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La faune d'Afrique de l'Ouest: Une ressource naturelle menacée

Yaa Ntiamoa-Baidu

Yaa Ntiamoa-Baidu est professeur d'aménagement de la faune sauvage et d'écologie animale à l'Université du Ghana, après avoir été chef de la division de la recherche du Département de/a faune sauvage du Ghana.

En Afrique de l'Ouest, la surexploitation menace de détruire en de nombreux endroits la faune sauvage, qui est à la fois une importante source traditionnelle de nourriture et de revenus et une valeur culturelle. Cet article passe en revue les modes d'aménagement de la faune sauvage dans la région et indique les recherches à entreprendre pour sauvegarder cette ressource.

· Il ne faut pas sous-estimer l'importance et l'utilité de la faune sauvage en Afrique de l'Ouest. Pour tous les habitants de cette région, la faune sauvage est synonyme de nourriture; pour certains, elle est le symbole de leur culture, et pour d'autres, leur religion même, voire leur identité.

Les animaux sauvages étaient traditionnellement considérés comme une richesse commune, exploitée et protégée en fonction des coutumes et des tabous. Plus récemment, avec l'introduction de systèmes d'éducation et de valeurs religieuses venus de l'extérieur, de nombreux Africains ont commencé à mettre en doute certaines choses pour lesquelles ils ne trouvaient pas d'explication ni de base scientifique et qu'ils ne pouvaient ni mesurer ni chiffrer. D'où la disparition des traditions et des tabous et l'apparition de graves menaces pour la faune qu'ils protégeaient. La croissance démographique et les besoins consécutifs de produits alimentaires dont la viande de brousse, le manque d'aliments de remplacement satisfaisants et l'adoption d'armes de chasse plus efficaces ont permis d'intensifier l'exploitation de la faune sauvage. Dans le même temps, les habitats de cette faune se dégradaient progressivement en raison de l'extension des cultures, du déboisement et de l'ouverture de zones jusqu'alors inaccessibles.

VILLAGEOISES AU MALI nourrir leur famille est leur première préuccupation / A. VAN ASTEN

Tableau 1. La faune sauvage, ressource alimentaire en Afrique de l'Ouest

Pays

Consommation de viande de brousse

Bénin et Togo

Les chasseurs du Burkina Faso vendent de la viande de brousse fumée jusque dans les villes du Bénin, du Ghana et du Togo (Spinage, 1983).

Burkina Faso

La plupart des chasseurs chassent pour le profit. La viande est fumée et vendue dans les villes, où elle est très recherchée (Spinage, 1983).

Cameroun

Le gibier est une importante source de protéines et un aliment traditionnel très demandé. Trente pour cent de la viande consommée est de la viande de brousse(Balinga, 1978).

Côte d'ivoire

Dans le nord du pays, la consommation de viande de brousse est de 27 9 par personne et par jour (Sale, 1981).

Ghana

La viande de brousse est consommée par toutes les classes de population. En 1985, 52469,6 kg de viande de brousse ont été vendus sur un seul marché d'Accra.

Libéria

Les antilopes (surtout céphalophes) et diverses espèces de singes sont les viandes de brousse les plus appréciées (Jeffrey, 1977).

Mali

Dans les années 60 lorsque le gibier était abondant, la viande de phacochère (Phaco choerus aethiopicus) fumée était exportée vers le Ghana. La viande d'autres espèces d'animaux sauvages était consommée dans le pays (Asibey, 1980).

Nigéria

De 46 à 62 pour cent de la viande consommée est de la viande de brousse. Quatre vingt quinze pour cent des personnes inter rogées en consomment régulièrement (Martin, 1983).

Sénégal

La consommation minimale annuelle est de 373 631 tonnes de mammifères et oiseaux sauvages, pour une population totale de 2 966 190 habitants en 1963 (Sale, 1981).

