Page précédente Table des matières Page suivante


Les industries forestières dans la lutte contre le sous-développement économique

JACK C. WESTOBY

Cet article a été préparé par JACK C. WESTOBY, Chef de la Sous-Division de l'économie forestière, Division des forêts et des produits forestiers, en collaboration avec ISAAC KISSIN (Brésil), LUIGI SPAVENTA (Italie), ALBEN URBANOVSKY (Yougoslavie) et le personnel de la Sous-Division de l'économie forestière.

Cet article a paru dans La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1962

 


Quelques aspects de la politique de développement
Les produits des industries forestières dans l'économie - Situation actuelle et future
Caractéristiques des industries forestières
Caractéristiques de la base forestière des industries du bois
Les industries forestières et le développement économique
Ressources, technologie et recherche
Détermination du rôle de la forêt
Planification des industries forestières

Les industries forestières présentent beaucoup d'aspects particuliers. Elles fournissent une très vaste gamme de produits, aussi bien de produits de consommation que de produits semi-ouvrés qui passent ensuite dans de nombreux secteurs de l'économie et la demande de ces produits augmente rapidement avec la croissance économique. Ces industries diffèrent considérablement par la matière première et les autres facteurs de production qu'elles utilisent. Dans la plupart d'entre elles, divers procédés de fabrication peuvent être utilisés avec succès. Elles sont alimentées par des ressources renouvelables. Enfin, ces ressources sont intimement liées à l'agriculture.

Les industries forestières devraient par conséquent pouvoir jouer un rôle important dans le développement économique des pays où le revenu est actuellement bas. Dans le présent article, on a essayé d'établir en quoi pourrait consister ce rôle. L'analyse est loin d'être complète, et beaucoup d'aspects importants de la question ne sont qu'effleurés, sinon entièrement passés sous silence. Toutefois, cet article aura atteint son but s'il réussit à attirer l'attention des responsables des politiques sur certaines considérations primordiales dont on ne tient pas toujours compte et s'il peut inciter économistes et forestiers à étudier de manière plus approfondie et plus détaillée quelques-uns des problèmes soulevés ici.

Quelques aspects de la politique de développement

Depuis la guerre, on comprend de mieux en mieux la nécessité du progrès économique dans les régions du monde qui n'ont pas encore été touchées par la révolution industrielle. Les problèmes du développement sont désormais au premier plan non seulement dans les préoccupations des gouvernements et des organisations internationales, mais aussi dans les sciences sociales, où ils forment le lieu géométrique des efforts de différentes branches de l'analyse et de différentes disciplines. Cet effet se fait sentir aussi dans les domaines spécialisés où l'on s'occupe des problèmes économiques et techniques de secteurs ou d'industries déterminés. Spécialistes et techniciens n'ont plus le droit d'ignorer le contexte élargi dans lequel opèrent les industries et les secteurs industriels, car ce contexte n'est pas une constante, mais une variable, peut-être la plus importante de toutes. De nos jours, les problèmes et les objectifs sectoriels sont subordonnés aux problèmes et aux objectifs généraux du développement dont ils constituent en même temps des éléments intégrants.

Dans les pages qui suivent, on a considéré le secteur de l'industrie forestière sous l'angle des problèmes qui se posent dans la phase initiale de croissance d'une économie. Les forêts sont un élément des plus importants du patrimoine national - c'est une richesse que même des pays très pauvres possèdent ou pourraient posséder -, car elles produisent une matière première renouvelable pour toute une gamme d'industries qui ont pris une grande importance dans beaucoup de pays industrialisés. Or, cette richesse est bien souvent inutilisée dans les pays neufs, ou exploitée uniquement comme source de produits à exporter à l'état brut. Ce fait conduit tout naturellement à se poser les questions suivantes: quelle impulsion peut-on attendre du secteur des industries forestières dans les régions insuffisamment développées? Quel peut être le rôle de ce secteur dans un programme économique tendant à réaliser une croissance nationale autonome?

On ne saurait se contenter, en réponse à ces deux questions, de considérations vagues et générales sur ce que paraissent être, à première vue, les mérites des industries forestières. La théorie économique et les techniques de programmation du développement ont fait des progrès considérables ces dernières années. Il subsiste certes de nombreux sujets de controverse et il reste beaucoup de points à élucider dans ce domaine, mais on est suffisamment d'accord sur les critères qui doivent orienter les choix et sur les données nécessaires pour appliquer ces critères dans la pratique. Ainsi, l'analyse sectorielle doit suivre les grandes lignes de l'analyse économique, pour qu'il soit possible d'intégrer l'une à l'autre aux fins du développement.

Nous allons donc tout d'abord reprendre en termes généraux certaines considérations touchant l'analyse sectorielle et nous préciserons quelles sont les données et les connaissances nécessaires pour apprécier les possibilités économiques du secteur des industries forestières.

LES OBJECTIFS DU DÉVELOPPEMENT: UN CHOIX POLITIQUE

Le «sous-développement» est une notion relative et, dans une certaine mesure, subjective. Certaines économies sont considérées comme «sous-développées» parce que d'autres sont plus développées; elles correspondent à la situation d'un pays qui est «mécontent de ses conditions économiques actuelles et veut les améliorer» 1. Dans ces pays, le progrès économique est devenu ou est en train de devenir question d'idéologie, car il est lié à la réalisation d'une indépendance plus réelle - économique aussi bien que politique - et de dignité humaine plus grande, aussi bien que de bien-être matériel pour la population. Il est essentiel de bien comprendre que le «développement», dans ses objectifs et sa motivation, n'est pas uniquement affaire d'économie, si l'on veut éviter la discussion d'un certain nombre de faux problèmes et utiliser les instruments économiques avec plus de sûreté et à bon escient.

1 ROBINSON, J. Notes on the theory of economic development. Dans Collected economic papers, vol. 2. Oxford, Blackwell, 1960, p. 96-97.

Parmi ces problèmes figure en premier lieu la nécessité de l'intervention gouvernementale. Cette nécessité résulte presque automatiquement de la décision de rattraper le retard du pays et du fait que, bien souvent, ce retard lui-même est dû au laissez-faire ou à un interventionnisme de mauvaise espèce. Une fois cette décision prise, il n'y a plus à se demander si un pouvoir extérieur au marché, par exemple l'Etat, doit intervenir dans le «libre jeu des forces du marché». Dans une économie insuffisamment développée, l'objet de l'intervention doit être défini en termes très généraux; comme ce n'est pas un seul secteur ou une seule région, mais l'ensemble de l'économie qui est en retard, l'intervention doit, directement ou indirectement, avec plus ou moins d'énergie, s'exercer sur tout le système. Cela revient évidemment à dire qu'une planification est nécessaire, et l'on entend par planification la coordination générale de l'intervention gouvernementale dans les différents domaines, en vue d'atteindre des objectifs de politique bien définis et cohérents. La planification générale ne suppose pas nécessairement une intervention directe de l'Etat dans tous les domaines. Elle est compatible avec la prédominance de l'entreprise privée (à condition que celle-ci soit orientée par un système adéquat de stimulants et de sanctions). Mais elle exige essentiellement une vision claire des fins à atteindre en premier lieu, puis un plan systématique de mise en œuvre de tous les instruments de politique, compte tenu de ces fins.

Il s'ensuit qu'une fois déterminé le cadre du plan, un certain nombre de questions excessivement controversées, telles que la démarcation entre secteur public et secteur privé ou l'opposition entre le développement agricole et l'industrialisation, apparaissent sous un jour plus réel. La solution des ces problèmes et d'autres semblables ne peut être trouvée dans l'abstrait, mais doit contribuer aux fins ultimes et, ce qui plus importe, à l'administration effective du plan. Dans une grande mesure, cela s'applique aussi à la controverse dans laquelle on oppose industrie légère et industrie lourde ou, de manière plus générale, confort immédiat et progrès à longue échéance. En tout cas, si la solution dépend de la structure et des ressources de l'économie (qui sont des données de fait), le choix est surtout politique, car la définition des objectifs généraux du plan résulte principalement d'une décision politique.

EVALUATION FINANCIÈRE ET ÉVALUATION SOCIALE

Une autre conséquence tout aussi importante des principes que nous venons d'énoncer a trait à l'évaluation des avantages et des coûts que comportent les politiques et les projets d'investissement. Bénéfices et coûts doivent être évalués par rapport aux objectifs énoncés dans le plan et les politiques et les projets doivent être classés en conséquence. Les objectifs du plan, et plus généralement, de la politique de développement intéressent toute la communauté et non pas les entreprises de production prises individuellement: dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que les critères d'évaluation en pareil cas puissent différer (et en fait diffèrent souvent) de ceux qui valent pour les particuliers.

Le principe en vertu duquel on fait une différence entre l'évaluation du point de vue du particulier et l'évaluation du point de vue social - c'est-à-dire entre l'évaluation financière (celle des profits monétaires réalisables à brève échéance ou pour des groupes déterminés) et l'évaluation économique (bénéfice aussi bien à court terme qu'à long terme pour tous les intéressés) - est déjà pleinement accepté dans les économies avancées pour tout ce qui est dit «entreprises de service public», c'est-à-dire pour les secteurs d'intérêt général dans lesquels on admet que le bénéfice et les coûts financiers pour les entreprises privées ne sont pas forcément les mêmes que pour la communauté. Dans les économies sous-développées, ce même principe trouve une application bien plus large encore, pour la bonne raison qu'à peu près toutes les activités économiques peuvent y être considérées comme des services publics, tout au moins pendant un certain temps, la tendance historique montrant qu'il y a généralement divergence entre l'intérêt privé et l'intérêt social.

Les évaluations effectuées du point de vue privé et du point de vue social peuvent diverger pour des raisons qui dérivent, dans la micro-économie aussi bien que dans la macro-économie, de considérations statiques aussi bien que dynamiques. D'abord, dans une économie sous-développée, le système des prix n'est pas «significatif», c'est-à-dire qu'il n'est pas de nature à assurer un optimum technique ou économique, puisqu'il ne reflète pas la pénurie relative de biens et de facteurs de production: à fortiori, il ne reflète pas non plus l'ordre de priorité établi dans la politique de développement. Ensuite, un projet d'investissement donné peut comporter un certain nombre d'avantages «secondaires» qui n'apparaissent pas sous forme de bénéfices financiers pour les entreprises les plus directement intéressées, mais dont il faut tenir compte dans l'évaluation économique: ils consistent essentiellement en «une augmentation du revenu net des activités engendrées directement ou indirectement par le projet» 2. Enfin, il faut tenir compte des effets «secondaires» en se plaçant au point de vue dynamique. On peut grouper ces effets secondaires en économies extérieures de production et de consommation: d'une part, tout investissement dans un secteur «moteur» déterminera sur le plan de l'offre des conditions favorables aux investissements dans d'autres secteurs; d'autre part, la demande de facteurs de production et la nouvelle demande de biens de consommation suscitée par l'élévation du revenu des personnes mises au travail élargira le débouché des autres industries et encouragera ainsi de nouveaux investissements du côté de la demande. Cette dernière considération traduit le fait que la pénurie de demande est, avec la pénurie de capitaux, un des principaux obstacles au progrès économique.

2 Cette définition figure dans: UNITED STATES INTERAGENCY COMMITTEE ON WATER RESOURCES. SUBCOMMITTEE ON EVALUATION STANDARDS. Report to Interagency Committee on Water Resources; proposed practices for economic analysis of river basin projects. Washington, D. C., 1958.

DONNÉES NÉCESSAIRES POUR DÉCIDER EN MATIÈRE D'INVESTISSEMENTS

Quel que soit le critère adopté en matière d'investissements, certaines données sont indispensables pour évaluer l'impact économique de ceux-ci dans un secteur donné. On peut les classer comme suit:

Données techniques

Elles ont trait à la forme et à l'étendue de la fonction de production. Que le choix soit orienté vers un fort ou un faible investissement de capital, on peut dire que plus vaste est cette étendue (c'est-à-dire plus le nombre des techniques disponibles est élevé) est plus - ceteris paribus - un secteur donné dans un pays insuffisamment développé se prêtera aux investissements parce que les possibilités d'adaptation aux objectifs généraux de la politique et aux conditions structurelles du pays sont plus grandes. Pour l'étude des fonctions de production, il faut connaître:

a) la structure interne du secteur (plus il est vaste et intégré et plus on a de souplesse en matière de décisions, étant donné la possibilité de combiner différentes techniques à différents niveaux de production);

b) la productivité de la main-d'œuvre, la valeur ajoutée, le taux du rapport capital/produit et les diverses combinaisons de facteurs de production par unité de production et de capital pour chaque technique applicable. Il est à noter, à ce propos, que la fonction de production valable pour une économie insuffisamment développée n'est pas forcément la même que dans les pays plus avancés: la disponibilité des facteurs et les prix ont certainement influé sur la marche du progrès technique dans ces derniers pays et il existe des possibilités, encore mal explorées, d'imaginer des techniques répondant mieux aux différentes conditions.

Données sur les investissements et les coûts

Elles servent bien plus à contrôler si les projets correspondent aux disponibilités de capital et à l'ampleur du marché qu'à estimer les prix de revient effectifs, qui varient suivant le coût des facteurs de production. Telle technique peut n'être applicable que si l'on opère sur une certaine échelle, laquelle sera parfois excessive eu égard aux dimensions du marché et aux disponibilités de capitaux. On peut aussi inclure dans ce groupe de données les caractéristiques matérielles des facteurs de production et du produit, dont le poids relatif compte beaucoup quand il s'agit d'apprécier dans un pays donné quels peuvent être les avantages relatifs d'un certain secteur vis-à-vis du reste du monde et de choisir l'emplacement de la future industrie.

Données relatives à la demande

Elles permettent d'apprécier l'importance qui revient à un certain secteur et commandent le choix des techniques et la dimension des entreprises. Les projections de la demande permettent aussi d'évaluer les économies qui peuvent être réalisées sur les importations grâce à des investissements dans un secteur donné.

Effets secondaires et indirects

Certains entrent dans la catégorie générale des économies externes. D'autres se rattachent plus précisément à la création d'une nouvelle source de production des biens ou services qui stimule l'expansion d'autres activités en dehors du secteur. D'autres encore résultent de l'apparition d'une nouvelle demande qui élargit les possibilités d'investissement dans d'autres secteurs: cela est dû à l'augmentation des achats de biens de consommation de la part des nouveaux travailleurs et à la demande de facteurs de production émanant des nouvelles entreprises. Le degré de liaison amont et aval d'un secteur donné avec les autres secteurs est considéré comme un critère très important de priorité dans les allocations entre secteurs, car il fournit la mesure de l'expansion cumulative qu'un investissement déterminé peut provoquer dans l'ensemble de l'économie.

Nous essayerons dans les sections suivantes de présenter, en ce qui concerne les industries forestières, quelques-uns des éléments d'information et données susmentionnés. Nous commencerons par établir les conditions actuelles et futures de la demande de produits des industries forestières, car elles constituent un cadre essentiel pour les problèmes envisagés ici.

Les produits des industries forestières dans l'économie - Situation actuelle et future

Dans cette section, nous nous proposons: a) d'examiner ce qui caractérise la structure de la demande de produits forestiers, le rôle de ces produits dans l'économie mondiale et le rapport d'interdépendance qui lie l'industrie forestière aux autres secteurs; b) d'exposer la situation actuelle de la production, de la consommation et du commerce des produits forestiers dans les deux grands ensembles 3 entre lesquels peut se diviser le monde actuel, c'est-à-dire pays développés (Europe occidentale, Amérique du Nord, U.R.S.S., Océanie et Japon) et pays insuffisamment développés (Afrique, Amérique latine et reste de l'Asie); c) d'étudier la dynamique de la demande de produits forestiers afin d'en évaluer les perspectives dans les régions insuffisamment développées; d) d'en tirer certaines conclusions quant à la mesure dans laquelle la demande future devrait être satisfaite par la production intérieure dans les régions peu développées.

3 Cette répartition sommaire des pays (discutable d'ailleurs en ce qui concerne l'attribution de certains d'entre eux à l'une ou l'autre catégorie) se justifie principalement par des raisons de commodité statistique.

CARACTÈRES STRUCTURELS DE LA DEMANDE

Même en décidant d'ignorer la diversité des produits, des techniques et des systèmes économiques dans le secteur considéré, il faut néanmoins établir quelques distinctions générales. Le bois peut servir à faire du feu ou être utilisé dans l'industrie, mais étant donné l'importance évidemment secondaire du bois de feu 4 sur le plan de la croissance économique, nous ne nous occuperons ici que du bois d'œuvre et d'industrie. Ce dernier peut être utilisé soit après diverses transformations qui laissent intactes sa structure chimique et physique, soit comme matière première soumise à des procédés chimiques au cours desquels il perd son individualité, si l'on peut dire. Nous avons donc d'une part les grumes de sciage qui, une fois traitées, sont utilisées dans le bâtiment, l'industrie navale et la fabrication de produits manufacturés; les grumes de tranchage et de déroulage qui fournissent des placages, contre-plaqués et panneaux forts, utilisés également pour la construction et la manufacture; enfin, les grumes qui donnent des traverses de chemin de fer, du bois de mine, des pilotis et des poteaux. D'autre part, il y a le bois qui est transformé en pâte mécanique et chimique, puis en papier et en carton. Entre ces deux groupes, figurent deux produits mis au point plus récemment, à savoir les panneaux de fibres et ceux de particules. Du point de vue de la fabrication, ils sont plus proches du second groupe, mais du point de vue des caractéristiques de la demande, on devrait les ranger dans le premier, car ils servent à peu près aux mêmes usages que les sciages et le contre-plaqué.

4 Nullement négligeable cependant. Voici quelques cas dans lesquels le bois de feu peut contribuer à la croissance économique: a) dans les forêts hétérogènes de feuillus, lorsque les combustibles autres que le bois sont inexistants ou coûteux, les essences de valeur commerciale négligeable peuvent constituer une source d'énergie pour les industries de transformation du bois; b) en métallurgie, diverses opérations de fonderie peuvent s'effectuer de manière satisfaisante avec le charbon de bois, d'où des économies de coke, c) en Asie méridionale, si pauvre en combustible que l'on y brûle la plus grande partie du fumier au lieu de le restituer au sol, une plantation de bois de feu dans chaque village pourrait permettre d'élever les rendements agricoles.

Matériellement parlant, les grumes de sciage représentent un volume beaucoup plus important que le bois à pâte. Le principal secteur d'absorption des sciages est la construction, suivie par l'emballage et la manufacture. Toutefois, cette dernière utilisation englobe un nombre énorme de produits: mobilier, wagons de chemin de fer, certaines pièces d'automobile, manches et poignées, jouets, échelles, crayons, etc. Dans les maisons d'habitation, le bois est utilisé surtout pour la charpente, les revêtements, les portes et fenêtres et les planchers. Le principal produit manufacturé à partir de la pâte est le papier, puis le carton, les types de papier les plus importants étant le papier journal, le papier d'impression, le papier d'emballage et le papier de sacherie.

Ces quelques détails suffisent à montrer que, directement ou indirectement, les produits ligneux représentent nécessairement un important secteur de la demande finale, et un secteur remarquable par la diversité des articles qui le composent 5.

5 On trouvera un schéma général des principales industries de transformation du bois et des diverses utilisations de leurs produits au graphique 1.

Ces deux faits sont attestés par quelques chiffres. En 1953, le secteur des forêts et des produits forestiers (produits ligneux et mobilier, ainsi que papier et ses produits) représentait 7,2 pour cent de la valeur ajoutée totale et 9,25 pour cent de l'emploi total dans les industries extractives et manufacturières du monde entier, le secteur se classant ainsi au cinquième rang pour la valeur ajoutée et au quatrième pour l'emploi 6. Voici la ventilation entre les deux principales branches, c'est-à-dire produits ligneux et mobilier d'une part et, de l'autre, pâte, papier et ses produits: 4,2 pour cent et 3,1 pour cent de la valeur ajoutée et 7,9 pour cent et 2,2 pour cent de l'emploi, respectivement. On constate ainsi une différence frappante en ce qui concerne la productivité de la main-d'œuvre, qui apparaît supérieure à la moyenne dans l'industrie de la pâte et du papier et bien inférieure dans l'autre branche.

6 NATIONS UNIES. BUREAU DE STATISTIQUE. Aperçu de l'expansion industrielle 1938-1958, New York, 1960.

Tableau 1. - Indices d'interdépendance des industries forestières



Rapport entre la valeur des entrées et celle de la production totale

Rapport entre la valeur de la demande intermédiaire et celle de la demande totale

Moyenne pour l'ensemble des industries

Bois et produits ligneux

Papier et produits papetiers

Moyenne pour l'ensemble des industries

Bois et produits ligneux

Papier et produits papetiers

Japon

48,7

68,2

62,8

46,1

29,6

80,2

Italie

43,8

71,6

53,8

41,1

43,1

75,3

Etats-Unis

42,6

42,1

56,6

41,9

40,4

79,2

Norvège

36,4

51,5

55,7

30,4

29,1

42,5

SOURCE: D'après CHENERY, B. B. et CLARK, P. G. Interindustry economics. New York, Wiley, 1969, p. 230.

La gamme des utilisations des produits forestiers, ou plus exactement la mesure dans laquelle ces produits servent à en fabriquer d'autres (c'est-à-dire le degré de «secondarité» du secteur) est mise en évidence, malgré quelques lacunes, dans les tableaux d'entrées-sorties des études sur l'interdépendance des industries. Deux coefficients sont pertinents à ce propos: le rapport entre la valeur des entrées d'un secteur donné et la valeur de sa production totale, qui indique jusqu'à quel point la production de ce secteur «comporte un emploi indirect de capital et de main-d'œuvre relativement à leur emploi direct» 7, et le rapport entre la valeur de la demande intermédiaire et celle de la demande totale des produits du secteur, qui indique dans quelle mesure ce secteur «vend sa production à des industries qui la transforment en d'autres produits» 8. Pour un secteur donné, ces deux rapports doivent être comparés avec la valeur moyenne ou médiane des mêmes rapports pour l'ensemble de l'économie. Le tableau 1 établit cette comparaison pour quatre pays - Japon, Italie, Etats-Unis et Norvège: il indique les rapports moyens pour les économies prises dans leur ensemble et, séparément, pour le bois et les produits ligneux et pour le papier et les produits papetiers.

7 CHENERY, H. B. et CLARK, P. G. Interindustry economics. New York Wiley, 1959, p. 205
8 Op. cit., p. 201.

Ces chiffres font apparaître que, dans les deux sous-secteurs et dans tous les pays (sauf aux Etats-Unis pour le bois et les produits ligneux), le rapport entre la valeur des entrées achetées et celle de la production totale est très supérieur à la moyenne; cependant, on notera que, comme il fallait s'y attendre, les entrées sont achetées principalement au secteur agriculture et forêts, d'où provient la matière première. Mais les rapports les plus significatifs en ce qui concerne le degré de liaison des secteurs considérés avec le reste de l'économie sont ceux qui existent entre la demande intermédiaire et la demande totale. On constate dans ce cas une divergence entre le papier et les produits papetiers, dont le rapport a une valeur très supérieure à la moyenne, et le bois et les produits ligneux, pour lesquels il est légèrement inférieur. Cela est dû essentiellement à ce que, dans les tableaux d'entrées-sorties, le bâtiment est compris dans la demande finale; ainsi, le bois et les produits ligneux qui sont utilisés dans la construction et qui seraient normalement considérés comme des produits intermédiaires (par exemple les charpentes, les revêtements et les coffrages) ne figurent que dans la demande finale. En conséquence, les valeurs de la deuxième série de rapports tendent à être sous-estimées pour le bois et les produits ligneux, relativement aux autres secteurs. Si l'on tient compte de cette circonstance et si l'on considère les valeurs élevées du rapport pour le papier et les produits papetiers, on peut conclure que le secteur des produits forestiers pris dans son ensemble a un degré élevé de «secondarité» et d'interdépendance avec les autres secteurs.

