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TROISIEME PARTIE

ANALYSE DES EXPERIENCES DE GESTION DES FORÊTS SECONDAIRES DANS LES PAYS D’AFRIQUE FRANCOPHONE

3.1 Analyse des rapports nationaux et des documents thématiques présentés sur la gestion des forêts secondaires en Afrique subsaharienne francophone12.

Par

M. Assitou Ndinga
Consultant de la FAO
B.P. 45217 Dakar Fann
Dakar, Sénégal
Mél.: [email protected]

POUR

L’ATELIER FAO/EC LNV/GTZ SUR

LA GESTION DES FORETS TROPICALES SECONDAIRES EN AFRIQUE:

Réalité et perspectives

En collaboration avec l’UICN, l’ICRAF et le CIFOR

Douala, Cameroun, 17 – 21 novembre 2003

INTRODUCTION

Le présent document esquisse les leçons tirées de la revue des rapports nationaux et thématiques, dans la perspective d’une gestion rationnelle des forêts secondaires en Afrique subsaharienne francophone. Il s’est efforcé d’être non seulement fidèle au contenu de ces documents, mais encore de soulever les questions susceptibles d’être discutées lors des travaux en groupes. Il s’agit notamment:

- de la définition des forêts secondaires

- des facteurs favorisant la formation, l’extension ou la réduction des forêts secondaires

- des caractéristiques des forêts secondaires et des questions liées à leur gestion

- des options stratégiques, des enjeux et des actions

- des jeux des acteurs13

1. DEFINITION DES FORETS SECONDAIRES

1. Le débat sur l’énonciation des caractéristiques essentielles des forêts secondaires est ouvert.

2. D’après la FAO, « les forêts secondaires sont celles qui se régénèrent dans une large mesure par des processus naturels ; la cause principale de la régénération forestière est une importante perturbation d’origine humaine et/ou naturelle de la végétation forestière originelle ; la durée de cette stimulation (perturbation) est indéterminée : un moment donné ou une longue période de temps et ces forêts se distinguent des forêts primaires voisines sur des sites similaires14 d’après leur structure et/ou la composition des espèces de leur couvert ».

3. La plupart des consultants nationaux ont retenu cette définition comme hypothèse de travail même si le raisonnement de certains d’entre eux n’a pas toujours été dans la logique de celle-ci. Ces derniers ont parlé des forêts dites primaires, des forêts secondaires et des savanes.

4. Ce fait s’explique non seulement par les difficultés liées à la définition des forêts secondaires mais encore par la capacité à raisonner dans la logique, ce qui justifie une des actions suggérées plus bas.

2. LES CONTEXTES SOCIOECONOMIQUES ET LES FORETS SECONDAIRES

Le contexte socioéconomique et les forêts secondaires sont liés. Sur une longue période, l’Afrique francophone a toujours été ouverte à des réseaux efficients de commerce portant, selon les époques, sur entre autres, des activités forestières plus ou moins avouables. Les déviances constatées aujourd’hui sont pluriséculaires, affectent la sincérité, la volonté de bien faire, les sentiments généreux des différents acteurs. Elles affectent également la formation des forêts secondaires, notamment par l’affaiblissement de la capacité des pays à assurer une bonne gestion des forêts originelles et par l’écrémage de ces dernières du fait d’un ou deux passes d’exploitation forestière.

Une vue d’ensemble de l’Afrique francophone indique également, depuis 1960, un triplement de la population, un sextuple ment de la population urbaine et de fortes instabilités (y compris les changements climaciques et l’instabilité politique) qui ont conduit à la paupérisation, à l’accroissement de la dépendance des populations envers les ressources forestières et parfois à la réduction des forêts secondaires.

Mais l’Afrique francophone est aussi celle du rapport au sacré ou à la parenté, une longue tradition qui favorise la création des forêts sacrées (cas du Mali) ainsi que le maintien des forêts du patrimoine familial.

Quand les lunettes changent ou que les éclairages diffèrent, le paysage africain devient plus contrasté. L’Afrique francophone est plurielle. On peut ainsi distinguer six grands ensembles:

• les zones les mieux pourvues en forêts avec une couverture forestière égale ou supérieure à 20 millions d’hectares (Cameroun, Congo, Gabon et RDC);

• les zones forestières ouest-africaines (Côte d’Ivoire, Guinée et Guinée-Bissau);

• les zones ouest-africaines constitutives du « Dahomean Gap » (Bénin et Togo);

• les zones humides densément peuplées (Burundi et Rwanda);

• les zones sahéliennes (Burkina Faso, Cap-Vert, Mali, Niger et Sénégal);

• une zone insulaire (Madagascar).