A l'heure actuelle, toutes les espèces de mammifères sauvages, à l'exception des petits rongeurs, sont surexploitées en Afrique de l'Ouest. Au Ghana, l'hippopotame nain (Choeropsis liberiensis) a été exterminé, tandis qu'un grand nombre d'espèces dont le lamantin (Trichechus senegalensis), l'oryctérope (Orycteropus afer) et divers primates - colobe bai (Colobus badius), colobe de Van Beneden (C. verus), colobe magistrat (C. polykomos) et chimpanzé (Pan troglodyles) - sont menacés d'extinction. En raison principalement de la surexploitation dont elles sont l'objet et de la destruction de leurs habitats, les populations de la plupart des espèces sauvages de la région sont tombées à des niveaux dangereusement bas. Il est urgent d'intensifier les efforts d'aménagement de la faune si l'on veut assurer sa survie et son exploitation durable. On n'y réussira que si cet aménagement est fondé sur une recherche scientifique rationnelle. Malheureusement, ce genre de recherche reste tout à fait limité dans la région.

Nous verrons dans cet article quel est le rôle de la faune sauvage dans la vie des Africains de l'Ouest, et nous examinerons les domaines prioritaires dans lesquels une recherche est nécessaire en vue d'assurer son exploitation optimale à long terme, ainsi que les obstacles rencontrés.

La faune sauvage, ressource alimentaire

L'importance de la viande de brousse dans l'alimentation des Africains de l'Ouest est bien connue (Asibey, 1965, 1966, 1974; Ajayi, 1971; Jeffrey, 1977; de \/os, 1978; Sale 1981; Martin, 1983). Les mammifères sauvages de toutes les espèces sont consommés - surtout céphalophes et rongeurs i mais également roussettes et primates, ainsi que certains reptiles, oiseaux (de même que leurs œuts, et oisillons) et invertébrés tels que escargots et insectes. Des espèces dont la consommation est interdite pour un clan ou un groupe particulier de population peuvent être un mets de choix ailleurs. Ainsi, la tortue Geochelone sp. est considérée comme un animal sacré et est interdite aux enfants de certains membres du clan Asona, chez les. Ashanti du Ghana, alors que ce même animal est considéré comme une viande délicieuse, servie dans des occasions exceptionnelles aux enfants d'autres membres du même clan.

Le tableau 1 donne une idée de l'utilisation universelle des animaux sauvages dans l'alimentation en Afrique de l'Ouest, tandis que le tableau 2 indique les quantités de viande de brousse vendues sur un marché du Ghana au cours de l'année 1985.

La viande de brousse est consommée par toutes les classes de population, et elle est souvent préférée à la viande d'animaux domestiques. La demande dépasse de loin l'offre, et bien des gens ne i peuvent s'en procurer en quantité suffisante. Elle rapporte des recettes tellement élevées que les chasseurs préfèrent vendre leur gibier et acheter du poisson (qui est bien moins cher) pour leur famille. Cette forte demande de viande de brousse a entraîné une surexploitation qui compromet gravement la a conservation de plusieurs espèces j animales.

Culture et tradition

Les relations entre les populations d'Afrique de l'Ouest et la faune i sauvage sont profondément -i ancrées dans leurs traditions, leurs, cultures et leurs religions. Il est, interdit à certains groupes de toucher, tuer ou manger certains animaux en raison de croyances ou culturelles. Ces animaux sont considérés comme sacrés parce qu'ils ont sauvé les ancêtres du groupe lors de guerres tribales, ou encore parce que l'on croit qu'ils ont les mêmes ancêtres que le groupe. Les animaux d'un habitat particulier peuvent être considérés comme sacrés. Ainsi, il est souvent interdit aux habitants d'un village de manger du poisson provenant du cours d'eau qui alimente le village et certaines zones de végétation, surtout dans des bassins versants, peuvent être considérées comme des bois sacrés protégés.

Quelques exemples sont présentés ci-après pour illustrer le rôle de la faune sauvage dans la mythologie de l'Afrique de l'Ouest et montrer comment les croyances traditionnelles ont assuré la conservation des espèces et des habitats.

