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La gestion conservatoire de l'eau, de la biomasse et de la fertilité des sols (GCES)

[planches photographiques 24 et 25]

Depuis 1975-80, de nombreuses critiques de chercheurs, de socio-économistes et d'agronomes se sont élevées pour constater l'échec fréquent des démarches d'aménagement hydraulique menées trop rapidement sans tenir compte de l'avis des populations (Lovejoy et Napier, 1986).

Aux Etats Unis, malgré 50 ans de travaux remarquables des services de CES et des millions de dollars investis chaque année, 25 % des terres cultivées perdent encore plus de 12 t/ha/an, limite de tolérance sur les sols profonds. Si on n'a plus enregistré de vent de sable aussi catastrophique que dans les années 30, la pollution et l'envasement des barrages continuent de poser de graves problèmes. Pour améliorer l'efficacité de la démarche purement volontariste des paysans souhaitant protéger la productivité de leurs terres, l'Etat a promulgué des lois (sur la mise en culture des prairies, des marais et des terres fragiles), contraignant l'agriculteur à respecter des règles d'aménagements conservatoires, faute de quoi, il perd ses droits à tous les encouragements financiers destinés à soutenir l'agriculture américaine.

Au Maghreb et en Afrique de l'Ouest, les paysans préfèrent souvent abandonner les terres aménagées par l'Etat plutôt que d'entretenir des moyens de protection dont ils ignorent l'objectif (et la propriété) (Heusch, 1986).

Les raisons évoquées de ces échecs partiels sont multiples (Marchal, 1979; Lefay, 1986, Reij et al., 1986):

- choix de techniques peu adaptées au sol, au climat, à la pente;
- mauvaise planification ou réalisation peu soignée ou absence de suivi et d'entretien;
- absence de préparation des bénéficiaires et rejet du projet à cause d'une perte de surface non compensée par l'augmentation des rendements;
- désorganisation des unités de production (parcelles morcelées et isolées).

UNE STRATEGIE FONDEE SUR LE DEVELOPPEMENT AGRICOLE

Devant ces échecs, il fallait développer une nouvelle stratégie qui prenne mieux en compte les besoins des gestionnaires des terres, tant paysans qu'éleveurs, en proposant des méthodes qui améliorent à la fois la capacité d'infiltration du sol, sa fertilisation et les rendements, ou mieux, la marge bénéficiaire des paysans (Roose 1987). Cette méthode a été appelée "Land Husbandry" par Shaxson, Hudson, Sanders, Roose et Moldenhauer en 1988, et "La gestion conservatoire de l'eau, de la biomasse et de la fertilité des sols" par Roose en 1987.

La GCES prend pour point de départ, la façon dont les paysans ressentent les problèmes de dégradation des sols et comporte trois phases:

Des dialogues préparatoires entre paysans, chercheurs et services techniques. Cette phase comprend deux enquêtes pour localiser les problèmes, évaluer leur importance, leurs causes et les facteurs sur lesquels on va pouvoir jouer pour réduire le ruissellement et l'érosion. Elle comporte aussi des "tours de terroir" avec la communauté villageoise pour développer leur sens de la responsabilité communautaire et découvrir la façon dont ils ressentent les problèmes de dégradation et les stratégies qu'ils mettent déjà en oeuvre pour améliorer l'usage de l'eau, entretenir la fertilité des sols, renouveler la couverture végétale et maîtriser la divagation du bétail. L'enquête porte aussi sur les contraintes socio-économiques, facteurs limitants, statut foncier, crédit, formation et disponibilité en main d'oeuvre.

Des expérimentations sur les champs sont mises en place chez les paysans pour quantifier et comparer les risques de ruissellement ou d'érosion et les gains de rendement sous différents types de mise en valeur ou de technique culturale améliorée. Il s'agit d'établir un référentiel et de vérifier la faisabilité, la rentabilité et l'efficacité des méthodes antiérosives préconisées: l'évaluation doit être faite conjointement par les paysans et les techniciens.

3° Enfin, un plan d'aménagement global doit être défini après 1 à 5 ans de dialogue pour intensifier rationnellement l'exploitation des terres productives, pour structurer le paysage et pour fixer les ravines, stabiliser les terres en privilégiant les méthodes biologiques simples et maîtrisables par les paysans eux-mêmes. Rien ne peut se faire sans l'accord préalable des paysans amenés à gérer l'ensemble de leur terroir.

