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3. RESULTATS

Six stations (fig. 1) de la partie nord du lac ont été échantillonnées, entre le 29/09 et le 03/10/90: on dispose pour ces points des mesures limnologiques et d'échantillons de phyto- et de zooplancton. Sur quatre de ces points, trois dans le lac Kivu et un dans la baie de Sake, des mesures de production primaire ont été réalisées. Les résultats de ces mesures sont présentés ci-après. En outre, des prélèvements de phyto- et de zooplancton, ce dernier étant particulièrement abondant, ont été recueillis aux cinq stations et ont été conditionnés en vue d'un examen ultérieur. L'examen de la composition du phytoplancton, prévu dans le cadre de cette étude, n'a pu être réalisé du fait que les échantillons, en cours de traitement, ont dû être laissés à Gisenyi.

3.1. Données physico-chimiques.

3.1.1. Mesures limnologiques (tabl. a.2 en annexe et fig.2).

Les profils de température, O2, conductivité et potentiel redox sont très similaires pour les 5 stations du lac proprement dit. La température est toujours un peu plus élevée en surface (24–25°C, sans doute un effet temporaire d'échauffement en surface), puis diminue lentement pour atteindre 23°C à 40 m; l'O2 décroît entre 30 et 40 m, ce qui permet de situer la zone de mélange vers 30 m; en relation avec celui-ci, le potentiel redox diminue sensiblement. Quant à la conductivité, elle est de l'ordre de 1000 μS.cm-1 dans le mixolimnion et n'augmente, dans le “grand lac”, qu'au-delà de 60–70 m. Le pH est proche de 9, avec une alcalinité d'environ 13 à 14 méq.l-1: le C inorganique est donc constitué en majeure partie (94 %) de bicarbonates; les carbonates représentent environ 6 % et le CO2 total 0,2 % soit environ 30 μM.l-1. Ces données physico-chimiques correspondent bien à celles de la littérature sur la “biozone” du lac Kivu (Degens et al., 1973).

Par contre, la baie de Sake se distingue par une épaisseur du mixolimnion beaucoup plus réduite, de l'ordre de 10 m, avec un chimiocline bien marqué mis en évidence par la conductivité; sous celui-ci, le milieu est réducteur et l'eau, rendue opaque par le développement des bactéries, dégage une odeur d'H2S. La “biozone” est plus riche en C inorganique que le “grand lac”, mais présente un pH plus bas qui indique une plus forte concentration en CO2 libre (360 μM.l-1). Cette dernière augmente d'ailleurs fortement avec la profondeur: à 20 m, le pH devient acide (6,6) et l'eau pétille littéralement à l'ajout de l'HCl lors de la mesure d'alcalinité (sursaturation par diminution de pression et libération de CO2 à partir de la neutralisation des bicarbonates et des carbonates).

3.1.2. Lumière et transparence de l'eau.

Les irradiances relevées en surface du lac pendant la période d'étude sont données à la fig. 3. Ces mesures montrent un climat lumineux assez variable, particulièrement le 29/09 et le 2/10. Les irradiances moyennes journalières se répartissent entre 734 et 1103 μE.m-2.S-1; les maxima instantanés, supérieurs à 2550 μE.m-2.S-1 peuvent saturer l'appareillage de mesure.

Les coefficients d'atténuation verticaux (k ou k') sont de l'ordre de 0,2 à 0,3 m-1 dans le “grand lac”, ce qui correspond à une zone photique (Ze) comprise entre 15 et 23 m. Ces valeurs correspondent bien aux profondeurs Secchi relevées dans la littérature, si l'on utilise la conversion kmin = 1,5/ZSecchi.

3.1.3. Mesures des nutriments et du carbone organique dissous.

Comme on l'a déjà mentionné plus haut, les mesures des formes dissoutes de N et P ont pratiquement toujours donné des valeurs inférieures aux limites de détection pourtant relativement basses (voir 2.5.1). Les seules valeurs mesurables étaient les suivantes:

Les dosages effectués plus tard sur des échantillons préservés n'ont rien détecté, malgré leur sensibilité meilleure que ceux utilisés au cours de la mission.