Tableau 2. - Production et consommation de produits forestiers, moyenne 1957-59

POPULATION (1958)

Unité

A
Régions développées

B
Régions insuffisamment développées

Rapport A:B

Million

923

1956

presque ½

PRODUCTION





Bois d'œuvre et d'industrie

Million de mètres cubes ®

842,9

103,2

8

Sciages (y compris les traverses)

Million de mètres cubes (s)

288,3

133,7

8

Panneaux dérivés du bois

Million de mètres cubes (éq. r)

38,01

23,04

13

Papier et carton

Million de tonnes

60,0

3,4

18

CONSOMMATION APPARENTE TOTALE





Sciages

Million de mètres cubes (s)

286,7

135,0

8

Panneaux dérivés du bois

Million de mètres cubes (éq. r)

-38,3

23,0

13

Papier et carton

Million de tonnes

58,1

5,3

11

CONSOMMATION APPARENTE PAR 1 000 HABITANTS





Sciages

Mètre cube

310,0

18,0

17

Panneaux dérivés du bois

Mètre cube (équiv. r)

41,7

1,5

28

Papier et carton

Tonne

63,0

2,7

23

NOTE: r = bois rond; s = bois de sciage.
1 Dont 9,4 (estimation) pour la production non recensée.
2 Dont 0,61 (estimation) pour la production non recensée.

CONSOMMATION, PRODUCTION ET COMMERCE DES PRODUITS FORESTIERS

Le tableau 2 indique, pour les deux groupes de régions (développées et insuffisamment développées), la production, la consommation totale et la consommation par habitant des principales catégories de produits forestiers. Plusieurs faits intéressants s'en dégagent.

La production des produits forestiers se concentre très fortement dans le monde développé. La consommation est plus concentrée encore, car les régions insuffisamment développées obtiennent des régions industrialisées une part substantielle de leurs approvisionnements en certaines catégories de produits. D'un autre côté, la population des régions insuffisamment développées est plus de deux fois celle des régions industrialisées, de sorte que la consommation de produits forestiers par habitant est extrêmement basse dans ces régions-là: 1/17 de celle des régions industrialisées pour les sciages, 1/23 pour le papier et le carton.

La situation des régions insuffisamment développées par rapport au reste du monde est illustrée aussi par le tableau 3. Pour les produits forestiers également, les pays de ces régions sont exportateurs de produits bruts et importateurs de produits manufacturés: ils exportent des grumes de sciage; leurs échanges de sciages s'équilibrent à peu près en volume (il est à considérer que leur déficit est dû pour beaucoup à l'absence de forêts de résineux, de telle sorte qu'au total ils sont exportateurs de sciages de feuillus, mais importateurs de sciages résineux); enfin, ils sont importateurs nets de panneaux de fibres, et surtout de pâte, de papier et de carton. (Le tableau ne fait pas état d'articles manufacturés de bois, comme le mobilier, etc.) En conséquence, malgré leur très faible consommation, ces pays présentent un net déficit en valeur. Non seulement la valeur unitaire du produit manufacturé est beaucoup plus élevée que celle du produit brut (la différence n'est cependant pas aussi forte que dans les autres industries du fait que la matière première représente une très grande partie des entrées, surtout pour les produits ligneux), mais encore la valeur des importations se majore, par rapport à celle des exportations, de tout le montant du fret, dont la plus grande partie va aux régions développées, qui possèdent la majorité du tonnage marchand.

Les valeurs totales figurant au tableau 3 indiquent un déficit global (pour les divisions 24, 25, 63 et 64 de la CTCI) de 467 millions de dollars U.S. Ce chiffre comprend, outre les articles mentionnés dans le tableau, certains produits ligneux et papetiers manufacturés. En sont exclus par contre beaucoup de produits ligneux et papetiers finis, tels que meubles, maisons préfabriquées, livres, journaux et autres imprimés, etc. Le déficit serait bien plus considérable s'ils étaient comptés.

Cette situation est d'autant plus paradoxale que beaucoup de régions insuffisamment développées ont la matière première sous la main et que, comme on le verra plus loin, les secteurs déficitaires n'exigent pas toujours des techniques exceptionnellement compliquées.

Tableau 3. - Commerce des régions insuffisamment développées, moyenne 1957-59



Unité

Quantité

Valeur

Exportations

Importations

Commerce net 1

Exportations

Importations

Commerce net 1



Millions d'unités

Millions de dollars U.S.

GRUMES DE SCIAGE

Mètre cube®

7,6

1,2

+ 6,4

152,3

40,0

+112,3

SCIAGES








Résineux

Mètre cube (s)

1,5

3,6

- 2,1

68,8

155,3

- 86,5

Feuillus

Mètre cube (s)

1,6

0,8

+ 0,8

83,5

46,7

+ 36,8

Traverses

Mètre cube (s)

0,2

0,2

-

5,7

29,3

- 23,6

Placages

Mètre cube (s)

0,07

0,02

+ 0,05

4,6

3,9

+ 0,7

Contre-plaqué

Mètre cube (s)

0,18

0,25

- 0,07

21,5

24,7

- 3,2

Panneaux de fibres

Tonne

0,04

0,08

- 0,04

3,3

10,2

- 6,9

Panneaux de particules

Tonne

0,02

0,02

-

1,1

2,1

+ 1,1

Pâte

Tonne

0,06

0,57

- 0,51

9,9

83,4

- 73,5

Papier journal

Tonne

0,03

0,91

- 0,88

3,6

152,3

-148,7

Autres papiers et cartons

Tonne

0,05

1,05

- 1,00

13,1

258,6

-245,5


VALEUR TOTALE 2





406,0

873,0

-467,0

NOTE: ® = bois rond; (s) = bois de sciage.
1 + = exportations nettes: - = importations nettes.
2 Y compris quelques produits manufacturés (divisions 24, 25, 63 et 64 de la CTCI)

DYNAMIQUE DE LA DEMANDE

La principale variable à considérer quand on tente de prévoir l'évolution de la demande des produits forestiers c'est, comme pour tous les autres produits, le revenu. Toutefois, on ne peut dégager de relation très précise entre revenu et consommation que pour les produits de pâte. Pour tous les autres produits forestiers, la relation est compliquée par l'interaction d'autres facteurs et spécialement par une interdépendance - qui prend une importance particulière dans les régions à faible revenu - entre la demande et l'offre.

On a pu constater des corrélations très fortes entre la consommation de papier et carton par habitant et le revenu national individuel (normalement le produit national brut). Ces corrélations sont valables aussi bien pour l'ensemble du groupe papier-carton que pour les diverses catégories de papier et de carton. Elles le demeurent que les paramètres soient étudiés dans l'espace (par comparaison de la situation entre un grand nombre de pays à un moment donné) ou dans le temps (par comparaison de l'évolution de la consommation et du revenu dans un pays ou une région donnés sur diverses années).

La corrélation n'est pas linéaire: en fait, l'élasticité par rapport au revenu décroît quand celui-ci augmente. Ainsi, aux alentours de 100 dollars par habitant, l'élasticité peut aller jusqu'à 2,5-3; aux niveaux d'environ 200 à 400 dollars, elle se situe entre 1,5 et 2,5 environ. Pour les niveaux européens de revenu - soit en gros de 500 à 1000 dollars - elle est encore nettement supérieure à l'unité. Aux Etats-Unis, par contre, où le revenu par habitant dépasse sensiblement 2 000 dollars, elle tombe au-dessous de l'unité pour la plupart des catégories 9.

9 FAO. World demand for paper to 1975. Rome, 1960

Cette baisse de l'élasticité avec l'augmentation du revenu s'applique à toutes les grandes catégories de papier et de carton aussi bien qu'à l'ensemble papier-carton, mais elle n'est pas uniforme. Ainsi, pour les faibles revenus - de 50 à 150 dollars par habitant -, l'élasticité est un peu plus élevée pour les papiers dits «culturels» (papier journal, papier d'impression et d'écriture) que pour les papiers dits «industriels» (autres papiers et cartons). Vers 200 à 250 dollars, elle est à peu près égale pour les deux catégories, soit un peu moins de 2. Pour les revenus plus élevés, 800 dollars et plus, elle est beaucoup plus forte pour les papiers industriels que pour les papiers culturels. Ces chiffres font penser qu'on peut s'attendre à une remarquable expansion de la demande de papier et de produits papetiers dans les pays insuffisamment développés, expansion qui, pour un même taux d'accroissement de revenu, sera beaucoup plus rapide que dans les pays déjà industrialisés.

Au cours de la dernière décennie, d'ailleurs, la consommation de papier et de carton par habitant dans le monde insuffisamment développé a sensiblement augmenté, comme il ressort du tableau 4.

Tableau 4. - Evolution de la consommation de papier et de carton par habitant, de 1946-48 a 1957-59



1946-48

1957-59

Augmentation en pourcentage

Kilogrammes par habitant


Régions - industrialisées

38, 6

62,9

63

Régions insuffisamment développées

1,49

2,85

91

Etant donné les coefficients d'élasticité susmentionnés, il peut paraître surprenant que les gains relatifs dans le monde insuffisamment développé n'aient pas été plus forts. On notera, toutefois, que durant les années cinquante le taux d'accroissement du revenu individuel dans ces dernières régions a été très inférieur à celui des régions industrialisées.

Si l'on passe maintenant aux autres grands produits forestiers, il est beaucoup plus difficile d'indiquer avec certitude les tendances futures de la demande. En effet, des facteurs autres que le revenu influent fortement sur la demande de sciages et de matériaux ligneux lamellés. La demande de tous ces produits est pour la plus grande part une demande dérivée. Très souvent, ces articles peuvent se substituer les uns aux autres dans une grande mesure. Ainsi, à bien des fins, le contre-plaqué, le panneau de fibres et le panneau de particules apportent chacun une solution technique valable, le choix du matériau n'étant alors qu'affaire de prix. Bien plus, ces trois matériaux peuvent remplacer les sciages dans une foule d'usages, comme on l'a très souvent vu depuis 10 ou 20 ans. Enfin, dans de nombreux secteurs d'utilisation, il y a une forte élasticité de substitution entre tous les produits des industries forestières et ceux d'autres secteurs - briques, ciment ou acier dans le bâtiment, métaux et matières plastiques dans l'ameublement et l'emballage. Ces considérations tendent à affaiblir beaucoup la valeur que l'on attribue empiriquement au concept d'élasticité-revenu, car les coefficients calculés sur la base de séries chronologiques ou de coupes masquent les effets exercés sur la demande par les facteurs susmentionnés.

De ce qui précède, il est clair que l'évolution de la demande de ces produits dépendra beaucoup des prix relatifs, aussi bien intrasectoriels qu'extrasectoriels. Toutefois, les simples rapports de prix ne suffisent pas à donner une indication claire, car le progrès technique - qui tend toujours vers une économie de matière première, qu'il s'agisse de bois ou de matériaux concurrents - peut modifier profondément l'effet des variations des prix relatifs.

Les données actuellement disponibles 10 font conclure que, si l'on prend ensemble les sciages et les panneaux dérivés du bois, la demande croît effectivement avec le revenu, et au moins autant que lui lorsqu'il est bas.

10 En particulier, les études détaillées récemment exécutées en Ouganda, au Kenya, au Tanganyika et au Ghana par Pringle, Arnold, de Backer et von Maydell.

On peut par conséquent affirmer que, pour les sciages et les matériaux ligneux lamellés comme pour le papier et le carton, la croissance économique fera augmenter rapidement la demande dans les pays à revenu actuellement faible.

Tableau 5. - Produits forestiers: consommation en 1957-59 et estimation des besoins en 1970 dans les régions insuffisamment développées, en équivalent de bois rond

DEMANDE FUTURE ET DIVERSES POSSIBILITÉS DE LA SATISFAIRE

On a élaboré récemment des estimations de la demande future de produits forestiers dans le monde insuffisamment développé jusqu'en 1970. Elles se fondent principalement sur des études régionales des ressources et des besoins en bois d'œuvre que la FAO exécute ou vient d'achever en collaboration avec les commissions économiques régionales des Nations Unies.

Une augmentation substantielle des besoins en bois industriel est prévue d'ici 1970 dans toutes les régions insuffisamment développées (tableau 5). Le taux d'augmentation va de 56 pour cent en Amérique latine à 83 pour cent en Asie. Il s'établit à 72 pour cent en moyenne pour l'ensemble de ces régions.

Ainsi, durant la prochaine décennie, les besoins de ces régions augmenteront-ils de 32 millions de mètres cubes (débités) de sciages, 8,6 millions de tonnes de papier et de carton, 8 millions de mètres cubes (équivalent en bois rond) de contre-plaqué, panneaux de fibres et panneaux de particules.

Ces estimations sont importantes pour la question des investissement dans le secteur des forêts et des produits forestiers, car elles indiquent la demande sur laquelle peut se fonder une capacité accrue de production, ou encore le montant de devises qu'il en coûterait si l'on ne développait pas la capacité suffisamment pour satisfaire le surcroît de demande.

Nous avons essayé au tableau 6 d'évaluer ces coûts dans les diverses hypothèses. Les hypothèses A et B représentent deux cas extrêmes: dans la première, le potentiel de production resterait tel quel, de sorte que le surcroît de consommation devrait être entièrement couvert par des importations; dans la deuxième, la production serait accrue de manière à assurer en totalité le surcroît de consommation (sans modification des importations nettes). Ces deux situations sont assez improbables, mais les hypothèses sont intéressantes, car elles montrent qu'il n'en coûte pas beaucoup plus de développer le potentiel de production (hypothèse B) et d'assurer par conséquent des approvisionnements constants que d'importer les quantités supplémentaires de produits nécessaires chaque année.

Tableau 6. - Deux possibilités de satisfaire le surcroît de demande de produits forestiers

RÉSUMÉ

On peut maintenant formuler quelques conclusions sur l'aspect «demande» des produits forestiers dans les régions insuffisamment développées:

a) Le secteur des produits forestiers contribue de manière importante à la production et à l'emploi industriels dans le monde.

b) La consommation, toutefois, est très inégalement répartie entre les régions industrialisées et les régions insuffisamment développées, où la consommation par habitant est extrêmement faible.

c) L'expansion du secteur est étroitement liée à l'expansion générale de l'industrie et à l'augmentation du revenu par deux sortes de relations: interdépendance technique des diverses industries et rapports entre le revenu et la demande. La première ressort des tableaux d'entrées-sorties, sous forme d'un degré élevé de «secondarité» du secteur; la deuxième s'exprime par de fortes élasticités-revenu de la demande. Ces relations montrent que si, d'une part, l'expansion de la demande de produits forestiers peut être considérée comme un effet de l'accroissement du revenu, d'autre part, le développement de l'offre de produits forestiers, lié comme il l'est à des utilisations ultérieures, peut stimuler l'expansion dans d'autres secteurs.

d) La participation des régions insuffisamment développées à la production totale est encore plus faible que leur participation à la consommation totale, c'est-à-dire que leur capacité de production ne correspond même pas au très modeste niveau de leurs besoins. Il s'ensuit que ces pays sont de gros importateurs de produits manufacturés, tout en étant exportateurs nets de matières premières (grumes de sciage, de tranchage et de déroulage).

e)En valeur, la balance commerciale de ces pays est encore plus défavorable. Les frais de transport sont très lourds pour la matière première et assez élevés pour les produits importés, mais les profits qui en résultent vont rarement aux régions insuffisamment développées qui, en effet, ne possèdent pas d'importantes flottes marchandes. D'autre part, les prix f.o.b. des produits importés sont bien plus élevés que ceux de la matière première exportée, car ils comprennent toute la valeur ajoutée durant la manufacture.

f) Les perspectives des régions insuffisamment développées ne sont guère plus brillantes en ce qui concerne leur commerce net. L'élasticité-revenu de la demande est très élevée non seulement pour le papier et ses produits, mais aussi (bien qu'à un moindre degré) pour les produits du bois. Même si l'expansion de la capacité de production se maintenait au taux de ces dernières années, le déficit net augmenterait substantiellement d'ici 1970, ce qui accentuerait fortement une hémorragie de devises étrangères déjà sévère. Cette hémorragie ne sera atténuée qu'au prix d'un nouvel effort. Le problème économique qui se pose est de savoir quelle est la solution la plus payante: investir dans le secteur ou accroître les importations?

Ce problème sera examiné dans les sections suivantes, mais il faut faire dès maintenant deux remarques. Tout d'abord, la comparaison des coûts et des bénéfices est un problème économique et non financier; tous les bénéfices, directs et indirects, à court terme aussi bien qu'à long terme, doivent être considérés et évalués par rapport au coût pour la communauté, c'est-à-dire au coût social. En deuxième lieu, on ne peut apporter une solution toute faite au problème en se fondant sur la doctrine traditionnelle du commerce international et de la spécialisation internationale. Une théorie statique ne peut rendre compte de phénomènes dynamiques, et ne saurait non plus expliquer le résultat des tendances du passé, comme la concentration des industries forestières (ou même de toute autre industrie) dans les régions économiquement avancées. Dans la théorie traditionnelle du commerce international, on constate que les industries se trouvent où elles se trouvent, sans expliquer pourquoi elles se trouvent précisément là. Cette théorie repose sur une certaine distribution des économies externes et elle est valable dans ses limites, mais on ne saurait s'en servir pour conclure que cette distribution est la meilleure possible ou qu'elle ne peut ni ne doit être modifiée. Il existe très peu d'avantages réellement «naturels» si l'on entend par là ceux qu'il est impossible à la longue de s'assurer artificiellement dans une certaine mesure. Dans le cas des produits forestiers, le fait naturel sur lequel repose la structure actuelle de l'industrie forestière pourrait être la distribution géographique des conifères, circonstance qui est due à son tour à la situation actuellement privilégiée de ces essences. Mais cette situation pourrait être ébranlée par le progrès technique, surtout si ce dernier est délibérément orienté; ajoutons que la distribution géographique actuelle des résineux pourrait aussi être modifiée. Quoi qu'il en soit, tous les arguments en faveur du maintien du statu quo fondés sur la théorie de la spécialisation internationale n'ont de valeur que si l'on néglige les avantages à long terme, tels que l'accumulation et les réinvestissements, et les avantages sociaux représentés par les économies externes - c'est-à-dire si on les applique à un contexte statique. Par contre, ils cessent d'en avoir lorsque la question consiste précisément à créer ces avantages afin de modifier le statu quo.

Caractéristiques des industries forestières

STRUCTURE GÉNÉRALE

Le graphique 1, qui schématise le cheminement des produits forestiers, situe les industries forestières primaires aussi bien par rapport à la forêt qu'aux autres secteurs de l'économie (jusqu'à la consommation finale). Il met aussi en lumière quelques importantes relations existant entre les industries forestières, dont les demandes de matière première sont largement complémentaires, mais en partie concurrentes, et dont les produits, pouvant se substituer dans une certaine mesure les uns aux autres, sont donc concurrents eux aussi, tout en étant complémentaires à bien des égards lorsqu'il s'agit de satisfaire la demande des autres secteurs et du consommateur définitif.

On peut se faire une idée générale de l'importance relative des grandes industries forestières primaires d'après le tableau 7.

Tableau 7. - Comparaison des industries forestières primaires a l'échelle mondiale (1960)

Les rapports indiqués au tableau 8 ressortir les différences entre ces quatre principaux groupes.

Graphique 1. - Cheminement des produits forestiers

L'industrie de la pâte et du papier puis celle des panneaux exigent des investissements beaucoup plus forts que celles du contre-plaqué ou des sciages. En outre, elles donnent le produit brut le plus élevé par unité de matière première. Du fait qu'elles utilisent principalement des bois de petites dimensions et de faible valeur et que, de plus en plus, elles opèrent sur des déchets de bois provenant aussi bien des autres industries forestières que de l'exploitation des forêts, leur supériorité sur celles du contre-plaqué et des sciages en ce qui concerne la valeur ajoutée par unité de matière première est encore plus forte qu'il ne ressort du tableau 8.

Tableau 8. - Valeur de quelques rapports dans les industries forestières primaires du monde (1960)

Industries

Valeur brute de la production par unité de matière première

Investissement par personne occupée

Investissement par unité matière première

Emploi par unité matière première

$U.S. par m3 ®

1 000 $U.S.

$U.S. par m3 ®

Nombre par 1 000 m3 ®

Scierie

27

2,6

15

5,7

Pâte et papier

57

23,8

-151

6,4

Contre-plaqué

40

4,2

45

10,5

Panneaux

57

9,3

74

8,0

Ces valeurs globales et moyennes masquent toutefois de grandes différences dans l'échelle des opérations (et les besoins en facteurs de production) à l'intérieur de chaque grand groupe, comme nous le montrerons brièvement en examinant tour à tour certaines des caractéristiques principales de chaque industrie. Mais disons dès l'abord qu'un certain nombre d'industries forestières primaires de moindre importance ne figurent pas dans ces tableaux: ce sont d'autres industries de transformation du bois (carbonisation, fabrication de laine de bois, distillation) et des industries d'extraction et de raffinage des matières tannantes, résines, laques, huiles, etc. Ainsi, l'emploi total dans les industries primaires de transformation du bois avoisine 6 millions de personnes, un effectif à peu près égal étant occupé dans les industries forestières secondaires: ameublement, emballages, caisses, allumettes, etc., et les diverses industries de transformation du papier.

LA SCIERIE

Dans cette industrie, les entreprises vont du petit chantier (souvent mobile) installé en forêt et produisant quelques mètres cubes par jour pour les besoins locaux à la grande usine extrêmement mécanisée qui produit annuellement plusieurs centaines de milliers de mètres cubes destinés soit à l'exportation, soit aux gros centres de consommation. Il y a place pour toutes, la dimension et l'emplacement optimums dépendant uniquement des disponibilités de matière première, des débouchés et des moyens de communication. Ce dernier aspect est d'un grand poids dans le choix de l'emplacement, étant donné la forte incidence du transport sur le coût de la matière première livrée à l'usine et du produit fini livré au marché. La valeur ajoutée au cours du sciage est faible et les économies liées à la dimension des opérations ne sont pas un facteur d'importance décisive pour l'installation des scieries. Elément caractéristique, le coût des grumes rendues à l'usine représente 60 à 70 pour cent du coût de production. Pour cette raison et aussi parce qu'il faut avoir en permanence assez de grumes pour assurer la continuité du travail et assez de sciages pour satisfaire les clients, le fonds de roulement est élevé et représente souvent presque autant que l'investissement fixe.