3. CARACTERISTIQUES ET ETENDUES DES FORETS SECONDAIRES

3.1 Localisation et composition floristique

Dans les zones les mieux pourvues en forêts (zones forestières ouest-africaines et ’île de Madagascar), les forêts secondaires se sont développées principalement le long des axes routiers, dans les anciens villages et dans les zones forestières après exploitation ou l’abandon des autres utilisations des terres. Dans les autres régions, mis à part les formations particulières telles que les mangroves, toutes les forêts peuvent être considérées comme secondaires à cause de la forte influence des actions anthropiques et des conditions climaciques sur les forêts originelles.

Si la composition floristique de ces forêts est relativement bien connue, leur étendue l’est moins.

Dans les zones les mieux pourvues en forêts et les zones forestières ouest-africaines, les espèces présentes sont, entre autres, le parasolier (Musanga cecropioides), le bété (Mansonia altissima), l’ayous (Triplochiton scleroxylon), le limba (Terminalia superba), l’ilomba (Pycnanthus angolensis), l’okoumé (Aucoumea klaineana) et l’azobé (Lophira alata).

Dans le «Dahomean Gap», les forêts secondaires sont à dominance d’essences forestières (Antiaris africana, Isoberlinia doka, Afzelia africana, Khaya senegalensis, Anogeissus leiocarpus, Cola gigantea et Chlorophora excelsa) et d’essences savanicoles (Lophira lanceolata, Terminalia macroptera, Pterocarpus erinaceus, Borassus spp., Parkia biglobosa et Vitellaria paradoxa). 

Dans les zones humides densément peuplées, les espèces présentes sont Parinari excelsa var. holstii, Polyscias fulva, Macaranga neomildbraediana, Syzygium parvifolium, Néoboutonia buchananii, Podocarpus usambarensis, Dombea goetzenii et des bambous (entres autres, Arundinaria alpina), tandis que les principales essences dans les zones sahéliennes sont Combretum glutinosum, Combretum micrantum, Acacia seyal, Isoberlinia doka, Vitellaria paradoxa, Daniellia oliveri, Afzelia africana et Cordyla pinnata.

Enfin, les forêts secondaires de la zone insulaire se composent notamment de ravenala (Ravenala madagascariensis), mangarahara (Stereospermum euphoroïdes), merana (Brachylaena ramiflora) et tsivakimbaratra (Trema orientalis).

Notons que tous les principaux types de forêt tropicale secondaire reconnus dans d’autres parties du monde sont présents en Afrique, dans une même province ou dans un même pays. Seuls quelques pays, tels que la République du Congo et le Sénégal, n’ont décrit que trois types de forêts secondaires.

3.2 Stades évolutifs

Tous les consultants nationaux ne les ont pas décrits. Sauf exception, les stades évolutifs ci-après paraissent communs aux zones les mieux pourvues en forêts et aux zones forestières ouest-africaines:

- Durant les premières années qui suivent une perturbation de la forêt primaire, une flore dominée par des plantes herbacées annuelles et bisannuelles se forme.

- Ce stade est suivi par un deuxième appelé « jachère herbeuse », plus riche en espèces (Musanga cecropioides, Pycnanthus angolensis, Anthocleista vogelii et Elaeis guineensis).

- Pendant quelques années, cette végétation temporaire forme un fourré dense et enchevêtré: la jachère préforestière; 

- Cette dernière est suivie d’une forêt secondaire jeune, constituée d'un étage arborescent généralement dense, mais irrégulier sur le plan vertical avec un dôme variant entre 15 et 25 mètres.

- L’évolution vers la forêt secondaire adulte se fera par élimination progressive de la plupart des sujets des stades précédents, soit par concurrence intraspécifique naturelle, soit, dans le cas des forêts remises en état, par l’action des forestiers.

Dans les zones sahéliennes (cas du Sénégal), la régénération naturelle se fait principalement par le rejet de souches ou par drageonnage, les feux de brousse et le passage du bétail limitant fortement la régénération naturelle par semis.

