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Combien vaut un lion?

Philip Thresher

Ce lion adulte est d'une grande valeur

PHILIP THRESHER est économiste au Centre d'investissement, FAO, Rome.

Depuis 1967, le nombre des visites au parc national d'Amboseli a progressé au rythme de 10 à 25 pour cent par an. En chiffres absolus, un tel taux d'accroissement ne saurait guère se poursuivre au-delà des deux ou trois années à venir. En 1976 le nombre de visites annuelles avait atteint 97 000, dont 60 000 touristes étrangers, 25 000 touristes kényens et 12 000 Kényens exerçant des activités commerciales ou s'occupant de services, tels que chauffeurs et guides. D'après le modèle, établi pour justifier une assistance de 6,5 millions de dollars de la Banque mondiale en faveur d'un projet d'aménagement et de développement du cheptel sauvage, en 1993 le nombre de visites annuelles pourrait approcher 297 000, soit 200 000 non-résidents, 57 000 résidents, et 40 000 cadres résidents.

D'après Wesley Henry, chercheur associé de l'Institute of Development Studies de l'université de Nairobi, qui a préparé une thèse de doctorat sur le comportement des visiteurs à Amboseli, les touristes venus expressément pour voir la faune passent en moyenne dans le parc quatre heures par véhicule et par visite. Soixante pour cent du temps (144 mn) sont consacrés à rouler, 40 pour cent (96 mn) à observer et, sur ce temps, environ 30 pour cent, soit une trentaine de minutes, à regarder les lions.

Une analyse préliminaire des données recueillies sur le terrain a révélé, chose étonnante, que seulement 11 pour cent des visiteurs souhaitaient voir le mont Kilimandjaro. A l'autre extrême, 20 pour cent ont déclaré qu'ils voulaient «tout voir». On n'a retenu pour l'élaboration de l'échelle de réponses pondérées ci-après que les touristes capables de dire avec précision ce qu'ils souhaitaient ou «voulaient» voir. On admet que les préférences exprimées sont directement proportionnelles au temps que le visiteur est prêt à consacrer pour observer tel ou tel animal.

Le temps total que les visiteurs sont disposés à passer pour chercher et regarder les lions est de 70 mn, soit environ 30 pour cent des quatre heures consacrées à l'observation des animaux sauvages. On en a déduit que les lions d'Amboseli participent pour au moins 30 pour cent au total des recettes du tourisme d'observation de la faune.

Tourisme. Il y a dans le parc national d'Amboseli et autour, sur une superficie de 580 km², approximativement 60 lions, et durant la plus grande partie de l'année il y en a 40 dans l'enceinte même du parc. Une population stable de 60 lions comprend normalement trois à cinq lions à crinière, trois à cinq mâles presque adultes, 25 à 30 lionnes, et 22 à 27 lionceaux et jeunes lions (Shaller, 1972). Un lion mâle acquiert une crinière convenable vers sa quatrième année, et doit pouvoir vivre en bon état physique jusqu'à l'âge de douze ans environ.

Ce sont surtout les mâles à crinière que les visiteurs viennent observer, les lionceaux venant juste après. Vingt-cinq pour cent des touristes voient effectivement des lions à crinière, tandis que moins de 10 pour cent aperçoivent des lionceaux parce que ceux-ci se dissimulent dans l'ombre et qu'il est interdit de sortir des pistes. Statistiquement, les personnes qui arrivent à découvrir un mâle adulte en voient généralement plusieurs.

D'après le modèle informatisé et en admettant un taux d'actualisation raisonnable de 10 pour cent par an, la valeur actuelle des devises dépensées par les visiteurs d'Amboseli non résidents au cours de la période de 15 ans 1977-92 s'élèverait à 47 760 000 dollars US, la part imputable au lion (2,5 pour cent) étant de 1 195 000 dollars US. Etant donné qu'un lion à crinière doit pouvoir être observé pendant six à sept ans, un seul sujet rapporterait 515 000 dollars US en devises; telle est sa valeur en tant que ressource pour le tourisme d'observation. Du point de vue de la chasse sportive, le chiffre serait de 8 500 dollars, somme qu'un chasseur non résident dépense pour un safari de chasse au lion d'une durée de 21 jours. Sur le plan commercial, une peau de lion bien traitée se vend entre 960 et 1 325 dollars.

Recettes potentielles. Les propriétaires terriens d'Amboseli, dont l'Etat kényen en tant que propriétaire du parc, perçoivent environ 12 pour cent des recettes totales constituées par les dépenses des visiteurs, sous forme de droits d'entrée et de redevances d'hébergement et autres. Les recettes des propriétaires, déduction faite des dépenses d'équipement et de gestion du parc pendant 15 ans, représentent une valeur actualisée de 3 640 000 dollars. Si l'on attribue 2,5 pour cent de cette somme à un lion mâle adulte, sa valeur actuelle pour les propriétaires est de 91 000 dollars. Un lion de ce type chassé par des professionnels, et non dans un ranch à l'extérieur du parc, vaudrait 600 dollars pour le propriétaire. Ce dernier recevrait la moitié de cette somme s'il trouvait et vendait une peau de lion à crinière séchée mais non traitée.