Les besoins en main-d'œuvre sont extrêmement variables, selon le type de grumes traitées, le degré de mécanisation et, naturellement, l'efficacité des opérations. Dans un pays européen peu industrialisé, la production d'un mètre cube de sciages résineux dans une usine débitant de 10 000 à 15 000 mètres cubes par an nécessite de 10 à 14 heures d'ouvrier; dans une usine plus importante, débitant de 20 000 à 35 000 mètres cubes par an, de 7 à 10 heures seulement. Plus la consommation de grumes est homogène, plus il est possible de mécaniser et d'économiser sur la main-d'œuvre. Il s'ensuit que la productivité de celle-ci (volume produit par journée ou année d'ouvrier) est normalement bien plus élevée dans les scieries de résineux que dans celles de feuillus. Dans les régions où dominent les résineux, comme l'Amérique du Nord, l'U.R.S.S. et l'Europe septentrionale, ces essences constituent 85 à 95 pour cent de la matière première, contre 10 à 40 pour cent en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique.

Dans le commerce international des grumes de sciage, les résineux ne représentent qu'environ un tiers des feuillus; en outre, une proportion bien plus faible du commerce est intercontinentale. Les échanges interrégionaux de grumes de sciage de feuillus se composent surtout de bois tropicaux. Il est évident que les pays en voie de développement auraient intérêt à exporter une plus grande partie de leurs bois tropicaux déjà débités. D'ailleurs, des mesures ont été déjà prises avec succès dans plusieurs pays pour favoriser les exportations de sciages plutôt que de grumes. Mais il y a des limites à ce qui peut être fait dans ce sens, car l'évolution historique de ce commerce a été déterminée par des facteurs techniques peut-être autant que par des facteurs politiques.

Le commerce international des feuillus tropicaux comprend divers bois de charpente ordinaires, mais surtout des bois prisés servant notamment à la fabrication de meubles. Plusieurs pays en voie de développement (notamment en Afrique occidentale et en Amérique centrale) exportaient autrefois des quantités considérables de grumes et parfois aussi de sciages de feuillus, tandis que leur propre consommation de sciages était faible ou nulle. Actuellement, cette consommation commence à se développer. Si l'on arrivait à trouver dans ces pays mêmes des débouchés pour les essences moins prisées (peut-être après traitement) et pour les types non exportables des essences les plus réputées, on pourrait réduire le coût de l'exploitation forestière, accroître la capacité d'exportation et parfois peut-être s'engager davantage dans la voie du débitage des bois avant l'exportation. Si les pays en voie de développement accordaient plus de place à des programmes nationaux de construction de logements, d'écoles, etc., ils verraient s'ouvrir de nouvelles possibilités d'action positive dans ce sens.

Une grande partie de la matière première traitée par les scieries (de 25 à 50 pour cent, et probablement 40 pour cent en moyenne pour l'ensemble du monde) en ressort sous forme de dosses, délignures et sciure. Or, ces déchets, jadis inutilisés, peuvent actuellement être presque entièrement récupérés s'il y a au voisinage des industries forestières capables de les utiliser. Les dosses et les délignures peuvent servir à produire de la pâte ou des panneaux, et même la sciure et les copeaux peuvent être utilisés par d'autres industries du bois. La possibilité d'employer les déchets des scieries a déjà modifié profondément l'économie de ces entreprises dans les régions développées et stimulé dans bien des cas l'intégration des industries forestières.

Jusqu'à présent, ces possibilités n'ont guère été mises à profit dans les pays en voie de développement. Mais, si, dans la plupart d'entre eux, les temps ne sont pas encore mûrs pour la création d'ensembles géants d'industries forestières intégrées, il en est peu où l'on ne puisse déjà implanter avec succès une ou plusieurs petites usines alimentées en totalité ou en partie par des déchets de scierie, qui produiraient des panneaux de particules, de fibres et particules, ou des panneaux forts pour la construction. Ou encore, quand on envisage de créer une nouvelle scierie, la possibilité de lui adjoindre au départ une fabrication secondaire de ce genre peut accroître la rentabilité financière et l'intérêt social de l'entreprise.

La scierie est normalement la première des industries forestières qui se crée. Elle n'exige pas de personnel techniquement très qualifié, sauf dans quelques postes clefs. Par rapport à toute autre industrie forestière primaire, elle laisse beaucoup plus de souplesse dans le choix de l'emplacement des usines, de leur grandeur, et des articles produits. Si l'exportation offre de bons débouchés, l'industrie peut se concentrer sur la production de bois de qualité aux dimensions exigées par le marché d'outre-mer, les débits inférieurs à la norme étant resciés pour répondre à la demande locale. Si la demande étrangère cesse ou si elle modifie ses exigences, l'industrie peut s'adapter rapidement aux nouvelles spécifications.

L'INDUSTRIE DE LA PÂTE ET DU PAPIER

Deuxième des industries primaires par ses besoins en matière première et par la valeur de sa production, mais de loin la plus importante par le capital investi, l'industrie de la pâte et du papier s'est développée rapidement ces dernières années. De 1950 à 1960, en effet, la production mondiale de pâte est passée de 34 millions de tonnes à 59 millions de tonnes et celle de papier de 43 millions de tonnes à 74 millions de tonnes.

Cette industrie est beaucoup plus localisée que celle du sciage, car si le bois qu'elle utilise représente le poste principal dans le coût de production et si elle a absolument besoin d'être alimentée en bois peu coûteux, les autres produits et facteurs de production qu'elle utilise sont d'une importance considérable 11. La structure des coûts de production varie beaucoup suivant le procédé de fabrication, la dimension de l'usine, son emplacement, enfin suivant que l'usine est intégrée (pâte et papier) ou non. Certaines des caractéristiques principales ressortent du tableau 9.

11 Une industrie papetière non intégrée, qui achète entièrement sa pâte, et des usines utilisant une forte proportion de vieux papiers et de fibres non ligneuses ne sont évidemment pas tributaires des disponibilités de bois.

Tableau 9. - Structure du coût de production de la pâte et du papier

Tandis que le bois représente encore du tiers à la moitié du coût total de production, on observera que: a) la dépense en capital est élevée; b) les produits chimiques constituent un poste très important, surtout pour les pâtes blanchies; c) il en va de même pour la force, la vapeur et l'eau; d) les dépenses de main-d'œuvre sont relativement faibles.

Il est clair que le bois représente dans le prix de revient global un élément important, mais non pas dominant comme l'industrie du sciage. Les coûts indiqués au tableau 9 sont ceux du bois rendu à l'usine et sont constitués principalement par la main-d'œuvre. Ainsi, alors que le fonctionnement de l'usine même exige peu de travail humain, il en faut beaucoup au contraire pour extraire le bois de la forêt. Les investissements nécessaires dans cette industrie sont sans conteste élevés. Pour une usine de taille moyenne produisant une centaine de tonnes par jour (30 000 tonnes par an), installée dans un pays insuffisamment développé, il faut en général (pour l'implantation de l'usine même, sans compter le fonds de roulement et les éventuelles dépenses d'infrastructure) de 12 millions à plus de 20 millions de dollars, selon l'emplacement, le procédé de fabrication et le programme de production.

Pour plus de moitié, ces frais correspondent à l'achat de biens d'équipement, à la rémunération des ingénieurs, etc., et entraînent donc normalement une dépense de devises étrangères pour les pays insuffisamment développés. En revanche, la période d'amortissement (quotient de l'investissement total par le produit annuel brut) est brève, de 18 mois à trois ans.

Toutefois, les procédés de fabrication ont certains caractères d'indivisibilité qui permettent de réaliser de sensibles économies d'échelle. Ces économies sont particulièrement sensibles dans la fabrication de la pâte et du papier kraft. Le tableau 10 donne une indication générale de la variation des dépenses en capital suivant la dimension de l'usine, pour quelques entreprises typiques.

Tableau 10. - Influence du type et de la dimension des usines de pâte et de papier sur l'investissement fixe

Type d'usine

Capacité journalière, en tonnes

25

50

100

200


Milliers de dollars U.S. par tonne journalière

NON INTÉGRÉE





Pâte chimique non blanchie

235

175

135

105

Pâte chimique blanchie

325

240

190

150

INTÉGRÉE





Papier non blanchi

300

230

180

140

Papier blanchi

390

295

235

185

SOURCE: Rapport de la Conférence FAO/CEAEO sur les perspectives de développement de la pâte et du papier en Asie et en Extrême-Orient, Tokyo, 1960.

Etant donné la forte incidence des dépenses en capital sur les coûts de production, il est évident que les petites usines ne peuvent résister aux grandes entreprises que si elles bénéficient de certains avantages.

Les besoins en énergie électrique sont élevés eux aussi: normalement de 360 à 550 kilowattheures par tonne de pâte au sulfate blanchie, pour atteindre 1 700 à 2 000 kilowattheures par tonne de papier journal, d'où la nécessité d'une fourniture à bon marché, surtout pour la pâte mécanique et le papier journal. D'un autre côté, cette forte consommation peut assurer aux entreprises d'électricité un des débouchés nécessaires, favorisant ainsi la réalisation d'aménagements hydroélectriques.

La fabrication de la pâte et du papier nécessite aussi de très grandes quantités d'eau douce, surtout celle des pâtes chimiques blanchies et de certains papiers spéciaux. Voici quelques exemples typiques (en mètres cubes d'eau par tonne de pâte ou de papier): pâte mécanique, 50; pâte au sulfate non blanchie, 300; pâte au sulfate blanchie, 450; pâte à dissoudre, 600; papier journal (usine intégrée avec râperie), 100; papier kraft (usine intégrée avec fabrique de pâte), 400; carton (usine intégrée avec fabrique de pâte de paille et de vieux papiers), 400; papier à cigarettes, jusqu'à 1000. Une papeterie intégrée produisant 100 tonnes par jour consomme quelque 40 000 mètres cubes d'eau, soit autant qu'une ville de 150 000 habitants en Finlande les industries des produits forestiers absorbent environ 80 pour cent de la consommation totale d'eau 12.

12 TÔTTERMAN. HARALD. Die Wasserfragen der Finnischen Zellstoff- und Papierindustrie. Paperi jàa Puu. 43(4) 1961.

Dans la fabrication de la pâte chimique, il faut des quantités considérables de produits chimiques pour la cuisson et le blanchiment, à savoir de 200 à 500 tonnes pour 1000 tonnes de pâte blanchie. On voit par là combien il importe pour une usine de pâte chimique de pouvoir se procurer facilement ces produits essentiels que sont le sel et la pierre à chaux.

L'acheminement à l'usine des grandes quantités de matière première nécessaires puis l'évacuation des produits finis posent un important problème de transports. Une usine produisant 100 tonnes par jour, par exemple, doit transporter quotidiennement de 500 à 1000 tonnes en moyenne et beaucoup plus pendant les périodes de pointe. Il faut donc non seulement une bonne organisation des transports, mais parfois aussi des investissements considérables pour assurer les moyens voulus: routes, voies ferrées, ports, camions, etc. Ce fait souligne le rapport étroit qui lie le développement d'une industrie de la pâte et du papier et celui de l'infrastructure générale.

La place nous manque ici pour examiner en détail les divers procédés de réduction en pâte et les diverses matières premières fibreuses auxquelles chacun s'applique particulièrement. Disons simplement que si la plus grande partie de la pâte et du papier utilisés dans le monde est encore fabriquée à partir des résineux classiques, il est actuellement peu d'essences résineuses ou feuillues qui ne puissent se réduire en pâte par un procédé ou par un autre et il existe des procédés applicables à une vaste gamme de matières premières non ligneuses telles que bambou, sparte, paille de céréales et bagasse (résidus de canne à sucre). Ajoutons qu'une des matières premières les moins coûteuses est le vieux papier, qui peut remplacer en très grande partie la fibre neuve dans beaucoup de qualités de papiers et même en totalité dans certains cartons. Ainsi, en Europe occidentale, on récupère jusqu'à 25 pour cent du papier pour en refaire de la pâte et les vieux papiers constituent 36 pour cent des mélanges de pâte servant à la fabrication des papiers autres que le papier journal et le kraft. Le coût des vieux papiers réside surtout dans les frais de ramassage et de triage: aussi, plus la consommation de papier est forte et concentrée, plus les vieux papiers sont bon marché. Dans les pays en voie de développement, les possibilités de réutiliser les vieux papiers augmentent avec l'accroissement rapide de la consommation et déjà beaucoup de ces pays pourraient ainsi alimenter une production modeste mais rentable de carton.

La fabrication de la pâte et du papier ne demande pas beaucoup de main-d'œuvre, mais 35 à 45 pour cent du personnel - c'est-à-dire une assez forte proportion - doit être qualifié. Tout projet d'implantation d'usines en pays neufs doit donc s'accompagner d'un programme intensif de formation professionnelle.

Ce que nous avons dit de l'industrie de la pâte et du papier pourrait faire penser qu'elle n'offre pas de place aux petites entreprises, par exemple aux usines produisant de 5 à 10 tonnes par jour, mais tel n'est pas le cas. Même dans les pays industrialisés, les petites usines représentent souvent 80 pour cent de l'effectif total tout en ne fournissant que 10 à 25 pour cent de la production de papier et carton. Cette catégorie comprend les usines qui fabriquent des papiers spéciaux 13: papier à cigarettes, papiers isolants et papier pour billets de banque, qui sont produits presque toujours par de petites entreprises. Il y en a cependant beaucoup d'autres, en général des usines non intégrées, qui fabriquent du carton-paille, du papier mousseline et d'autres qualités de papiers et cartons pour la consommation locale. Ces petites entreprises bénéficient de certains avantages: elles trouvent leur matière première fibreuse sur place et leurs frais de transport sont réduits; elles écoulent leur production sur le marché immédiat, d'où des coûts de distribution réduits et la possibilité de s'adapter rapidement à la demande; elles peuvent se contenter d'un approvisionnement limité en eau et d'un moindre nombre de techniciens et d'ouvriers qualifiés; leurs besoins en capital sont relativement faibles (cela n'est cependant pas toujours vrai pour certaines fabrications de papiers spéciaux et chers); elles utilisent de l'équipement fabriqué dans le pays; enfin, elles permettent une grande dispersion géographique de l'emploi. Quant à la qualité de leur produit, elle n'est pas forcément inférieure.

13 Qui seront sans doute assez peu demandés dans les pays se trouvant au début de leur industrialisation.

Pour conclure, on aurait évidemment tort d'envisager un développement à long terme de l'industrie de la pâte et du papier qui se fonde principalement sur les petites entreprises, mais ces dernières peuvent cependant Jouer, dans certains cas, un rôle important durant la phase initiale.

CONTRE-PLAQUÉ, PANNEAUX DE FIBRES ET PANNEAUX DE PARTICULES

Contre-plaqué

La production mondiale, qui était d'environ 3 millions de mètres cubes en 1938, dépasse sensiblement 15 millions de mètres cubes, ayant doublé et au-delà au cours de la dernière décennie. L'utilisation soit des contre-plaqués de feuillus à des fins ornementales (panneaux, portes, dessus de tables, etc.), soit des contre-plaqués de résineux à toutes fins dans la construction, a connu une forte expansion, due pour une bonne part aux progrès techniques (meilleures colles, apprêts extérieurs, nouveaux produits), à la tendance favorable des prix du contre-plaqué par rapport à ceux des sciages et aux économies de main-d'œuvre que permet l'utilisation du contre-plaqué dans le bâtiment.

Le principal élément à considérer pour le choix de l'emplacement d'une usine de contre-plaqué est la disponibilité de grumes de grand diamètre, de belle forme, indigènes ou importées, mais se prêtant au tranchage ou au déroulage. Une grande partie des usines installées en Europe et au Japon utilisent des feuillus; tropicaux importés. Les grumes de placage de grandes dimensions se raréfiant, l'industrie a cherché à améliorer ses techniques, surtout pour arriver à traiter des grumes de plus petit diamètre et des bois de moindre qualité, par des procédés tels que le rognage des parties défectueuses, l'emploi de raccords et l'utilisation plus complète des billes.

Le rendement de fabrication est assez faible, puisque les pertes sont de 50 à 70 pour cent (40 à 60 pour cent dans la fabrication des placages). Souvent, les déchets sont utilisés en totalité ou en partie par l'usine même, comme combustible pour la production de la vapeur et du courant consommés par les presses à chaud, les séchoirs, etc. Si, toutefois, on leur trouvait un débouché commercial, cela pourrait avoir une influence décisive sur l'économie des opérations. La fabrication des panneaux forts est en grande partie une branche de l'industrie du contre-plaqué. On tend beaucoup à intégrer la fabrication du contre-plaqué et celle des panneaux de particules, non seulement parce que la deuxième utilise les déchets de la première, mais aussi parce que les panneaux de particules sont souvent revêtus d'un placage extérieur et que les deux industries ont les mêmes clients, c'est-à-dire la construction et l'ameublement.

Le bois représente 30 à 50 pour cent du prix de revient total, les autres produits importants utilisés dans la fabrication étant les colles (résines, caséine, albumine du sang, soja, etc.) dont il faut environ 25 à 35 kilogrammes par mètre cube de contre-plaqué. Avec la demande croissante de contre-plaqués résistant à la moisissure et à l'eau, la consommation de résines au phénol et à l'urée a augmenté rapidement.

Les investissements sont plus élevés que dans l'industrie des sciages, mais bien moindres que dans celle de la pâte et du papier: de l'ordre de 100 à 200 dollars par mètre cube de capacité annuelle. Les économies d'échelle, qui sont également moindres que dans la fabrication de pâte et de papier, portent surtout sur l'énergie et les presses. Seules les usines opérant sur de grandes quantités de matière première homogène (par exemple, contre-plaqué de sapin de Douglas) et fabriquant des qualités normalisées ont intérêt à mécaniser beaucoup la manutention et à appliquer une certaine automation.

La main-d'œuvre nécessaire par mètre cube de produit varie beaucoup selon le degré de mécanisation, la dimension des grumes, l'épaisseur moyenne des placages, la nécessité de raccords, etc. Dans les pays peu développés, il faut parfois plus de 100 heures d'ouvrier par mètre cube lorsque les circonstances conseillent de confier à l'homme une grande partie des opérations de manutention. Selon les cas, de 20 à 35 pour cent du personnel doit être qualifié.

Les considérations sur les possibilités qu'auraient les pays en voie de développement d'exporter des sciages au lieu de grumes brutes valent aussi pour le contre-plaqué. Il est intéressant de noter que l'on tend actuellement à créer des fabriques non intégrées produisant des placages qu'elles livrent verts ou secs à des usines nationales ou étrangères équipées uniquement d'une presse ou d'un séchoir et d'une presse. Ces fabriques ne nécessitent qu'un investissement réduit et de faibles disponibilités de grumes. L'expédition de placages au lieu de grumes permet d'économiser sur le poids et l'encombrement.

Les panneaux forts, les panneaux lamellés etc., sont inclus dans la grande catégorie des contre-plaqués et leur production a augmenté parallèlement à celle des panneaux de particules. La fabrication des panneaux forts peut presque se faire à la main, avec un petit équipement. Elle serait très intéressante pour beaucoup de pays en voie de développement, car elle permettrait non seulement d'éviter des importations, mais aussi d'utiliser les bois d'éclaircie et les fûts de petit diamètre des plantations de résineux, ainsi que les déchets de scierie.

Panneaux de fibres

L'industrie du panneau de fibres, avec une production mondiale sensiblement supérieure à 4 millions de tonnes (1960), a de grandes affinités avec celle de la pâte et du papier. Elle a les mêmes problèmes d'approvisionnement en bois et utilise de la pâte à la même phase de préparation, quand elle applique les procédés humides traditionnels. Elle n'a normalement pas besoin de produits chimiques et les colles et additifs qui donnent au produit fini ses qualités particulières ne représentent pas un élément important du prix de revient. Le coût du bois va de 20 à 40 pour cent du coût total, selon la dimension de l'usine (mais il peut tomber à 10 pour cent si l'on dispose de déchets bon marché) et les dépenses fixes (principalement amortissement et intérêt sur le fonds de roulement) peuvent représenter 20 à 30 pour cent, toujours suivant la taille de l'entreprise. Par conséquent, comme dans la fabrication de la pâte et du papier, les économies d'échelle sont sensibles. L'investissement fixe par tonne journalière peut varier entre 90 000 ou 100 000 dollars pour une usine d'un potentiel annuel de 6 000 tonnes et 30 000 dollars pour une usine de 50 000 tonnes. En fait, la fabrication du panneau de fibres se prête moins à la production en petit que plusieurs autres branches de l'industrie de la pâte et du papier.

Un bon approvisionnement d'eau est indispensable, les besoins étant sensiblement les mêmes que pour la fabrication du papier journal. Les besoins en énergie (de 300 à 800 kilowattheures par tonne de produit) sont moins élevés que pour le papier journal, mais plus élevés que pour la pâte chimique. Les besoins en main-d'œuvre (à l'usine) sont modestes: 12 à 40 heures d'ouvrier par tonne. Cette industrie peut utiliser des espèces très diverses de résineux et de feuillus, ainsi que des mélanges convenables de pâtes, et elle convient éminemment à l'emploi de déchets des autres industries forestières, y compris même l'écorce et la sciure. De plus en plus, on se sert de grumes non écorcées.

Divers procédés de fabrication à sec des panneaux de fibres ont été mis au point ces dernières années. Ils pourraient être intéressants pour les pays en voie de développement parce que l'investissement requis est légèrement moins élevé et qu'ils ne nécessitent pas de grandes quantités d'eau douce. Il faut cependant des résines pour le collage.

Panneaux de particules

Cette industrie s'est développée surtout après la guerre: de 1950 à 1960, en effet, la production mondiale est passée d'environ 15 000 tonnes à près de 2 millions de tonnes. Comme celle des panneaux de fibres, elle peut traiter le bois de feuillus et de résineux extrêmement divers, aussi bien que les déchets de bois, le lin ou la bagasse et c'est d'ailleurs pour utiliser les déchets de bois qu'elle a été créée. Cette possibilité de travailler toutes sortes de matières premières est précisément ce qui fait l'intérêt de ces deux industries des panneaux pour les pays ayant des forêts tropicales, qui fournissent souvent des bois (espèces et dimensions) utilisables en faible partie seulement par les autres grandes industries forestières.

L'investissement nécessaire pour une usine de panneaux de particules de moyenne grandeur est grosso modo la moitié de celui que demande une usine de panneaux de fibres de capacité comparable. Bien que des «économies d'échelle» soient possibles, même des entreprises relativement petites peuvent être rentables, surtout si elles travaillent des déchets disponibles sur place ou si elles desservent un marché réservé. Le potentiel moyen des usines en Europe, en Amérique du Nord et dans l'ensemble du monde était en 1956 de 4 200. 2 500 et 3 500 tonnes, respectivement. Le coût de l'investissement oscille entre 12 000 et 30000 dollars par tonne journalière, selon le procédé de fabrication et, par conséquent, le type de panneau produit.