En fonction des conditions socio-économiques locales (gros propriétaires à la pointe du progrès ou petits paysans luttant pour leur survie), les solutions seront bien différentes, même si le milieu physique est le même. Là, se trouve une différence majeure des approches développées jusqu'ici: la diversité des solutions en fonction des conditions humaines.

DE LA CONSERVATION DES SOLS A LA GESTION DE LA BIOMASSE ET DE LA FERTILITE DES SOLS

Récemment, il est apparu clairement que la conservation des sols qui se limite à réduire le tonnage de terre emportée par l'érosion ne pouvait satisfaire les paysans des régions tropicales.

En effet, les spécialistes ont proclamé longtemps qu'il faut conserver les sols pour maintenir la productivité des terres, "protéger le patrimoine foncier pour les générations futures" - (titre de la cinquième Conférence ISCO à Bangkok, 1988). C'est un devoir social et un investissement à long terme !

Les paysans (plus ou moins forcés) ont accepté de déployer des efforts considérables pour aménager leurs terres contre l'érosion, mais ils ont été déçus de constater que la terre continuait à se dégrader et les rendements des cultures à décroître. Les structures antiérosives imposées (fossés, banquettes de diversion, diguettes) ont souvent réduit la surface cultivable (de 3 à 20 %) sans pour autant améliorer la productivité des parcelles "protégées". Si on veut motiver les paysans, conserver les sols en place ne suffit pas: il faut gérer l'eau et restaurer simultanément la fertilité des sols pour augmenter significativement les rendements de ces sols tropicaux déjà très pauvres pour la plupart (en particulier les sols ferrallitiques et ferrugineux tropicaux, sableux en surface).

La GCES doit être rentable immédiatement: le défi est de doubler la production en 10 ans pour rattraper la croissance démographique. La CES est indispensable pour arrêter les pertes d'eau et de nutriments gaspillés par l'érosion et pour maintenir la capacité de stockage du sol. Mais la CES est insuffisante car le paysan a besoin d'être payé immédiatement de son effort pour protéger sa terre. Ceci est possible, tout au moins pour les sols suffisamment profonds, si on entreprend à la fois l'amélioration de la gestion des nutriments et des eaux de surface (drainage en cas d'engorgement, sous-solage des croûtes calcaires ou des horizons tassés, labour grossier ou paillage si la surface s'encroûte).

En milieu traditionnel, c'est la jachère longue qui rétablit à la fois un bon état structural du sol, des teneurs suffisantes en matières organiques et la disponibilité en éléments nutritifs pour les plantes. Le brûlis peut remonter le pH de un ou deux points et supprimer la toxicité aluminique, surtout en zone humide. Mais, avec la croissance démographique et l'augmentation des besoins, la durée de la jachère a tant diminué qu'elle n'arrive plus à restituer la fertilité du sol. La mécanisation des techniques culturales a permis l'extension des surfaces cultivées plus que la croissance des rendements (Pieri, 1989). Dans de nombreuses régions, toutes les terres cultivables ont déjà été défrichées: il faut maintenant intensifier la productivité du capital foncier.

Dans un premier temps, l'intensification a été comprise par les paysans comme la réduction du temps de la jachère et l'extension des cultures à toutes les terres cultivables: les rendements moyens (600 kg/ha) se sont maintenus grâce au défrichement de nouvelles terres.

Dans un deuxième temps, l'encadrement rural a proposé le labour en culture attelée, les semences sélectionnées (en station) et traitées contre les maladies. La fertilisation minérale "vulgarisée" est restée très modeste (moins de 100 kg/ha de NPKCa). Les rendements sont passés de 600 à 1100 kg/ha (céréales, arachide, coton), mais le bilan des matières organiques et des nutriments étant négatif, les sols se sont rapidement dégradés... ainsi que les rendements. On a cherché alors à améliorer la jachère et la production fourragère.

Enfin, des sociétés de développement ont proposé des systèmes de culture intensifs: coton et maïs en zone soudanienne ou arachide-mil en zones plus arides et plus sableuses. Ces systèmes combinent des apports plus importants d'engrais minéraux (plus de 200 kg/ha sur la culture de rente), le travail du sol (labour avec retournement et sarclage buttage), la traction bovine (qui suppose le démarrage d'une production fourragère et de fumier à l'échelle de chaque exploitation), des rotations où la jachère est exclue pendant 10 ans ou réduite à une culture fourragère (souvent légumineuse), des variétés sélectionnées répondant bien aux engrais, à l'usage régulier de pesticides et d'herbicides.