Pendant la régénération forestière, les espèces à très large distribution (cosmopolites, pantropicales, paléotropicales et afroaméricaines) diminuent de façon progressive puis sont remplacées par des espèces guinéo-congolaises (cas de la République démocratique du Congo). La flore congolaise se reconstitue ainsi après avoir été perturbée.

3.3 Statut

Légalement, toutes les forêts appartiennent à l’Etat, mais, en réalité, le statut des forêts secondaires est beaucoup plus compliqué que ne le laissent entendre les textes officiels. On peut distinguer notamment les forêts du domaine de l’Etat, les forêts du domaine public du village, les forêts du domaine familial et les forêts des particuliers15.

D’une manière générale, les forêts secondaires après exploitation et les forêts secondaires remises en état sont inclues dans le domaine de l’Etat (République du Congo, Cameroun et Madagascar). Dans les forêts du domaine du village, ce dernier ou bien la collectivité de la chefferie traditionnelle ont des droits sur ces forêts; les personnes étrangères doivent être autorisées à y accéder. Tel est le cas des forêts secondaires à Madagascar.

Dans le modèle de base de l’organisation de la forêt du domaine familial, les membres d’une famille ont, de façon presque exclusive, des droits sur cette ressource. Toutefois, il n’y a pas de propriété à la romaine, usus, fructus, abusus, c’est-à-dire l’usage, le fruit et la propriété affectée à une seule personne jusqu’à l’abus. L’autorisation d’accès à la forêt du domaine familial s’obtient auprès du chef de famille, pas du chef de village. Tel est le cas dans le nord de la République du Congo.

Les forêts des particuliers proviennent principalement soit de la répartition des biens successoraux, soit des dons, soit encore de l’antériorité dans le défrichement de la forêt primaire (cas de la Côte d’Ivoire et de Madagascar).

Mais un type de forêts secondaires n’entre pas dans le schéma ci-dessus : les forêts après incendie parce que les feux touchent à tous les types de forêts.

4. IMPORTANCE SOCIOECONOMIQUE ET ECOLOGIQUE

Généralement, les forêts secondaires correspondent à des centres d’activités humaines. Elles fournissent aux populations ainsi qu’aux économies africaines, des revenus, des terres agricoles et des produits extrêmement nombreux et variés (bois de feu, bois de service, bois d’œuvre, gibier, miel, plantes médicinales, plantes alimentaires, etc.). A titre indicatif, les forêts secondaires sont la principale source de bois énergie, puisqu’elles satisfont plus de 60pour cent des besoins en énergie domestique des pays, avec cependant des différences significatives en fonction de l’existence, de l’accessibilité à d’autres sources d’énergie, du revenu, de l’urbanisation et surtout de la disponibilité de bois et d’autres ressources en biomasse.

Les forêts secondaires jouent également un rôle écologique significatif: séquestration du carbone du fait notamment de l’activité photosynthétique très intense de leurs feuilles; puits de carbone en raison de l’abondante biomasse qu’elles renferment; habitats d’une faune très diverse; protection des sols et des bassins versants; freinage des vents, etc.

Les forêts secondaires après exploitatio,n et les forêts secondaires remises en état, sont perçues comme étant principalement des sources de bois d’œuvre. Les forêts secondaires dans des jachères laissées par l’agriculture itinérante et les forêts secondaires après l’abandon d'autres utilisations des terres sont plus multifonctionnelles. Par contre, les forêts secondaires après incendie ne sont pas associées à une utilisation particulière.

5. CONNAISSANCES ET EXPERIENCES EN MATIERE DE GESTION

Parce qu’elles sont précisément au centre d’activités humaines, les forêts secondaires sont les mieux connues, contrairement à ce qu’affirment certains rapports nationaux. En effet, à titre indicatif, de nombreux « savants traditionnels » connaissent non seulement la quasi-totalité des plantes de leurs forêts secondaires, mais encore les règles de leurs utilisations culinaires, médicinales, médico-magiques, etc. Ils connaissent également les conditions écologiques régnant au sol de ces forêts ainsi que les relations entre ces conditions et la production agricole ou forestière16.

Dès lors, on peut affirmer que le problème fondamental, lorsque les consultants nationaux parlent de la méconnaissance des forêts secondaires, concerne l’accès aux connaissances de ces « savants traditionnels » (ces connaissances sont peu documentées et les logiques des « savants traditionnels » ne coïncident pas forcément avec celles des gestionnaires officiels des forêts). Un autre problème, résultant en partie de l’héritage colonial des pays considérés, est celui lié à un a priori négatif que les gestionnaires ont des « savants traditionnels ». Pourtant des possibles ouvertures entre ces derniers et les gestionnaires pourraient permettre une avancée vers une gestion rationnelle de certaines de ces forêts.