Tableau 2. Commerce de viande de brousse au marché de Kantamanto à Accra
(Janvier-décembre 1985)1

Espèce

Nombre

Poids total

Valeur(cèdis)2

carcasses(kg)

Aulacode (Thryonomys swinderianus)

9424

39991,1

9495164

Cèphalophe de Maxwell (Cephalophus maxwelli)

1051

6089,0

1370740

Antilope royale (Neotragus pygmaeus)

449

917,8

215210

Rat géant de Gambie (Cricetomys gambianus)

360

388,2

54247

Guib (Tragelaphus scriptus)

152

2732,7

503450

Pétauriste (Cercopithecus petaurista)

136

358.6

74660

Céphalophe noir (Cephalophus niger)

95

1354.6

236750

Genettes (Genetta spp.)

64

110,9

20030

Rat palmiste (Xerus erythropus)

54

35,0

8120

Céphalophe à flancs roux (Cephalophus rufilatus)

44

264,2

62450

Athérure (Atherurus africanus)

38

136,4

24850

Mangouste de Gambie (Mungos gambianus)

11

7,6

1750

Civette (Viverra civetta)

7

27,4

5500

Céphalophe à bande dorsale noire (Cephalophus dorsalis)

5

53,7

8700

Potamochère (Potamachoerus porcus)

4

64,5

12600

Nandine (Nandinia binotata)

3

7,6

1800

Daman d'arbre (Dendrohyrax dorsalis)

2

3,1

680

Rédunca (Redunca redunca)

1

7,2

2000

Total

11900

52469,6

12098701

1Ces chiffres sont des minima, étant donné que certaines marchandes de gibier ont refusé de laisser enquêter sur leurs étals

2 - 60 cedis = 1 dollar U.S. on décembre 1985.

Pour tous les habitants de l'Afrique de l'Ouest, la faune sauvage est synonyme de nourriture; pour certains, elle est le symbole de leur culture: pour d'autres, leur religion même, voire leur identité.

Le colobe magistrat (Colobus polykomos) et le cercopithèque mone (Cercopithecus mona), et leur habitat dans la forêt décidue, sont depuis longtemps protégés par les croyances et les traditions locales à Boabeng et Fiema, deux villages de la région de Brong Ahafo au Ghana. Les villageois croient que ces singes sont les fils des dieux qui protègent leur communauté et qu'il ne faut par conséquent pas les déranger, les tuer ou les capturer. Si un singe meurt, il est pleuré et enterré comme un être humain (Akowuah et al., 1975). Attirés par la sécurité des lieux, d'autres singes - le pétauriste (Cercopithecus petaurista) et le cercopithèque diane (C. diana) - sont venus s'y installer. C'est le seul endroit au Ghana où l'on puisse voir des populations nombreuses de singes vivant littéralement avec les humains. Cependant, juste en dehors de cette communauté, comme dans la plupart des autres régions du Ghana, toutes les espèces de singes sont activement chassées pour leur viande.

Katigiri est un village situé dans la vallée de la Sisili, dans le nord du Ghana. Un terrain situé aux abords du village a de tout temps été considéré comme sacré et protégé par les croyances locales. Les gens de Katigiri croient que leurs ancêtres ont échappé à leurs ennemis lors de guerres tribales en se cachant dans la brousse et que les esprits de ces ancêtres et les dieux hantent les lieux. Il est interdit d'y cultiver ou de défricher la brousse (conservation de l'habitat). Les terres voisines sont brûlées dès le début de la saison sèche, afin de protéger la terre sacrée des feux accidentels. On la brûle une seule fois dans l'année, en février, c'est-à-dire au plus fort de la saison sèche lorsque la nourriture est rare dans toute la région. Une cérémonie traditionnelle précède la mise à feu, et tout le village se rassemble pour la chasse qui l'accompagne (aménagement en vue de l'utilisation ordonnée d'une ressource au profit de toute la communauté). Non seulement cette tradition protège le bassin versant de la rivière qui est la seule source d'eau potable de la population, mais elle assure aussi le maintien de populations viables d'animaux sauvages, qui font l'objet d'une récolte annuelle collective. Malheureusement, avec l'introduction de la mécanisation agricole et de la riziculture à grande échelle dans la région, tout le système se trouve menacé.