Les résultats furent encourageants, mais très variables en fonction des conditions pluviométriques, des types de sol et des conditions socio-économiques (Pieri, 1989). Les rendements des cultures ont été multipliés par 2 à 4 (1 500 à 2 500 kg/ha) et jusqu'à dix en station sur sols profonds à texture équilibrée. Mais au bout de 5 à 10 ans, l'amélioration du rendement par les engrais minéraux a diminué de 10 % par an. Le bilan des matières organiques du sol sous culture à fertilisation purement minérale reste déficitaire. En zone de savane, le stock d'humus du sol décroît de 2 % l'an sur les sols limono-sableux, de 4 % sur les sols très sableux (A + L < 10 %) et jusqu'à 7 % si l'érosion et/ou le drainage sont importants.

L'enfouissement des résidus de culture - ou ce qu'il en reste au début de la saison des pluies (moins de 10 %) - ne suffit pas, d'autant plus que ces résidus sont valorisés ailleurs par le bétail ou l'artisanat. L'enfouissement de pailles grossières (C/N < 40 d'où une faim d'azote) ou d'engrais vert "excite", l'activité microbienne pendant quelques mois et accélère en définitive la minéralisation des réserves d'humus stable. Seul, l'apport de fumier ou de compost bien décomposé (C/N < 15) (3 à 10 t/ha/an) et complété d'un appoint minéral indispensable pour corriger les carences du sol, semble maintenir la productivité des terres: il maintient le taux de matières organiques du sol (donc la structure et le stockage de l'eau et des nutriments), évite l'acidification, favorise l'enracinement profond et les activités biologiques (micro et mésofaune) (Chopart, 1980).

L'érosion, le mauvais travail du sol (pulvérulent ou trop tardif) et l'apport d'engrais azotés, accélèrent l'épuisement du stock de matières organiques du sol. Par contre, la rotation entre divers types de culture, la fumure minérale complète, le travail du sol laissant une surface rugueuse, le travail minimum du sol sur la ligne de semis combiné à une litière de résidus sur la surface du champ, les jachères produisant une grande biomasse racinaire (Andropogon, Pennisetum ou légumineuses cultivées) retardent l'épuisement des matières organiques du sol.

Or, en zone tropicale sur les sols ferrallitiques et ferrugineux tropicaux à argile kaolinitique, les matières organiques du sol jouent un rôle majeur dans la protection de la structure du sol et de la capacité de stockage de l'eau et des nutriments. L'argile kaolinite n'ayant qu'une capacité d'échange de cation de 14 milliéquivalents par 100 grammes, n'apporte que 1 à 2 méq dans les horizons colonisés par les racines (A + L £ 20 %): l'humus par contre, peut fixer jusqu'à 250 méq par 100 g.

Bien que les rendements des cultures ne soient pas directement liés aux taux de matière organique du sol, si on dépasse certains seuils (Mo/[A + L] < 0,07), la structure s'effondre, le ruissellement et l'érosion s'accélèrent, l'enracinement est moins efficace car le sol se tasse, les nutriments sont moins accessibles. Un sol dégradé rentabilise moins bien les engrais car l'eau est moins disponible dans un sol compact (Pieri et Moreau, 1987).

On a cru un moment que grâce aux apports minéraux massifs comprenant la dose de correction des carences du sol (investissement tous les 4 à 10 ans) et la dose d'entretien (exportation par les récoltes), on allait résoudre tous les problèmes: augmenter les rendements et la biomasse disponible pour améliorer le taux de matière organique du sol. On avait oublié les risques d'acidification par l'azote et les autres engrais acides (sulfates et chlorures), les pertes par érosion et drainage, et surtout, la minéralisation rapide des matières organiques, accélérée encore dans les sols travaillés. Même si cet apport massif d'engrais est possible sur le plan technique, il n'est pas toujours rentable. Par exemple, on a montré qu'en bananeraie intensivement irriguée en basse Côte d'Ivoire sur des sols ferrallitiques très désaturés, on a perdu par érosion et surtout par lixiviation, 9 % du phosphore (P), 100 % de la chaux et du magnésium (1 tonne de dolomie) et 60 % de l'azote et du potassium (au moins 300 unités) pourtant répartis en dix doses annuelles autour de chaque pied (Roose et Godefroy, 1967 à 75). On a également constaté une tendance à l'acidification des sols sableux, en cas d'abus d'engrais azotés, de sulfate et de chlorure (Boyer, 1970).