Les expériences de gestion concernent généralement l’enrichissement d’un écosystème exploité ou dégradé et la connaissance des conditions de croissance et des stades évolutifs des forêts secondaires. Tel est le cas de la Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Guinée ou Madagascar. Mais, dans plusieurs pays, les recherches ont été abandonnées (ou presque). C’est le cas de la République démocratique du Congo où l’insuffisance des ressources financières ne permet pas le développement de travaux pertinents.

6. PRATIQUES COURANTES DE GESTION

Les pratiques courantes de gestion des forêts secondaires dépendent principalement de leur localisation, de leur statut et des objectifs de leur existence ou de leur classement. Aux alentours de grands centres urbains, l’exploitation du bois de feu et du bois de service, la collecte des produits forestiers non ligneux ainsi que les défrichements pour des cultures vivrières prédominent. Loin des centres urbains, l’exploitation de bois d’œuvre et de service, la collecte des PFNL, les défrichements pour des cultures de rente (café, cacao, coton, palmiers à huile) de même que la chasse mobilisent les femmes et les hommes. Quasiment partout, des lieux de rites initiatiques, d’inhumation ou de cultes religieux sont aménagés.

Les forêts secondaires sont réputées d’accès presque libre, sauf lorsqu’elles sont protégées socialement. Dans tous les pays, la production de bois d’œuvre se fait conformément à la loi forestière, sauf lorsque l’exploitation est artisanale ou illicite. L’exploitation des autres ressources se fait selon les règles et les pratiques coutumières. Les objectifs de gestion des forêts secondaires sont multiples: production de bois d’œuvre, pour les forêts après exploitation et les forêts remises en état; maintien du patrimoine familial et rencontre avec les esprits, pour les forêts du domaine familial; production agricole et de bois, mais aussi lieu de cultes et pâturages, pour les forêts du domaine villageois; maintien du patrimoine national, pour des forêts secondaires dotées d’un statut d’aire protégée, etc.

Mais, de toutes les pratiques de gestion des forêts secondaires, la gestion des forêts communautaires au Cameroun mérite une attention spéciale (rapport national du Cameroun). Les communautés (terme mal défini) se forment au moment de la constitution de la demande de la forêt communautaire avec pour objectif principal son exploitation. Outre une exploitation en régie – ce qui selon le Ministre camerounais de l’environnement et des forêts serait le mode de gestion idoine –, l’exploitation par la vente de coupes, par des permis de coupes ou sous couvert d’une autorisation personnelle de coupes. En plus, ces communautés n’ont ni ressources financières ni capacités techniques pour en assurer une bonne gestion.

La leçon? L’amélioration de la gestion des forêts secondaires ne passe pas forcément partout par la création de forêts dites communautaires.

L’autre fait majeur des rapports nationaux et thématiques est la tendance à la diffusion des approches dites participatives dans la gestion des forêts secondaires en Afrique francophone. Pourtant, l’extrême diversité des formes de réception de ces approches et des cultures locales, ainsi que le fait que les réflexions sur ces approches ne portent encore que sur l’aménagement d’une transition entre un modèle de gestion forestière centralisé par l’Etat et dont les effets sont connus, et un autre participatif et dont l’efficacité est encore à prouver, incitent à ce que les structures forestières nationales pensent les modèles de gestion forestière conformes aux cultures locales et aux types/catégories de forêts. Pourtant, plusieurs textes récents considèrent les expériences « participatives » ou de « co-gestion » menées dans plusieurs pays en développement comme des échecs et qu’il faut revenir à des conceptions où les projets et les politiques ne visent qu’un seul objectif à la fois17.

7. POLITIQUE ET QUESTIONS INSTITUTIONNELLES

En matière de gestion des forêts secondaires, la politique et les institutions ne sont pas distinctes. A l’échelle nationale, les politiques de développement rural ne sont pas non plus cohérentes. Si la politique forestière vise la pérennisation des forêts secondaires, les politiques agricoles et d’élevage ne s’en accommodent pas toujours. Grands consommateurs d’espaces, les agriculteurs et les éleveurs convertissent en terres agricoles ou en pâturages des étendues importantes de forêts secondaires au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Bénin et au Togo.