En Afrique, le langage, l'art, la philosophie et les structures sociales sont fortement influencés par leur association à la faune sauvage, comme le montrent le folklore, les proverbes, les noms et les symboles. La fête de la chasse aux «biches» dans la région de Winneba au Ghana maintient la cohésion de la communauté. Elle ramène chaque année au pays les hommes de Winneba pour une cérémonie qui comporte la capture de guibs (Tragelaphus scriptus) à mains nues.

Vertus médicinales de la flore et de la faune sauvages

La plupart des Africains reconnaissent les vertus curatives des plantes et des animaux sauvages et de leurs produits dérivés, qu'il s'agisse des maladies physiques ou mentales, ou des soins aux futures mères. Dans les zones rurales où l'accès à l'hôpital est difficile ou impossible, les gens ont largement recours à la médecine traditionnelle, à base de produits végétaux et animaux. Keharo et Adam (1974) présentent une analyse scientifique des usages thérapeutiques et des propriétés chimiques de 550 espèces de plantes utilisées au Sénégal et dans les pays voisins. Sur les marchés de presque toutes les villes, grandes ou petites, d'Afrique de l'Ouest, des parties de plantes ou d'animaux sont vendues à usage médicinal. Parmi les espéces animales utilisées - en tout ou en partie - à des fins médicinales au Ghana, citons l'éléphant Loxo- donta africana), tous les primates, les genettes (Genetta spp.), l'oryctérope (Orycteropas afer) les pangolins (Manis spp.), les perroquets (Psittacus spp.) et le vautour à capuchon (Neophron monachus).

Animaux sauvages nuisibles

Parmi les animaux sauvages nuisibles d'Afrique de l'Ouest, on compte les rongeurs, les singes, es éléphants, les roussettes et les oiseaux. Au Ghana, les éléphants endommagent les plantations de cacaoyers et de palmiers à huile et es cultures vivrières telles que bananiers, taros et manioc. Les dégâts des rongeurs et des oiseaux dans les céréales et les autres cultures vivrières posent un grave problème. Les principaux oiseaux nuisibles sont le travailleur à tête rouge (Quelea erythrops), le vorabé (Euplectis afra) et l'ignicolore (E. orix). En 1984, les dégâts d'oiseaux granivores dans les rizières irriguées du nord du Ghana ont été estimés à 90-100 pour cent de la récolte de saison sèche là où il n'y avait pas d'autres moyens de lutte que les méthodes traditionnelles limitées de protection.

Il n'existe pas de statistiques sur les pertes totales de récoltes dues aux animaux sauvages dans le pays. Les agriculteurs réagissent en essayant de détruire les animaux nuisibles coupables, mais les dommages sont souvent exagérés afin de justifier l'extermination d'une espèce, comme c'est le cas pour les éléphants. Sous prétexte de détruire les nuisibles, on surexploite aussi bien ceux-ci que d'autres espèces. D'autre part, les méthodes de lutte utilisées peuvent être néfastes aux organismes non nuisibles et poser de sérieux problèmes écologiques, comme la lutte chimique contre les rongeurs et les oiseaux nuisibles.

Revenus tirés de la faune sauvage

La faune sauvage a de tout temps constitué une source de revenus, principalement par la vente de la viande de brousse et d'autres produits tels que cornes, peaux et trophées. Asibey (1980) a constaté qu'un chasseur-paysan tire de la vente du gibier des recettes bien supérieures à celles de la culture du maïs. Le commerce de la viande de brousse est lucratif non seulement pour le chasseur, mais aussi pour les femmes qui la vendent au détail. Au marché du gibier de Kumasi (Ghana), certaines marchandes se succèdent depuis quatre générations. La vente de gibier est leur principal moyen d'existence.

