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Les reboisements dans la zone tropicale d'Amérique latine: Un programme de recherche

J.L. Whitmore

J.L. Whitmore est membre du personnel forestier international du Service forestier de Etats-Unis à Washington, D.C. Il était auparavant président du Groupe de travail IUFRO su la sylviculture et les reboisements en Amérique latine et coordonnateur adjoint de la Division I de l'IUFFO.

MESURES DANS UNE PARCELLE DE RECHERCHE AU HONDURAS le succès exige une longue persévérance / FAO

Les superficies de forêts naturelles de la zone tropicale d'Amérique latine ne cessent de diminuer, de sorte qu'on fera de plus en plus appel au reboisement pour répondre à la demande croissante de bois d'œuvre et d'industrie et de combustibles ligneux. Dans cet article, l'auteur examine certains des obstacles que rencontre ce reboisement dans la région et présente 10 thèmes prioritaires de recherche pour aider à les surmonter.

· Les forêts naturelles de la zone néotropicale sont en voie de disparition, d'où une perte de ressources pour les pays qui fondent leur développement sur les matières premières qu'elles fournissent. Ce problème pourrait être en partie résolu par les plantations forestières. La recherche biologique, sociale et économique peut contribuer au succès de ces plantations et aussi au progrès national des pays en développement.

La zone néotropicale (tropiques du Nouveau Monde) correspond à la région Amérique latine/Antilles, à l'exception de la majeure partie du Mexique et des zones tempérées au sud du 23e parallèle. On trouve naturellement une très grande variété dans une région aussi vaste où l'altitude va de 0 à 5 000 m et la latitude de l'équateur à un peu plus de 23° N et S. Les précipitations annuelles varient de 25 mm à près de 10000 mm. Une brève esquisse des projets de reboisement dans la région donnera une idée de cette variété.

Projets de plantations en zone néotropicale

La côte nord du Pérou reçoit seulement 25 mm de précipitations par an en moyenne et se caractérise par la présence de dunes mobiles. L'agriculture n'est possible que dans les rares zones qui bénéficient d'un inféroflux provenant des glaciers des Andes ou le long des berges des torrents glaciaires qui traversent le désert côtier. Un projet agroforestier près de la ville de Piura utilise avec succès Prosopis et diverses cultures vivrières (Valdivia et Cueto, 1979). Non loin de Piura, mais à une altitude de 2 000 à 3000 m, la presque totalité de l'approvisionnement en bois de feu des vallées andines à population dense provient de plantations d'Eucalyptus globules, créées et gérées par les habitants pour la consommation locale.

A l'autre extrémité du bassin de l'Amazone, près de la ville brésilienne de Belém, se trouve le projet bien connu du Jari dont l'objectif est de remplacer la forêt dense naturelle par des plantations de pins, de Gmelina ou d'eucalyptus, selon les caractéristiques du sol. Près du Jari, se trouve un périmètre de reboisement peu connu bien que très réussi. Il renferme l'une des plus grandes plantations de Pinus caribaea au monde, établie sur une station de savane et non de forêt dense (MacDonald et Fernandes, 1984).

Des dizaines d'autres projets de reboisement, dont certains très prospères, font appel à ces essences et à bien d'autres. La plupart de ces projets, même parmi les meilleurs, pourraient tirer profit d'un supplément de recherche.

Cela nous amène à un point important. Il n'y a pas un «problème de la forêt tropicale» en Amérique latine, mais plutôt une série de problèmes liés aux ressources forestières, qui varient; d'un pays ou d'une région à l'autre. Certains sont d'ordre biologique et se rapportent à la génétique, aux insectes ou aux maladies; d'autres sont des problèmes sociaux ou économiques de régime foncier, d'incendies, de commercialisation, de législation, de colonisation et autres. Mais chaque problème doit être résolu individuellement. Les chercheurs venus de régions non tropicales ne doivent pas se laisser obnubiler par des termes généraux tels que sols tropicaux, forêts tropicales, utilisation des terres tropicales, s'ils veulent vraiment comprendre les problèmes spécifiques et pouvoir discuter intelligemment avec leurs confrères des zones tropicales.

Les pays en développement, dont la plupart se trouvent sous les tropiques, comptent sur leurs forêts pour appuyer leur développement économique.