De plus, la demande en bois de feu croît avec la population, l’urbanisation et la paupérisation. Pour améliorer la gestion des forêts, on a, par exemple, élaboré des plans coloriés d’affectation des terres au Cameroun. Mais ces efforts restent insuffisants et peu conformes aux cultures nationales et locales. Les forêts primaires continuent de se transformer en forêts secondaires qui, à leur tour, se transforment en savanes ou en des mosaïques de cultures et de forêts. Sans rappeler que ces plans sont d’ores et déjà caducs.

En ce qui concerne les liens inter-institutionnels, la coordination de l’action des diverses institutions intervenant dans une même forêt secondaire est nécessaire. Pourtant l’auteur du rapport national du Bénin, par exemple, évoque d’importants problèmes liés, en partie, à un manque de synergie entre les actions des services forestiers et celles des collectivités locales.

8. LES OPTIONS STRATEGIQUES, LES ENJEUX ET LES ACTIONS18

8.1 Les options stratégiques et les enjeux

Certains facteurs dégagés plus haut sont importants: entre autres, les réseaux de commerce des produits forestiers, les fortes instabilités, le rapport au sacré et à la parenté. Ils définissent le champ des possibles en matière de gestion des forêts secondaires.

C’est à l’intérieur de ce champ que les acteurs peuvent jouer: créer les effets futurs par leurs décisions (attitudes proactives), réagir aux conséquences de la dégradation des forêts secondaires (attitudes réactives), tenter d’infléchir ces évolutions ou adopter des comportements routiniers (laissez-faire).

Les acteurs font face par conséquent à une grande diversité d’enjeux et une grande diversité d‘options stratégiques est possible. D’autant plus que l’Afrique est plurielle et que les contraintes et les incertitudes nécessaires à la prise des décisions varient selon les pays.

Néanmoins, parce que les pays d’Afrique répondent à certaines caractéristiques socioéconomiques et à certains objectifs de gestion forestière communs, il est possible dans le futur de:

- envisager que les institutions forestières nationales puissent prendre en compte les forêts secondaires19 et;

- escompter que ces institutions inscrivent, avec d’autres structures nationales ou d’autres partenaires (FAO et CIFOR par exemple), leurs actions au moins dans les enjeux stratégiques suivants:

• La valorisation du cercle qui lie le rapport au sacré ou la parenté et les forêts secondaires

• L’amélioration de la connaissance des forêts secondaires et des outils de gestion

• La neutralisation des cercles vicieux liant l’urbanisation, la paupérisation et la surexploitation des forêts secondaires

• La neutralisation des cercles vicieux liant la production de bois (d’œuvre, de feu ou de service), la « mal gouvernance » et la surexploitation des forêts secondaires

8.2 Quelques suggestions d’actions

La multiplicité des enjeux de la gestion des forêts secondaires laisse entrevoir la gamme des actions et des besoins des structures forestières nationales dans l’ampleur de cette tâche. Même renforcées, ces dernières ne pourront pas les mener seules. Certains besoins, notamment en formation, sont liés aux capacités des personnes impliquées dans la gestion forestière. Les dernières remarques ainsi que les recommandations émanant des rapports nationaux et thématiques laissent à penser que la priorité doit être donnée à ce qui suit:

• Raisonnement dans la logique (cette suggestion d’action découle moins des enjeux que de la lecture des rapports nationaux et thématiques). On doit encore enseigner la rigueur qui découle, par exemple, des exercices ZOPP ou d’autres cadres logiques. A titre d’illustration, plusieurs recommandations concernant la diffusion de la foresterie communautaire dans la gestion des forêts secondaires n’ont découlé ni d’une analyse des effets de ce mode de gestion, ni d’une analyse de la conformité de ce mode de gestion avec les cultures locales. La volonté de diffuser cette approche résulte essentiellement de son rayonnement, considéré comme une véritable panacée. Autre exemple: un auteur qui a dénoncé la méconnaissance des forêts secondaires, ne propose pas pour autant une meilleure connaissance de ce type de forêt dans sa liste de recommandations pourtant très longue.