En Afrique de l'Ouest, la forte demande de viande de brousse n'a pas favorisé le commerce d'animaux vivants, ni les safaris de chasse ou de tourisme, comme en Afrique orientale et australe. Au Ghana, les principaux animaux vivants exportés sont les perroquets. Le tableau 3 indique les exportations d'animaux vivants du pays en 1985. L'Etat réalise des recettes grâce aux droits sur les permis de chasse et les licences d'exportation et aux taxes sur les ventes d'armes et de munitions, et bénéficie naturellement des rentrées de devises provenant des exportations d'animaux sauvages.

Priorités en matière de recherche sur la faune sauvage

Conservation des espèces et des habitats. En dépit du vif intérêt porté à la mise en valeur des ressources de la faune sauvage en Afrique de l'Ouest, les recherches de base restent très limitées. L'exploitation de la faune sauvage et la destruction des habitats se poursuivent à un rythme tel qu'il faudrait immédiatement procéder à un inventaire des zones et des espèces à protéger, afin d'assurer la sauvegarde d'échantillons représentatifs de tous les habitats importants dans chaque pays et l'identification des espèces exigeant une protection particulière.

Tableau 3 Exportations d'animaux sauvages vivants du Ghana (1985)

Espèce

Nombre

Valeur
(dollars US)

Jacko ou perroquet gris du Gabon (Psittacus erithacus)

9580

287400

Python royal (Python regia)

4449

35592

Scorpions (Buthus spp., Pandinus spp.)

2170

3038

Agames (Agama spp.)

1600

2240

Varan de terre (Varanus exanthematicus)

1124

4496

Scinques (Mabuya spp.)

410

123

Perroquets verts (Poicephalus spp.)

400

6000

Tortues pélomédusides (Pelomedusa spp., Pelusios spp.)

314

471

Python de Seba (Python sebae)

254

2032

Myriapodes (Spirostreptus spp.)

181

181

Crapauds (Buffo spp.)

60

180

Vipère rhinocéros (Bitis nasicornis)

53

795

Vipère du Gabon (Bitis gabonica)

41

615

Cobra cracheur (Naja nigricollis)

28

420

Caméléon (Chameleo gracilis)

25

300

Tortue (Geochelone spp.)

22

77

Calabaria (Calabaria reinhardtii)

18

72

Total

20729

344032

Source: Department of Game and Wildlife, Wildlife Trade Rico Records.

CROCODILES AU BURKlNA FASO aménagement de la faune = conservation + utilisation / E.G. SANDSTROM

Le Ghana possède à l'heure actuelle 13 aires de conservation - cinq parcs nationaux, cinq réserves de gibier, une réserve naturelle intégrale et deux refuges de faune - réparties dans toutes les grandes zones de végétation du pays à l'exception de la zone côtière. La British Royal Society for the Protection of Birds et le Gouvernement ghanéen ont organisé de concert, au titre du programme «Sauver les oiseaux des rivages marins», un inventaire des oiseaux de rivages et des habitats côtiers, qui devrait permettre d'identifier des emplacements d'aires de conservation. Un véritable aménagement de ces aires est indispensable pour sauvegarder la faune à long terme. Pour le moment, il se limite à la lutte contre le braconnage, dans l'espoir de reconstituer les populations décimées. Les recherches devraient porter principalement sur la situation des espèces, leur répartition, leurs mouvements saisonniers, leurs exigences en matière de nourriture et d'habitat, ainsi que les modifications de l'habitat résultant de la protection et de l'action des animaux.

En Afrique de l'Ouest, il n'existe aucun système efficace de contingents pour l'exploitation de la faune sauvage, ni de base scientifique pouvant permettre d'élaborer un tel système.

