Page précédente Table des matières Page suivante


L'évolution de la foresterie

HENRY BERESFORD-PEIRSE

SIR HENRY BERESFORD-PEIRSE a écrit cet article lorqu'il était Directeur adjoint de la Division de forêts et des produits forestiers de la FAO. Il est actuellement Directeur général de la Commission des forêts de Grande-Bretagne.

Courant d'opinion actuel

Avant d'exposer ce qu'on peut appeler l'évolution actuelle des idées en matière de foresterie, il n'est peut-être pas inutile de rappeler certaines vérités premières. Tous les forestiers du monde, et en particulier ceux qui s'occupent de la planification du développement économique, s'intéressent, ou devraient s'intéresser, à deux questions fondamentales:

1. Comment faire face à l'augmentation des besoins en bois, sous toutes ses formes?
2. De quelle façon les forêts peuvent-elles remplir au mieux leur rôle de protection, de façon à sauvegarder les ressources de base: sol et eau?

Commençons donc par la production du bois. Il n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails des études sur l'évolution et les perspectives de la consommation, de la production et du commerce du bois, dont chacun sait qu'elles sont unes des fonctions importantes de la Division des forêts et des produits forestiers de la FAO. Elles constituent aujourd'hui une documentation précieuse pour les services forestiers et les organismes qui tentent d'assurer pour l'avenir un approvisionnement adéquat en cette matière première essentielle qu'est le bois. Pour la première fois, les grandes régions du monde et les différents pays reçoivent des indications générales sur les tendances de la consommation future du bois, tendances qu'ils peuvent rapprocher de leurs ressources probables. On peut déjà constater, par exemple, que l'Amérique latine présente le paradoxe d'une région qui possède le quart des ressources forestières mondiales, tout en étant importatrice de bois et de produits dérivés. De même, en ce qui concerne l'Inde, qui a une forte densité de population, en plein accroissement, et où la demande de produits ligneux est elle aussi en augmentation, l'étude intitulée Consommation, production et commerce du bois en Asie et dans la région du Pacifique: évolution et perspectives a fourni aux gouvernements la preuve évidente que, si l'on ne prend pas des mesures énergiques, le décalage entre la consommation et la production de bois s'accentuera au point de freiner, dans 15 ou 20 ans, le développement économique et social. Quant à l'Amérique du Nord, qui est actuellement une des grandes régions exportatrices, il semble que vers l'an 2000 elle sera tout juste capable de satisfaire, avec ses propres ressources, ses industries du bois. Il semble bien que l'Europe ait à faire face à un gros déficit dans les prochaines 30 ou 40 années. Ce résumé, très superficiel, de quelques-unes des conclusions des études des tendances de la production et de la consommation suffit à montrer l'ampleur et la variété des problèmes soulevés.

En contrepartie, on estime généralement que les forêts du monde, dont un grand nombre sont encore inaccessibles et inexploitées, peuvent fournir, avec un rendement soutenu, une production supplémentaire suffisante, pour faire face à l'accroissement des besoins, aussi loin que l'on puisse raisonnablement prévoir. Il est également probablement exact de dire que, jusqu'à une époque récente, les forestiers pensaient que les divers pays devraient s'efforcer de satisfaire leurs besoins croissants de bois en mettant en exploitation de plus en plus nombreuses forêts naturelles, et en les aménageant pour augmenter leur production sur la base du rendement soutenu, c'est-à-dire en suivant, grosso modo, les habitudes traditionnelles de la gestion forestière. N'ayons pas peur de le répéter, les forestiers sont généralement convaincus que presque tous les types de forêts, depuis les forêts tropicales à faible rendement, jusqu'aux forêts résineuses d'Europe aménagées de façon intensive, ont pour fonction essentielle la production du bois. Ils n'admettent que du bout des lèvres, peut-être avec moins de restrictions qu'autrefois, le concept des utilisations multiples (multiple use), et concèdent tout juste que leurs forêts peuvent, par exemple, être utilisées par les touristes, voire par les animaux sauvages. Même lorsqu'ils ont affaire à une forêt qui joue essentiellement un rôle de protection, ils cherchent, en général, à en retirer le maximum possible de bois sans toutefois mettre en danger sa fonction protectrice.

Les essences forestières a croissance rapide

Deux facteurs, entre autres, semblent indiquer la nécessité, voire l'existence, d'une modification radicale de cette façon de penser.