• Rédaction des textes régissant la gestion des forêts secondaires conformes aux coutumes (enjeu 1). La valorisation du cercle qui lie le rapport au sacré ou à la parenté et les forêts secondaires passe par la rédaction de textes conformes aux us et coutumes. En effet, dans la continuité des pratiques coloniales, les règles dites « modernes » de gestion des forêts, pourtant émanation des cultures étrangères, sont substituées aux traditions africaines, parfois pluriséculaires et respectueuses de l’environnement. Ceci crée alors un nouveau problème: la juxtaposition des droits coutumiers, religieux et « modernes ». Au regard de ce problème, la suggestion qui est faite ici vise à susciter une écriture sur et une évolution interne des coutumes. Elle est en accord avec une pensée qui, apparemment, se développe à la FAO et qui a favorisé le travail de Gibson sur la diffusion du droit français en Afrique subsaharienne francophone20.

• Redynamisation des recherches pluridisciplinaires et pluriannuelles sur les forêts secondaires (enjeu 2). L’amélioration de la connaissance des forêts secondaires et des outils de leur gestion implique notamment (a) la connaissance de la couverture forestière en fonction du type de forêts secondaires, (b) la connaissance de la dynamique de la végétation, (c) la création de passages linguistiques entre les « savants traditionnels » et les gestionnaires forestiers, (d) l’amélioration de la compréhension de l’écologie de ces forêts (les « brainstorming » ne peuvent pas remplacer ces recherches).

En outre, et d’une manière générale, il convient d’encourager les structures forestières nationales à mener des travaux capables d’alimenter une réflexion approfondie, prospective et stratégique sur les ressources des forêts secondaires. L’un des moyens serait de lier effectivement la gestion de ces forêts et l’étude prospective du secteur forestier en Afrique (FOSA). Ce moyen n’est pas le plus facile mais il est celui qui est le plus porteur d’avenir.

• Amélioration de l’offre des produits forestiers ligneux et non ligneux (enjeu 3). La neutralisation des cercles vicieux qui lient l’urbanisation, la paupérisation et la surexploitation des forêts secondaires sous-tend d’obtenir une réponse satisfaisante à la demande sociale en produits forestiers ligneux et non ligneux. Nous sommes actuellement incapables de le faire. Mais, et c’est l’évidence même, nous sommes conscients que seule l’acquisition de nouvelles richesses ou un meilleur partage des richesses nationales pourrait permettre de faire face aux besoins des pauvres et aux impératifs d’une gestion rationnelle des forêts secondaires. Mais – pour reprendre les mots de Senghor21- on peut fixer des objectifs clairs et précis, se donner les moyens de les réaliser, avoir à sa portée des cadres techniquement valables pour les mettre en œuvre et aboutir, cependant, à un échec lamentable. Là se trouve l’un des drames des pays africains: moins que de cadres et de moyens financiers, ils manquent de conviction et d’engagement véritable au service de leurs populations. Que faire? Les réponses à cette question ne sont pas simples; c’est le message qui transparaît à la lecture du rapport national du Cap-Vert.

• Promotion des valeurs d’intégrité et de solidarité (enjeu 4). La neutralisation des cercles vicieux qui lient la production de bois (d’œuvre, de feu ou de service), la mal gouvernance et la surexploitation des forêts secondaires passe notamment par (a) une bonne formation des africains comme préalable à la suppression des stratégies individuelles d’enrichissement et prédatrices des ressources forestières; (b) la promotion du droit pour combattre l’impunité et (c) le renforcement des réseaux africains et mondiaux de solidarité permettant à la fois de travailler aux niveaux techniques et politiques, à une meilleure gestion des forêts secondaires.

8.3 Les jeux des acteurs

Comme d’autres sociétés, celles des pays d’Afrique sont constituées de centres de décisions multiples et asymétriques ayant chacun son espace, ses moyens et sa logique.

Les acteurs qui pèsent fortement sur les forêts secondaires après exploitation et celles remises en état sont les ministères des forêts, les entreprises forestières et les agences gouvernementales. Ces acteurs peuvent contribuer à la neutralisation des cercles vicieux qui lient la production de bois d’œuvre, la « mal gouvernance » et la surexploitation des forêts secondaires.