Un nouveau virage s'est effectué lorsque les économistes de la Banque Mondiale ont exigé la vérité des prix des engrais pour réduire le gaspillage ! Les subventions aux engrais étaient destinées à réduire les coûts énormes du transport. Les supprimer, c'était interdire l'accès de cette technologie moderne aux petits paysans dispersés dans des milliers de villages. C'était supprimer une possibilité de valoriser leur travail. Il a donc fallu retourner aux ressources régionales (calcaires et phosphates naturels concassés) et aux ressources locales (la biomasse plus ou moins transformée). Cependant, on s'est bien vite rendu compte qu'on courrait vers un déséquilibre fatal entre les apports de nutriments, les fuites par érosion ou drainage, et les pertes par exportation des cultures (Breeman, 1991).

Les jachères forestières sont capables de puiser en profondeur des éléments nutritifs (issus de l'altération des minéraux, de la récupération des solutions drainant au-delà des racines des cultures) et de les recycler à la surface du sol (8 à 15 t/ha/an d'apport de litière). Il faut 8 à 20 ans dans la zone forestière subéquatoriale, 15 à 30 ans en zone forestière soudanienne et 30 à plus de 50 ans en zone sahélienne, pour reconstituer les sols. Par contre, la dégradation de l'horizon de surface est beaucoup plus rapide. En l'espace de 2 à 6 ans de cultures intensives, les réserves nutritives sont épuisées et en 15 à 20 ans, le milieu poral est dégradé et l'érosion sélective ne laisse en place qu'un horizon de sable. De plus, si le sol est carencé parce que la roche mère est pauvre en cet élément, la végétation le sera aussi, la litière et l'humus également, et l'on ne pourra échapper à un apport minéral complémentaire.

En savane, où la biomasse provient en grande partie d'herbes qui brûlent chaque année, la fertilité est concentrée par les animaux qui récoltent la biomasse dispersée sur les parcours (souvent des terres très pauvres impropres à la culture) et la restituent dans le parc de nuit sous forme de fumier. En réalité, il n'y a pas de fumier véritable (fermentation à 80°C qui tue les graines), mais de la "poudrette", déjections séchées au soleil et réduites en poudre par le piétinement des animaux maintenus dans un parc sans litière. Ce mélange de terre boueuse et de matières organiques mal décomposées contient beaucoup de graines d'adventices et d'arbustes fourragers prêtes à germer. Cette matière peu organique a perdu malheureusement beaucoup d'azote, par gazéification au soleil puisqu'il manque de paille pour piéger l'azote et former de l'humus. On pourrait aisément améliorer la production de fumier en quantité et qualité en adoptant une forme plus ou moins poussée de stabulation des animaux sur une litière de paille (récupération des déjections liquides et diminution des pertes par drainage), à l'ombre d'un toit rudimentaire en attendant de disposer de la canopée des arbres. Le rôle des arbres, dans l'aménagement d'une fumière-compostière, est de créer une ambiance plus tempérée, de protéger la biomasse en fermentation des rayons directs du soleil, de réduire l'évaporation (donc les besoins en eau), de récupérer une partie de ces pertes de nutriments dans les eaux de drainage, et de produire une litière plus riche en éléments nutritifs que les pailles des graminées [planches photographiques 30 et 31].

Mais les apports de fumier par le bétail ont une limite. En système extensif, une vache donne 0,6 t/ha/an de poudrette, alors qu'il faut 3 t/ha/an de fumier pour entretenir le niveau de carbone du sol au-dessus du seuil critique. Il faut donc 5 vaches pour produire 3 tonnes et entretenir un hectare de cultures. Or, il faut 4 hectares de parcours extensif pour nourrir une vache: il faut donc 20 hectares de parcours extensif pour entretenir par la fumure organique un hectare de terre cultivée. On peut améliorer ces performances en élevage intensif. D'une part, en constatant qu'avec les résidus de la culture d'un hectare on peut entretenir une vache, ensuite qu'on peut produire jusqu'à 1,5 t de fumier par vache si on la maintient sur une litière pendant la nuit et les heures chaudes de la journée. Enfin, avec un hectare de culture fourragère intensive, on peut entretenir les deux vaches nécessaires pour produire les trois tonnes de fumier.