En premier lieu, il est de plus en plus évident que les difficultés que l'on rencontre lorsqu'on veut exploiter des forêts inaccessibles ou de constitution complexe, peuvent rendre l'extraction du bois si onéreuse que son emploi ne peut être économique. On s'en aperçoit en établissant un bilan correct du coût de l'opération, tenant compte des investissements initialement massifs qui sont souvent nécessaires, et aussi des grosses dépenses d'entretien. Par conséquent, même si du point de vue de la production les ressources forestières conviennent parfaitement à la satisfaction des besoins mondiaux, il semble qu'en fait tout se passe comme s'il fallait laisser de côté de vastes surfaces boisées en raison des frais élevés de premier investissement et d'entretien qui sont nécessaires pour les rendre exploitables.

Fort heureusement, un second facteur permet d'entrevoir des possibilités plus brillantes pour assurer, dans l'avenir, une production économique de matière ligneuse. S'il n'existait pas, les forestiers devraient avouer que le bois doit être remplacé de plus en plus par d'autres matières premières, peut - être moins satisfaisantes. Ce second et sympathique facteur, ce sont les vastes possibilités qui s'ouvrent, de compter de plus en plus sur les forêts artificielles. Bien entendu, il n'y a rien de nouveau dans la question des plantations. Comme on l'a constaté en 1961, à la deuxième Conférence mondiale de l'eucalyptus qui s'est tenue au Brésil, l'Etat de Sao Paulo tire presque tout son approvisionnement en bois des plantations d'eucalyptus faites il y a environ 70 ans, pour fournir un combustible aux chemins de fer. Il y a là 500 000 ha de plantations qui constituent une des premières, et des plus ambitieuses, introductions d'une espèce exotique sur une vaste échelle dans un but commercial. Dans la partie méridionale de l'Afrique, les plantations exotiques de pins ont permis, au cours des 20 ou 30 dernières années, le développement d'une industrie importante. Il y a, dans le monde entier, des exemples de réussites de créations artificielles de forêts. Mais c'est seulement à une date relativement récente que l'on a appliqué, en matière forestière, la génétique pour l'amélioration des arbres forestiers. Ceci nous ouvre un horizon nouveau et vaste. La plus grande partie, si ce n'est la totalité, des remarquables améliorations qui sont intervenues en agriculture, l'augmentation spectaculaire de la production à l'unité de surface, la confiance avec laquelle les agronomes envisagent le problème de l'alimentation d'une population mondiale, en plein accroissement, tout cela est basé, en grande partie au moins, sur l'amélioration scientifique des espèces animales et végétales. Il est certain que l'on peut obtenir des changements aussi spectaculaires en matière forestière. Déjà, par exemple, l'amélioration en matière de peupliers a permis aux forestiers d'obtenir des productions, inconcevables il y à quelques décennies, de bois de bonne valeur commerciale fourni par des sujets indemnes de maladies. Mais pour la plupart des autres espèces d'arbres, l'amélioration et la sélection, et les autres actions connexes, en sont encore au stade des recherches et des premières expériences. Pourtant on a suffisamment la preuve que la production des plantations peut être 10 ou 20 fois celle de bien des forêts naturelles.

L'amélioration des arbres n'est d'ailleurs pas la seule arme nouvelle dont disposent les forestiers. Alors que l'emploi des engrais est une pratique courante en agriculture et en horticulture, leurs applications forestières sont relativement nouvelles et on commence seulement à en concevoir les possibilités. Par l'emploi judicieux des engrais, on pourra augmenter sensiblement la vitesse de croissance des peuplements existants. On pourra accroître bien plus encore l'énorme production des plantations et on aura ainsi la possibilité de faire produire économiquement une récolte de bois à des terrains que l'on juge actuellement incapables de porter un boisement rentable. Avec l'emploi des engrais, viendront les techniques les plus avancées de culture et d'irrigation, comme en matière agricole.