En ce qui concerne les jachères laissées par l’agriculture itinérante et les forêts secondaires après abandon d'autres utilisations des terres, leur avenir dépend largement des collectivités locales, des chefferies traditionnelles, des autorités religieuses, des chefs de familles, des particuliers (propriétaires de terres), mais aussi des ministères cités précédemment. Ces acteurs défendent des intérêts multiples: obtention des voix aux élections, mobilisation des ressources financières pour le fonctionnement de leur province, maintien du patrimoine familial, protection des forêts sacrées, etc. Mais ils peuvent participer activement à la valorisation du cercle qui lie le rapport au sacré ou à la parenté et les forêts secondaires ainsi qu’à l’amélioration de la connaissance de ces forêts et des outils de leur gestion. Tel est le cas en Guinée-Bissau ou au Bénin.

Certains rapports nationaux et thématiques identifient les ONG parmi les acteurs qui peuvent travailler à une gestion rationnelle des forêts secondaires (cas du document thématique du Dr Bonnehin). D’autres conduisent à être prudent en ce qui concerne le recours aux ONG, en distinguant des ONG compétentes de celles qui ne le seraient pas (cas de la République du Congo). Or, les ONG nationales sont peu émancipées, sauf exception (FOSA, 2002). La question est alors de comment les renforcer pour qu’elles soient au service de leur pays et qu’elles participent à la gestion des forêts secondaires?

Quant aux ONG internationales, elles se répartissent en deux grands groupes: celles qui sont compétentes et celles qui donnent l’image d’une Académie swiftienne22: par exemple, un fonctionnaire travaille inlassablement à parfaire la formation des hommes dans le but d’améliorer la gestion des forêts, ce qui est hautement appréciable; ici, un autre parle de gouvernance forestière alors qu’il n’a que la capacité à manipuler les hommes et les informations (la mal gouvernance), ; là-bas, un troisième, « par sa générosité ou sa recherche des ressources financières » conforte les injustices.

Dès lors deux remarques s’imposent. La première remarque est que si les cartes sont largement distribuées par les facteurs lourds dégagés précédemment, les jeux sont aussi faits par des intellectuels. Ceux qui participent à une escroquerie en Afrique francophone, au nom de la conservation forestière, ne peuvent pas être considérés comme des intellectuels. La deuxième remarque est une paraphrase de Fontenelle23::«Assurons-nous bien des compétences et de la moralité des acteurs, avant que de les inviter à intervenir dans la gestion des forêts secondaires en Afrique». Dans le cas contraire, on accentue la dégradation des forêts en faisant croire qu’on travaille à les conserver.

Remerciements

Ces notes de lecture ont été écrites grâce aux organisateurs de l’atelier sur la gestion des forêts secondaires (Douala, 17-21 novembre 2003). A eux, nous disons merci. Il s’agit de la FAO, du CIFOR et de l’UICN. Nous remercions également tous les consultants qui ont écrit les rapports nationaux et thématiques.


12 Le contenu de cette analyse n'engage que la responsabilité de l’auteur.

13 Les deux derniers points ne transparaissent pas de la lecture des rapports nationaux et thématiques. Ils ont été traités par l’auteur dans le cadre de sa contribution au présent travail.

14 Cette façon de présenter la définition des forêts secondaires est voulue pour mettre en relief les caractéristiques essentielles de ces forêts.

15 Cette division des forêts secondaires est voulue et est fidèle à la réalité.

16 Les Africains ont fait des énormes progrès dans la connaissance et l’utilisation des plantes pour par exemple, la guérison des hépatites, la réduction des fractures, etc. (Ki-Zerbo J. 2003. A quand l’Afrique. Edition de l’Aube, Edition d’en bas, Le Moulin du château.)

17 Karsenty, A. 2002 Quelques limites des instruments économiques incitatifs dans le couple environnement/développement. Le cas de la forêt tropicale et de la lutte contre les changements climaciques. Économie et société, n°38 (hors série), juin 2002, ISMEA, Paris.

18 Les rapports nationaux et thématiques n’ont pas traité des options stratégiques et des enjeux. Par conséquent, il s’agit là d’une contribution au débat sur la gestion des forêts secondaires.

19 Ici, nousne suggérons aucune vision du futur de ces forêts.

20 Gibson, S. 2003 La diffusion du droit français en Afrique subsaharienne francophone. Thèse en vue de l’obtention du grade de Docteur de l’Université Paris XI- Droit public, France.

21 Jeune Afrique, 18-24 novembre 1963.

22 Swift, J. 2002. Voyage de Gulliver, Gallimard.

23 Fontenelle, 1986. La dent d’or. In: Histoire des oracles,.

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