La région néotropicale et ses problèmes

Parmi toutes les grandes régions tropicales du monde, la région néotropicale est la plus riche en forêts naturelles. Pourtant, elle renferme des zones qui connaissent de sérieux problèmes forestiers tout en offrant de grandes possibilités. Ces zones peuvent être divisées en catégories principales: zones à forte densité d'occupation des terres; zones relativement sèches où l'évapotranspiration potentiel le annuelle excède la pluviométrie; zones de pente avec des sols particulièrement sensibles à l'érosion. On peut encore distinguer les catégories suivantes: reboisements à échelle industrielle; forêts naturelles aménagées. Chacune de ces cinq catégories peut poser des problèmes ou ouvrir des possibilités. Nous étudions ici les quatre premières, mais chacune d'elles n'a d'importance que dans une zone géographique déterminée, et elles ne sont pas valables dans toutes les parties de la région néotropicale. La cinquième catégorie - forêts naturelles aménagées - est particulièrement importante mais sort du cadre de cet article (voir à la page 2 l'article de R. Schmidt - NDLH.)

De nombreuses zones de la région néotropicale sont inaccessibles, et les forêts y restent intactes. Il est courant de voir une forêt dense à 200 ou 300 km de villages qui ne disposent d'aucune ressource forestière. C'est dans de tels villages que des reboisements peuvent être le plus utiles, du fait qu'ils sont moins coûteux et moins destructifs que ne le serait la construction de routes pour leur donner accès aux forêts.

Les pays en développement, dont la plupart se trouvent sous les tropiques, comptent sur leurs forêts, s'ils ont la chance d'en posséder, pour appuyer leur développement économique. Si ce n'est pas le cas, ou si les forêts existantes sont insuffisantes, ils seront bien avisés d'étudier les avantages que leur offrent les plantations d'essences à croissance rapide. Fort heureusement, les praticiens et les chercheurs forestiers savent maintenant dans chaque cas: i) quel groupe d'essences est propre à réussir dans un ensemble donné de conditions; ii) quelles techniques sylvicoles sont susceptibles de répondre aux objectifs de l'aménagement; iii) comment s'y prendre avec la plupart des types de sols auxquels on peut avoir affaire dans les reboisements; iv) quelles essences répondent au mieux à tel ou tel type de besoins; v) quelles réalités socio-économiques conditionnent le succès ou l'échec. Les pays en développement eux-mêmes ont pour la plupart un fond de connaissances locales ou exotiques dans lequel ils peuvent puiser, et ils disposent de forestiers qualifiés, bien que ceux-ci soient généralement en nombre insuffisant pour réaliser les objectifs projetés ou nécessaires. Néanmoins, la tâche n'est pas aisée, et il y a de multiples obstacles à surmonter, par exemple:

· Absence de volonté nationale. Les responsables gouvernementaux considèrent rarement la forêts comme un élément du développement ou un domaine prioritaire. D'autres priorités (agriculture, mines, tourisme, etc.) disputent aux programmes forestiers les ressources limitées disponibles.

UN REBOISEMENT COMMUNAUTAIRE AU PÉROU apprendre à gérer / E. G. SANDSTROM

· Importance insuffisante donnée la forêt au plan international. Les organisations internationales doivent accorder une priorité plus élevée à la forêt, notamment en Amérique latine.

· Manque de personnel. La plupart des pays en développement ont trop peu de forestiers qualifiés, et ceux-ci sont souvent détournés de leur spécialité par des tâches administratives, ou n'ont pas accès aux textes décrivant les expériences de forestiers d'autres pays susceptibles de s'appliquer chez eux. L'instabilité du personnel est particulièrement néfaste dans le domaine des forêts où la réussite exige non pas des mois mais des années.

· Mécanismes de transfert de technologie insuffisants. Les doubles emplois peuvent être évités lorsque chercheurs et praticiens ont accès aux connaissances acquises ailleurs.

· Insuffisance de fonds. Le financement des projets est souvent difficile, notamment dans les pays qui ont du mal à équilibrer leur balance des paiements.

· Contraintes sociales et économiques. Souvent, dans le passé, des projets forestiers ont échoué parce que sur le plan économique ils n'étaient pas compétitifs vis-à-vis d'autres formes d'utilisation des terres, ou parce qu'ils ne tenaient pas compte des besoins et des désirs des populations locales. On a négligé les effets négatifs des reboisements, et les forestiers ont mis longtemps à les comprendre, bien qu'il y ait depuis peu un progrès à cet égard.

· Manque de recherche. Le coût de la recherche, en temps et en argent, ou simplement la difficulté de répondre à certaines questions importantes constituent un autre obstacle potentiel à la réussite des reboisements, bien que ce ne soit souvent pas l'obstacle principal.