Au Ghana, par exemple, on ne connaît pas la situation actuelle de toutes les espèces animales. On sait que toutes sont surexploitées, mais comme les données sur la taille et la structure des populations et leur taux de renouvellement sont très fragmentaires, il n'est pas possible de fixer et faire respecter des niveaux optimaux d'exploitation soutenue. Parmi les espèces dont la situation est préoccupante dans l'immédiat, citons l'éléphant de forêt (Loxodonta africana) qui, bien qu'intégralement protégé par la loi, est considéré comme nuisible et pourchassé par les braconniers, et le jaco ou perroquet gris (Psittacus erithacus) qui est la principale espèce d'animaux vivants exportée. Certains fonctionnaires du Service de la faune, conscients de l'importance des exportations de ces oiseaux pour les recettes en devises du pays, préconisent l'interdiction temporaire de ce commerce, jusqu'à ce que l'on dispose d'informations suffisantes sur l'écologie des populations de perroquets pour fixer des contingents. Le gouvernement serait alors en mesure de formuler une politique rationnelle d'exploitation de cette ressource.

Aménagement de la faune en vue de son exploitation. Comme le principal obstacle à la conservation de la faune sauvage en Afrique de l'Ouest est la surexploitation aux fins de commerce de la viande de brousse, il importe d'orienter la recherche vers l'accroissement de la production de gibier. Deux solutions sont actuellement étudiées dans la région: domestication d'espèces sauvages particulièrement appréciees; et établissement de réserves pour la production de gibier et création de ranches à gibier pour une exploitation contrôlée. On espère que ces projets permettront d'accroître la production de viande de brousse et en fin de compte de diminuer la pression sur les populations sauvages. Ils doivent être encouragés et soutenus financièrement tant par les organisations internationales de conservation de la faune que par les organisations d'alimentation et d'agriculture qui se préoccupent de la conservation de la faune et de la sécurité alimentaire en Afrique de l'Ouest.

Le principal objectif des réserves de gibier du Ghana est la production de viande de brousse. On peut par conséquent autoriser dans ces réserves des utilisations des terres compatibles avec cet objectif. L'une d'elles, la réserve de Shai Hills (5 443,2 ha), est actuellement clôturée pour constituer un ranch à gibier où certaines espèces animales seront introduites. Au Burkina Faso, un projet pilote de ranching de gibier a été lancé en 1979, en vue de conserver la faune sauvage et son habitat tout en démontrant qu'on pouvait l'exploiter de manière soutenue au profit des populations locales (Spinage, 1983). Dans toutes ces zones, on manque d'information sur les effectifs animaux, la production primaire, l'utilisation de 'habitat par les animaux et la capacité de charge, et tout projet de production de gibier doit absolument comporter des recherchés organisées.

La domestication de l'aulacode (Thryonomys swinderianus), gros rongeur appartenant au sous-ordre des hystricomorphes, a été entreprise en 1966 au Ghana par E.O.A. Asibey, et cet animal est maintenant élevé en captivité. S.S. Ajayi a mené un projet analogue au Nigéria avec le rat géant de Gambie (Cricetomys gambianus); on n'a pas d'information sur l'état actuel de son élevage. Au Ghana, les éleveurs d'aulacodes se recrutent aussi bien parmi les citadins que parmi les ruraux, et à tous les niveaux de revenus. Les animaux sont enfermés dans des cages, des enclos ou des parcs et nourris principalement d'herbe, de canne à sucre et de manioc. Bien qu'ils ne soient pas difficiles à nourrir, l'alimentation pose des problèmes durant la saison sèche. En raison de la demande croissante des éleveurs, il est difficile de trouver des reproducteurs, et on doit actuellement faire en partie appel aux populations sauvages. Il a été mon ré qu'on pouvait sélectionner l'aulacode sur la taille des portées (Asibey, 1981). La recherche dans ce domaine devra porter principalement sur la sélection génétique, l'élevage de reproducteurs, l'alimentation, la mise au point d'aliments commerciaux et les effets du régime alimentaire sur le taux de reproduction. Les parasites externes de l'aulacode ont déjà été étudiés (Ntiamoa-Baidu, 1980); il reste à étudier les parasites internes et les relations hôte-parasite.