Mais, du point de vue du sol, la restitution par le fumier des nutriments compris dans la biomasse digérée par les animaux n'est que de 30 % à 40 %. En effet, toute transformation a un rendement. Les meilleurs animaux fixent jusqu'à 70 % des nutriments contenus dans leur nourriture pour former des os (Ca + P), des protéines (N-P-S, magnésium et divers oligoéléments) qui seront en majorité perdus pour le sol. Il serait bon de ramener au sol les poudres d'os, de sang, de cornes, de sabots et autres produits animaux non utilisés ailleurs. On constate en réalité, dans les systèmes intensifs du Rwanda, où la densité de population dépasse 250 habitants/km2 , que la fumure organique ne permet d'entretenir qu'un tiers de l'exploitation (souvent moins d'un hectare pour nourrir 4 à 10 personnes), le reste du terrain étant réservé à des cultures très peu exigeantes, comme le manioc et les patates douces. L'élevage de petit bétail sur les terres communales et les chemins, est souvent le seul moyen pour les petits paysans, de survivre, d'amasser un petit capital pour parer aux besoins urgents de la vie (maladies, accidents) et aux relations sociales (mariages ou funérailles, etc...) (Roose et al., 1992).

Le compostage est une filière encore plus longue pour transformer la biomasse (6 à 18 mois) et dont les rendements sont aussi faibles que pour le fumier. C'est pourtant une pratique valable pour ceux qui ne possèdent pas d'élevage (les paysans les plus pauvres) ou qui disposent de grandes quantités de déchets industriels (parche de café, drèches de brasserie, ou gadoues de ville, etc...). L'obstacle majeur est le travail nécessaire à la réalisation d'un bon compost. On a essayé de creuser des compostières au champ pour éviter le double transport des pailles et résidus de culture, mais la plupart sont restées vides et le compost est de mauvaise qualité. Les seules fosses efficaces sont les "compostières-fumières-poubelles", fosses proches de l'habitat, où sont entassés tous les résidus disponibles en même temps que les cendres et les déchets du foyer. Pour que le mélange fermente avec moins de perte, on préconise des petites fosses (4 x 2 m) plantées d'arbres qui fournissent l'ombrage, une ambiance fraîche et humide, de la biomasse riche en minéraux et dont les racines récupèrent les solutions lessivées du tas de compost par les eaux de drainage. Comme on ne peut produire qu'un maximum de 5 t/ha/an et par famille, soit (0,2 à 0,5 ha fumé par exploitation), il faut encore trouver des solutions complémentaires pour fumer l'ensemble de l'exploitation, mais c'est une bonne base pour démarrer les cultures maraîchères.

L'enfouissement des résidus et des adventices: on ignore souvent la masse des résidus de culture, de racines et surtout des adventices que les paysans enfouissent lors des labours et sarclages. C'est pourtant une filière courte (1 à 3 mois) qui permet un recyclage rapide des nutriments contenus dans la biomasse. Il existe d'ailleurs diverses méthodes traditionnelles où l'on ramasse en tas les adventices pour les faire sécher, puis on les recouvre d'une butte de terre que l'on plante aussitôt de patates douces. A la récolte de celles-ci, la terre riche en matière organique est répandue alentour. Ces enfouissements répétés dans l'année de matières organiques fraîches, permettent de maintenir un certain niveau de carbone organique dans le sol, mais leur action sur la fertilité du sol et sur sa résistance à l'érosion, est limitée. D'une part, les paysans exploitent de plus en plus cette biomasse pour l'élevage des animaux, puisque les jachères disparaissent. D'autre part, l'élévation de 1 % du taux de matières organiques du sol ne réduit que de 5 % l'érodibilité du sol (Wischmeier, Johnson et Cross, 1972). Or, il faut des apports considérables de matières organiques évoluées pour augmenter de 1 % le taux de carbone de 10 cm de sol (1 % de 1 500 tonnes de terre). L'enfouissement brutal de 15 tonnes de paille peu évoluée entraîne par ailleurs une faim d'azote (fixé par la masse microbienne) et réduit les rendements.

Le paillage épais (7 à 10 cm, ou 20 à 25 tonnes de paille par hectare) est une méthode très efficace pour réduire l'évaporation, la croissance des adventices, maintenir l'humidité du sol en saison sèche et arrêter l'érosion. C'est aussi une filière courte pour restituer la totalité de la biomasse et les nutriments qui la constituent (K Ca Mg, C, d'abord par lessivage, N et P à mesure de la minéralisation et de l'humification à travers la méso et la microfaune). La disparition de la litière est 30 % plus lente que lorsque la matière organique est enfouie par le labour. Les risques de carence en azote sont moins graves. Sous forêt, où les sols sont souvent les meilleurs, la litière n'est jamais enfouie par labour, mais par les vers de terre, les termites et autre mésofaune: les sols non dégradés sont tout à fait capables d'ingérer les matières organiques déposées à la surface. Sous caféiers et bananiers, le paillage a fait ses preuves: ce sont les parcelles les moins érodées, les moins dégradées des collines cultivées depuis longtemps. Malheureusement, on ne dispose pas d'une masse suffisante de résidus végétaux pour couvrir toutes les terres cultivées. Mais, un paillage léger (2 à 6 t/ha), répandu en début de saison des pluies, une fois le sol travaillé et semé, dissipe l'énergie des gouttes de pluie et celle du ruissellement et maintient plus longtemps une bonne infiltration en même temps qu'une bonne activité de la mésofaune. Même si le paillage ne couvre que 50 % de la surface du sol, il peut réduire de 80 % les risques d'érosion. Sur sol encroûté, il réduit bien l'érosion, moins le ruissellement. Mais de toutes façons, le paillage apporte des éléments nutritifs ainsi que des matières organiques fraîches à la surface du sol qui améliorent sa structure.