Besoins de recherche en matière de reboisements dans la région néotropicale

Lorsqu'on examine la liste des problèmes que posent les forêts dans les régions tropicales d'Amérique latine, on s'aperçoit que certains sont communs à plusieurs zones. A partir de là, on peut établir une liste des besoins et priorités de recherche concernant les reboisements en zone néotropicale, à savoir:

i) Techniques propres à restaurer la productivité des stations dégradées, par reconstitution naturelle du couvert végétal sur les terrains peu dégradés et plantations améliorantes sur les terrains très dégradés.

ii) Essais d'espèces et autres travaux d'amélioration sur les essences indigènes - notamment là où les essences exotiques ont échoué -, tels qu'essais de Polylepis spp. au-dessus de 3 500 m d'altitude et dans des régions où l'on a trop misé sur une seule essence, par exemple Eucalyptus globules dans les Andes.

iii) Essais et promotion d'essences à fins multiples, tant indigènes qu'exotiques, pour des reboisements communautaires destinés à répondre aux besoins de fourrage, d'alimentation humaine, de combustible et autres.

iv) Mise au point, perfectionnement et promotion de techniques d'agroforesterie industrielle utilisant tant les essences exotiques (pins, eucalyptus, teck et Acrocarpus spp.) que les essences indigènes.

v) Essai de méthodes propres à atténuer ou supprimer les aspects négatifs des reboisements industriels, comme dégradation des sols, diminution de la diversité biologique, impact sur les populations locales, variations des marchés, etc.

vi) Recherche sur la production de bois de feu à usage familial ou industriel.

vii) Etablissement de plantations à des fins de conservation, par exemple restauration de bassins versants, protection des terres et des cultures (y compris ressources en eau d'irrigation et brise-vent); et zones tampons autour des forêts naturelles.

viii) Techniques améliorées de récolte et d'utilisation des bois pour réduire le gaspillage et produire un plus grand volume utilisable à l'hectare.

ix) Mise au point de techniques permettant de réaliser à peu de frais les actions ci-dessus, selon le principe du rendement soutenu.

x) Etudes sociologiques visant à garantir: la satisfaction des besoins des villageois en priorité; la participation active de la population locale aux projets forestiers; et des mesures d'incitation efficaces.

D'autres recherches sont également nécessaires. Il faut poursuivre l'étude des relations mycorhiziennes, notamment dans le cas de plantations améliorantes sur des sols très dégradés. Il convient également de continuer les travaux sur le cycle des éléments nutritifs, en particulier dans le cas de révolutions multiples (alternance des essences) et de traitement en taillis. La protection des plantations contre les feux, les insectes (en particulier les fourmis), les maladies, les adventices et les déprédations humaines est un important domaine de recherche. Il faut effectuer une comparaison socio-économique entre essences de grande valeur à longue révolution et essences de moindre valeur à croissance plus rapide, et entre production orientée vers l'exportation et production orientée vers la consommation locale (y compris avantages respectifs du troc international et des exportations contre des devises fortes). Il convient de pratiquer une sylviculture intensive sans conséquences négatives irréversibles pour le milieu, et avoir connaissance des résultats négatifs de la recherche aussi bien que de ses succès.

Sans être exhaustive, la liste ci-dessus englobe les questions les plus importantes concernant les forêts néotropicales qui exigent des recherches., Cependant, il est urgent de protéger certaines zones de forêt naturelle sous forme de parcs nationaux ou de réserves de biosphère, mais, selon l'auteur, c'est là une affaire d'aménagement et non de recherche. Il convient de bien reconnaître la ligne ténue qui sépare aménagement et recherche. Les praticiens considèrent la recherche comme un élément nécessaire du processus d'aménagement, quelque chose comme un détecteur de pannes ou une clef pour résoudre les problèmes. Il est rarement nécessaire de différer l'aménagement pour attendre les résultats de la recherche. L'aménagement est un processus continu que l'on perfectionne en fonction des résultats de recherche à mesure qu'ils sont disponibles. La recherche est souvent en avance sur l'aménagement, ce qui signifie qu'il faut un travail de vulgarisation pour faire entrer les résultats dans l'aménagement mais aussi que le manque de recherche n'est pas un obstacle à une bonne pratique.

Dans les cas où la recherche est effectivement en retard, les chercheurs doivent s'attacher à définir convenablement le problème et son urgence, pour permettre aux gestionnaires d'améliorer rapidement leurs pratiques. Le temps étant toujours une limitation majeure, la recherche doit être planifiée judicieusement pour obtenir la bonne réponse à la bonne question.

Quatre autres facteurs sont nécessaires pour que la recherche progresse. Leur absence freine actuellement la recherche forestière en Amérique tropicale. Ces facteurs sont les suivants:

· Application correcte des méthodes statistiques et expérimentales.

· Traitement automatique des données peu coûteux.

· Coopération entre forestiers et agronomes pour chercher à accroître la productivité des terrains marginaux et la rentabilité de la sylviculture paysanne.

· Mécanisme international du type GCRAI (Groupe consultatif de la recherche agricole internationale), et réseau coopératif d'institutions et de personnel locaux de recherche forestière.

