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Les stratégies modernes d'équipement hydraulique des campagnes

Plus récemment, se sont développées diverses stratégies modernes de lutte antiérosive orientées essentiellement vers l'amélioration foncière, l'exécution de travaux structurant le paysage (terrassements) et l'équipement hydraulique agricole. La priorité a été accordée à la réalisation de dispositifs mécaniques de gestion des eaux.

La restauration des terrains en montagne (RTM) s'est développée en France à partir de 1850, puis dans les montagnes d'Europe où, pour protéger les plaines fertiles et les voies de communication des dégâts des torrents, les services forestiers ont racheté les terres dégradées en montagne, reconstitué la couverture végétale et corrigé les torrents par des techniques de génie civil et biologique. Il fallait faire face à une crise où les petits paysans montagnards ne pouvaient survivre sans mener leur troupeau sur les terres communales qu'ils ont fini par dégrader des suites du surpâturage (Lilin, 1986).

La conservation de l'eau et des sols (CES) cultivés a été organisée aux Etats Unis d'Amérique depuis 1930 par des agronomes. L'extension rapide des cultures industrielles peu couvrantes comme le coton, l'arachide, le tabac ou le maïs dans la Grande Plaine, a déclenché une érosion catastrophique par le vent (dust bowl = ciel noir en plein jour) et par l'eau. En 1930, en pleine crise économique, 20 % des terres cultivables étaient dégradées par l'érosion. Sous la pression de l'opinion publique, l'Etat a dû réagir. Sous l'impulsion de Bennet (1939) s'est constitué un service de conservation de l'eau et des sols, présent dans chaque canton, pour conseiller et aider les fermiers qui demandent un appui technique et financier pour aménager leurs terres; les services centraux (agronomes et hydrologues) effectuent les études et les projets.

Sur le plan de l'approche du problème de la lutte antiérosive, deux écoles s'affrontent encore aujourd'hui:

- L'une, à la suite de Bennet observe que c'est le ravinement qui provoque les transports solides les plus spectaculaires: or, le ravinement provient de l'énergie du ruissellement qui est fonction de sa masse et de sa vitesse au carré (E. Ruiss. = 1/2 MV2). La lutte antiérosive s'organise donc autour des moyens mécaniques de réduction de la seule vitesse du ruissellement et de sa force érosive (banquette de diversion, seuils et exutoires enherbés) sans réduire la masse de ruissellement aux champs.

- L'autre école, à la suite des travaux de Ellison (1944) sur les processus de battance des gouttes de pluie et des équipes de Wischmeier (1960), rappelle que le ruissellement se développe après la dégradation de la structure de la surface du sol par l'énergie des gouttes de pluie. La lutte antiérosive s'organise cette fois sur les champs autour du couvert végétal, des techniques culturales et d'un minimum de structures dans le paysage.

Ces deux concepts ont été identifiés en France sur les terres de grande culture:

• l'un sur limons battants, surtout en hiver (sol fermé peu couvert),
• l'autre sur ces même terres, lors des orages au printemps, sur lits de semence et surtout sur des sols sableux (dans la Sarthe ou le Sud Ouest de la France).

A partir d'une analyse de fonctionnement de l'érosion et du ruissellement (causé par la saturation du milieu ou par l'état de surface battant), on arrive à évaluer le poids relatif des érosions aréolaires et linéaires et d'en déterminer les conséquences en terme de stratégie de lutte antiérosive (communication de Lilin, 1991).

La défense et restauration des sols (DRS) [planches photographiques 8 et 9] s'est développée en Algérie, puis autour du bassin méditerranéen vers les années 1940-60, pour faire face à de graves problèmes de sédimentation dans les retenues artificielles et de dégradation des routes et des terres. Il s'agissait avant tout de mettre en défens les terres dégradées par le surpâturage et le défrichement, et de restaurer leur potentiel d'infiltration par l'arbre, considéré comme le moyen le plus sûr d'améliorer le sol. D'énormes moyens mécaniques et une main-d'oeuvre locale abondante ont été mis en oeuvre pour capter le ruissellement en nappe dans les terres cultivées (diverses banquettes, levées de Monjauze, etc...) pour reforester les terres dégradées et pour structurer des zones d'agriculture intensive (Plantie, 1961; Putod, 1960; Monjauze, 1964; Greco, 1978).

La préoccupation des forestiers était d'abord, de régénérer l'agriculture, et cela s'est fait dans le cadre de la "Rénovation Rurale" (Monjauze, 1964). Pour les forestiers, le concept DRS, de conservation ou de restauration des sols, était plus important que dans le cadre de la RTM.

Mais, cette opération s'est déroulée dans un contexte politique autoritaire (guerre d'Algérie) et la finalité sociale de lutte contre le chômage est devenue rapidement prioritaire (creusement de fossés) pendant que les autres moyens étaient bloqués par la situation politique (communication de Mura, 1991).

Toutes ces démarches n'ont pas été totalement inutiles, comme le laissent entendre certaines critiques, car sans elles, la dégradation des paysages serait sans doute pire encore. Cependant, on s'est mis à douter sérieusement du bien-fondé de la démarche de CES lorsqu'une enquête américaine a révélé que, finalement, l'érosion n'avait guère modifié la productivité des terres profondes. Dans bien des cas, on a prouvé que les sols étaient une ressource renouvelable, mais que leur restauration a un prix souvent incompatible avec la pression économique. Sous la pression démographique et la pression foncière, on connaît cependant des exemples au Burkina Faso, au Rwanda comme en Haïti, où des terres dégradées ont été restaurées en un temps record (un an).


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