En dehors des terres domaniales, les terrains constituant l'écosystème d'Amboseli sont la propriété d'une douzaine environ de ranches collectifs, chacun constitué d'une association d'éleveurs individuels. Il y a en tout un millier d'éleveurs, soit autant de familles comptant en moyenne six à sept personnes. Si ces éleveurs devaient chacun recevoir une part équitable du revenu du propriétaire une fois le parc équipé à sa pleine capacité d'accueil, chaque famille recevrait 600 dollars par an, soit environ le double de son revenu annuel présent. Le lion entrerait pour 15 dollars dans cette somme. Si l'on actualise les revenus annuels futurs, la valeur présente d'un lion mâle adulte pour chaque famille est proche de 90 dollars, alors que pour un lion abattu légalement une famille recevrait 10 dollars.

Echelle de réponses pondérées

Animal recherché

Notation (sur 10)

Indice par rapport à «tous autres animaux»

Estimation du temps consacré à la recherche (mn)

Lion

8,6

2,40

40

Guépard

6,8

1,90

32

Léopard

41

*

*

Eléphant

5,1

1,40

25

Rhinocéros

4,5

1,25

22

Girafe

18

0,50

8

Tous autres animaux

3,6

1

17

* Le léopard est omis parce qu'il n'est observé qu'une ou deux fois par an.

Bétail. L'élevage bovin est un mode coutumier d'utilisation des parcours, et à Amboseli le bétail peut coexister avec les animaux sauvages. La transmission de maladies s'est révélée négligeable et les pertes annuelles dues aux prédateurs s'élèvent à moins de un pour mille du cheptel bovin existant. Cependant, même en supposant que les méthodes de conduite de l'élevage s'améliorent avec le temps, il faudrait un troupeau mixte d'environ 30 000 zébus pour obtenir en 15 ans des recettes actualisées de 665 000 dollars. Etant donné que le revenu pour l'économie nationale serait d'environ 180 pour cent de cette somme, soit 1 197 000 dollars, on voit que la valeur actuelle d'un lion adulte pour le pays est comparable à celle de 30 000 bovins. Théoriquement, avec des techniques d'élevage bien supérieures à celles que l'on peut maintenant concevoir, on pourrait obtenir le même montant, en pratiquant un élevage d'embouche de 6 400 bœufs pesant chacun 240 kg, vendus au bout d'un an au poids de 320 kg. Un lion mâle adulte d'Amboseli a donc une valeur actuelle pour l'économie nationale équivalant à celle de 30 000 zébus ou de 6 400 bœufs revendus au bout d'un an. Pour comprendre tout le sens de ces chiffres, le lecteur doit savoir que les 6 000 Masaï qui vivent dans l'écosystème d'Amboseli subsistent avec un troupeau de 50 000 bovins et 20 000 ovins et caprins.

Les conséquences immédiates qu'entraînerait l'«aménagement» de la faune sauvage en général et des lions en particulier dans une zone comme l'écosystème d'Amboseli sont impressionnantes. Plus de 2 000 personnes pourraient vivre du tourisme de vision d'animaux sauvages rien qu'à Amboseli. Les populations rurales ont besoin de revenus supplémentaires pour ne pas dépendre de plus en plus de subventions, et le pays de recettes en devises pour relever le niveau de vie. Les lions, considérés comme attraction touristique de premier plan, représentent dans cette région du monde une ressource naturelle renouvelable qu'il faut préserver avec soin et traiter très sérieusement. Ils procurent un bon revenu tant aux populations rurales qui partagent leur territoire qu'au pays dont ils contribuent à couvrir les besoins en devises.

Référence

Cette estimation est une extrapolation à partir de SHALEER, G.S. The Serengeti lion. University of Chicago Press, 1972.

Certain livres - comme certain arbres - sont plus utiles que d'autre

Le livre intitulé Les peupliers dans la production du bois et l'utilisation des terres a connu un grand succès dès sa première publication par la FAO en 1958. Sa nouvelle version - en anglais, français et espagnol - mentionne les progrès les plus importants dans le domaine de la technologie de reproduction et de plantation. On peut se procurer ce livre auprès des agents ou dépositaires de la FAO dont la liste figure à la page 3 de la couverture ou en s'adressant directement à:

FAO, Section distribution et ventes, Via delle Terme di Caracalla 00100 Rome, Italie


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