Les limitations relatives à l'emplacement, de l'usine sont moindres que pour les panneaux de fibres. On n'a pas besoin d'eau. Les besoins en énergie sont modestes: de 100 à 300 kilowattheures par tonne de panneau produite; de même que les besoins en main-d'œuvre: 5 à 20 heures d'ouvrier par tonne. Un élément essentiel, par contre, est la disponibilité et le coût de la résine, qui est ordinairement la résine à l'urée ou au phénol Ce liant, qui forme environ 5 à 8 pour cent du poids du panneau fini, peut représenter de 15 à 35 pour cent du prix de revient, selon le procédé de fabrication et le prix de la résine, qui coûte ainsi souvent plus cher que le bois. Il est évident que si la résine doit venir de l'étranger, le projet présente moins d'intérêt en ce qui concerne l'économie d'importations.

INDUSTRIES FORESTIÈRES DE MOINDRE IMPORTANCE

Outre les grandes industries forestières que nous venons d'étudier, beaucoup d'autres industries moins importantes utilisent de la matière première d'origine forestière, mais leur diversité est telle qu'il est bien difficile d'en établir une classification à la fois simple et satisfaisante.

Certaines ne sont pas beaucoup plus qu'un appendice des industries du sciage et du placage; toutefois, elles peuvent être implantées séparément surtout dans une localité où elles trouvent la matière première qui leur convient ou un centre de consommation qui leur assure un débouché. Il se peut qu'il y ait même intérêt à importer la matière première, comme dans l'industrie du bois tourné qui produit des manches d'outils agricoles, des articles de sport, des articles de ménage en bois, des bobines, etc. Autre exemple, la fabrication de bois à allumettes par sciage ou déroulage. D'autres articles en bois comme les bardeaux, les bois de crayons, les ébauchons de pipes de bruyère, souvent destinés à l'exportation, peuvent être fabriqués dans de petites usines (ou des ateliers annexés à des usines plus importantes), installées dans des localités où elles trouveront leur matière première. La tonnellerie, la fabrication des emballages en bois et de la laine de bois accompagnent naturellement les industries d'exportation d'aliments et de boissons et d'expédition de nombreux articles manufacturés. Le capital nécessaire par unité de bois consommé est à peu près du même ordre que pour les petites scieries. Mais les usines peuvent être même assez petites. Une bonne partie du coût de production est constituée par la rémunération du personnel qualifié ou semi-qualifié, mais cet élément varie beaucoup d'une industrie à l'autre. Le coût de la matière première est aussi assez important.

La distillation du bois donne une grande variété de produits, dont les plus importants sont le charbon et l'alcool méthylique ou alcool de bois. Quand on distille des résineux, on obtient en outre diverses huiles et des goudrons. Le charbon, utilisé commercialement et dans les ménages pour le chauffage et la cuisine, joue aussi un rôle important dans certaines industries, telles que la production de l'acier, la purification de l'eau, la préparation du tabac. Un des pays en voie de développement l'utilise beaucoup maintenant pour la fabrication du ciment de Portland. Le capital nécessaire dans la distillation du bois n'est pas excessif. Le charbon de bois peut être obtenu simplement dans des fosses de carbonisation qui n'exigent aucun capital, mais qui ne permettent évidemment pas de récupérer les autres produits de distillation.

Un certain nombre de produits extraits du bois et de l'écorce fournissent la matière première de diverses industries, petites mais importantes. On obtient par gemmage de certaines espèces de pins une résine qui, distillée, donne la térébenthine et la colophane. Cette industrie exige beaucoup de main-d'œuvre, mais peu de capital. Les arbres sont utilisables, en outre, pour leur bois. Les produits de cette industrie jouent un rôle important dans diverses industries chimiques.

Les tanins, très importants dans les industries du tannage, peuvent être extraits de beaucoup de bois et de plantes herbacées. Les principales matières premières sont le bois de quebracho, que l'on trouve communément en Amérique du Sud; l'écorce de châtaignier, de chêne et de hemlock, qui étaient largement utilisées en Amérique du Nord et en Europe; l'écorce de palétuvier, que l'on trouve sur les côtes dans les pays tropicaux; l'écorce de mimosa, que l'on cultive maintenant beaucoup en plantations à cet effet. De nombreuses espèces végétales qui existent dans les pays en voie de développement peuvent donner du tanin. Les débouchés offerts ces dernières années à l'exportation ont été assez maigres, mais la plupart des pays en voie de développement pourraient logiquement produire du tanin pour leurs propres industries de cuir.

Il existe enfin un groupe d'industries dont nous parlerons brièvement: ce sont les industries secondaires qui travaillent le bois et le papier et utilisent comme matière première la production des scieries, des fabriques de contre-plaqué et de placages, de panneaux et de papier. Ces industries peuvent être soit associées étroitement aux usines dont elles utilisent la matière première, soit au contraire, largement dispersées à proximité des centres de consommation. Leur production est extrêmement variée et s'adresse aux consommateurs de tous âges, littéralement depuis le berceau jusqu'à la tombe. Parmi les industries secondaires du bois les plus importantes, se trouvent les fabriques de meubles; les grandes usines de menuiserie qui fabriquent des portes, des châssis de fenêtres, des moulures et même des maisons préfabriquées; les constructions navales; les fabriques de carrosseries, de charrettes, de caisses de camions, etc. Bien que beaucoup d'industries du bois tourné et de l'emballage préparent elles-mêmes leur matière première, ce ne sont parfois que des usines de fabrication secondaire. Les usines utilisatrices de papier produisent aussi des articles très divers comme les boîtes en carton ondulé, le papier carbone, les sacs en papier, les récipients en papier paraffiné, les enveloppes, les serviettes de table, les cahiers de classe. En général, ces fabrications demandent un nombreux personnel ayant des qualifications très diverses et utilisent de la matière première relativement coûteuse. Leurs besoins en capital sont modestes ou faibles. Les usines peuvent souvent être petites et décentralisées, quoique certaines «économies d'échelle» soient possibles dans les plus mécanisées d'entre elles. Dans beaucoup de cas, elles peuvent faire partie d'un complexe installé sur un grand domaine. Ce genre de fabrication convient bien pour les pays en voie de développement, car il occupe un personnel nombreux et l'usine peut être de grandeur très diverse. S'il s'agit d'un pays pauvre en forêts, la fabrication peut se faire avec de la matière première importée et permet une économie de devises appréciable sur la valeur ajoutée. A l'heure actuelle, la plupart des pays neufs qui manquent de bois importent des produits des industries secondaires du bois et du papier pour une valeur dépassant celle de leurs importations totales de tous les autres produits de bois et de papier. Au contraire, dans quelques autres, comme Israël et la République arabe unie, ces industries secondaires ont pris un grand développement.

Caractéristiques de la base forestière des industries du bois

La plupart des particularités des industries forestières que nous venons d'étudier dépendent beaucoup de la nature de la matière première qu'elles travaillent et des conditions dans lesquelles cette matière première leur parvient. Notre étude du rôle potentiel des industries forestières dans les pays en voie de développement serait donc incomplète si nous ne jetions un coup d'œil même rapide sur le secteur purement forestier.

La principale fonction du secteur forestier, du point de vue économique, est de fournir aux industries forestières le bois, qui en est la matière première. L'accomplissement de cette fonction comporte deux aspects essentiels: l'exploitation, c'est-à-dire l'abattage des arbres et le transport des billes jusqu'au marché ou chez l'utilisateur, et l'aménagement forestier qui a pour but de produire des arbres sur pied à abattre. Ces deux aspects sont intimement liés et influent d'autre part sur cette autre importante fonction de la foresterie, qui consiste à assurer les biens et les services découlant naturellement du milieu forestier et qui ne se traduisent pas par une fourniture de bois. Cette autre fonction particulière de la forêt, nous l'étudierons dans une section ultérieure. Nous ne nous occuperons pour le moment ici de la forêt qu'en tant que réserve de bois des industries forestières.

QUELQUES TRAITS CARACTÉRISTIQUES DE LA FORESTERIE

Un trait frappant, bien qu'il ne soit pas toujours évident, de la foresterie est la complexité et la variabilité de la fonction de production. La croissance de la forêt n'est pas simplement celle de tous les arbres qui la composent pris individuellement, c'est plutôt la résultante d'une compétition dont l'espace et les éléments nutritifs sont l'enjeu, dans laquelle le développement de chaque arbre se fait aux dépens de ses voisins. Selon le milieu et les circonstances de leur évolution, les forêts peuvent être de simples groupes d'arbres du même âge et de la même espèce ou des associations hétérogènes d'arbres d'âges divers et d'espèces très nombreuses. Les peuplements forestiers assez homogènes de quelques espèces de résineux, avec une composition par âges assez simple, qui caractérisent les extrémités nord de la zone tempérée, se prêtent bien aux techniques d'exploitation massive avec les économies qu'elles comportent.

Au contraire, pour exploiter la forêt de pluies tropicale, à la multitude d'espèces différentes, qui est celle de la plupart des pays en voie de développement, il faut soit rechercher les arbres exploitables dispersés sur d'assez grandes étendues, soit adopter des techniques d'abattage et de transformation permettant d'utiliser une matière première très hétérogène. La croissance des arbres se fait plus ou moins vite selon l'espèce, le milieu physique et la compétition des arbres voisins. L'âge d'abattage dépend non seulement des nombreuses combinaisons de ces facteurs, mais aussi de la nature du produit à récolter. C'est ainsi que l'on peut obtenir du bois à pâte dans une plantation à croissance rapide au bout de six à huit ans, ou des grumes à placages en prélevant dans la forêt naturelle des arbres vieux de deux à trois siècles.

Au cours de sa croissance, l'arbre grandit en formant chaque année des couches nouvelles. D'autre part, dans tout boisement, des arbres d'âges divers succombent à la compétition générale et périssent. Le taux de mortalité est élevé quand la compétition a lieu entre un grand nombre d'arbres de même taille, ou lorsque de nombreux individus atteignent un âge avancé. Dans la forêt naturelle, sauf lorsqu'une maladie ou une attaque d'insectes épidémiques font des dégâts étendus, les pertes par mortalité équilibrent l'accroissement annuel et les divers changements qui se produisent au sein de la forêt n'ont pour résultante qu'une modification très faible ou nulle du volume total sur pied.

Cependant, les forêts naturelles représentent une accumulation d'accroissements annuels qui, avec le temps, a fini par constituer un énorme volume de vieux et grands arbres dont beaucoup ont de la valeur. Souvent, ces forêts ont été exploitées comme une réserve de bois ouverte à tous, sans se soucier du remplacement des arbres enlevés. Dans la phase initiale du développement de beaucoup de ces pays, ce genre d'exploitation sans remplacement des manquants a permis d'accumuler d'autres formes de capital. Mais bien souvent elle a coûté ensuite à la société un brusque ralentissement des activités économiques locales et l'abandon d'établissements humains. Quoi qu'il en soit, l'exploitation de la forêt naturelle a joué un rôle important dans le développement de ces pays.

L'utilisation de la forêt naturelle sans souci du remplacement c'est-à-dire la liquidation du capital forestier, est parfois justifiée, mais dans des circonstances tout à fait spéciales. Normalement, quand on veut assurer la continuité de l'approvisionnement, il faut s'arranger pour pouvoir faire des récoltes successives sur une même superficie. On adopte alors des plans et des formules d'exploitation qui peuvent prendre des formes très diverses et admettre une utilisation plus ou moins intensive.

Le mode d'exploitation est déterminé en grande partie par deux caractères tout à fait particuliers de la forêt. En premier lieu, le fait que, dans la forêt, comme il arrive aussi jusqu'à un certain point pour la production de la viande et pour les pêches, il y a identité entre la fabrique et le produit. En récoltant, on détruit une partie du capital forestier (la fabrique de bois) mais on recueille aussi dans le produit une accumulation d'«intérêts», à savoir les accroissements annuels. Il est donc ainsi possible de faire varier le volume et le temps de la récolte dans d'assez larges limites: retarder le moment de la récolte et la conserver sur pied ou accélérer momentanément la coupe et emprunter sur le capital. Cette variabilité de la période de récolte est une des caractéristiques de la foresterie qui offre des avantages distincts. Naturellement, une exploitation continue qui dépasserait le potentiel d'accroissement finirait par détruire la forêt. En outre, le prélèvement d'arbres affecte profondément la croissance de leurs voisins ou permet la mise en place de nouveaux sujets. Ainsi, dans certaines limites, la récolte peut même favoriser l'accroissement net ou le taux de production de la forêt.

La deuxième caractéristique tient aux vastes superficies sur lesquelles se pratique la foresterie. Il s'ensuit qu'il est difficile d'exercer une étroite surveillance et d'observer le progrès de la production.

Sous sa forme la moins intensive, l'exploitation forestière peut ne pas être une simple liquidation du capital en ce sens qu'elle assure une future récolte soit en laisant sur pied certains arbres soit en en plantant d'autres. La méthode la plus simple d'assurer la continuité de la production consiste à exploiter la forêt de proche en proche pour revenir au point de départ quand la coupe suivante est mûre.

Dans la forêt naturelle, la dimension des arbres est en général tellement hétérogène qu'il serait inapproprié d'abattre à la première coupe toutes les essences commerciales. On peut alors effectuer deux ou plusieurs coupes pendant la période d'années correspondant à une révolution.

L'exploitation intensive est caractérisée par des retours plus fréquents sur le même périmètre. On ne se borne pas à enlever la coupe définitive, on pratique aussi des éclaircies et on prélève les arbres de petites et moyennes dimensions. On diminue ainsi les pertes éventuelles dues à la mortalité et l'on favorise la croissance des arbres laissés sur pied en concentrant les accroissements annuels sur un moins grand nombre de sujets de plus grandes dimensions.

Une exploitation de plus en plus intensive s'accompagne de mesures de protection contre l'incendie, les insectes et les maladies. On a pu, dans beaucoup de forêts naturelles bien aménagées, doubler et même tripler l'accroissement exploitable par la mise en œuvre de techniques très diverses: éclaircissage, désherbage, élagage, plantations enrichissantes, choix de la provenance des semences, drainage, etc.

La plantation d'essences forestières dans des terrains nus et le reboisement de secteurs exploités à blanc dans les forêts naturelles est naturellement une pratique bien connue depuis longtemps. Mais la conduite des peuplements artificiels a fait des progrès extraordinaires en quelques décennies. Par la génétique forestière, on dispose maintenant de matériel de reproduction de haute qualité. En utilisant des plants sélectionnés, en appliquant des engrais, on arrive à obtenir des plantations dix fois autant que d'une forêt naturelle.

L'adoption des méthodes agrotechniques essentielles présente de nombreux avantages: choix des espèces et de la période de révolution appropriées; production plus homogène qui permet à son tour l'application des techniques d'exploitation et de transformation en grande série; utilisation du terrain, pendant les quelques années qui suivent l'implantation, avec des plantes cultivées; réduction, grâce à la concentration, des frais de surveillance et de transport; liberté de disposer la succession des groupes d'âge suivant un plan d'abattage (au lieu d'accepter simplement la composition d'âges de la forêt naturelle). Un autre avantage est la possibilité de compléter la production de la forêt naturelle.

Les perspectives les plus prometteuses s'ouvrent d'ailleurs à la foresterie des peuplements artificiels. Dans les pays tropicaux surtout, on est arrivé à obtenir des taux d'accroissement incroyables, parfois même avec des espèces qui donnaient des résultats médiocres dans leur habitat d'origine. Un champ de recherches prometteur, encore mal exploré, est l'application des engrais, des oligo-éléments et des composés hormoniques. Tandis que la recherche et l'expérimentation se développaient et s'organisaient, les échanges de renseignements se sont multipliés. C'est par une meilleure organisation tout autant que par une intensification de l'effort de recherche que l'on arrivera à de nouvelles conquêtes.

Une modification de la foresterie de plantation, communément appelée foresterie d'alignements, s'est développée dans un certain nombre de pays, en général très agricoles. Des arbres d'essences à croissance rapide sont plantés en alignements le long des routes, des voies ferrées, des canaux, des cours d'eau, sur la limite des terrasses, en bordure des champs. Souvent ces arbres ont été plantés pour marquer des délimitations, pour faire de l'ombrage, comme brise-vent ou pour arrêter l'érosion. Souvent, on en tire beaucoup de bois d'œuvre et d'industrie aussi bien que du bois de feu. Dans certaines régions, ces plantations se sont révélées à tel point rémunératrices que l'on a été amené à boiser complètement des terres précédemment cultivées.

L'EXPLOITATION

Les méthodes d'exploitation dépendent beaucoup du terrain et du climat, mais aussi de la nature du produit que l'on veut obtenir, de la composition de la forêt, du type d'aménagement forestier et de son intensité. Elles vont des procédés manuels les plus élémentaires à la mécanisation la plus poussée. En général, les opérations se sont fortement mécanisées dans une des deux situations suivantes: soit qu'une forêt uniforme et un terrain facile aient favorisé l'application des techniques de production en grand, soit au contraire que les difficultés de terrain aient posé des problèmes particuliers. Si une certaine mécanisation augmente l'efficacité, il n'en demeure pas moins que le travail manuel, ou tout au moins des méthodes ne demandant qu'un faible capital, donne souvent des résultats aussi bons, voire meilleurs.

Souvent, l'époque des opérations est commandée par les pluies et les conditions de terrain qui en résultent par la neige et le gel, par le risque d'incendie ou par lé régime des cours d'eau. Dans bien des cas, l'exploitation forestière offre un emploi complémentaire à la main-d'œuvre occupée en d'autres périodes dans l'agriculture, dans certaines industries de transformation et dans le bâtiment.

AVANTAGES DE LA FORESTERIE

Ce sont les caractéristiques décrites ci-dessus qui donnent à la fonction de production de la foresterie (aménagement forestier et exploitation) la souplesse qui lui permet de s'adapter rapidement à des conditions très variables dans l'espace et dans le temps.

D'une part, on peut modifier rapidement la production sans avoir à modifier par trop la nature et la quantité des facteurs. A tout moment, il existe une grande faculté de choix quant à la forme sous laquelle le produit sera récolté. Avec les nouvelles possibilités offertes par les techniques de fabrication et les modifications de la situation économique, on peut sans difficulté passer d'un produit à un autre. Par exemple, des arbres plantés pour donner des grumes de placage ou de sciage peuvent très bien, avec quelques limitations, être utilisés comme bois à pâte, même après avoir été abattus et transportés à l'usine. De même, un bois d'abord jugé utilisable comme bois de feu uniquement peut, grâce aux progrès techniques, servir pour la fabrication de pâte ou de panneaux de particules. Beaucoup de bois de pâte pourraient même être sciés. L'époque de la récolte peut varier dans des limites considérables, ce qui permet de tenir compte des fluctuations à court terme de la demande sans avoir à craindre une détérioration de la marchandise, ni à résoudre de graves problèmes d'entreposage.

D'autre part, les combinaisons de facteurs de production sont très nombreuses et très souples. Même dans le cas exceptionnel où le capital forestier est liquidé sans que son remplacement soit organisé, il existe diverses possibilités en ce qui concerne l'usage de la terre considérée comme instrument de production (il s'agit en l'occurrence du terrain avec le matériel sur pied). On peut exploiter légèrement de vastes superficies ou au contraire récolter intensément des superficies plus petites, ce choix déterminant le rapport entre coûts directs et coûts indirects de la récolte. Dans le premier cas, on n'extrait pas les bois qui n'ont qu'une valeur marginale, mais l'opération répond aussi à une fonction de «pénétration», en plus de la simple exploitation forestière.

Si, comme il est normal, on désire assurer des approvisionnements continus, le choix du degré d'intensité de l'exploitation est complété par diverses possibilités de choisir entre les différents systèmes d'aménagement forestier, ainsi qu'entre les deux grands aspects de la foresterie. En général, plus le facteur terre mis en œuvre est considérable et plus les frais d'exploitation représentent un élément important du coût du bois: au contraire, moins on utilise de terre et plus grand est le coût relatif de la production même du bois. La foresterie extensive pratiquée sur de vastes étendues demande moins de main-d'œuvre pour la production du bois, mais davantage pour la réalisation d'infrastructures (parfois temporaires) et l'exploitation, tandis que les frais de transport augmentent eux aussi avec les distances. La foresterie de plantation représente le cas extrême de facteur de production limitant.

Dans l'ensemble des moyens mis en œuvre pour la production du bois, le temps lui-même est un élément important qui varie selon le type de forêt, le produit et l'intensité de l'aménagement. Il est représenté par l'intérêt du capital immobilisé et c'est pourquoi les méthodes d'exploitation intensives vont en général de pair avec une courte période de révolution.

Ces multiples alternatives touchant aussi bien la combinaison des facteurs de production que les types de production exigent de nombreuses décisions. Mais ce qui compte ici, c'est qu'elles offrent d'innombrables possibilités de produire des matières premières pour l'industrie nationale ou pour l'exportation. Avec une gamme d'une telle variété, la foresterie est en pratique une activité économique consentie à tous les pays, quel que soit leur degré de développement et leur patrimoine forestier. L'expérience montre que, même dans les pays possédant peu de forêts naturelles de valeur, la foresterie de plantation ou d'alignements peut transformer rapidement la situation et ouvrir des perspectives entièrement neuves.

Les industries forestières et le développement économique

Il sera maintenant possible de hasarder une appréciation générale des perspectives de l'investissement dans le secteur des industries forestières. La question qui se pose est la suivante: une fois la décision prise d'entrer dans la voie de l'investissement industriel, dans quelle mesure peut-on recommander les investissements dans le secteur forestier pour les avantages qu'il offre à courte et à longue échéance?

La situation des pays qui ont été groupés dans la catégorie des régions insuffisamment développées diffère beaucoup de l'un à l'autre. Il nous faudra par conséquent formuler nos arguments et nos conclusions dans des termes très généraux. L'indication générale qui en découlera s'appliquera mieux à certains pays et moins bien à d'autres: cette indication toutefois encouragera peut-être à effectuer des enquêtes nationales plus détaillées pour voir jusqu'à quel point les propositions contenues dans cet article s'appliquent aux différents cas particuliers.

L'EXPANSION DE LA DEMANDE ET LES ÉCONOMIES SUR L'IMPORTATION

La situation actuelle et les perspectives de la demande en relation avec les possibilités actuelles d'approvisionnement fournissent un certain argument en faveur de l'investissement dans les industries forestières des pays insuffisamment développés. Ce groupe de pays, nous l'avons vu, malgré leur niveau très faible de revenu et de consommation par habitant, a déjà maintenant un commerce net de produits forestiers très déficitaire, et ce déficit est destiné à augmenter très rapidement, tout au moins en chiffres absolus, si l'investissement n'intervient très largement.

Les produits finals et intermédiaires pour lesquels l'élasticité de la demande par rapport au revenu est élevée, comme c'est le cas pour les produits forestiers, et tout particulièrement pour le papier et les panneaux dérivés du bois, posent des problèmes difficiles dans les pays en voie de développement. Un des plus gros obstacles à surmonter par ces pays dans leur processus de croissance est la situation de leur balance des paiements, car ils ont normalement un déficit budgétaire chronique qui ne fera vraisemblablement que s'accroître à mesure qu'ils avanceront dans la voie du progrès économique. Ce déficit croissant est dû normalement aux importations des biens d'équipement nécessaires à leur industrialisation (si l'équilibre du compte de capital n'est pas rétabli par des emprunts et des dons) et aux importations de marchandises dont la consommation augmente aussi rapidement ou plus rapidement que le revenu. Si l'on veut contenir le déficit dans des limites raisonnables sans que le processus de croissance en soit ralenti, il faut limiter les importations de biens autres que les biens d'équipement par des droits et des contingentements, et en même temps développer la production dans le pays de biens précédemment importés de manière à satisfaire le surcroît de demande.