Une autre nouveauté relative en matière forestière ouvre des possibilités presque illimitées: c'est la «culture agricole» des arbres. Il existe peut être une répugnance naturelle des agriculteurs à utiliser une bonne terre de culture pour y faire pousser quelque chose qui n'est généralement pas considéré comme une récolte agricole. Pourtant il n'est pas logique de cultiver sur de tels sols une plante à fibres comme le coton et d'en exclure le peuplier. Les considérations économiques ne devraient-elles pas être le principal critère pour décider quelle culture on fera, à supposer bien entendu que la station convienne à l'une et l'autre des plantes en cause? Dans le même ordre d'idées, pourquoi l'Europe, notamment avec l'expansion du Marché commun et compte tenu de son approvisionnement à peu près suffisant, pour un grand nombre d'années, en denrées alimentaires, tant produites sur place que fournies par l'extérieur, n'éviterait-elle pas cette pénurie de bois qui semble sérieuse et inexorable, en utilisant des terres de culture, même de très bonne qualité sur une bien plus grande échelle, pour y récolter du bois? Est-ce que les considérations économiques, tempérées comme elles doivent toujours l'être par des considérations sociales, ne devraient pas être le critère de la planification de l'utilisation du sol en ce qui concerne les cultures agricoles et forestières, plutôt que des idées préconçues concernant la distinction soi-disant «naturelle» entre terres convenant à l'agriculture et à la sylviculture?

Cet intérêt croissant pour les plantations, qui semble devoir être déterminant pour permettre de satisfaire économiquement les besoins en bois, n'implique pas, bien entendu, l'abandon des nombreuses forêts riches et productives qui existent dans le monde. Il n'implique pas non plus que l'on doive planter seulement les terrains qui, à l'heure actuelle, ne portent pas d'arbres. Dans de nombreux pays, une grande partie du travail de plantation, sinon sa totalité, devrait être réalisé sur des terrains qui sont en ce moment boisés, et ceci en dépit du fait que la plantation entraînera probablement une modification radicale de la composition des peuplements.

On parle beaucoup d'arbres exotiques et on les utilise souvent aujourd'hui pour les plantations. Mais cela ne doit pas le moins du monde faire négliger les espèces indigènes de valeur, d'autant plus qu'une bonne sélection, des croisements et d'autres techniques sont souvent susceptibles d'augmenter sensiblement leur production. L'accent mis sur les plantations ne doit pas non plus entraîner l'abandon de la régénération naturelle. L'utilisation de l'une ou l'autre technique, ou leur combinaison, doit être commandée avant tout par des considérations économiques: on doit se demander ce qui coûte le moins proportionnellement au profit. Le choix doit être influencé par le souci de ne jamais détériorer, mais au contraire, si possible, d'améliorer le sol (et souvent il suffit de peu de chose pour détruire sa fertilité, surtout s'il s'agit d'un sol tropical), et de rechercher une solution simple et pratique. Dans les pays forestiers très évolues, surtout en Europe, la gestion forestière et les techniques sylvicoles sont devenues extrêmement complexes. On connaît même des méthodes encore plus complexes utilisées dans les forêts tropicales. Même si elles se révèlent satisfaisantes à la longue, on peut se demander si dans les pays insuffisamment développés, le personnel subalterne et la main-d'œuvre non spécialisée pourront acquérir rapidement la qualification nécessaire pour les appliquer de façon efficace et extensive: elles peuvent être bonnes, mais trop compliquées.

La conséquence vraiment importante à attendre de l'utilisation croissante et généralisée des plantations, à côté de l'augmentation considérable de la production par unité de surface, c'est que, en matière de planification de l'utilisation du sol, on peut réserver pour la production du bois une surface plus faible que lorsque chaque pays estimait dépendre surtout des forêts pour son développement. Dans certains pays, surtout dans ceux qui ont de vastes surfaces boisées, dont une grande partie est actuellement inutilisée et inaccessible, il en résultera que l'on pourra «abandonner» certaines forêts existantes - abandonner, bien entendu, pour la production du bois.