Lutte contre les animaux nuisibles. Il est urgent d'effectuer des recherches sur la lutte contre les animaux nuisibles en Afrique de l'Ouest pour déterminer l'importance des dégâts causés par chaque espèce et mettre au point des méthodes appropriées de lutte. Très souvent, les dégâts causés par les vertébrés sont bien inférieurs à ceux des invertébrés, que les agriculteurs tolèrent alors qu'ils accablent les inspecteurs de chasse de plaintes et de demandes de destruction des vertébrés «nuisibles» parce que la destruction de ces derniers leur fournit généralement un supplément de viande. Lorsque la lutte est nécessaire, il faut soigneusement évaluer les méthodes, en particulier les méthodes traditionnelles et leur amélioration éventuelle, au lieu d'adopter des méthodes perfectionnées en usage dans les pays développés mais souvent mal adaptées à l'Afrique.

Les chercheurs devraient, entre autres, s'efforcer de mettre au point des méthodes simples et à bon marché qui permettraient aux populations locales d'exploiter les oiseaux nuisibles pour se nourrir.

ADDAX DANS LE NORD DU TCHAD pour tous/es Africains de l'Ouest, la hune sauvage est synonyme de nourriture / T. RINEY

Comme le principal obstacle à la conservation de la faune sauvage en Afrique de l'Ouest est la surexploitation aux fins de commerce de la viande de brousse, il importe d'orienter la recherche vers l'accroissement de la production de gibier.

Chaque fois que l'on doit prendre des décisions sur la lutte contre des vertébrés nuisibles en Afrique de l'Ouest, il faut considérer sérieusement les faits suivants:

· les disponibilités de protéines dans la région sont insuffisantes;
· toutes les espèces d'animaux sauvages sont consommées;
· les animaux sauvages morts pour une raison non connue peuvent être consommés;
· les animaux détruits lors des opérations de lutte sont une précieuse source de protéines.

Au Ghana, la méthode traditionnelle de lutte contre les rongeurs s'attaquant aux cultures consiste à tendre des pièges dans les champs. Cette méthode exige certes beaucoup de temps et de travail; elle est donc difficile à appliquer sur les grandes exploitations agricoles, mais elle a l'avantage de fournir régulièrement des protéines à l'agriculteur et à sa famille. Au lieu d'étudier et d'améliorer les méthodes traditionnelles, on a adopté dans certaines grandes exploitations les produits chimiques pour combattre les rongeurs, ce qui, malgré des dépenses considérables, n'a pas permis de résoudre le problème. L'ampleur des dommages à l'environnement et des dangers pour la santé humaine qu'entraîne l'emploi de ces produits n'est pas connue, et il n'y a malheureusement pas de chercheurs sur place pour surveiller ces effets. En tout état de cause, ces programmes de lutte ont des résultats trop limités pour justifier les dépenses qu'ils entraînent.

A la suite d'une grave invasion d'oiseaux granivores dans des rizières irriguées de saison sèche au nord du Ghana, diverses méthodes de lutte ont été expérimentées, dont les techniques traditionnelles pour effaroucher les oiseaux, les dispositifs modernes tels que cerfvolant et épouvantail acoustique, la protection par nappes de filet et le changement des dates de plantation et de moisson (Ntiamoa-Baidu, en préparation). On a constaté que les espèces nuisibles migraient hors de la zone de riziculture et y retournaient peu après les premières pluies. La solution la plus intéressante pourrait être de semer le riz précocement, de façon que la maturation de la récolte ne coïncide pas avec la plus forte invasion d'oiseaux. L'emploi d'avicides a été écarté dès le début du projet en raison du coût, des dangers pour l'environnement et du fait que les oiseaux constituent une ressource alimentaire appréciée et peuvent fournir des protéines animales utiles à la population locale; cette dernière ne dispose en effet que de quantités insuffisantes de poisson provenant du lac de barrage qui alimente le périmètre d'irrigation, et parfois de viande de boeuf, de mouton et de poulet.