Pour la silice par contre, elle est présente à toutes les profondeurs et à toutes les stations à des concentrations comprises entre 3 et 4 mg.l-1 Si. En se basant sur une valeur moyenne de 3,5 mg.l-1 et sur la concentration en P dissous mentionnée ci-dessus, le rapport Si:P (en atomes) est au minimum de 430, ce qui correspond au chiffre rapporté par Kilham (1990) pour la baie de Sake (ou baie de Kabuno). Ce rapport Si:P élevé peut sans doute être généralisé à toute la zone pélagique de la partie nord du lac Kivu.

Enfin, le C organique dissous varie peu en fonction des sites et de la profondeur: il est compris entre 2,3 et 3,6 mg.l-1 dans le mixolimnion et un peu plus élevé dans la zone anaérobie de la baie de Sake.

3.1.4. Mesure de la composition élémentaire du phytoplancton.

Si l'on pose a priori l'hypothèse que la matière organique particulaire recueillie sur les filtres est bien constituée essentiellement par du phytoplancton, les dosages de C, N et P dont les résultats sont repris au tableau 1 apportent de précieux renseignements sur la biomasse et l'état nutritionnel du phytoplancton du lac Kivu.

Tableau 1. Résultats des mesures de C:N:P particulaire (fraction 1–63 μm) à différents points de la zone nord du lac Kivu. Les rapports C:N ont été calculés après conversion en μatg. l-1.

 Z
m
C
μg.l-1
N
μg.l-1
P
μg.l-1
C:NC:PN:P
KIGUFI (côt.)5      749,1 69,95,2812,536028,8
10    875,3  75,05,3513,642331,1
        
KIGUFI (pél.)5    335,9  32,61,7912,048540,3
10    450,7  46,52,0411,357150,4
15    402,4  47,52,12  9,949049,6
        
STATION 310    477,0  47,12,8811,842836,2
20    355,4  44,22,88  9,431934,0
        
BAIE DE SAKE5    898,7114,84,30  9,154059,1
10    702,1110,55,40  7,433645,3
2018877,7833,026226,4186 7,0
        
KATAMBI5    672,3  67,41,9811,642436,4
10    500,0  38,3-15,2--
15    509,8  57,72,4010,354953,3

Tout d'abord, les mesures de C particulaire montrent que la biomasse algale est plus faible dans la zone pélagique du lac, où les profondeurs sont élevées: les valeurs se situent entre 300 et 500 μgC.l-1, alors qu'elles sont de l'ordre de 800 à 900 μgC.l-1 en zone côtière à faible profondeur et dans la baie de Sake. Katambi, zone de hauts-fonds, est un peu intermédiaire à ce point de vue.

Ensuite, les rapports C:N et C:P indiquent une carence un éléments nutritifs variable, particulièrement poussée pour le P: ceci peut s'apprécier d'après l'écart vis-à-vis du “Redfield ratio” (C:N:P = 106:16:1), c'est-à-dire C:N = 6,6 et C:P = 106 pour une biomasse non carencée. Les rapports observés suggèrent une certaine carence en azote et une carence en phosphore beaucoup plus marquée. Ceci est confirmé par le fait que la plupart des rapports N:P sont supérieurs à 30, ce qui indique une limitation de la croissance du phytoplancton par le phosphore.

La situation est cependant inverse dans la baie de Sake à -20 m: on a cependant affaire ici à une biomasse bactérienne énorme (19 mgC.l-1), nettement moins carencée en phosphore qu'en azote. Ceci montre bien l'effet de la rétention du phosphore par les bactéries se trouvant au niveau du chimiocline, empêchant la remontée du P vers la biozone de surface (Haberyan & Hecky, 1987). C'est ce qui explique l'intense limitation par le P: dans la partie pélagique du lac, le P de la zone photique ne peut donc provenir que du recyclage in situ et dans la zone de mélange.

3.2. Mesures de la biomasse et de la production du phytoplancton

3.2.1. Pigments chlorophylliens.

La mesure de la chlorophylle a active par la méthode de Lorenzen (1967) a posé des problèmes sans doute dûs à la dégradation rapide des pigments lors de l'extraction, pour des raisons encore indéterminées. Néanmoins, en appliquant la formule basée sur l'absorbance des extraits après acidification (voir 2.6), il a été possible de calculer des estimations de la chlorophylle a, présentées au tableau 2.