Le concept des utilisations multiples

Ceci nous amène maintenant à examiner la seconde fonction des forêts dont nous avions parlé au début. «Abandonner» pour la production ligneuse ne signifie pas, bien entendu, abandonner pour la protection et pour les nombreuses autres utilités qu'on peut attendre des forêts. Lorsqu'on parle de la fonction de protection, il faut tout d'abord remarquer que les plantations et les forêts artificielles, même si leur fonction est avant tout la production du bois, peuvent avoir en même temps une fonction de protection, en tant qu'abri, et pour la conservation du sol et de l'eau, particulièrement dans les bassins de réception. Elles peuvent avoir aussi des fonctions accessoires. Mais ce sont les forêts naturelles, qui ne sont pas réservées à la production de bois, qui constituent la source principale de protection. Elles peuvent maintenant jouer ce rôle sans qu'il soit amoindri par l'objectif favori de tous les forestiers, la production de bois. Il est sans importance que les arbres soient courbés et tordus, ou au contraire grands et droits, serrés ou disséminés, que les espèces soient en plus ou moins grand nombre, pourvu que les peuplements remplissent leur fonction de maintien d'un couvert végétal suffisant pour protéger le sol et régulariser le régime des eaux. Il n'est pas besoin de poursuivre ici une discussion de vieille date: savoir s'il est préférable de faire pousser une forêt, de l'herbe, ou toute autre forme de végétation. N'importe quelle combinaison est acceptable si le but principal est atteint. Il y a aussi de vastes secteurs où la forêt naturelle a été détruite et où il faut reconstituer une couverture végétale protectrice. Le même raisonnement doit s'y appliquer, et le choix des espèces n'a pas besoin d'être influencé par l'idée qu'il faut produire du bois. Le rôle protecteur d'une couverture végétale quelconque est extrêmement difficile à évaluer. Il est pourtant incontestable qu'elle a une valeur, parfois considérable, quand, par exemple, elle protège de coûteux réservoirs d'irrigation contre l'envasement ou les inondations.

Ce n'est pas parce qu'on n'a pas besoin de faire appel à ces forêts de protection pour produire du bois (sauf de façon accidentelle) qu'elles n'ont aucune fonction de production. Les forêts, les terrains embroussaillés, avec les parcours qui les bordent et les pénètrent, peu vent être aménagés en vue du pâturage des animaux domestiques aussi bien que des animaux sauvages. La production s'exprime alors en viande, en cuir et autres produits animaux, et en fourrage. Il est évident qu'il faudra contrôler soigneusement le pâturage, non pas pour protéger les arbres de la dent ou du frottement des animaux, mais seulement pour s'assurer que le rôle protecteur de la végétation est pleinement sauvegardé. Ces forêts de protection et ces parcours peuvent être entrecoupés de pâturages aménagés de façon intensive, et consacrés essentiellement à la production animale et fourragère. Cette utilisation des forêts pour le pâturage a quelque chose de choquant pour bien des forestiers habitués à considérer presque toujours les animaux sauvages et domestiques comme des ennemis de la forêt. Mais c'est une attitude qu'il faudra modifier, au point peut-être d'accueillir des chèvres, sous contrôle évidemment, dans certaines forêts ou certaines brousses, si l'on veut pleinement utiliser les forêts et les maquis inutiles pour la production du bois, avec les parcours et les pâturages voisins.

Ces forêts de protection, ces parcours, en même temps qu'ils produisent de la viande, etc., et abritent des animaux sauvages, peuvent présenter, et ceci de plus en plus, des possibilités de récréation. Les ouvrir dans ce but pourrait alléger la pression qui s'exerce sur les forêts essentiellement consacrées à la production. Les activités récréatives entraînent inévitablement une augmentation des risques d'incendie, mais il faut en prendre son parti et, si la population d'un pays réclame des possibilités de distraction, elle est certainement disposée à payer ce qu'il faut pour assurer la protection contre le feu et d'autres gardiennages.

Le concept des utilisations multiples des forêts a été facilement accepté par le cinquième Congrès forestier mondial sans que peut-être on ait beaucoup étudié sa signification. En effet, on risque de l'interpréter dans le sens: «Un peu de tout dans chaque forêt.» Le véritable sens conduirait plutôt à l'expression «rôles multiples». D'une part, on aurait des forêts consacrées particulièrement à la production du bois, surtout artificielles, ou profondément influencées par des traitements sylvicoles destinés à accélérer au maximum la production, tant en quantité qu'en qualité, et toujours soumises dans leur traitement à des considérations économiques et sociales. D'autre part, il y aurait des forêts consacrées essentiellement à une fonction de protection, mais fournissant, autant que faire se peut, une production fourragère ou animale. Elles pourraient aussi, comme les parcours, être utilisées pour les loisirs, le tourisme et la chasse. Cette planification basée sur une double fonction n'implique nullement la nécessité de faire rentrer dans l'une ou l'autre catégorie toutes les forêts de tous les pays, car aussi loin dans l'avenir qu'il est raisonnable de prévoir, il y aura de vastes zones forestières que l'on pourra laisser complètement de côté. Une des plus étendues serait la plus grande partie de la forêt amazonienne que l'on pourrait laisser croître, intacte, pour servir d'habitat aux animaux et aux tribus primitives, comme elle l'a été pendant des millénaires. Il existe ailleurs des forêts similaires mais moins étendues.

