénien, est l'endoparasite le plus fréquemment rencontré dans la région distale de l'intestin du loup.

Concernant le stock des géniteurs de daurade (daurade royale), j'ai remarque que cette espèce est, en général, moins infestée par les parasites que le loup (Dicentrarchus labrax).

Parmi ces quelques pathogènes, un des plus rencontrés est le trématode monogénien branchial : Furnestia echeneis, qui peut être facilement éliminé par des traitements au formol (150 à 200 p.p.m.).

Sur un total de 74 poissons examinés, un seul était infeste par le trématode digénien endoparasite appartenant à l'espèce Monorchis monorchis.

Cependant chez la daurade, les reins sont toujours le siège d'affections, visibles sur coupes histologiques et dues à des sporozoaires enkystés ainsi des granulomatoses systémiques.

LARVES

Les mortalités larvaires sont rorement dans à des maladies parasitaires aussi fréquemment qu'on pourrait le penser. Cependant, il n'est pas possible d'affirmer la même chose pour les maladies bactériennes à cause du manque de symptômes évidents de la maladie et des difficultés pour isoler les germes pathogènes.

Malgrè celà, je peux dire que parmi beaucoup de larves de loup que j'ai examinées durant mes six dernières années de recherches sur les parasites, aucune n'était affectée. Cependant, nous savons, que durant sa vie larvaire, le poisson peut être infesté par différents parasites.

Chez le loup, j'ai expérimentalement démontré la possibilité pour la larve de contracter la diplectanose et la trichodinose, alors que Amyloodinium ocellatum qui doit être considéré comme le plus dangereux parasite dans les écloseries marines, a été occasionnellement découvert par moi-même, comme responsable d'une épizootie avec fortes mortalités chez les larves de daurade. De toutes façons, toutes les maladies parasitaires et bactériennes représentent, à tout moment, un grand danger pour les écloseries où les systèmes de circuit d'eau fermé, avec filtre biologique, et de fortes températures d'élevage sont exigées. Aussi, il est d'une importance vitale de prendre toutes les mesures et les précautions prophylactiques pour éviter ou contrôler l'introduction d'agents pathogènes, dans l'installation.

A côté des mesures prophylactiques, au sens propre du terme, il y a aussi quelques conseils à prendre en considération, au moment même du tracé du plan de l'installation.

Les points suivants sont rapportés comme exemple :

Je pense cependant, que la cause la plus importante et la plus répandue de la mortalité larvaire est représentée par l'ensemble des situations de stress qui peuvent survenir dans une écloserie. Dans ce cas, il est nécessaire d'essayer d'éviter toutes les causes de stress liées aux facteurs de l'environnement (température, salinité, conditions d'éclairement, etc… ).

Je voudrais mentionner ici deux maladies non infectieuses qui paraîssent liées aux facteurs de stress : une distension de la vessie natatoire et des calculs urinaires trouvés à la fois chez les larves de loup et de daurade mais avec des aspects différents.

la distension de la vessie natatoire semble être provoquée par le stress, avec comme conséquence, une acidose sanguine et une diminution de l'affinité entre oxygène et sang.

Ainsi l'oxygène du sang qui passe dans la vessie natatoire ne peut plus être chassé par les vaisseaux sanguins parcourant la paroi de la vessie natatoire. Ceci se traduit par un gonflement exagéré de la vessie natatoire et toutes les larves atteintes meurent par compression de la plupart des organes vitaux importants. Les pertes dues à la distension de la vessie natatoire paraîssent toujours plus lourdes chez les larves de daurades que chez celles de loup. Alors que la distension est toujours léthale, on observe une autre maladie non infectieuse de la vessie natatoire résultant aussi d'une modification de son fonctionnement normal : la non-inflation de la vessie natatoire.

Les poissons peuvent vivre de la même manière avec des problèmes de flottabilité évidents, montrant ce qu'on appelle “le comportement de la nage verticale” et quand ils s'arrêtent de nager, ils tombent au fond du bassin d'élevage. La non-inflation de la vessie natatoire paraît être occasionnée par un canal pneumatique anormal ou par quelques autres défauts lors du premier remplissage de la vessie natatoire par l'air atmosphérique. Les calculs urinaires sont une maladie non infectieuse particulière, observée chez les larves.

Alors que la distension, comme la non-inflation de la vessie natatoire ont des symptômes évidents, visibles à l'oeil nu, pour le diagnostic des calculs urinaires, l'examen microscopique des larves est nécessaire. Dans ce cas, nous pouvons trouver, à partir du deuxième jour de la vie larvaire (à 20° C), de petits granules, comme du gravier ou, plus fréquemment, des corps solides cristallins qui bouchent complètement la vessie urinaire.