Aucune de ces méthodes de recyclage n'est parfaite. Elles doivent être combinées pour profiter de toutes les opportunités [planches photographiques 28 et 29].

L'agroforesterie [planches photographiques 18 et 19], et en particulier l'implantation de haies vives tous les 5 à 10 mètres, permet de produire une masse de fourrage et de paillage qui peuvent retourner au sol durant la culture. On utilise généralement des arbustes légumineuses ayant un enracinement profond et capables de produire entre 4 et 8 tonnes de matière organique sèche/ha/an (Balasubramanian et Sekayange, 1992; Ndayizigiyé, 1992; König, 1992). Mais, malgré tous ces apports de matière organique, il est nécessaire de prévoir un apport minéral complémentaire. D'une part pour amender le milieu, amener le pH au-dessus de 5 pour supprimer la toxicité aluminique et permettre aux légumineuses de se développer; d'autre part, pour compenser les carences du sol en fournissant directement à la plante les nutriments dont elle a besoin, où elle en a besoin et au moment où elle est capable de les stocker.

La correction directe des carences minérales du sol est souvent trop coûteuse et peu raisonnable tant que le système de stockage du sol n'est pas amélioré (matière organique et taux d'argile). On constate aussi dans bien des cas, une rétrogradation du phosphore en présence de fer et de calcaire, ou une rétrogradation du potassium si l'environnement comprend des argiles gonflantes (montmorillonites). Il existe aussi de nombreuses fuites dans les systèmes "sols" des zones tropicales humides. D'abord par érosion, ensuite par drainage, et enfin par gazéification. D'où les règles suivantes pour réduire les risques de lixiviation:

- . fractionner les doses d'engrais (1/3 au semis, 1/3 au tallage ou à la montaison, et 1/3
à l'épiaison),

- apporter les amendements calcaires après la période des fortes averses,

- calculer les doses en fonction de la capacité du sol et des plantes à les stocker, choisir les nutriments sous forme assimilable pour les plantes,

- augmenter la capacité de stockage du sol par apport de matière organique ou d'argile à haute capacité de fixation (smectite gonflante),

- disposer les engrais sur toute la zone couverte par les racines,

- supporter l'activité d'une certaine couverture d'adventices, quitte à les rabattre en temps opportun pour former une litière (ces herbages vont fixer temporairement les nutriments susceptibles d'être lixiviés),

- équilibrer les apports en fonction des besoins des plantes et de la disponibilité du stock du sol.

Si les essais de production de biomasse en vases de végétation (témoin + NPK + NP + PK + NK) permettent de déceler l'importance relative des carences et les potentialités du sol, le bilan des exportations montre la quantité minimale de nutriments à apporter pour atteindre un objectif de production (Chaminade, 1965). Le suivi, au niveau des plantes (par analyse foliaire) et du sol (analyse de sol), est coûteux, mais permet de suivre l'alimentation des plantes et les carences du sol. Le mode d'échantillonnage est fondamental pour obtenir des résultats significatifs (Pieri, 1989; Boyer, 1970).

LA RESTAURATION DES SOLS ET LA REHABILITATION DES TERRES

Avec la pression démographique, les périodes de sécheresse et le surpâturage que connaissent de nombreuses régions tropicales semi-arides, la couverture végétale a été dégradée et les sols ont été appauvris en matières organiques, en nutriments et en particules fines (érosion sélective), éventuellement acidifiés puis décapés, déstructurés, encroûtés par la battance et compactés en profondeur suite au travail du sol et à la minéralisation des matières organiques. Il existe donc des surfaces stérilisées importantes dans les terroirs (5 à 20 %), non productives, mais qui génèrent une grande quantité de ruissellement, à l'origine des problèmes de ravinement dans les bonnes terres de culture à l'aval.