Plus de 80 000 oiseaux ont été capturés en six semaines dans les nappes de filet et, bien que l'incidence sur la population totale d'oiseaux de la zone ait sans doute été insignifiante, les agriculteurs ont ainsi été approvisionnés régulièrement en protéines animales durant cette période. A la fin de chaque journée, ils se rassemblaient pour recevoir leur part des prises du jour, partagées entre les groupes familiaux.

Les agriculteurs exploiteraient volontiers la ressource alimentaire représentée par les oiseaux s'ils avaient un moyen de capture pratique et peu coûteux. On utilise traditionnellement des lance-pierres à cette fin dans la région, mais avec des petits oiseaux tels que les Quelea le jeu n'en vaut pas la chandelle. Les chercheurs devraient, entre autres, s'efforcer de mettre au point des méthodes simples et à bon marché qui permettraient aux populations locales d'exploiter les oiseaux nuisibles pour se nourrir. Les nappes de filet sont coûteuses et, si les fonctionnaires du service de la faune ne surveillent pas strictement leur utilisation, elles peuvent constituer une menace réelle pour les espèces non nuisibles.

Tourisme. En Afrique de l'Ouest, le tourisme fondé sur la faune sauvage ne s'est pas développé comme en Afrique orientale et australe. Le potentiel existe, et les touristes enthousiastes pourraient faire de nouvelles expériences intéressantes dans des régions écartées. Une promotion active et des installations adéquates permettraient d'accroître les possibilités de la région. C'est heureusement un domaine qui a la faveur des responsables politiques en raison des rentrées de devises qu'il promet, et les responsables de la conservation de la faune devraient chercher à l'exploiter. Il faudrait que les recherches visent à évaluer le potentiel et les moyens existants pour le tourisme lié à la faune, et à déterminer les infrastructures requises pour son développement harmonieux.

Contraintes

La plupart des responsables officiels des pays d'Afrique de l'Ouest comprennent bien la nécessité de conserver la faune sauvage, mais lorsqu'ils sont confrontés à une foule de problèmes plus pressants tels que santé, éducation, alimentation et agriculture, en disposant de ressources financières limitées, ils sont contraints de ne lui accorder qu'une faible priorité. C'est pourquoi les conservateurs doivent adopter comme devise: «la conservation au service du développement» et s'efforcer de convaincre les pouvoirs publics de l'importance de la faune sauvage et du rôle que cette ressource rationnellement aménagée peut jouer pour améliorer le niveau de vie de la population et contribuer efficacement à l'économie nationale.

Outre les contraintes financières; il y a dans toute l'Afrique de l'Ouest pénurie aiguë de spécialistes de la faune. Au Ghana, par exemple, la Division de l'aménagement du Département du gibier et de la faune sauvage n'a que 11 spécialistes de niveau universitaire pour 55 postes. Les chercheurs sont encore plus rares: seulement 2 postes sur 18 sont pourvus à la Division de la recherche. Ce manque de personnel compétent ne tient pas seulement aux contraintes financières, mais aussi au système d'enseignement qui, jusqu'à une date récente, n'offrait aucune possibilité de formation en matière de faune.

La mentalité du grand public ouest-africain, qui considère que la faune sauvage doit être exploitée au maximum, fait obstacle à la mise en œuvre de politiques de conservation. Il faudrait lancer de grandes campagnes d'éducation du public pour lui rappeler l'importance et la valeur de la faune sauvage, et le convaincre de l'interdépendance des animaux et des plantes, et de la nécessité d'aménager la faune pour assurer la pérennité de son utilisation, aspect qu'il comprend le mieux.

Etant donné l'importance de la faune sauvage en Afrique de l'Ouest du point de vue nutritionnel, économique et culturel, la surexploitation doit faire place à des programmes d'aménagement rationnel en vue d'une production accrue et durable, fondée sur des bases scientifiques solides.

Références

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