Mais l'importance des économies que permet de réaliser sur les importations un développement de la production nationale de produits forestiers n'est cependant pas en soi un argument décisif en faveur de l'investissement dans ce secteur, car les économies seraient aussi importantes si l'on développait la production d'autres produits pour lesquels la demande a la même élasticité en fonction de revenu. Le nœud de la question est dans le choix des produits à consommer de préférence à d'autres: comme le capital disponible ne peut suffire pour développer la production nationale de tous les biens, il faudra nécessairement limiter la consommation de certains pour éviter d'accroître le déficit de la balance commerciale. On ne saurait donc préconiser l'investissement dans les industries forestières simplement en raison des économies d'importation que le développement de ces industries permettrait de réaliser, et il faut trouver d'autres arguments supplémentaires.

On en trouvera en abondance dans la structure particulière de l'offre et de la demande qui a fait l'objet de quelques considérations dans les pages précédentes.

CARACTÉRISTIQUES DE LA MATIÈRE PREMIÈRE ET CONSIDÉRATIONS D'EMPLACEMENT

Une série d'arguments nous est fournie par la nature et les propriétés de la matière première employée dans les industries forestières.

En premier lieu, le bois est la seule matière première que presque toutes les régions habitées du globe possèdent et peuvent renouveler (à partir des forêts existantes) ou qu'elles pourraient fournir (par les peuplements artificiels). Suivant un principe général de toute politique de développement, il faut accorder la priorité aux industries qui travaillent de la matière première indigène, car leur existence éviterait en partie le gaspillage de devises qui a empêché jusque-là l'industrialisation. Les pays insuffisamment développes oublient trop souvent que leurs forêts (souvent préservées pal l'insuffisance même du développement) sont une richesse naturelle aussi importante que les gisements minéraux. Convenablement exploitées, les forêts peuvent être un puissant ressort pour le démarrage de l'industrialisation.

Un deuxième argument en faveur de l'expansion des industries forestières, lié aussi aux caractéristiques des moyens de production utilisés dans ces industries nous est donné par la théorie de l'emplacement.

Le bois est en général, de toutes les matières premières importantes, la plus difficile à transporter. Non seulement la foresterie est lice à de grandes étendues de terrain et les transports ne peuvent jamais se faire à partir d'un point de départ fixe, comme dans le cas du charbon par exemple, mais encore le bois abattu dans la forêt est un matériau encombrant, de tailles et de formes diverses, que l'on ne peut réduire pour le transporter plus facilement que dans la mesure où notamment on en connaît la future utilisation. Enfin nous l'avons vu, les industries forestières sont caractérisées par le fort déchet qu'elles laissent et par le fait que la matière première bois y représente une proportion substantielle du coût de production total.

Les régions insuffisamment développées, qui exportent cependant déjà des sciages feuillus et du contre-plaqué, vendent encore une quantité considérable de bois en grumes qui est ensuite débité en sciages et en placages dans les pays importateurs. De prime abord, on voit là une raison de développer le potentiel de l'industrie des sciages et du contre-plaqué dans ces régions au point non seulement de satisfaire la demande intérieure croissante, mais aussi de remplacer les exportations de bois brut par des exportations de bois usiné. Pour une fois, on trouverait des arguments en faveur de cette thèse même dans la théorie traditionnelle de la spécialisation internationale, du moment que cela permettrait de réduire nettement, grâce à l'économie réalisée sur les frets, le prix de revient. Jusqu'à présent cet avantage n'a pas été suffisamment exploité, et cela dans une certaine mesure en raison de difficultés techniques qui ne seraient cependant pas insurmontables, mais surtout en raison du manque d'infrastructures qui caractérise tous les pays encore insuffisamment développés. Cela devrait toutefois cesser d'être un obstacle si l'on poursuivait une véritable politique de mise en valeur: comme nous l'avons déjà souligné en effet, nous n'examinons pas dans cet article l'investissement dans les industries forestières en considérant le secteur forestier isolément, mais en situant la question dans le contexte plus large d'une politique de mise en valeur générale qui suppose préalablement la formation d'un capital pour les dépenses d'infrastructure et la création d'industries dans d'autres secteurs aussi. Dans ce cas, le coût de l'infrastructure ne peut plus être imputé uniquement à tel projet d'investissement intéressant un secteur donné: les considérations qui étaient applicables à l'exploitation, sous régime colonial, d'un ou de quelques produits d'exportation (et qui justifiaient financièrement que l'on exporte de la matière première brute plutôt que de la transformer sur place) ne valent plus dès qu'il s'agit de la mise en valeur économique générale d'un pays 14.

14 C'est pourquoi aussi la politique de développement forestier devrait tendre à l'avenir vers la production des sortes de bois (résineux notamment) dont ces pays manquent actuellement, afin de réduire au minimum le fardeau des importations.

Les facteurs relatifs à l'emplacement sont de même importants pour les panneaux dérivés du bois, la pâte et le papier. Pour fabriquer diverses qualités de papier, il faut cependant incorporer au mélange une certaine quantité de pâte à fibres longues, et beaucoup de pays insuffisamment développés n'en produisent pas. A la longue, la foresterie permettra en général de combler cette lacune, mais en attendant, ces pays devront importer cette pâte. Entre-temps, la fabrication locale de pâte à fibres courtes trouvera dans bien des cas d'excellentes perspectives d'utilisation, en mélange avec de la pâte à longues fibres importée, dans les manufactures de papier du pays.

On arrivera évidemment à une utilisation plus complète des ressources locales lorsqu'une technique plus perfectionnée permettra de remplacer les types de bois qu'il faut importer par d'autres disponibles sur place - il s'agit plus particulièrement du remplacement des sciages résineux par des sciages feuillus et des panneaux dérivés du bois, et de la pâte à fibres longues par de la pâte à fibres courtes dans la fabrication du papier.

AVANTAGES TECHNOLOGIQUES DES INDUSTRIES FORESTIÈRES

D'autres arguments en faveur des industries forestières nous sont fournis par les caractéristiques des techniques de fabrication appliquées dans ces industries. Nous avons déjà vu qu'en pays insuffisamment développé, un secteur est d'autant plus favorable à l'investissement que sa fonction de production est plus étendue et qu'il présente une plus grande souplesse relativement à l'échelle. Les diverses industries forestières présentent toutes ces avantages.

En premier lieu, dans la phase de production de la matière première, on peut renvoyer à plus tard la mécanisation du travail, qui est coûteuse, et se contenter en attendant de main-d'œuvre non qualifiée. Bien souvent, l'exploitation des forêts se fait dans de telles conditions qu'une mécanisation des opérations, toujours coûteuse, n'est nullement urgente; dans certains cas, elle serait même peu rentable, étant donné l'hétérogénéité du milieu et du produit. Souvent, notamment dans les régions où la main-d'œuvre abonde, le travail humain aidé d'animaux de trait ou de machines relativement peu coûteuses peut remplacer avantageusement des machines très chères. Ainsi, le propriétaire d'une petite industrie forestière est, en général, à même d'exploiter lui-même son bois sans forte mise de fonds. Tant que la main-d'œuvre sera assez peu coûteuse, les entreprises plus importantes pourront, elles aussi, attendre encore avant de procéder à une mécanisation ambitieuse du travail en forêt. Cette possibilité de retarder l'achat d'un matériel mécanique dispendieux pour la production de la matière première est un net avantage dans les régions insuffisamment développées, car elle réduit les besoins en capital et d'autre part permet un large emploi de la main-d'œuvre peu qualifiée que l'on trouve couramment dans les régions agricoles.

En second lieu, les propriétés physiques du bois en font un matériau assez facile à travailler à la machine de telle sorte qu'avec un outillage assez simple on peut fabriquer convenablement beaucoup de produits. Etant donné, d'une part, la difficulté de transport de la matière première et, d'autre part, la facilité avec laquelle le bois peut être travaillé, on pourrait dans de petites ou assez petites usines transformer économiquement le bois en produits primaires tels que sciages, placages, pâte mécanique: la proximité de la matière première, et parfois même, la possibilité de vendre sur place une bonne partie du produit, sont des avantages qui peuvent compenser en grande partie les inconvénients de la petite entreprise. Si l'usine a trouvé des conditions favorables, on peut l'agrandir peu à peu à mesure que l'on dispose de nouveaux capitaux et de main-d'œuvre qualifiée. Il y a des types d'intégration que l'on peut réaliser même sur une petite échelle. Cette possibilité d'agrandissement progressif est très intéressante dans les pays en voie de développement.

LA DEMANDE DE PRODUITS FORESTIERS: AVANTAGES ET ÉCONOMIES EXTÉRIEURES

Nous avons remarqué qu'un des gros problèmes de toute politique de mise en valeur consiste à répartir sur les différents secteurs les ressources limitées dont on dispose et à décider quels sont les produits dont la production doit être poussée et ceux dont, au contraire, la consommation doit être provisoirement restreinte afin d'éviter l'augmentation du déficit de la balance des paiements. Les caractéristiques de l'offre, que nous avons examinées précédemment, éclaireront ce choix; mais à part cela, les caractéristiques des produits et des besoins qu'ils sont appelés à satisfaire fournissent des indications intéressantes.

Beaucoup de produits pour lequels l'élasticité de la demande à l'égard du revenu est forte sont des biens de consommation mis en vente dans les pays industrialisés à revenu assez élevé. Ces produits sont demandés aussi dans les pays insuffisamment développés, malgré le niveau moyen plus faible du revenu, surtout là où, comme il arrive souvent, ce revenu est très inégalement distribué. Parfois, il s'agit d'un désir d'imitation ou de prestige. Ces biens peuvent être considérés, tout compte fait, comme moins essentiels, étant donné qu'ils répondent à des besoins moins urgents. Evidemment, c'est là un jugement de valeur plus qu'une appréciation économique; mais bien peu hésiteraient s'ils avaient à choisir entre mieux se nourrir, mieux se vêtir, acquérir de l'instruction et, d'autre part, acheter des automobiles, des radios et autres articles du même genre. De ce point de vue, il est peu douteux que la consommation de produits forestiers dans un pays constitue un indice aussi bon que les autres du niveau social aussi bien que matériel de la population. Dans les pays insuffisamment développés, les produits des industries forestières peuvent fournir quelques-uns des moyens essentiels pour atteindre au bien-être matériel et à la dignité humaine: depuis l'habitation et le mobilier jusqu'au livre et au journal. Ce secteur mérite donc une place assez élevée dans l'échelle des priorités à observer pour le choix des biens dont la production doit être poussée et la demande entièrement satisfaite et de ceux dont au contraire, il y a lieu de freiner la consommation.

A cette considération, il faut en ajouter une qui a trait aux autres effets indirects de l'investissement dans les industries forestières sur l'ensemble de l'économie, et qui consiste surtout à permettre des «économies externes» dans le sens large.

Le premier groupe d'économies à noter ne sont pas extérieures au secteur, mais concernent les relations entre les diverses industries du secteur: ainsi, en installant quelques industries forestières, on prépare le terrain pour une production complémentaire dans la région, de telle sorte que le secteur est en quelque sorte «autopropulseur». L'exploitation forestière donne habituellement des bois de différentes sortes et de différentes qualités, et la conversion mécanique du bois laisse en général une quantité notable de déchets qui peuvent être utilisés par d'autres branches de l'industrie forestière. Avec l'augmentation de la demande de produits ligneux de différentes sortes et l'augmentation de valeur de la matière première, souvent les industries déjà en place encouragent la création de nouvelles entreprises et des types complémentaires d'utilisation tendent à se développer. Somme toute, l'hétérogénéité des ressources en bois, la diversité d'utilisation de la matière première et aussi son encombrement à l'état brut tendent à faire naître de nouvelles activités industrielles dans la zone et souvent même au sein d'une entreprise déjà existante.

Une catégorie extrêmement importante d'économies «externes» dérive du fait que les industries forestières doivent normalement s'établir aussi près que possible de la forêt et donc se disperser dans l'arrière-pays. Cela établit un lieu naturel entre elles et diverses œuvres d'infrastructure. Quand une nouvelle route ouvre une forêt à l'industrie du sciage et sert à transporter le bois débité vers les centres de consommation, les bénéfices économiques qui en résultent peuvent contribuer substantiellement à amortir le coût de la route; des routes d'exploitation forestière peuvent contribuer à développer le réseau routier d'une région; la construction d'une usine hydro-électrique peut permettre l'installation d'une fabrique de papier journal qui, une fois en activité, deviendra un des meilleurs clients de l'usine et ainsi de suite. Cette interrelation est un trait important des industries forestières, surtout dans les premières phases du développement et peut contribuer beaucoup à éviter le «dualisme» dans le progrès économique, c'est-à-dire une différenciation de plus en plus marquée entre deux parties d'une même région.

Un autre avantage indirect de la foresterie est la grande souplesse avec laquelle peut y être organisé le travail d'exploitation, ce qui permet d'utiliser de la main-d'œuvre momentanément inoccupée. Etant donné la durée des arbres, ni les traitements sylvicoles par lesquels on intervient sur leur croissance, ni les opérations d'abattage ne sont liés à un calendrier rigide; et si, pour divers travaux forestiers, il faut tenir compte des facteurs de climat qui se manifestent suivant les saisons de l'année, cette influence est beaucoup moins prononcée qu'en agriculture. Le fait a de l'importance dans les régions insuffisamment développées. Comme beaucoup de tâches forestières peuvent être confiées à des ouvriers peu qualifiés, un potentiel de main-d'œuvre qui serait resté sans cela inemployé peut-être utilisé à des besognes immédiatement productives ou à la constitution d'une réserve de matière première qui sera exploitée plus tard.

Mais le plus important peut-être des effets indirects de la mise en place d'industries forestières est dû à leur caractère essentiellement dynamique. On peut bien dire qu'il émane du secteur des industries forestières une force propulsive en ce sens que son expansion peut entraîner naturellement à des investissements dans d'autres secteurs. Cela est dû à ce que les industries forestières sont fortement liées à d'autres secteurs moins primaires. Une industrie ainsi caractérisée peut être un excellent point de départ vers le progrès industriel: en investissant dans ce secteur, on provoque indirectement la demande dans d'autres secteurs que l'on approvisionne en matière première, et les occasions d'investissement s'étendent dans tout l'ensemble de l'économie. Il en résulte un effet de multiplication, non dans le sens traditionnel de ce terme, basé sur la demande finale et la dépense de revenus par les nouveaux éléments de la main-d'œuvre mis au travail, mais dans le sens d'un accroissement de la demande interindustrielle.

RÉSUMÉ

Parmi les avantages des industries forestières que nous avons passés en revue, il en est peu qui puissent être évalués en termes financiers, car on ne saurait les exprimer en argent. C'est pourquoi il est difficile de comparer quantitativement les coûts et les bénéfices et de déterminer avec exactitude les bienfaits qui en dérivent pour la société. Toutefois, ces avantages devraient être mis en ligne de compte par les planificateurs alors qu'ils décideront comment attribuer les fonds disponibles pour l'investissement; la question mérite même la plus grande attention, étant donné que, dans le cas des industries forestières, les avantages sociaux peuvent être parfois aussi importants que le bénéfice purement financier.

On a déjà essayé d'établir ce que coûterait un accroissement du potentiel de production suffisant pour empêcher d'augmenter le déficit de la balance commerciale. Le coût en capital par unité supplémentaire produite ne dépasse guère le coût de l'unité importée. Mais, dans le premier cas, la dépense n'aurait pas à être renouvelée pendant une certaine période d'années; dans le deuxième cas, elle devrait l'être constamment. L'investissement nécessaire pour la décennie - au total 5 milliards de dollars environ - est prohibitif. Mais il ne faut, pas l'envisager comme un débours à faire en une seule fois; l'investissement serait graduel et augmenterait progressivement, étalé sur un certain nombre d'années. Ainsi envisagé, cet objectif ne paraît pas hors d'atteinte.

Ressources, technologie et recherche

Cette étude a permis de dégager jusqu'ici un certain nombre d'excellentes raisons pour lesquelles les pays qui entrent dans la voie du progrès économique devraient accorder une attention particulière à la mise en place ou au développement d'industries forestières. Ces raisons découlent essentiellement de la structure et de l'évolution de la demande de produits forestiers, de la souplesse et de l'étendue des fonctions de production des industries forestières, enfin du fait que les pays encore peu développés possèdent tous ou à peu près une richesse forestière inutilisée ou insuffisamment utilisée, ou pourraient s'en constituer une assez rapidement.

Les deux premiers points ont été amplement démontrés. Quant au troisième, quelle que soit l'opinion courante, il demande à être examiné de plus près, car si on s'imaginait autrefois avec une certaine naïveté qu'une forêt inexploitée représentait naturellement une possibilité industrielle, on a été bien déçu depuis.

DIVERSITÉ DES FORÊTS

Nous avons déjà dit que dans la plupart des pays insuffisamment développés, les forêts diffèrent beaucoup, par leur composition et la qualité du matériel sur pied, de celles que l'on trouve dans les pays industrialisés, où d'importantes industries forestières ont pu se constituer.

Peuplements naturels de résineux

Dans une vingtaine peut-être de pays insuffisamment développés, il existe des peuplements naturels de résineux assez grands. Il s'agit en général d'espèces de pins et tous les massifs ne sont pas facilement accessibles, car il s'en trouve dans des endroits écartés et en terrain difficile. En général, au prix d'un bon aménagement, les taux de régénération et d'accroissement sont bons, et bien supérieurs à ceux des forêts de résineux de l'Amérique du Nord, de l'Europe septentrionale et de l'U.R.S.S., mais quelque peu inférieurs à ce qui a été réalisé dans les forêts artificielles de résineux de pays comme le Danemark et le Royaume-Uni, par exemple.

Forets artificielles

Un assez grand nombre de pays en voie de développement ont déjà des superficies appréciables de forêts artificielles: pins de diverses espèces, feuillus comme le peuplier, le saule et l'eucalyptus. Comme nous l'avons déjà signalé, on enregistre souvent dans ces plantations des taux d'accroissement extraordinaires, qu'il n'est pas rare de voir dépasser de plus de cinq fois ceux des forêts naturelles de résineux de la zone tempérée septentrionale.

Mais, si importantes que puissent être ces forêts et plantations de résineux (importantes précisément parce que la technique actuelle s'adapte bien à leur utilisation), elles constituent des exceptions dans les régions encore insuffisamment développées. En réalité, plus de neuf dixièmes du patrimoine forestier de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique latine se composent de feuillus de nature très différente; aussi les perspectives de leur mise en valeur et les problèmes qu'elle pose sont-ils aussi très différents. Un examen rapide de ces principaux types forestiers aidera à mieux comprendre ce point.

Forêt de pluies tropicale

Ce type de forêt correspond assez bien à l'idée qu'on se fait communément des «ressources forestières encore vierges». On le trouve le plus abondamment dans les régions très pluvieuses de la bande équatoriale, en particulier dans les bassins de l'Amazone et du Congo, ainsi que dans l'Asie insulaire et péninsulaire du Sud-Est, mais il est assez commun aussi, en plus petites formations, dans d'autres zones de la région tropicale. Il couvre au total environ 1 milliard d'hectares et représente 40 pour cent des forêts des pays en voie de développement. Les massifs sont denses et se composent de nombreuses espèces, dont un petit nombre seulement fournit des bois d'intérêt commercial (acajou, okoumé, obéché et greenheart). Souvent, 5 à 10 pour cent seulement du matériel sur pied est du bois d'espèces couramment acceptées sur le marché. Les contreforts et les cannelures que portent les arbres à leur base, et la végétation abondante de lianes qui les enlacent, ajoutent aux difficultés d'exploitation dues à l'hétérogénéité des peuplements.

Forêt humide à feuillage caduc

On trouve ce type de forêt dans les zones tropicales et quasi tropicales à variation saisonnière de la température et de la pluviométrie, et souvent sur le flanc des montagnes. Les peuplements sont denses, mais moins hétérogènes que dans la forêt de pluies. On y trouve parfois des résineux en association. Ce type de forêt est un de ceux que les populations ont fortement attaqués (défrichements pour mettre en culture les terres ou pour y pratiquer l'agriculture nomade) et qui ont été exploités pour quelques espèces recherchées, comme le teck et les podocarpes. Il s'étend sur environ 200 millions d'hectares, soit près de 10 pour cent de la superficie forestière des régions en voie de développement.

Forêt sèche à feuillage caduc

On la trouve dans les régions tropicales et subtropicales à faible pluviosité. Elle est particulièrement abondante dans l'est du continent sud-américain, dans le centre-sud de l'Afrique et dans l'Asie méridionale. La densité des peuplements dépend beaucoup du volume des précipitations et, dans les stations les plus arides, les formations sont ouvertes et coupées de fourrés d'épineux et, fréquemment, par la savane. Beaucoup de ces forêts ont été souvent brûlées et parfois surpâturés. Sauf dans les stations les plus humides où l'on trouve quelques espèces de valeur commerciale, les arbres sont mal conformés. Ce type de forêt occupe environ 800 millions d'hectares, soit 35 pour cent des forêts en question.

Forêt feuillue de la zone tempérée

Elle occupe environ 50 millions d'hectares dans les pays en voie de développement. On la trouve surtout dans l'Est asiatique, dans certaines parties de l'Himalaya et dans le sud de l'Amérique latine. Elle comprend parfois des résineux.

Mangrove et forêt de bambous

La mangrove des bandes côtières tropicales et la forêt de bambous comptent parmi les quelques types de forêt plus localisés. Les bambous sont un élément important de la forêt de pluies et de la forêt caduque humide ou sèche; on les trouve aussi à grande altitude et dans les régions tempérées de l'Asie. Souvent les terrains abandonnés par la culture nomade sont occupés par des peuplements associés de pins et de bambous.

La plus grande partie de ces forêts n'a pas encore été l'objet d'une exploitation systématique, sauf là où la population locale y prélève son combustible et du matériel pour ses constructions primitives. Cependant, de vastes secteurs ont été exploités autrefois commercialement ou le sont actuellement. Dans une grande mesure, cette exploitation a été orientée vers la production de bois brut destiné à l'exportation. Les tentatives d'établir des industries forestières locales n'ont pas été encourageantes. Or, ce n'est pas parce que les techniques connues conviennent mal aux types de forêt que ces pays possèdent. On l'admettra mieux si l'on pense que plusieurs de ces pays insuffisamment développés ont des massifs de résineux «orthodoxes» qui sont encore inexploités, bien qu'ils diffèrent peu de ceux qui alimentent d'importantes industries forestières dans les pays industrialisés, et les valent bien en qualité. Ces forêts restent à l'état de potentiel inutilisé, alors que leur composition permettrait dès maintenant une industrialisation fondée sur les techniques actuelles. Evidemment la technique n'est pas tout.