Jusqu'ici, ces terres dégradées étaient confiées aux forestiers en vue de leur restauration. Ceux-ci s'empressaient de les mettre en défens (c'est à dire de les protéger contre les feux de brousse, contre les éleveurs coupables du surpâturage et les agriculteurs qui ont défriché ces terres fragiles), d'y planter quelques espèces pionnières d'arbres et de gérer les eaux de surface à l'aide de banquettes ou de fossés de diversion. Les gens et les bêtes étaient priés de vivre ailleurs, sous peine d'amendes: d'où les tensions bien connues entre forestiers, éleveurs et agriculteurs! La mise en défens est une méthode souvent très efficace si la dégradation végétale n'est pas trop poussée, mais elle est difficile à faire respecter lorsque la pression démographique est forte: son efficacité diminue en zone aride.

Dans le cadre de la GCES, il semble plus efficace et plus rentable pour les paysans de s'attacher à l'aménagement des bonnes terres en production avant qu'elles se dégradent, car on obtient une augmentation des rendements plus rapide et plus nette sur les terres profondes que sur les terres caillouteuses épuisées. "Mieux vaut prévoir que guérir !". Cependant, il existe quelques cas où la restauration des terres dégradées est prioritaire pour les populations:

- la réhabilitation des terres caillouteuses (terres finies disent les haïtiens) de sommet de colline, car le ruissellement qui s'en dégage ravine les bonnes terres cultivées à l'aval;

- la restauration des terres dégradées, mais qui ont encore un avenir agricole, une possibilité de stockage de l'eau et des nutriments dans un profil suffisamment épais pour assurer le cycle cultural malgré les aléas climatiques (plus de 30 cm de sol argileux, plus de 60 cm de sol sableux);

- lorsque la pression foncière se fait sentir, il faut à tout prix non seulement restaurer, mais créer des sols producteurs là où la roche peut collecter les eaux de pluie (cas des Dogons au Mali).

LA REHABILITATION DES TERRES EN VUE D'UNE EXPLOITATION EXTENSIVE DES RESSOURCES NATURELLES

Il s'agit d'intervenir légèrement pour favoriser la recrudescence du couvert végétal sans modifier profondément les caractéristiques du sol:

- amélioration du stockage de l'eau en zone semi-aride sableuse par un rouleau "imprinter" qui creuse de petites dépressions (pitting) où sont piégés l'eau de ruissellement, le sable et les graines poussées par le vent (Dixon, 1983): cette méthode est efficace sur les zones sableuses, mais très peu sur les vertisols dégradés (Masse, Pontanier, Floret, 1992);

- le travail grossier ou le soussolage croisé avec semis direct d'herbes pérennes ou d'arbustes fourragers: cette méthode a un effet temporaire au Niger (Chare et al., 1989), peu d'effet au sud du Mali sur bourrelet de berge dénudé (Pluie = 700 mm) (Poel, Kaya, 1989), au nord Ouest du Burkina (Roose, Dugue, Rodriguez, 1992) sur glacis gravillonnaire (Pluie = 500 mm) et au Nord Cameroun sur sol vertique dégradé (Masse, Pontanier, Floret, 1992);

- mise en défens contre le feu et le pâturage: bonne efficacité sur les sols encore couverts en partie, à Gonsé au Burkina (pluie = 700 mm) (Roose et Piot, 1984; Roose, 1992) et à Kaniko au Mali (Poel et Kaya, 1989), mais sans intérêt si le sol est totalement dénudé et encroûté (Poel et Kaya, 1989);

- épandage de brindilles et d'écorces d'arbres (Chase et Boudouresque, 1989 au Niger), de tiges de coton (Poel et Kaya, 1989 au Mali - tableau 1) ou de tiges de sorgho (Roose et Rodriguez, 1990 au Burkina): c'est la méthode la plus efficace pour piéger les graines et le sable poussés par le vent et pour attirer la mésofaune qui va rétablir la capacité d'infiltration du sol en perforant la croûte de battance;

- cordons de pierres isohypses, lignes de pailles, d'herbes, de cailloux et de branchages agissent de la même façon que les précédents, mais ne provoquent la recrudescence de la végétation que sur trois mètres de part et d'autre de l'obstacle perméable qui ralentit le ruissellement et favorise la sédimentation;