Répondre aux besoins de recherche

La coopération internationale alliée aux efforts nationaux dans l'esprit du GCRAI a eu une incidence marquante sur la production vivrière. Un effort analogue de la part des forestiers et autres spécialistes aiderait à répondre aux besoins des chercheurs forestiers de la région néotropicale et des autres régions tropicales. La mise en place d'un tel cadre institutionnel créerait un réseau plus officiel, mais restant dans le style de l'Union internationale des instituts de recherches forestières (IUFRO), dont l'une des fonctions principales serait le transfert d'information. Des réseaux de ce type fonctionnent déjà à plus petite échelle, tels que ceux basés au Centre agronomique tropical de recherche et d'enseignement (CATIE) au Costa Rica et à l'Oxford Forestry Institute du Royaume-Uni. Si l'IUFRO, la FAO, la Banque mondiale, les organismes nationaux de développement et le secteur privé (par exemple Swedish Match Co., PICOP, Aracruz, etc.) unissaient leurs efforts à l'échelle mondiale, les chercheurs forestiers de la région néotropicale disposeraient de moyens bien supérieurs pour résoudre leurs problèmes de recherche.

INVASION DE FOURMIS COUPE-FEUILLES DANS UNE PLANTATION DE PINS la recherche peut-elle résoudre ce problème? / R. SCHMIDT

Un tel réseau contribuerait à faire ressortir clairement un certain nombre de points:

· Dans certains cas, un supplément de recherche n'est pas nécessaire.

· La recherche nécessaire en Amérique tropicale doit être menée par des chercheurs d'Amérique tropicale. Un financement ou une coopération de l'extérieur pourront servir de catalyseur, mais la responsabilité de la recherche incombe à l'Amérique tropicale. Il y a heureusement de nombreux chercheurs forestiers hautement qualifiés dans la région, mais ils doivent souvent travailler dans des conditions qui limitent sérieusement leur efficacité.

· Il faut mettre sur pied des réseaux de vulgarisation pour faciliter la mise en œuvre des résultats de la recherche et permettre aux chercheurs de discerner quelles sont les questions essentielles du point de vue des utilisateurs.

· L'IUFRO pourrait jouer un rôle important pour aider à résoudre les problèmes de recherche concernant les reboisements dans la région néotropicale. Les initiatives récentes du coordonnateur spécial pour les pays en développement et celles des groupes de travail qui sont étroitement associés aux chercheurs des pays en développement ouvrent la voie à cet égard.

Conclusions

Cet article permet de formuler les conclusions suivantes:

· Les problèmes forestiers de l'Amérique tropicale sont très variés; certains exigent un surcroît de recherche pour être résolus, d'autres non. Le régime foncier, le manque d'incitations et l'absence de volonté nationale sont généralement des problèmes étrangers à la recherche.

· Un certain nombre de problèmes d'ordre génétique concernant les reboisements se posent dans la région, mais étant donné la grande diversité de conditions écologiques, de mentalités et de coutumes, d'objectifs et de réalités économiques, chaque problème doit être défini dans son propre contexte.

· La recherche doit adopter une approche intégrée plutôt que l'optique étroite de production ligneuse qui est plus habituelle. Les objectifs doivent être définis compte tenu des besoins des utilisateurs finals et des populations rurales.

· La contribution des reboisements à l'économie peut être importante dans les cas suivants: zones à forte densité d'occupation des terres; zones sèches où l'évapotranspiration potentielle dépasse la pluviométrie annuelle; zones de pentes à sols particulièrement exposés à l'érosion; stations sur lesquelles des plantations industrielles devraient bien réussir.

· L'état actuel des connaissances permet de réussir les reboisements dans de nombreuses situations. Dans ce cas, un surcroît de recherche ne peut qu'améliorer encore les choses, mais la plantation doit se poursuivre parallèlement à la recherche plutôt que d'en attendre les résultats.

· Là où les plantations échouent, ou ne sont pas entreprises en dépit des besoins, le manque de recherche n'est souvent qu'un des facteurs limitatifs qui jouent.

· Un réseau mondial de praticiens et de chercheurs spécialistes des reboisements contribuerait à surmonter les obstacles qui s'opposent à la réussite des plantations.

Références

MCDONALD, L. & FERNANDES I. AMCEL. J. 1984 Forest., 82 (11): 668-670.

VALDIVIA, S. & CUETO, L. 1979 Settlement and rural development in the eriazas zones of the north coast Of Peru. In G. De Las Salas, éd. Proc. Workshop on Agroforestry, Systems in Latin America, Turrialba, Costa Rica. CATIE et UNU. p. 163-169 26-30 mars 1979.


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