Tableau 2: Concentrations en pigments chlorophylliens (μg.l-1) aux points de mesure de la production primaire. Pour la station centrale du nord du lac (Station 3) et la baie de Sake, les dosages ont été faits sur un échantillon moyen de la zone photique; (c) = zone côtière; (p) = zone pélagique.

Z(m)Kigufi (c)Kigufi (p)Station 3Baie de Sake
  1,01,050,85  
  2,00,780,61  
  3,00,580,36  
  5,00,590,290,441,43
  7,50,630,29  
10,00,410,39  
15,00,440,35  
20,00,440,36  

L'estimation des pigments chlorophylliens confirme donc bien les différences de biomasse phytoplanctonique entre la station côtière et les stations pélagiques du “grand lac”, ainsi que la biomasse plus élevée dans la baie de Sake, qui est en rapport avec la transparence réduite.

3.2.2. Production primaire.

Le détail des mesures est repris au tableau a.3 en annexe. Rappelons que ces mesures ne concernent que quatre stations, trois dans le “grand lac”, dont une en zone côtière, à faible profondeur, et une dans la baie de Sake. Les valeurs des principaux paramètres sont reprises dans le tableau 3.

Tableau 3: Résumé des résultats des mesures de production primaire planctonique au lac Kivu. Ioj = irradiance moyenne de la journée; Ze: profondeur de la zone photique; SSP: production journalière intégrée sur la colonne d'eau; Zc: profondeur critique; Zm: profondeur de mélange ou profondeur maximale, entre ().

StationdateIoj
μE.m-2.s-1
Ze
m
SSP
mgC.m-2.j-1
Zc
 m
Zm
 m
Kigufi
(zone cêtière)
01/10/90110318,982250,9(25)
Kigufi
(zone pélagique)
01/10/90110321,234253,730
Centre de la02/10/90  89313,433329,930
zone nord      
Baie de Sake03/10/90  99010,891323,410

On notera tout d'abord que, pour des irradiances se situant dans la même gamme de valeur moyenne journalière, les productions sont très différentes: elles sont relativement fortes en zone côtière et dans la baie de Sake et plus faibles d'un facteur 2 à 3 en zone pélagique. Ceci dépend surtout du terme (nPmax/k') de l'équation de Talling (1), puisque les termes dépendant de l'intensité lumineuse et de la durée du jour sont similaires ou identiques (ln 2 Io/Ik varie entre 2,06 et 2,48). Au niveau de Kigufi, les transparences de l'eau (k') sont proches et la différence s'explique surtout par la biomasse du phytoplancton (n) et secondairement par sa capacité photosynthétique (Pmax). Pour la station 3 par contre, la production réduite est à la fois un effet de la faible biomasse et de la faible transparence (zone photique moins profonde → photosynthèse sur une moins grande profondeur).

Quant à la baie de Sake, la biomasse y est plus élevée et, malgré la zone photique restreinte, la production reste forte du fait que la zone de photoinhibition en surface est plus réduite que dans le “grand lac”.

La capacité photosynthétique en lumière saturante (Pmax) est comprise entre 12,7 et 12,9 mgC.mgchla-1.h-1 à Kigufi (c), à la station 3 et dans la baie de Sake; elle est de 8,2 mgC.mgchla-1.h-1 à Kigufi, site pélagique.

Les différences de production observées sont donc surtout une conséquence des différences de biomasse, qui peuvent s'expliquer au moins partiellement par les rapports entre zone de mélange et profondeur critique: en effet, en zone littorale et dans la baie de Sake, la zone de mélange est limitée respectivement par la faible profondeur et la position du chimiocline, de sorte que la profondeur critique n'est jamais atteinte par les algues circulant dans la couche de mélange. Par contre, aux stations pélagiques, la profondeur critique peut être atteinte (voir valeurs de Zc et Zm à la station 3), de sorte que la production nette des algues, et donc leur potentialité de croissance, est réduite. Il est également possible que la disponibilité en nutriments, particulièrement en P, puisse expliquer des différences de conditions de croissance des algues et donc des différences de biomasse entre zone côtière et zone pélagique. Enfin, une variation du taux de grazing (prédation par le zooplancton et éventuellement par les poissons) pourrait aussi jouer un rôle.


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