Si l'on admet cette façon de concevoir les deux fonctions distinctes des forêts, on doit changer l'orientation de beaucoup de façons de penser et d'agir des forestiers. En matière de politique forestière, et de planification de l'utilisation des terres qui en découle, il faudra éta blir un lien beaucoup plus serré avec la politique agricole, étant donné que les frontières entre cultures et forêts disparaîtront complètement dans bien des cas. Bien entendu, il y aura toujours de vastes secteurs consacrés à la production du bois où la culture n'a presque rien, ou même rien, à faire. Mais il y aura un secteur de plus en plus vaste, consacré à la culture des arbres forestiers et des parcelles de forêts intégrées dans les rotations de cultures, où la production de bois et de denrées alimentaires feront partie d'une entreprise agricole coordonnée - agricole étant pris ici dans le sens le plus large que la FAO puisse lui donner. Il y aura aussi de vastes zones de protection - forêts, parcours, pâturages - consacrées, en liaison avec leur fonction de protection, à l'obtention de produits d'origine animale, de fourrage, ainsi qu'à l'utilisation des loisirs et à la chasse. Il est alors virtuellement impossible qu'un pays élabore une politique forestière distincte de sa politique agricole. Il en résulte aussi que l'on doit veiller avec soin à ce qu'aucune loi forestière nouvelle ou existante ne perpétue cette scission qui doit disparaître.

Les principes de base ne sont pas modifiés

Il est intéressant d'examiner les Principes de politique forestière, approuvés par la Conférence de la FAO en 1951, à la lumière des idées les plus récentes en matière forestière. Il semble bien que l'évolution des idées ou des techniques, qui apparaît révolutionnaire à bien des égards, ne rend aucunement nécessaire de modifier ces principes, élaborés avec clairvoyance après de longues discussions.

Un des problèmes les plus difficiles à résoudre consistera peut-être à mettre au point un appareil administratif convenable. On pourrait prétendre que l'étroite coordination entre l'agriculture et la sylviculture devrait donner lieu à la constitution d'un service polyvalent. Il ne semble pas qu'une telle solution soit nécessaire ou désirable. Etant donné la qualification professionnelle particulière qui est nécessaire pour gérer les forêts, quelle que soit leur fonction, il faut maintenir des services forestiers spécialisés. De même, les forêts de production constituant essentiellement une industrie ou une entreprise, doivent être gérées pour procurer un profit. Il est nécessaire de concevoir, pour elles, une administration de forme différente de celle d'un service agricole qui s'occupe surtout de vulgarisation et d'application des textes réglementaires. Là où le contrôle de l'utilisation des terres présente une importance fondamentale, c'est-à-dire dans les bassins de réception, surtout en zone montagneuse, il existe de nombreux arguments en faveur de l'organisation italienne qui consiste à réunir dans une seule main les questions forestières et l'ensemble de l'économie de la région considérée.

Cette fusion des activités forestières et agricoles, en particulier dans les secteurs de protection, simplifiera considérablement les problèmes sociaux qui apparaissent si souvent comme un obstacle infranchissable à l'application d'une gestion convenable. Lorsqu'il faut créer ou reconstituer une couverture végétale adéquate dans un bassin de réception, on commence le plus souvent par en exclure complètement les troupeaux, ce qui entraîne une modification brutale du mode de vie des populations locales. Si, maintenant, on pose en principe que ces forêts et les terres voisines peuvent être aménagées de façon à supporter une charge raisonnable en bétail et en animaux sauvages, le changement ne sera pas si brusque et on pourra atteindre plus simplement le but recherché, en utilisant de façon coordonnée parcours et forêts de protection au lieu de les gérer séparément.