Cependant, la technique moderne n'est pas aussi inapplicable qu'on le suppose souvent aux pays en voie de développement. Il sera utile à ce propos de jeter un rapide coup d'œil sur quelques-unes des tendances de la technique qui ont joué un rôle au cours des dernières décennies dans les pays industrialisés.

TENDANCES RÉCENTES DES TECHNIQUES DE PRODUCTION

Deux principales tendances apparaissent, qui se sont accentuées dans cet après-guerre: élargissement de l'éventail des matières premières utilisées par les industries forestières et utilisation plus complète de la production forestière.

Ce deux tendances ont leur origine dans les circonstances particulières que doivent affronter les industries forestières dans les pays avancés. C'est ainsi que devant les limitations de l'offre - ou l'augmentation des prix - des essences préférées pour la fabrication de la pâte mécanique (épicéa, sapin, sapin du Canada, pin), les usines ont commencé à utiliser le bois de peuplier, de tremble et d'eucalyptus. Parmi les procédés chimiques, le premier qui ait été adopté sur une grande échelle est le procédé au sulfite qui lui aussi convenait surtout aux espèces dominantes de la zone tempérée septentrionale: épicéa, sapin, sapin du Canada et quelques pins. Mais, depuis le début des années trente, on a assisté à un développement spectaculaire de la fabrication de pâte au sulfate, procédé pratiquement applicable à toutes les matières premières fibreuses parce que d'une plus grande souplesse d'application et d'une plus grande tolérance quant à la présence de bois partiellement altérés et d'écorces. Enfin depuis la dernière guerre, on a inventé plusieurs procédés combinant l'action mécanique et l'action chimique, qui donnent des rendements supérieurs à ceux des procédés purement chimiques et offrent de larges possibilités de remplacement des procédés purement chimiques ou purement mécaniques.

Ainsi, au cours des trente dernières années, l'éventail assez limité des matières premières utilisables par l'industrie papetière dans les pays avancés s'est élargi jusqu'à inclure tous les pins résineux (particulièrement aux Etats-Unis), le bouleau (autrefois une espèce indésirable en Scandinavie), la plupart des feuillus tempérés (seuls ou en mélange) et divers résidus agricoles (notamment la paille de céréales et les déchets de canne à sucre). C'est ainsi, par exemple, que les feuillus représentaient 15 pour cent de la matière première papetière en Europe en 1961, alors que ce pourcentage était négligeable en 1945. En même temps, on s'est mis à utiliser beaucoup plus les déchets de scierie et de la fabrication du contre-plaqué pour en obtenir de la pâte. Le volume de déchets de ce genre réduits en pâte en Europe a passé de 4,5 millions de mètres cubes en 1956 à plus de 11 millions de mètres cubes en 1961.

Bien que ces progrès techniques qui ont élargi le champ des matières premières utilisables par l'industrie de la pâte soient nés dans les pays industrialisés pour répondre surtout aux difficultés d'approvisionnement, ils ont par contrecoup permis l'implantation ou le développement de l'industrie de la pâte dans les pays encore insuffisamment développés qui, en général, manquent des espèces de résineux qui étaient autrefois la matière première traditionnelle de cette industrie. L'impulsion a été donnée non seulement par la découverte de nouveaux procédés de réduction en pâte, mais aussi par la modification des mélanges traditionnels utilisés pour la fabrication des différents types de papier. Il est devenu de plus en plus possible de substituer la pâte à fibres courtes à la pâte à fibres longues (pâte de résineux) sans compromettre la qualité et la solidité des papiers obtenus. Actuellement, il est peu de pays en voie de développement qui ne possèdent de la matière première fibreuse avec laquelle la technique permet de fabriquer la plupart des qualités de papier.

Ce sont des raisons du même ordre (offre et prix) qui ont déterminé depuis la guerre un développement extraordinaire, dans les pays avancés, des industries du panneau de fibres et du contre-plaqué et qui ont fait naître une industrie tout à fait nouvelle, celle du panneau de particules, qui a pris un développement extraordinaire au cours de la dernière décennie. Grâce à des perfectionnements techniques, le contre-plaqué a pu remplacer les sciages, dont le coût réel a augmenté, pour beaucoup d'utilisations finales. Le panneau de fibres, dont les propriétés se sont améliorées, a réalisé les mêmes gains grâce aussi au fait que l'on peut maintenant le fabriquer avec des matériaux plus nombreux et que son prix s'est comparativement amélioré. Le cas du panneau de particules est encore plus frappant. C'est l'Allemagne qui, manquant de bois, a commencé à le fabriquer en utilisant surtout des déchets d'usine. Cette nouvelle industrie a profité ensuite de la découverte de résines synthétiques meilleures et moins chères et a conquis en grande partie (par exemple comme âme des éléments de meubles) un marché qui appartenait autrefois aux sciages. Le produit s'est révélé ensuite si compétitif qu'il a gagné les pays à excédent de bois de l'Europe septentrionale, les Etats-Unis et bien d'autres régions du monde. Actuellement on trouve le panneau de particules dans près de 50 pays.

Même l'industrie des sciages, qui n'avait pas connu de progrès technique radical pendant un demi-siècle, a été affectée dans une certaine mesure par les tendances que nous venons d'examiner: elle recherche davantage la précision du sciage et les hauts rendements. Grâce à des progrès considérables des techniques de la préservation du bois, des espèces moins durables et autrefois laissées de côté peuvent acquérir maintenant une bonne durée d'usage et trouver de nouveaux marchés.

Ces progrès techniques sont le fruit de recherches conduites sur certains problèmes de l'industrie forestière des pays industrialisés. Quant aux problèmes spéciaux aux pays moins avancés, l'effort de recherche est encore négligeable. Mais les progrès réalisés ont, par contrecoup, élargi énormément les possibilités techniques d'implanter des industries forestières dans les pays insuffisamment développés. Si, jusqu'à présent, ces possibilités n'ont guère été utilisées, c'est parce que les efforts pour adapter les techniques modernes à la situation des pays en voie de développement ont été sporadiques, sans coordination et aussi sans grand enthousiasme. Cela est dû à son tour au fait que le contexte socio-économique indispensable pour l'adaptation et l'application de la technique est de formation toute récente dans la plupart de ces pays et n'est pas encore formé dans certains d'entre eux.

LACUNES DANS LE DOMAINE DE LA RECHERCHE

Les efforts devraient porter sur l'adaptation des techniques modernes et sur la recherche appliquée bien plus que sur la recherche pure. Nous ne voulons pas par cela contester la nécessité de la recherche pure, ne serait-ce que pour la discipline et la formation qu'elle permet d'acquérir, et parce qu'elle offre toujours la possibilité de découvertes révolutionnaires. Mais si on considère la chose sous l'angle du coût et du profit, des efforts plus modestes ont des chances d'être plus fructueux.

Dans le domaine de la recherche, comme de la technique, on aurait rarement intérêt à vouloir émuler l'organisation et les méthodes des pays plus avancés. En général, il y a beaucoup à apprendre des pays qui sont encore aux prises avec les graves problèmes des régions arriérées et font tous leurs efforts pour en venir à bout. On n'apprécie pas encore à sa juste valeur la contribution que ces pays peuvent apporter.

La localisation, la composition et la distribution des ressources forestières des pays en voie de développement étant très différentes de ce qu'elles sont dans les pays industrialisés, un des principaux domaines que devront explorer la recherche appliquée et l'expérimentation est celui des facteurs techniques et économiques qui interviennent dans le coût d'extraction de la matière première destinée aux industries et donc du coût de la matière première utilisée par unité de produit manufacturé. Il faudrait réaliser la plupart de ces études sur place, tout en coordonnant à l'échelon régional celles qui portent sur des questions analogues. Voici quelques questions à étudier d'urgence: techniques permettant, avec le minimum de moyens, de remplacer, après exploitation, le peuplement original par un autre type forestier désiré; protection de la forêt contre l'incendie, le pacage, etc., par des méthodes économiques, tout en ménageant les intérêts et les coutumes de la population locale; étude forestière en peuplements artificiels de toutes les essences pouvant présenter de l'intérêt (à cet égard, il est important de ne pas perdre de temps, aussi faudra-t-il commencer dès que possible les essais en petit sans attendre d'obtenir les crédits suffisants pour un programme d'ensemble); étude des outils et du matériel d'équipement forestier dont l'utilisation peut se combiner avec celle du travail humain et de la traction animale, compte tenu des caractéristiques du milieu et de la main-d'œuvre locale; méthodes économiques de construction et d'entretien des routes forestières.

Des recherches devraient porter aussi sur les problèmes de stockage et de transport des bois bruts et des bois usinés. Jusqu'ici on ne s'est pas occupé suffisamment d'éviter la pourriture, le gauchissement des bois, l'apparition colorations anormales, etc., dans les diverses conditions de climat. Enfin, une question particulièrement importante est celle du transport outremer des bois usinés, dans différentes conditions.

Beaucoup de recherches ont déjà été faites sur les caractéristiques physiques et chimiques des espèces secondaires, mais le plus souvent c'est dans les pays métropolitains et pour expérimenter des bois susceptibles d'être exportés. Il serait plus utile d'étudier les propriétés mécaniques de ces bois avec ou sans préservation, en vue de les utiliser dans le pays pour la construction d'habitations et autres ouvrages, suivant les techniques de préfabrication. Les recherches devraient être poussées aussi sur les propriétés des espèces de plantations et des feuillus secondaires, du point de vue de leur utilisation selon les différents procédés de réduction en pâte et pour la fabrication des diverses sortes de panneaux. Il faudrait des colles et des résines meilleures et moins chères, fabriquées si possible avec des matières premières indigènes, pour améliorer les propriétés du contre-plaqué et des panneaux de particules dans des climats difficiles. En ce qui concerne la fabrication de la pâte et du papier, il faudrait arriver par la recherche à réduire l'échelle de fabrication nécessaire pour une production économique avec les divers procédés connus (notamment le procédé mi-chimique et le procédé à la soude et au sulfate) et mettre au point des plans d'usine répondant à l'emploi d'une main-d'œuvre à demi qualifiée. Dans l'industrie des sciages, il n'y a guère besoin de nouvelles machines; ce qui importe c'est d'améliorer la disposition des usines et d'y introduire les nouvelles méthodes de contrôle des bois sur le chantier.

Nous venons de citer quelques-unes seulement des voies dans lesquelles la recherche et l'expérimentation pourraient améliorer l'état de choses. Dans tous les cas, il faut commencer par une revue objective de ce que l'on sait déjà, pour adapter intelligemment ces connaissances aux conditions particulières des pays en voie de développement - en ce qui concerne plus particulièrement les matières premières indigènes, l'échelle de production possible, et la main-d'œuvre, qualifiée ou non, disponible sur place.

Il s'agit pour une bonne part d'un problème d'information d'abord. Chaque année, de nouvelles connaissances utiles s'ajoutent aux autres, mais on est en retard pour organiser sur le plan national et international le rassemblement, l'analyse, la transmission et la réception de tous ces renseignements. C'est seulement en sachant ce que les autres ont fait ailleurs et en étudiant la question avec l'imagination et la souplesse d'esprit nécessaires que l'on arrivera à adapter vraiment les techniques connues aux conditions spéciales des pays en voie de développement.

FAIRE TRAVAILLER DAVANTAGE LE CAPITAL

Nous avons vu que plusieurs des grandes industries forestières ont besoin d'importants capitaux pour l'installation des usines. Or, tous les pays, dans les débuts de leur développement économique, ont ceci de commun, tout au moins dès qu'ils ont adopté sérieusement un programme de développement, que le capital y est rare et cher. D'autre part, la plupart des pays en voie de développement, mais certainement pas tous, ont une réserve de main-d'œuvre rurale inoccupée ou peu occupée qui peut atteindre 30 pour cent de la population rurale active. Ces pays doivent évidemment économiser sur le capital dans la limite compatible avec le rendement et l'économie de la production. Il ne faut pas en déduire non plus que les techniques occupant beaucoup de main-d'œuvre doivent toujours avoir la préférence sur celles qui mobilisent de forts capitaux.

Le choix de la technique à employer dépend naturellement des coûts de fabrication, mais dans bien des cas, d'autres considérations peuvent aussi entrer en jeu. On peut être amené à préférer des techniques utilisant beaucoup de main-d'œuvre parce que, pour des raisons d'ordre politique et social, il faut créer des possibilités d'emploi. Ce qu'il ne faut pas oublier toutefois, c'est que la disponibilité de main-d'œuvre peut changer assez rapidement avec le développement de l'industrialisation. Si la main-d'œuvre est aujourd'hui abondante et bon marché, elle le sera certainement moins demain, quand les ouvriers seront plus qualifiés, mieux organisés et plus conscients de leur dignité. Cette évolution n'a d'ailleurs rien de regrettable, c'est même le but de tout développement. Mais il s'ensuit que, dans le choix des techniques et la disposition des usines, il faudra limiter l'emploi d'une main-d'œuvre abondante aux phases de fabrication susceptibles d'être rapidement mécanisées plus tard, quand cette transformation sera économique. Ce que nous venons de dire se rapporte surtout à la manutention des matériaux aux deux extrémités de la chaîne de production.

La forêt et les industries forestières offrent de multiples occasions d'absorber la main-d'œuvre inoccupée ou peu occupée. Même dans les pays avancés, presque tout le travail en forêt est de caractère manuel. Les travaux de boisement, d'éclaircie, d'élagage, de pépinière et même, sous certains aspects, la lutte contre les insectes et contre l'incendie se prêtent mal à une mécanisation rapide; ces travaux sont même rarement mécanisés et uniquement dans les pays où la main-d'œuvre est très rare et chère. On peut en dire autant de nombreux travaux d'exploitation forestière sauf dans les quelques cas où la grande dimension des grumes nécessite l'emploi de machines. Il faut bien souligner toutefois qu'une mécanisation peu poussée ou négligeable n'implique aucunement des méthodes de travail primitives. Dans toutes ces phases on peut encore augmenter extraordinairement le rendement du travail en utilisant de bons moyens de transport et des outils simples mais rationnels. Ces outils doivent être construits pour répondre aux conditions locales d'utilisation et la plupart du temps il est possible d'en organiser la fabrication dans de petits ateliers locaux.

En ce qui concerne les usines, il est probable que l'on ait laissé passer autrefois bien des occasions de faire des économies de capital. Souvent en effet l'entrepreneur ou l'ingénieur-conseil trouvent plus commode d'établir leur projet d'après des plans classiques plutôt que de considérer tous les aspects de la question qui permettraient des économies de capital dans les conditions locales. Par exemple, quand il s'agit de construire une usine, on peut bien souvent employer des manœuvres plutôt que des machines coûteuses pour creuser les fondations, faire des routes, etc. Pour la construction proprement dite on peut utiliser des matériaux indigènes qui sont peu coûteux, et, pour certaines parties de l'usine on peut contenter, quand le climat le permet, de hangars. Si les travaux sont soigneusement organisés à l'avance par le personnel dirigeant, on peut économiser beaucoup sur les délais de construction et par conséquent sur le coût en capital. Par exemple, la construction d'une usine de pâte et de papier qui peut se faire en 18 mois dans un pays industrialisé demande couramment trois ans sinon plus dans un pays insuffisamment développé; ce seul fait augmente de 5 à 10 pour Gent le coût en capital investi. Il est rare que cette marge puisse être ramenée à zéro, mais une bonne préparation des plans peut la réduire et permettre des économies sensibles.

Souvent, quand la série de production est petite, des machines à effet multiple permettant d'assouplir le programme de production sont plus avantageuses que les machines spécialisées. On le constate non seulement dans la fabrication du papier, mais aussi dans d'autres industries comme la fabrication du meuble et la menuiserie. Shonfield 15 fait beaucoup de cas des machines un peu démodées mais en bon état et assure que, dans les premières phases de l'industrialisation, une bonne partie de l'équipement pourrait être obtenue facilement sur le marché de l'occasion. C'est une possibilité qui n'est certes pas à dédaigner, car il faut admettre que la situation de l'offre qui a rendu ces machines démodées dans les pays industrialisés est bien différente dans les pays en voie de développement. D'ailleurs, certaines grandes industries forestières actuelles ont commencé avec du matériel d'occasion. Toutefois, il ne faut pas exagérer le rôle que peut jouer le matériel d'occasion; ce serait une erreur parce que: a) il ne convient pas toujours bien pour travailler les matières premières indigènes; b) il pose souvent de gros problèmes de remplacement et de pièces de rechange; c) il exige trop la présence de personnel qualifié. Observons en passant que la tendance actuelle à introduire dans les pays industrialisés le contrôle automatique des processus de fabrication présente un grand intérêt pour l'industrialisation des pays en voie de développement. Il n'y a rien de bizarre ou d'absurde à installer un équipement électronique dans une usine où il peut remplacer des ouvriers spécialisés qu'il faudrait des années pour former d'abord et familiariser ensuite avec le travail, tandis que l'on emploierait largement des manœuvres sur le chantier.

15 SHONFIELD, ANDREW. The attack on world poverty. Londres. Chatto and Windus, 1960, p. 163 et suiv.

Tout le monde sait que dans les pays en voie de développement le taux d'utilisation du potentiel industriel, c'est-à-dire le rapport entre la production effective et la potentiel théorique ou total, est bien moins élevé que dans les pays industrialisés. C'est là une des causes principales de gaspillage des capitaux. La cause la plus fréquente des arrêts de travail et des pannes prolongées est le mauvais entretien du matériel et les délais de livraison des pièces de rechange. Avec un effort persévérant, on pourrait réduire ces pertes en organisant l'entretien, de manière à prévenir les défaillances du matériel, en standardisant l'équipement auxiliaire tels que moteurs électriques, pompes, etc. D'ailleurs, beaucoup de ces appareils sont les mêmes pour les industries forestières et les autres secteurs industriels. En étudiant bien les besoins communs de ces industries on se rendrait peut-être compte qu'il serait possible d'organiser dans le pays la fabrication de ces biens d'équipement. Ce ne serait pas seulement un bon moyen d'économiser sur les importations, mais la possibilité de trouver ce matériel sur place permettrait d'utiliser les investissements fixes puisque les arrêts de travail seraient abrégés. Des ateliers centraux de réparation, au service de plusieurs industries, contribueraient aussi à résoudre le problème.

Beaucoup d'industries forestières - celles du contre-plaqué, des placages, des panneaux forts, la menuiserie, la fabrication de meubles, la transformation du papier, pour n'en citer que quelques-unes - peuvent opérer sur une petite échelle; elles pourraient être installées ensemble sur de grands domaines, où elles bénéficieraient en commun de services auxiliaires, ce qui permettrait d'investir moins de capital dans chaque branche d'activités et d'utiliser plus efficacement les compétences administratives et autres.

Dans les pays en voie de développement, les industries forestières ont souvent besoin d'un capital d'exploitation beaucoup plus élevé, en proportion, que dans les pays industrialisés, faute d'une bonne coordination entre les programmes de production à l'usine et les tendances du marché. En considérant bien ces problèmes et en adoptant les diverses méthodes simples de contrôle des stocks, etc., actuellement mises au point ou pourrait arriver à réduire les besoins en capital d'exploitation.

Nous n'insisterons pas davantage sur les difficultés dues au manque d'ampleur du marché intérieur dans les pays en voie de développement. Nous avons montré aussi qu'en ce qui concerne tout au moins les produits forestiers les marchés sont en expansion continue, et parfois même très rapide. Toute nouvelle entreprise devra donc être conçue dès le début en prévision d'un agrandissement ultérieur. Ce que nous disons là s'applique non seulement au secteur d'approvisionnement en matière première, mais aussi aux terrains, aux bâtiments, au plan de l'usine et aussi dans certains cas au choix même du type d'usine de transformation. Cela exigera sans doute dans les débuts un investissement un peu plus élevé par unité de production, mais permettra plus tard, peut-être même à partir de la deuxième ou de la troisième année, des économies très sensibles de capital. Dans l'industrie de la pâte et du papier, par exemple, l'investissement supplémentaire requis pour ajouter un certain potentiel à une usine donnée ne représente que 50 à 70 pour cent de ce qu'il faudrait pour construire une usine à part ayant le potentiel en question.

Ce que nous venons de dire des possibilités d'économiser sur le capital est évidemment loin d'épuiser la question et n'a qu'une valeur indicative. On peut voir cependant que ces possibilités sont nombreuses et qu'elles n'ont pas toujours été mises à profit jusqu'à présent. Cela est dû aussi, naturellement, à l'exiguïté de la demande globale d'équipement mécanique de la part de industries forestières dans les pays en voie de développement comparativement aux besoins annuels des pays industrialisés. Il s'ensuit que bien peu de constructeurs se sont occupés des besoins particuliers des pays nouveaux. Mais dans la prochaine décennie la demande de matériel spécial pour ces pays ouvrira un débouché très intéressant. Nous avons vu qu'il faudrait investir jusqu'à 5 milliards de dollars d'ici 1970 dans les industries forestières primaires des pays encore peu développés afin d'y créer le potentiel industriel nécessaire pour stabiliser simplement les importations de bois usiné. Les deux tiers, sinon plus, de cette somme devraient être dépensés en machines pour l'industrie forestière. Il est évident que les constructeurs qui cherchent à imaginer et à fabriquer des modèles nouveaux répondant aux besoins, plutôt qu'à vendre simplement leurs modèles traditionnels, seront les mieux placés pour tirer profit des nouvelles possibilités que leur offrent ces marchés en expansion. Il est évident aussi que dans nombre des principaux pays en voie de développement, l'expansion est d'un ordre de grandeur tel qu'il devrait être possible de fabriquer dans le pays une partie au moins de l'équipement nécessaire.

Détermination du rôle de la forêt

Etant donné l'interdépendance étroite de la foresterie et des industries forestières, on ne saurait envisager rationnellement le développement à long terme des industries forestières sans un plan cohérent touchant la foresterie. Pour planifier la foresterie en tenant dûment compte des autres secteurs de l'économie, il faut:

a) évaluer les besoins futurs, compte tenu de la production matérielle de bois et des autres avantages de la forêt, cela aussi bien pour les forêts existantes que pour les forêts à créer;

b) évaluer quantitativement et qualitativement les ressources forestières et déterminer dans quelle mesure la foresterie pourra disposer des facteurs de production essentiels;

c) établir le plan dans le contexte des besoins économiques du pays ainsi que les mesures nécessaires pour son exécution.

Les planificateurs, surtout dans les pays dont l'économie est encore dans sa phase initiale de développement, se rendront compte dans bien des cas que les données sur lesquelles ils devraient appuyer leurs décisions sont insuffisantes. La planification ne devra pas en être retardée outre mesure. On commencera par formuler et appliquer des plans provisoires, que l'on révisera par la suite à mesure qu'arriveront de nouvelles données. Il est particulièrement important d'agir ainsi là où la forêt a des adversaires qui pourraient causer des dommages considérables à bref délai.

EVALUATION DE LA DEMANDE DE BOIS

Il faut considérer, d'une part, la demande intérieure future de bois de toutes les catégories, depuis le bois de feu et les sciages jusqu'à la matière première bois qui entre dans la fabrication de produits complexes comme le papier et le carton, d'autre part, les programmes d'exportation, le cas échéant.