L'analyse qualitative des calculs montre la présence de phosphore, de calcium et, en petites quantités, du chlore, du magnésium et du potassium. Chez les larves de daurade, une association hautement significative a été déterminée entre la présence de calculs dans l'appareil excréteur et l'absence d'aliments dans l'intestin. Les pourcentages des larves affectées par les calculs étaient de 55,8 pour les larves qui ne se nourrissaient pas et de 7,7 pour celles qui se nourrissaient. Chez les larves de loup, au contraire, cette corrélation n'a pas été trouvée et les pourcentages de larves affectées étaient de 37,8 pour les larves qui ne se nourrissaient pas et de 33,6 pour celles qui se nourrissaient. De plus, chez le loup, les calculs urinaires ne semblent avoir d'influence ni sur la croissance ni sur la survie des larves affectées. On pense que les calculs sont le résultat des situations de stress qui sont elles-mêmes la conséquence d'un facteur quelconque de l'environnement.

Les malformations du squelette sont fréquentes et parfois très précoces dans les installations de reproduction artificielle. Les plus remarquables de ces déformations sont constatées les premiers jours de la vie larvaire et sont souvent léthales. Il y a, par exemple, les malformations de la tête et de la bouche qui empêchent la larve de s'alimenter et provoquent sa mort dans les dix premiers jours de sa vie.

Comme nous le verrons plus tard, ces malformations s'observent aussi au stade alevin mais leur origine remonte au stade larvaire ou même plus tôt.

En fait, je suis convaincu que les causes de malformations sont davantage dues aux conditions de l'élevage des géniteurs, à la qualité des oeufs, du frai, à leur manipulation et aux conditions de l'éclosion plutôt qu'au régime alimentaire des larves et alevins. Pour confirmer mon opinion, je voudrais mentionner le fait que les populations de poissons élevés dans les mêmes conditions et nourris avec le même aliment (en qualité et en quantité) mais issus de groupes d'oeufs pondus par différents géniteurs, montrent une grande variabilité dans la fréquence des malformations.

ALEVINS

Les alevins peuvent souffrir de toutes les maladies qu'on rencontre chez l'adulte et chez les jeunes.

Parmi les maladies bactériennes, la plus grave, et toujours imminente dans une installation d'élevage de poissons marins, est la vibriose (Vibrio anguillarum). Cette maladie, ne montre pas des symptômes spécifiques chez les jeunes poissons. En général, ils contractent cette infection après manipulation (pêche, tri, changement de bassins, etc… ) et apparaîssent plus sombres que d'habitude, arrêtent de s'alimenter et s'immobilisent dans un coin du bassin.

La vibriose se manifeste sous sa forme chronique, rarement sous sa forme aigüe. Elle peut parfois causer de fortes mortalités. L'usage préventif d'aliments médicamenteux peut aider à protéger de la maladie.

Dans le passé, j'ai testé espérimentalement, sur des juvéniles de loup, comme mesure prophylactique, une vaccination par immersion, contre Vibrio anguillarum, et malgrè celà, je n'ai pas pu obtenir de réponse significative. A mon avis, la vaccination est la bonne mesure à appliquer pour éviter cette maladie. Chez les juvéniles, comme chez les larves, des malformations du corps (bouche, opercule, colonne vertébrale et autres) peuvent être mentionnées. Probablement, à ce stade, l'évolution du processus de l'ossification, nous permet de voir des anomalies déjà présentes sous une forme latente au stade larvaire. En outre, l'apparence des malformations de la colonne vertébrale (lordose en particulier), au stade juvénile ou à des stades plus avancés, paraît être en relation avec la non-inflation de la vessie natatoire au stade larvaire.

Il s'ensuit que la fréquence des malformations peut changer non seulement dans les différentes populations de poissons élevés, mais aussi dans la même population au cours de la période d'élevage.

Les malformations apparaîssent à présent comme un des problèmes les plus graves affectant plusieurs écloseries marines. Il est vrai aussi que les poissons sauvages montrent souvent des anomalies, en dépit de la sélection naturelle. On pourrait ainsi penser que les malformations constituent un état normal dans l'élevage. Mais ceci n'est pas possible dans les installations opérant à l'échelle industrielle et nous devons faire notre possible pour essayer de résoudre aussi ce grand problème.


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