Enseignement et recherche

Dans l'action de la FAO en faveur des pays en cours de développement, on donne à bon droit une toute première priorité à l'enseignement et à la formation professionnelle. Mais est-on certain que l'on donne vraiment de bons conseils techniques à ces pays? L'évolution des techniques et des conceptions doit se refléter dans la formation du personnel des nouveaux établissements d'enseignement, à mesure qu'on les crée. Tandis qu'il est difficile, et peut-être inutile, de modifier rapidement ou radicalement l'enseignement universitaire dans les plus vieux pays forestiers, il serait désastreux que les façons de penser éprouvées et de forte substance fussent transférées sans adaptation dans ces pays en cours de développement. Non seulement l'enseignement doit comprendre le dernier stade de la conception et de l'expérience acquise, mais encore il doit être ajusté aux conditions, surtout aux conditions sociales, qui existent dans les pays neufs. Dans les années qui viennent, l'objectif devrait être, et pour longtemps, quelque hérétique que cela paraisse, un enseignement pratique et simple plutôt que théorique et profondément scientifique. Cela ne signifie pas que l'on devrait abaisser le niveau des études, mais plutôt que, tout en fixant ce niveau assez haut, on doit l'adapter aux besoins des pays en cours de développement. Ces pays peuvent profiter des longues années de réflexion et d'expérience des vieux pays forestiers, mais ils n'ont peut-être pas besoin de passer par la longue évolution de l'enseignement qui, s'étant produite surtout en Europe et en Amérique du Nord, convient essentiellement à ces régions. La recherche porte une lourde responsabilité. Lorsque nous avons décrit, aussi superficiellement que nous avons été obligés de le faire, les deux fonctions de la foresterie, on a pu penser que nous posions en prémisses que les techniques et les méthodes pour créer et gérer des forêts artificielles, exploiter des peuplements, combiner pâturages et forêts de protection, sont parfaitement connues. Or nous en sommes loin. Il existe un vaste champ de recherches nouvelles à réaliser tout en exploitant les veines plus classiques, qu'il faudrait soigneusement examiner et prospecter. Losrqu'on fait pousser des arbres dans quelque but que ce soit, il est essentiel d'être sûr de conserver, ou si possible d'améliorer, la fertilité de la station, mais nous sommes loin d'en savoir assez long sur la façon d'y parvenir le mieux et au moindre prix. Les agriculteurs ont-ils raison lorsque, comme ils le font si souvent, ils condamnent la culture des arbres qu'ils accusent d'utiliser trop d'eau ou de diminuer la fertilité? Sont-ce au contraire les forestiers qui ont raison lorsqu'ils prétendent que dans bien des cas une récolte d'arbres peut rapporter davantage qu'une récolte agricole classique, tout en conservant ou améliorant la qualité de la station? Quelle est l'importance du pâturage pouvant être toléré dans différents types de forêts tout en conservant un couvert végétal satisfaisant et en assurant une régénération convenable des graminées, des plantes herbacées et des arbres? Ces questions, et bien d'autres, nécessitent un gros travail de recherches et d'expériences. On aimerait savoir, en particulier, comment traiter les forêts tropicales de façon aussi simple et aussi peu coûteuse que possible pour améliorer leur productivité, tout en conservant le délicat équilibre de la fertilité de leur sol. Il est difficile de déterminer les problèmes qu'il est le plus important d'attaquer et de faire un choix, non pas nécessairement en suivant les sentiers battus, mais plutôt en pensant aux questions qui se posent à propos des deux fonctions principales des forêts telles qu'elles se présentent pour les pays en cours de développement. Dans le domaine de la technologie du bois, un des problèmes qui se trouvent continuellement posés dans de nombreux pays du monde est de savoir comment utiliser les innombrables essences qui poussent dans les forêts naturelles, en particulier sous les tropiques. Si nous admettons que les forêts artificielles fourniront, dans une proportion sans cesse croissante, le bois dont on a besoin, ce problème d'utilisation d'essences diverses ira en s'amenuisant plutôt qu'en s'aggravant. La structure très complexe des peuplements ne se reconstituera pas après exploitation: au contraire, on déterminera la composition de la forêt en vue d'obtenir la production maximum d'une catégorie de bois qui corresponde le mieux aux exigences de l'industrie. La sélection et l'obtention de nouvelles variétés pourront être dirigées de façon à obtenir des types d'arbres dont le bois conviendra de façon optimum pour toute une gamme d'industries et des peuplements qui fourniront des produits relativement uniformes. De cette façon, les difficultés rencontrées par les industries utilisatrices seront considérablement aplanies. On obtient maintenant des plantes cultivées susceptibles de fournir, grâce à des techniques sans cesse améliorées, des rendements de plus en plus élevés, dans diverses catégories de stations et pour diverses utilisations. Ces plantes constituent des populations d'une remarquable uniformité. La même méthode sera certainement utilisée de façon croissante pour les cultures forestières, notamment en ce qui concerne les pâtes et les papiers. Mais, tout en songeant à simplifier et augmenter la production de cette matière première destinée à l'industrie, on ne doit pas oublier que l'un des besoins les plus urgents est encore constitué par le bois utilisé comme combustible, ou pour la construction d'habitations primitives, ou pour la satisfaction des besoins ruraux en général.