Les prévisions de la demande en fonction de la consommation intérieure et des possibilités d'exportation, doivent être établies pour les 15 à 20 années à venir. On précisera le volume et la composition de cette demande à des intervalles de temps convenables, par exemple de cinq en cinq ans. Ces prévisions (qui indiquent les quantités de bois rond à extraire de la forêt) prendront pour base les prévisions plus détaillées de la demande qui serviront à la planification de l'industrie forestière pour l'immédiat, c'est-à-dire pour les trois, cinq ou sept prochaines années et aussi pour un avenir plus lointain (de 15, 20 ou 25 ans) puisque les plans immédiats doivent s'intégrer au plan à long terme. Comme dans le domaine forestier, beaucoup d'entreprises demandent beaucoup plus de 15 ou 20 ans pour se réaliser pleinement, il faudra considérer les variations de la demande dans un avenir encore plus lointain. La possibilité de prendre des mesures importantes pendant la période couverte par le plan à court terme peut être, il est vrai assez limitée, mais ce n'est pas une raison suffisante pour négliger les changements qui peuvent se produire à long terme. Les perspectives à long terme, en particulier, ne doivent pas être oubliées quand on prend des mesures provisoires définissant l'utilisation systématique des terres, et l'affectation des terres à vocation forestière.

La consommation intérieure et l'exportation sont interdépendantes. Elles sont complémentaires quand elles donnent lieu à des «économies d'échelle» ou quand, ouvrant des débouchés plus variés, elles permettent une utilisation plus complète des ressources: on le sait, l'exploitation intensive de la forêt produit ordinairement des bois de différentes espèces, ou de la même espèce mais convenant à des utilisations différentes, tandis que l'industrialisation du bois donne des produits de qualités différentes et parfois une combinaison de plusieurs produits. D'autre part, il arrive aussi que l'exportation et les besoins intérieurs soient inconciliables et les planificateurs doivent alors choisir en considérant les avantages de l'exportation et les difficultés de satisfaire ensuite la demande intérieure.

En étudiant la demande future, il faut aussi évaluer les possibilités d'une substitution délibérément planifiée. Beaucoup de produits à base de bois peuvent être remplacés par d'autres produits qui n'en contiennent pas et vice versa; il y a aussi, dans le domaine du bois même, d'importances possibilités de substitution qui se développent sans cesse. Des sortes et des qualités de bois relativement répandues ou que l'on peut obtenir rapidement en plantation peuvent servir à remplacer des matériaux plus rares. Il peut être très utile dans un pays qui développe son économie de savoir opérer ces substitutions avec ingéniosité, afin d'économiser sur les importations ou de gagner en exportant. Dans certains cas, on peut avoir intérêt à utiliser temporairement des produits de remplacement de moins bonne qualité. Ces substitutions demandent parfois des études techniques et peuvent en outre se heurter à la force d'inertie et à des préventions, qu'il faut vaincre.

EVALUATION DES SERVICES QUE LA FORÊT DEVRA RENDRE, EN DEHORS DE LA PRODUCTION DE BOIS

Les avantages de la forêt, que l'on désigne souvent aujourd'hui par le terme influences forestières, ont été récemment classés comme suit 16:

a) Influences directes, correspondant grosso modo aux effets mécaniques ou plutôt aux influences dans lesquelles l'action mécanique semble jouer un rôle prédominant. Dans cette catégorie figure l'action protectrice de la forêt contre les chutes de pierres provenant de rochers ou d'éboulis la dominent, contre les avalanches, et surtout contre le vent.

b) Influences indirectes, c'est-à-dire celles qui ont principalement mais non exclusivement un effet physico-chimique. C'est l'action par laquelle la forêt, en modifiant le milieu, exerce une action sur la rétention du sol et le cycle hydrologique.

c) Influences psycho-physiologiques - dont on peut faire une catégorie à part, bien que les influences visées ici dérivent largement, comme les précédentes, d'effets mécaniques ou physico-chimiques. Elles ont pris une telle importance, surtout dans les pays fortement industrialisés où en outre la population augmente, qu'on ne saurait les ignorer. Ce sont celles qui intéressent directement l'homme autour duquel elles créent un milieu de vie plus agréable: air pur, zones de repos et d'agrément (ceintures vertes), lieu de tourisme et de sports, etc.

16 FAO. Influences exercées par la forêt sur son milieu. FAO: Études sur les forêts et les produits forestiers, N° 15.

Les influences de la forêt font partie de l'infrastructure d'un pays; le grand public ne comprend évidemment pas leur utilité aussi bien que celle d'autres éléments d'infrastructure qui sont présents dans la vie quotidienne de la plupart des gens, tels que les routes, les écoles, les services médicaux. Il faut ajouter que certaines des influences les plus complexes de la forêt sont encore assez mal connues scientifiquement. Mais l'on ne saurait cependant contester que leur importance générale pour la collectivité est énorme.

Du point de vue de la planification, on peut évaluer les influences de la forêt en fonction des secteurs économiques et autres qui en tirent profit: les effets protecteurs d'un brise-vent n'ont de sens que si l'on considère les cultures qu'il abrite; la valeur d'assainissement et d'agrément d'une ceinture verte n'existe que pour une ville, et ainsi de suite. Dans ce sens, les influences de la forêt sont du ressort du planificateur agricole, de l'urbaniste, etc., et c'est à eux de décider si ce qu'ils se proposent doit être réalisé avec le concours de la forêt ou par d'autres moyens, quand ils ont le choix des moyens.

Cependant, comme il est rare qu'une forêt ait seulement des fonctions non productives - car presque toutes produisent aussi ou peuvent être amenées à produire du bois - et comme d'autre part n'importe quelle forêt peut prendre dans certaines circonstances des fonctions non productives, ces fonctions, ou ces influences de la forêt, doivent obligatoirement entrer en ligne de compte dans la planification forestière. Il faudra par conséquent évaluer quels seront les besoins futurs en cette matière, suivant le développement probable de l'agriculture, de la colonisation, de l'expansion des villes, etc.; ces évaluations sont des éléments indispensables de la planification du secteur forestier, mais on ne peut les établir qu'à partir des autres secteurs économiques et des besoins de l'ensemble de la région.

Quand on planifie l'aménagement d'une forêt, il est souvent difficile de décider si un certain secteur mérite une attention particulière pour les fonctions non productives qu'il exerce ou qu'il peut être appelé à exercer dans un proche avenir. Le bon sens conseille dans l'incertitude, de ne pas prendre de décisions hasardées.

EVALUATION QUANTITATIVE ET QUALITATIVE DES RESSOURCES FORESTIÈRES

Ce travail exige l'examen attentif des données disponibles et le rassemblement de données supplémentaires au moyen d'enquêtes forestières et d'études sur la question. Dans les régions très riches en forêts, ces enquêtes peuvent demander des années de travail; or il y a des données dont on peut avoir besoin d'urgence pour la planification. Souvent, quand il s'agit de prendre une décision en ce qui concerne l'ordre de priorité géographique et le degré de précision dans une enquête, il faut largement faire appel au jugement personnel. Il est bon de distinguer trois types d'enquêtes, d'intensité différente, correspondant chacune aux différentes phases de la planification. Les enquêtes de reconnaissance ont pour but de recueillir sans trop de frais des renseignements préliminaires sur l'emplacement et l'étendue de grands massifs forestiers.

A la phase successive, il faut une classification plus détaillée des secteurs forestiers, avec évaluation des volumes de bois sur pied et quelques renseignements sur les espèces et les dimensions. On peut être amené à effectuer sur tout l'ensemble du pays un inventaire de cet ordre; dans les pays en voie de développement, c'est là une première contribution à l'inventaire forestier national. Le travail est naturellement plus coûteux que l'enquête de reconnaissance, mais le coût à l'unité de surface n'est pas forcément très élevé. On peut déjà prendre à ce stade des décisions provisoires, positives ou négatives, pour ce qui concerne la production de bois à escompter, relativement à des projets éventuels.

Quant à la décision définitive, notamment en ce qui concerne le plan d'exploitation qui traduit dans la pratique les décisions adoptées quant à l'aménagement d'un périmètre forestier, elle exige des inventaires d'exploitation plus poussés. On ne peut se passer alors de cartes forestières détaillées, d'évaluations du volume sur pied par catégories d'espèces et de diamètres et si possible aussi par qualités. Il est évident que le coût par unité de surface est considérablement plus élevé que pour les inventaires nationaux et à plus forte raison pour les enquêtes de reconnaissance.

Il y a quelques années encore, un des plus grands obstacles au développement de l'industrie forestière dans les pays insuffisamment développés était les frais élevés qu'il fallait engager pour recueillir les renseignements essentiels sur les ressources forestières. La situation a bien changé depuis. Les énormes progrès de la photographie aérienne et des méthodes d'interprétation des photos, les nouvelles caméras de précision, les objectifs grands angulaires, la photographie infrarouge, la meilleure sensibilité des films, le tirage électronique, tout cela a contribué à l'amélioration des photos aériennes, dont on peut tirer maintenant beaucoup plus de renseignements. De même, l'application des techniques modernes du sondage statistique à l'inventaire forestier a permis d'effectuer du travail plus précis et à moindres frais. Enfin, la compilation et l'analyse des données d'inventaire bénéficient maintenant des méthodes modernes d'élaboration des données.

Il faut se renseigner non seulement sur les conditions matérielles des forêts, à savoir leur superficie, leur emplacement, leur composition, le volume sur pied, l'accroissement, etc., mais aussi sur leur distribution suivant le mode de propriété et sur la grandeur des propriétés privées. Ces éléments peuvent influer beaucoup sur l'organisation du développement futur. Il faut contrôler aussi les données sur l'importance du traitement et de l'utilisation, industriels et autres, et les méthodes appliquées ainsi que sur les fonctions non productives des diverses zones de forêts.

EVALUATION DES MOYENS DE PRODUCTION EXISTANTS

Il faut évaluer les disponibilités de terres, de main-d'œuvre et de capital.

Terres

Le boisement se fera aux dépens de terres qui ne sont pas actuellement occupées par la forêt. A l'inverse, certaines des forêts actuelles peuvent être destinées à céder la place à l'agriculture, au pâturage, à l'urbanisme, etc. Dans l'un et l'autre cas, on ne saurait décider rationnellement quelle sera la meilleure utilisation d'une étendue donnée de terres que dans le cadre d'un plan intégré d'utilisation foncière.

On ne décidera pas, sans motifs sérieux, de transférer à d'autres utilisations des terrains boisés; dans des cas innombrables, on l'a regretté ensuite. Cette conversion ne peut se faire sans pertes de diverses nature. En premier lieu, le terrain en question cesse évidemment de produire du bois. En deuxième lieu, la production totale de bois de la localité peut diminuer au détriment des approvisionnements futurs de la population ou du développement des industries forestières. Troisièmement, d'importantes fonctions non productives de la forêt risquent d'être compromises, bien que l'on ait les meilleures intentions de les assurer. Ajoutons enfin que les défrichements se font bien souvent avec de grosses pertes de bois qu'il est difficile, sinon impossible, d'éviter. On tiendra compte de ces pertes probables en considérant les avantages de la conversion et, si l'on décide en faveur de cette dernière, on cherchera à les réduire le plus possible.

Il va sans dire que le passage de terres forestières à un autre usage n'a de sens que si ces terres doivent convenir définitivement à ce nouvel usage. Autrefois, il n'a pas été tenu suffisamment compte de la vocation réelle des terres dans les plans de colonisation et, maintenant qu'une répartition plus équitable des terres agricoles est une nécessité urgente dans beaucoup de pays d'Amérique latine et d'ailleurs, la hâte excessive ou les motifs d'opportunité risquent de conduire aux mêmes erreurs. Dans certaines circonstances, on peut, par une colonisation bien conduite, trouver une certaine solution aux problèmes agraires, Mais si les terres sont impropres à l'agriculture, l'extension des cultures, loin de soulager les misères de la classe rurale, ne fera que les étendre.

Il ne faut pas perdre de vue non plus que, bien souvent, la foresterie peut apporter une aide très directe à la colonisation: le travail en forêt contribuera à mieux répartir l'emploi au cours de l'année et apportera aux colons des revenus monétaires dont ils ont grand besoin; dans certains cas aussi le pâturage surveillé en forêt permettra de nourrir du bétail tout en réduisant le danger d'incendie, et ainsi de suite. Bien souvent, les réclamations agraires font oublier ces aspects de la foresterie.

Main-d'œuvre

Le traitement et l'exploitation des forêts existantes et le boisement artificiel de nouvelles superficies demandent de la main-d'œuvre diversement qualifiée. Dans les économies jeunes les capacités administratives et techniques manquent en général, de même que la main-d'œuvre qualifiée; au contraire, on trouve en abondance de la main-d'œuvre non qualifiée, ou peu qualifiée, encore que ces catégories puissent se faire rares, elles aussi, dans certaines localités ou à certaines périodes de l'année. Souvent, l'existence d'administrateurs capables joue un rôle décisif. Quand il s'en trouve, une bonne proportion des tâches administratives et des travaux forestiers effectués par des ouvriers peut être fragmentée et répartie de telle sorte que l'on puisse se passer des qualifications rares ou relativement rares ce qui facilite aussi la formation aux différents niveaux. Cette formation professionnelle doit être assurée en évitant de disperser inutilement les efforts; il faut la concentrer sur les points essentiels pour former rapidement la main-d'œuvre dont on a besoin.

Bien que la continuité des opérations soit très importante en foresterie, la plupart des travaux effectués par la main-d'œuvre ne sont pas liés à un calendrier impérieux et il est possible d'utiliser des ouvriers agricoles saisonniers pendant les périodes creuses, de la main-d'œuvre oisive, etc. Ces importantes possibilités doivent entrer en ligne de compte.

Capitaux

La rareté des capitaux, caractéristique des économies naissantes, affecte aussi bien la foresterie que les autres activités. La foresterie a relativement peu besoin de faire appel aux disponibilités de devises si, plutôt que d'utiliser de grosses machines qu'il faudrait importer à grands frais, elle se contente du travail humain, rendu plus productif grâce à des outils appropriés, ou d'un matériel mécanique léger peu coûteux.

La propriété domaniale occupant dans tous les pays du monde une place très importante en foresterie, une large part des activités forestières sont aux mains de services centraux ou locaux de l'Etat, dont les budgets sont établis suivant les règles du pays ou de la localité; parfois des crédits spéciaux ou des subventions leur sont accordés pour couvrir les dépenses du service pendant une certaine période d'années. Dans la plupart des pays, les services forestiers ont fini par être considérés comme des organismes à caractère quasi commercial et sont tenus de réaliser un bénéfice financier aussi élevé qu'on peut le faire avec une bonne gestion. Il est rare toutefois qu'un service forestier puisse réaliser un bénéfice dans sa première période d'activité, même s'il administre un patrimoine forestier important, car il faut d'importantes mises de fonds pour arriver à un aménagement convenable. D'ailleurs la vente du produit doit se faire dans l'intérêt du développement des industries forestières plutôt que dans celui du budget du service.

Depuis qu'une finance internationale a été instituée pour venir en aide aux pays peu développés, des gouvernements ont pu obtenir des crédits sur des fonds internationaux et bilatéraux, soit sous forme de prêts à des conditions avantageuses, soit, comme subventions. Ils ont obtenu ainsi des investissements d'infrastructure grâce auxquels ils ont pu ou pourront plus aisément mettre en valeur leurs forêts assez rapidement. Parmi ces investissements il faut compter la construction de routes et d'usines électriques dans les régions forestières ou au voisinage. On ne voit pas pourquoi ce genre de financement ne pourrait s'appliquer à la foresterie proprement dite, notamment aux boisements nécessaires pour accroître les ressources forestières locales, par exemple dans les cas où le patrimoine forestier existant assurerait une bonne base de départ à une industrie forestière mais où le gouvernement devrait effectuer des plantations pour assurer l'approvisionnement des usines à longue échéance. Le paiement de l'intérêt et l'amortissement du principal devraient être plus faciles dans ce cas que dans celui des prêts courants d'infrastructure puisque l'octroi de crédits au boisement permettra de vendre du bois à l'industrie en exploitant les forêts domaniales existantes.

Le crédit joue un rôle important dans l'activité forestière de certaines compagnies commerciales; ce genre de financement est obtenu, en général, pour l'ensemble des activités de ces compagnies, qui s'occupent, entre autres, de foresterie. Dans un certain nombre de pays, le gouvernement a consenti des prêts spéciaux à long terme aux propriétaires forestiers, aux communautés et aux sociétés coopératives pour des réalisations telles que le boisement et le drainage de forêts. En général, ce genre de crédit est lié à un certain contrôle étatique et, ainsi, il sera plus facile aux pouvoirs publics d'aider, de subventionner et de contrôler la forêt privée.

PLAN ET MESURES A ADOPTER

Dans beaucoup de pays en voie de développement, il faut, pour évaluer l'intérêt des programmes forestiers, qu'ils soient en grande mesure appréciés selon leur effet général sur la balance des paiements et sur l'enrichissement national, compte tenu de certains objectifs. Par exemple, on jugera un programme forestier en considérant la mesure dans laquelle, en fournissant la matière première nécessaire aux industries forestières il contribuera à constituer le capital correspondant à l'investissement annuel indispensable pour maintenir un certain taux d'accroissement économique. Quels que soient les critères adoptés, le choix du plan forestier dépendra en grande mesure des données et des plans relatifs à tous les secteurs de l'économie et, en particulier, au commerce extérieur engendré par chacun des secteurs.

Quelle que soit l'importance des moyens attribués globalement à la foresterie de la région, ils seront répartis suivant la situation technique et la valeur économique des peuplements, qui seront soumis à un régime de traitement d'intensité très variable depuis le minimum de protection contre les agents destructeurs, notamment le feu, dans les régions très écartées, jusqu'à l'aménagement et au traitement sylvicole les plus intensifs, au voisinage des industries du bois. Normalement, il faudra établir un plan d'exploitation précisant les objectifs et les méthodes de travail pour chaque grande zone et ses subdivisions.

Dans certains cas, l'exploitation pourra pénétrer des secteurs de forêt vierge. En principe, leur mise en exploitation est souhaitable, car elle mobilise des ressources nouvelles, et, si les incendies y sont à craindre, elle facilitera la surveillance en les rendant plus accessibles, en permettant l'installation de colonies d'ouvriers forestiers qui peuvent accourir en cas de danger, etc. Mais cette opération comporte aussi des risques. En ouvrant ces régions, on risque de détourner l'attention sur elles et d'oublier un peu la nécessité d'améliorer les méthodes d'utilisation dans les forêts déjà en cours d'exploitation; on risque aussi d'introduire de mauvaises méthodes d'exploitation. Souvent, il serait plus raisonnable d'attendre pour s'occuper des forêts vierges que la foresterie soit suffisamment organisée pour qu'on puisse le faire sans trop de difficultés.

Techniquement parlant, le travail de boisement ne diffère pas nécessairement du reboisement sur coupe. Du point de vue financier, il y a souvent une différence importante, car dans ce dernier cas le travail se fait au sein d'une entreprise forestière en activité, tandis que les circonstances sont souvent différentes dans les boisements. Dans les régions très pauvres en forêts, les boisements n'arrivent en général pas à modifier radicalement la situation dans le cadre normal du plan forestier. Quoi qu'il en soit, il est souvent possible de réaliser beaucoup en mettant en œuvre des moyens d'action relativement modestes, par exemple, lorsqu'on peut obtenir dans des plantations d'essences à croissance rapide assez de bois pour compléter le volume de déchets recueillis à différentes sources et alimenter ainsi une industrie locale.

La foresterie occupe une position assez particulière dans la pensée politique de la plupart des pays industrialisés et même dans ceux dont l'économie est libérale du fait que, depuis longtemps déjà, on considère comme une nécessité le régime de propriété nationale ou tout au moins une large intervention directe ou indirecte de l'Etat dans les entreprises privées et autres. Avec les années, on a fini par accumuler une somme d'expériences, sur les méthodes d'administration, d'organisation, de conduite et d'exploitation qui conviennent le mieux, dans les situations les plus diverses, pour les forêts domaniales, sur les systèmes de vente des produits, sur le rôle de l'Etat dans l'enseignement forestier et la recherche, etc., ainsi que sur la portée et les limites des nombreuses méthodes d'intervention de l'Etat qu'il s'agisse d'assistance ou de contrôle législatif. Dans bien des cas, l'assistance de l'Etat a donné les meilleurs résultats et son contrôle a été mieux accepté quand les pouvoirs publics agissaient par l'intermédiaire de coopératives ou autres associations de propriétaires forestiers.

Tous ceux qui sont chargés des questions forestières dans les pays insuffisamment développés pourront donc examiner en pleine connaissance de cause les méthodes de gestion des forêts domaniales et de coordination générale par l'intervention de l'Etat Un avertissement ne sera peut-être pas superflu: les plans trop ambitieux, et qui ne tiennent pas compte des limitations locales, notamment celles qui dérivent d'une insuffisance numérique et qualitative du personnel administratif et technique des services forestiers, ne sont que des caricatures de plans. Trop souvent, il a été promulgué des lois forestières qui se sont révélées inapplicables parce que l'on ne pouvait ni les faire respecter de force, ni les faire accepter de bon gré par la population. Il a été accordé des concessions prévoyant, dans le règlement d'exploitation d'excellentes mesures sylvicoles, qui ont été négligées en réalité faute de contrôle technique. Des programmes de plantation spectaculaires ont été annoncés à grand fracas de publicité et se sont perdus ensuite dans le silence le plus complet, les crédits réservés pour leur réalisation ayant été détournés vers d'autres utilisations.

La leçon tirer par les autorités chargées de l'élaboration et de l'exécution des programmes forestiers n'est pas qu'il faut voir moins grand ou être moins pressé. C'est plutôt que tout plan est incomplet s'il ne prévoit pas la formation de cadres et ne garantit pas au personnel une carrière, évitant ainsi au service forestier bien du déchet.

Planification des industries forestières

Les problèmes que pose la planification des industries forestières ont, sous leurs aspects généraux, beaucoup de similitude avec ceux qu'elle pose dans les autres secteurs industriels. Nous ne nous occuperons pas ici de ces aspects généraux de la préparation des plans et des programmes industriels, la question étant déjà suffisamment traitée 17.

17 Notamment dans les publications de la Division du développement industriel des Nations Unies et dans celles des commissions économiques régionales des Nations Unies. Toutefois, il n'existe pas encore de recueil satisfaisant de renseignements concernant spécialement les besoins techniques, les données d'exploitation, etc., dans le secteur des industries forestières. La FAO prépare une bibliographie du développement des industries forestières et se propose de publier plus tard un manuel de planification pour les industries forestières.

Nous attirerons seulement l'attention sur certains aspects de la planification des industries forestières tenant au caractère particulier de ces industries et à leur rapport avec les autres secteurs de l'économie.

LONGUEUR DES PLANS

La longueur des périodes à prendre en considération est naturellement différente dans la pensée du forestier et du planificateur industriel. Nous avons déjà attiré l'attention sur le caractère à long terme de beaucoup d'opérations forestières et sur la nécessité qui en résulte de construire des projections lointaines des besoins, quelque approximatives qu'elles puissent être, pour obtenir l'ordre de grandeur de la demande future que devra satisfaire la forêt considérée comme le «chantier à bois» des industries forestières. On est obligé de regarder aussi loin vers l'avenir dans peu d'autres secteurs de l'économie, car les considérations à très long terme (portant, par exemple, jusqu'à la fin du siècle) y ont un moindre poids sur les décisions courantes. Le planificateur industriel se préoccupe surtout, cela va de soi, de la période économique en cours ou imminente, c'est-à-dire d'un avenir qui peut aller jusqu'à trois, cinq ou sept années.

Depuis quelques années, on commence à adopter le système des plans d'orientation, c'est-à-dire que l'on définit dans les grandes lignes le développement et les objectifs provisoires des 15 ou 20 années à venir comme cadre de la planification courante. Le plan courant est alors envisagé comme la première phase du plan d'orientation. Celui-ci (de même que le deuxième plan à court terme qui en constitue la deuxième phase) est progressivement modifié et adapté en suivant les nouvelles données recueillies sur les besoins et les possibilités, et notamment les réalisations des périodes de planification précédentes.

La planification d'orientation se recommande par de nombreux avantages et il est significatif de lui voir gagner de plus en plus la faveur aussi bien dans les économies dirigées par une autorité centrale que dans celles qui reposent principalement sur l'entreprise libre. Ce qu'il faut toutefois souligner dans notre contexte, c'est qu'en matière de développement des industries forestières la planification d'orientation s'impose. Le fait est d'autant plus évident si l'on considère les caractères particuliers de la foresterie que nous avons précédemment illustrés. Pour installer, par exemple, dans 10 à 15 ans, une usine de pâte et de papier dans une certaine localité, il faudra parfois intervenir dès maintenant sur la forêt pour compléter la ressource ou pour organiser le remplacement graduel du peuplement par des plantations, ou simplement pour faire en sorte que la ressource soit encore là quand on en aura besoin. Mais la planification d'orientation s'impose aussi pour un autre motif. Certains projets majeurs dans le secteur des industries forestières peuvent demander cinq à sept ans pour se réaliser si, comme il arrive souvent, l'étude des possibilités de réalisation doit commencer par un inventaire détaillé des ressources forestières. Ce genre de projets déborde inévitablement d'une période de planification sur la prochaine. Ce qu'il faut par conséquent, c'est une équipe de planificateurs à long terme qui puissent voir bien au-delà de la période de planification immédiate et veiller à ce que les ressources ne reçoivent pas une destination erronée dans le plan à court terme. Pour atteindre les objectifs généraux qui ont été adoptés, il faut mettre à l'étude toute une série de projets particuliers. Pour certains, on pourra passer immédiatement à la réalisation dès que le travail préliminaire d'investigation sera terminé; d'autres, au contraire, seront écartés, d'autres enfin mis en attente et repris plus tard lorsque les ressources le permettront et que le besoin s'en fera sentir. En d'autres termes, le plan à court terme ne doit pas comporter uniquement certains projets spéciaux à réaliser pendant la période de planification, mais prévoir aussi le rassemblement de données, des enquêtes pilotes et l'étude préalable de projets en prévision des périodes de planification suivantes.

RASSEMBLEMENT ET UTILISATION DES DONNÉES SUR LES RESSOURCES

Les données relatives aux ressources forestières constituant l'inventaire forestier ont une grande importance, il va sans dire, pour la planification du développement des industries forestières. Sans ces données, on ne peut proposer au capital un programme d'investissement dans ces industries. Dans la section précédente, nous avons déjà évoqué certains aspects techniques du rassemblement de ces données. Soulignons ici qu'il s'agit d'un genre de renseignements que les gouvernements doivent recueillir eux-mêmes. Il est aujourd'hui beaucoup moins coûteux de les obtenir qu'il y a une dizaine d'années, mais cela exige encore des dépenses considérables et l'on pourrait être tenté d'en laisser le soin aux entrepreneurs et aux bailleurs éventuels. Ce serait un erreur. S'il n'a pas sa propre documentation, un gouvernement ne pourra d'aucune manière peser le pour et le contre des différents projets et se prononcer sur la validité de ceux qui lui sont soumis. Si ces projets comportent des concessions ou des contrats, il lui sera difficile de les négocier à des conditions équitables. D'ailleurs, si une entreprise privée communique au gouvernement les données qu'elle a recueillies, comme l'inventaire en question n'a vraisemblablement porté que sur les points qu'elle désirait connaître (superficie, essences, dimensions), il sera difficile de l'utiliser pour établir les perspectives d'autres projets, qui peuvent intéresser d'autres branches de l'industrie forestière. La question est particulièrement importante à l'heure actuelle où les techniques de fabrication font des pas de géant, il peut toujours arriver que des espèces et des dimensions actuellement inutilisables puissent l'être effectivement dans un assez proche avenir.

Autrefois, dans les pays en voie de développement, l'exploitation forestière avait ceci de commun qu'elle portait uniquement sur un produit déterminé. Beaucoup de bois utilisables restaient donc dans la forêt parce qu'ils n'intéressaient pas l'exploitant et, parfois aussi, le bois exploité était gaspillé pour des fabrications inférieures à sa qualité. Les cas de développement industriel intégré de la forêt, avec utilisation complète de la production ligneuse, étaient rares. Cependant, les gouvernements ont le plus grand intérêt à utiliser complètement la production forestière pour des motifs techniques aussi bien qu'économiques et, quand ils devront négocier des concessions avec des entrepreneurs, ils ne manqueront pas d'agir dans ce sens. Mais il leur serait bien difficile de le faire sans une connaissance suffisante de leur patrimoine forestier.

LA PLANIFICATION DE LA DEMANDE

Les indications sommaires sur les tendances de la demande des produits forestiers peuvent suffire pour définir les objectifs de la production forestière, mais sont évidemment insuffisantes pour préparer des projets intéressant l'industrie forestière. Il faut pour cela des enquêtes beaucoup plus approfondies sur les débouchés actuels et potentiels des différents produits et qualités. Dans beaucoup de pays en voie de développement, il faudra, pour déterminer la consommation courante, commencer par examiner les statistiques d'importation 18, l'importation étant encore le seul moyen d'obtenir dans ces pays bon nombre de produits forestiers usinés. Des projections de la demande établies à l'aide de paramètres tels que l'augmentation du revenu par habitant et le développement démographique ont leur utilité. Mais si l'on veut étudier des projets industriels déterminés il est indispensable d'aller plus avant dans le détail, par exemple en cherchant à connaître les besoins particuliers d'autres secteurs et notamment des principaux utilisateurs potentiels: besoin de sacs à ciment, de caisses et de cageots pour les exportations de fruits, de sciages et de produits lamellés en bois pour les programmes de construction de logements, etc.

18 Il faut remarquer, à ce propos, qu'en général les statistiques du commerce des produits forestiers des pays en voie de développement manquent encore de la précision et des détails qui pourraient en faire un instrument utile de recherche sur le développement industriel.

Il a déjà été noté que la demande de produits forestiers est beaucoup plus une demande intersectoriale qu'une demande de consommation finale. Dans beaucoup de pays en voie de développement, une part substantielle de la demande totale pourrait dériver directement du secteur public on tout au moins être une conséquence directe des programmes de l'Etat chemins de fer et autres services publics, logements, bâtiments scolaires, travaux publics, etc. Les gouvernements sont de ce fait bien placés non seulement pour encourager ou promouvoir la naissance des industries forestières appropriées, mais aussi pour influer sur les normes de production.

On se rendra mieux compte du rôle que peut jouer ainsi l'Etat si l'on considère que dans les pays en voie de développement le secteur du bâtiment, pris indépendamment de celui de l'équipement, peut absorber 50 à 70 pour cent de l'investissement fixe total. Le logement et l'urbanisme sont des postes de grande importance partout où il y a une forte émigration de la main-d'œuvre agricole vers l'industrie. De leur côté, les travaux et services publics (routes, installations portuaires, moyens de transport, eau, électricité, écoles, hôpitaux, bâtiments de l'Etat) absorbent une part de l'investissement qui est très importante pendant les premières décennies, si elle diminue peu à peu par la suite. Dans les programmes de développement, on n'a pas toujours reconnu assez l'importance considérable qui revient à l'industrie du bâtiment, et souvent c'est l'insuffisance du potentiel de construction qui a le plus empêché une formation rapide du capital. Une des erreurs les plus fréquentes est de ne pas prévoir une production suffisante de matériaux et d'éléments de construction 19.

19 Il est intéressant de noter qu'un des grands principes de la planification soviétique est que la base matérielle et technique de l'industrie du bâtiment doit toujours augmenter plus vite que le volume de construction envisagé dans le plan. C'est pourquoi il est prévu dans les programmes un taux de croissance plus élevé pour la production globale de l'industrie des matériaux de construction que pour le volume global de construction. Voir: REPENKO, A. T. The material and technical implementation of housing programmes. Report on the seminar on housing surveys and programmes with particular reference to problems in the developing countries. Genève, Nations Unies, 1962.

Non seulement l'Etat peut, comme principal consommateur, peser d'une manière décisive sur la demande de sciages, de panneaux et autres bois de construction, mais il peut aussi, en planifiant convenablement sa demande, aider les industries à se spécialiser dans la fabrication d'éléments de construction tels que panneaux, fenêtres, portes, escaliers et éléments de charpente.

Souvent le secteur du bâtiment est gêné dans son expansion par le manque de main-d'œuvre qualifiée. C'est pourquoi il faudra se tourner particulièrement vers les matériaux comme le contre-plaqué, le panneau de particules, le panneau de fibres et les panneau de laine de bois qui permettent d'économiser de la main-d'œuvre Dans les pays industrialisés, en effet, c'est une crise de main-d'œuvre de l'industrie du bâtiment qui a contribué le plus à développer la demande de panneaux dérivés du bois.

Il est inutile que nous examinions ici les mesures classiques adoptées pour encourager le développement industriel: exemption d'impôts, tarifs douaniers, subventions, etc. Ces mesures s'appliquent en effet indifféremment à toutes les industries et ce qui nous intéresse ici ce sont uniquement les aspects particuliers aux industries forestières. Il y a cependant une autre question qui tient aux caractères particuliers de la demande des produits forestiers et il est peut-être intéressant cl en parler ici. Nous avons déjà vu que la plupart des produits forestiers sont largement interchangeables pour de nombreuses utilisations. C'est ce qui se produit par exemple pour les trois principales industries des produits lamellés en bois. Si aucune de ces industries n'a encore été créée et si l'on a de solides raisons techniques et économiques pour préférer en développer une plutôt que d'autres, une réglementation judicieuse de l'importation pourra servir aussi bien à sonder le marché qu'à préparer la demande.

IMPORTANCE D'INFRASTRUCTURES

L'emplacement des forêts par rapport aux agglomérations, le volume des produits à transporter et les distances à parcourir aussi bien pour l'approvisionnement - des usines en matières premières que pour la distribution du produit usiné, les nécessités techniques des industries forestières, tout concourt à conditionner le développement de ce secteur d'industrie - peut-être même en une mesure plus forte que pour tout autre - à la mise en place de certaines infrastructures essentielles: énergie, eau, communications routières et ferroviaires, installations portuaires. A première vue, le fait pourrait décourager les initiatives dans ce secteur. Il est certain qu'il a eu jusqu'à présent en effet retardateur. Dans bien des cas, des gouvernements et des entreprises privées qui pensaient mettre en valeur une ressource forestière déterminée en créant une industrie forestière importante y ont renoncé quand ils ont vu qu'il leur faudrait pour cela créer de toute pièce certaines parties de l'équipement national que possèdent déjà les pays très industrialisés. Mais la dépense, pesant entièrement sur un seul projet, aurait augmenté peut-être de 50 pour cent le coût de l'investissement.

Aujourd'hui, la situation est radicalement modifiée, on seulement l'indrustialization est maintenant conçue dans les pays en voie de développement comme un processus conscient et organisé, mais encore les pouvoirs publies ont compris que l'industrialisation de leur pays n'est possible que s'ils créent les infrastructures indispensables.

Ce qui importe du point de vue de la planification, c'est qu'en prévoyant les investissements d'infrastructure, on tienne bien compte de toutes les possibilités de développement que ces plans offrent à l'industrie forestière. Cela s'applique au tracé de nouvelles routes et de nouvelles voies ferrées, à l'emplacement des nouvelles usines électriques et des lignes de transmission, à la création ou à l'amélioration de ports et d'installations portuaires. Non seulement une bonne planification peut contribuer à la naissance de nouvelles industries forestières, mais ces industries assureront bien souvent le principal revenu financier de l'investissement d'infrastructure.

Dans certains cas même, c'est l'élément décisif qui indiquera si tel investissement d'infrastructure doit être effectué ou non.

PLANIFICATION RELATIVE A CERTAINES RÉGIONS D'UN PAYS

Nous dirons maintenant un mot de l'aspect régional de la planification. L'importance accordée à la planification régionale et le degré d'autonomie laissé aux régions en ce qui concerne aussi bien la préparation que la mise en œuvre des plans diffèrent d'un pays à l'autre. Le problème essentiel est toujours le suivant: comment mobiliser au mieux les énergies et les bonnes volontés locales sans que les objectifs se révèlent incompatibles et les phases de réalisation mal harmonisées d'une région à l'autre et du plan régional au plan national. Dans les grands pays, une assez forte décentralisation est évidemment nécessaire pour que la planification donne tous ses résultats.

La planification par zones géographiques est particulièrement importante quand il s'agit de la foresterie, et des industries forestières. C'est sur le plan régional que les fonctions non productives de la forêt peuvent être le mieux appréciées et que l'on comprendra toutes les conséquences sociales des droits coutumiers sur la forêt. En outre, du point de vue industriel, on voit que certaines industries forestières ne peuvent prospérer qu'à l'échelle nationale, mais il y en a aussi qui peuvent travailler avec succès sur une échelle plus réduite. Du point de vue du développement économique, et notamment de l'industrialisation, de nombreuses raisons conseillent d'étudier les possibilités de développement de la foresterie et des industries forestières d'un pays donné, non seulement en considérant simplement l'ensemble du pays, mais les zones d'économie forestière qui s'y trouvent. Ces régions ne doivent pas être délimitées uniquement sur la base des ressources forestières actuelles ou potentielles, mais en tenant compte aussi des concentrations démographiques, des autres richesses matérielles du pays, des revendications dont les terres sont ou peuvent être l'objet, etc. Cela aidera à orienter nettement la politique forestière relative à chacune de ces zones. Ainsi certaines d'entre elles seront nettement classées comme principales sources d'approvisionnement des grandes industries forestières qui travaillent pour l'ensemble du pays. Dans d'autres, une conversion ordonnée des terrains boisés en terres agricoles pourra s'effectuer tout en conservant à la forêt une étendue suffisante pour assurer l'approvisionnement des industries qui satisfont les besoins locaux et pour préserver les «influences forestières». Dans d'autres régions enfin, l'aménagement de la forêt aura surtout un but de protection, et les industries forestières n'y joueront qu'un rôle secondaire sinon négligeable.

AUTARCIE OU INTÉGRATION ÉCONOMIQUE

Certains pays en voie de développement, alarmés devant la perspective d'importations de plus en plus fortes de produits forestiers, se sont lancés résolument dans la voie du développement de la foresterie et des industries forestières et si l'on considère de près leurs programmes, on constate que dans un ou deux cas, le but poursuivi est implicitement, sinon toujours explicitement, l'autarcie dans ce domaine. Les programmes déjà élaborés ne dissimulent pas que certains produits obtenus avec les ressources forestières indigènes auront de la difficulté à concurrencer dans des conditions normales les produits des pays industrialisés. On allègue qu'il est indispensable d'économiser des devises, que dans aucun secteur l'industrialisation ne peut vraisemblablement réussir sans une certaine protection, et peut-être aussi qu'un programme forestier vigoureux est en tout cas nécessaire pour sauvegarder les fonctions non productives de la forêt. Si valables que puissent être ces arguments, on aurait tort de croire qu'ils peuvent justifier dans tous les cas la recherche de l'autarcie dans le domaine des produits forestiers.

Nous avons déjà dit que les efforts d'intégration économique des pays peu industrialisés peuvent favoriser le développement de certaines industries en élargissant les débouchés et en liquidant ainsi l'obstacle que représente l'exiguïté des marchés nationaux pour certaines fabrications où les «économies d'échelle» sont marquées (par exemple celles du papier et de la pâte chimique). Il y a là un argument puissant en faveur de la confrontation, et s'il le faut de l'ajustement, des plans nationaux de développement de l'industrie forestière des pays qui participent à des systèmes d'intégration économique. Il est certain qu'à défaut de cette confrontation et de cet ajustement, on risque de voir ces pays se lancer dans des plans sans lien les uns avec les autres et d'assister à un échec de l'intégration économique proclamée.

Mais ce n'est pas uniquement en raison de l'exiguïté des marchés nationaux dans les pays peu développés et de la possibilité d'«économies d'échelle» qu'il faut s'efforcer de placer les industries forestières dans le cadre des zones d'intégration économique. Les pays insuffisamment développés qui commencent déjà à appliquer des programmes d'intégration économique, ou qui tout au moins en discutent, se trouvent parfois dans des situations extrêmement différentes en ce qui concerne le patrimoine forestier naturel et la possibilité de croissance des différentes essences. En outre, il y a souvent un fort degré de complémentarité dans la nature des ressources forestières des différents pays de la région, par exemple en ce qui concerne la matière première papetière à fibres longues. Le bon sens indique que ces différences et cette complémentarité devraient plutôt favoriser un accord sur des plans de développement nationaux capables d'assurer le développement régional optimum. Les avantages seront de deux sortes: division du travail sur le plan international et possibilité d'utiliser au maximum les ressources forestières de la région. Dans bien des cas, en adoptant la solution de l'autarcie dans le domaine des produits forestiers on passe délibérément à côté de ces avantages.

NÉCESSITÉ D'UNE ORGANISATION

Quel que soit le rôle attribué à l'entreprise privée et à l'entreprise publique dans le développement des industries forestières, il existe, et il doit toujours exister, un lien indissoluble entre le développement de ce secteur et les ressources forestières qui l'alimentent. Il en résulte la nécessité de rapports particulièrement étroits entre les autorités responsables du patrimoine forestier (en général les services forestiers placés sous la dépendance du Ministère de l'agriculture) et celles qui sont chargées de planifier et d'encourager le développement industriel. Sans une telle coordination, il est toujours à craindre que, d'une part, le forestier oublie qu'il est au service de la nation et non pas au service de la forêt, tandis que de son côté le planificateur de l'industrie ignore, aux dépens de la collectivité sinon à ses propres dépens, la dynamique de la forêt et ses importantes fonction non productives.

Il est à déplorer que dans la plupart des pays en voie de développement (et aussi dans plusieurs pays industrialisés) ces rapports n'existent pas encore effectivement. Dans bien des cas, il en est résulté que le patrimoine forestier a été exploité sans aucun souci d'économie, tout le monde le sait. On peut mesurer les conséquences de cette pratique en considérant la part importante de l'effort forestier qu'il faut actuellement consacrer à un travail qui est essentiellement de la restauration. Mais on se rend peut-être moins souvent compte que c'est en grande partie faute d'une collaboration effective que des centaines de projets d'industries forestières parfaitement rationnels et réalisables n'ont pas été admis et réalisés.

On se tromperait fort en espérant que la situation peut être rétablie simplement par des relations officielles. Pour que les forestiers, les techniciens de l'utilisation forestière, ceux de l'économie industrielle et les planificateurs arrivent à pénétrer réciproquement leurs problèmes et à rechercher les possibilités de développement de la forêt avec l'intention positive d'en tirer parti, il faudra multiplier les rapports de travail à tous les échelons. C'est pourquoi dans quelques pays où les industries forestières jouent déjà ou sont nettement appelées à jouer un rôle fondamental, l'autorité responsable de la forêt et des industries forestières a été centralisée dans un même département ou ministère. Cette solution n'a probablement pas une valeur universelle. Cependant, si l'on veut réaliser un programme vigoureux de développement industriel basé sur la forêt, il faut instituer d'une manière ou d'une autre un système organique de relations de travail fructueuses entre les deux secteurs.

LE CHOIX

On a évoqué dans les pages qui précèdent quelques problèmes de planification qui dérivent des caractères particuliers de la foresterie et de l'industrie forestière et des relations mutuelles de ces deux secteurs. Il v en a d'autres et nous n'avons donné que des exemples Chacun de ces cas exige toutefois que les gouvernements prennent leurs responsabilités s'ils veulent que les secteurs en question se développent efficacement. Il ne pourrait guère en être autrement étant donné la nature particulière des ressources forestières. Et cela demeure vrai quelle que soit la doctrine politique qui inspire l'action de l'Etat quels que soient le type et le degré de planification appliqués par les gouvernements pour améliorer le bien-être de leurs peuples.

On a montré que la forêt peut être une source puissante de bien-être humain et que l'industrialisation fondée sur la forêt peut contribuer au processus général de développement économique et l'accélérer. Il faut toutefois reconnaître que la mobilisation des ressources forestières par la mise en place d'industries du bois n'est pas une perspective qui réjouit tout à fait beaucoup de forestiers professionnels. Ils savent trop bien que pour permettre à la forêt de remplir son rôle, il faut connaître exactement la ressource, il faut l'aménager convenablement, préparer des plans d'exploitation et organiser les coupes. C'est la condition essentielle pour assurer le ravitaillement de l'industrie. Mais ce travail exige des services forestiers puissants et efficaces tandis qu'à l'heure actuelle ces services sont encore extrêmement faibles dans beaucoup de pays en voie de développement. Et si beaucoup de forestiers font actuellement figure de Cassandre ce n'est pas qu'ils aient la manie de la conservation comme but ultime, mais c'est parce qu'ils sont très conscients des dangers que la situation présente.

On se tromperait en se berçant d'illusions sur ce point. Et c'est une illusion de penser qu'un choix est possible entre mobiliser la forêt dès maintenant et ne pas y toucher jusqu'à ce que des services forestiers suffisants en permettent sans danger la pénétration.

Les conditions économiques et techniques de la création de nouvelles industries forestières dans les pays en voie de développement mûrissent vite. Ces prochaines années beaucoup de forêts encore vierges seront certainement mises en exploitation. L'alternative est une mobilisation dans l'intérêt public, fondée sur des plans rationnels et réalisés avec les précautions voulues, tandis que des services forestiers se constitueront et prendront une part active à cette œuvre, ou une mobilisation désordonnée avec tous ses risques, en présence de services forestiers faibles et impuissants. En fait, il faut choisir entre ces deux solutions.

Ce choix engage la responsabilité des gouvernements. Car la question n'intéresse pas uniquement un service forestier, elle engage aussi les ministres de l'agriculture, de l'économie, de l'industrie et du commerce; elle intéresse les services de planification et les organismes de développement; elle intéresse les ministères des finances et les services du budget. C'est seulement grâce à une action concertée de tous les départements que les industries forestières pourront jouer leur rôle dans cette croisade contre le sous-développement économique et apporter au processus de développement la contribution immense qu'elles peuvent donner si elles sont utilisées rationnellement.


Page précédente Début de page Page suivante