Economie forestière

En définitive, l'importance croissante des forêts artificielles met en relief une fois de plus le rôle extrêmement important que doit jouer l'application des sciences économiques aux questions forestières. Ainsi que pour la génétique, cette application est d'origine relativement récente, et même à l'heure actuelle, le nombre d'économistes qualifiés dans cette spécialité est l'un des principaux obstacles à la planification du développement des forêts et des industries dérivées. Pourtant ce sont les considérations économiques, le but de produire du bois à un coût aussi faible que possible, la nécessité de faire cadrer le développement des forêts et de leurs industries avec l'ensemble de la croissance du pays, qui doivent permettre avant tout de déterminer le caractère de la sylviculture de plantation, des petits bois de ferme, de l'exploitation forestière. Mais, alors même que le bas prix et l'efficacité de la production, tant en qualité qu'en quantité, sont des éléments essentiels, comme dans toute affaire commerciale, il importe de ne jamais perdre de vue l'aspect social de la foresterie. Il peut se faire que l'on doive négliger très largement les considérations économiques pour éviter de perturber le mode de vie des hommes et des femmes, des familles et des tribus dont les forêts et les territoires qui s'y rattachent constituent l'héritage. Au contraire, c'est seulement en faisant jouer à plein les connaissances techniques préexistantes, les croyances et même les préjugés des populations locales que l'on peut obtenir l'amélioration effective de la productivité d'un territoire, même si on n'y parvient que par des méthodes qui paraissent lentes et coûteuses, à les mesurer à la toise de théories purement économiques.

Le rôle de la FAO

La tâche pour laquelle on a, à l'origine, créé la FAO, a été décrite dans Unis contre la faim comme le rassemblement et la diffusion des informations, en utilisant toute une gamme de moyens - réunions internationales, publications, visites, et la fourniture d'experts par les pays les plus développés, surtout aux pays moins développés. Telle était la base du programme normal de la FAO, maintenant considérablement amplifié et complété par des programmes d'activités ou des réalisations sur le terrain. Quelque considérables et importants que deviennent ces programmes sur le terrain - et le besoin dans ce domaine est presque infini - le programme normal doit toujours rester la fondation sur laquelle on les bâtit et les étaie. Mais, en tout cas, en ce qui concerne les forêts et les produits que l'on en tire, si nous acceptons l'existence de cette évolution dans notre façon de penser et d'agir, la FAO devrait reconnaître qu'elle a une charge supplémentaire plus importante encore dont elle devrait tenir compte en pratique. Non seulement la FAO doit rassembler et diffuser des informations, des connaissances, des techniques, mais elle doit aussi jouer un rôle qu'aucune autre organisation ou institution ne peut remplir avec autant d'efficacité: elle doit former et guider la pensée et l'action des pays les plus vieux pour s'adapter aux conditions toutes différentes qui règnent chez les plus jeunes, de façon à se mettre à la portée des aspirations de leurs populations et à leur permettre de tirer un plein bénéfice de ce contact. La conception des deux grands rôles de la foresterie, d'une part la fusion avec une agriculture intensive, d'autre part le pâturage extensif, la prise en considération complète des populations pour lesquelles, après tout, toute cette réflexion, cette planification, cet enseignement, cette recherche ont été entrepris, ne violent pas le moins du monde les principes de l'écologie prise dans son sens le plus large - «l'étude des relations réciproques des organismes vivants - végétaux, animaux et hommes - avec leur milieu», qui devrait être le guide essentiel de tout le travail de la FAO.


Page précédente Début de page Page suivante