- les haies d'Euphorbia balsamifera ont du mal à survivre sur les sols profondément dégradés et acides de Kaniko (Poel et Kaya au sud du Mali); par contre, des haies d'Opuntia, en Algérie, ziziphus, d'acacia et divers épineux au Burkina, ont bien fixé le terrain... à l'abri du bétail (Roose et al., 1992);

- les diguettes en terre et demi-lune ont une durée de vie éphémère et permettent seulement l'installation de graminées dans la zone d'accumulation des eaux de ruissellement, au Burkina (Roose, Dugué, Rodriguez, 1992) et au Mali (Poel et Kaya, 1989);

- sur les vertisols dégradés du Cameroun, seul l'isolement de casiers par des bourrelets de terre a permis une légère amélioration de l'infiltration... et de la production de céréales (Masse, Floret, Pontanier, 1992);

- si la zone est parcourue par le bétail en saison sèche, la biomasse sera moins abondante et les espèces survivantes seront différentes (Chase et al., 1989) (Poel et Kaya, 1989).

TABLEAU 1 : Recouvrement des sols dégradés à l'abri du pâturage (d'après Hijkoop, Poel et Kaya, 1991)

Traitement

Recouvrement du sol en %

% de graminées en


après 1 an

3 ans (1989)

1989

Bande de 1 mètre de tiges de coton

45

98

70

Cordons pierreux (h = 20 cm, l = 30 cm)

48

98

74

Diguettes en forme 1/2 lune

2

52

62

2 lignes de boutures Euphorbia balsamifera

0

0,5

50

Travail + semis de Cenchrus ciliaris

0,5

0,5

+

Témoin

0

0

-

LA RESTAURATION DE LA PRODUCTIVITE DES TERRES AGRICOLES

Lorsqu'il s'agit de sols profonds et sains, mais qui ont été décapés par l'érosion ou dégradés par des cultures n'équilibrant pas le bilan des matières organiques ni des nutriments, il est rare que l'application d'une seule approche, biologique, physique ou chimique, donne satisfaction. Par contre, dans les zones tropicales semi-arides et surtout semi-humides et humides, la restauration de la productivité des sols peut être très rapide (1 à 4 ans) à condition de bien respecter les six règles suivantes (Roose et al., 1992):

SIX REGLES A RESPECTER POUR LA RESTAURATION DES SOLS

1° Si le sol est décapé par l'érosion, il faut avant tout se rendre maître du ruissellement (cordon de pierres, haies vives, etc...).

2° Si le sol est compact, il faut réaliser un travail profond pour restaurer la macroporosité de la couverture pédologique.

3° La structure étant généralement instable, il faut en même temps enfouir un stabilisant (de la matière organique bien décomposée, du gypse, de la chaux) et semer une végétation produisant un enracinement profond et une biomasse exubérante capable de stabiliser les macropores du profil (ex. sorgho, Stylosanthes, Pennisetum, maïs, etc...).

4° Si l'horizon superficiel a été appauvri ou décapé, il faut réintroduire une microflore et une mésofaune susceptibles de remettre en route l'évolution positive de la structure et l'assimilabilité des nutriments minéraux (fumier ou compost bien décomposés).

5° Si le sol est acide, il faut amender le sol jusqu'à ce que le pH dépasse 5 et que la toxicité aluminique et manganique soit écartée.

6° Enfin, corriger progressivement les carences minérales du sol en alimentant les plantes cultivées à leur rythme et en emballant le complément minéral (N et P) dans la fumure organique pour éviter sa lixiviation par le drainage ou son immobilisation par le fer ou l'alumine libre.

La jachère de hautes graminées exubérantes peut éventuellement améliorer les propriétés physiques des sols riches pas trop dégradés par les cultures en climat soudano-guinéen (Morel et Quantin, 1972). Par contre, en zone soudano-sahélienne, on ne peut attendre d'une jachère naturelle herbacée de courte durée (2 à 6 ans après 2 à 3 ans de culture) un maintien et, a fortiori, une restauration de la productivité agricole des terres (Pieri, 1989). Sur un sol ferrugineux tropical sableux de la région de Tcholliré au Nord Cameroun, Roose (1992) a constaté que les teneurs en carbone (0,3 à 0,6 %) et en azote (0,01 à 0,06 %) et le pH (5,3 à 6) s'étaient peu améliorés au bout de 30 ans de jachère brûlée et pâturée extensivement chaque année. Les meilleures situations (C = 1 %) proviennent des turricules des vers de terre, des termitières et des déjections animales concentrées dans un ancien parc où l'on réunit le bétail la nuit. La capacité d'infiltration par contre, s'est nettement améliorée sur la vieille jachère grâce aux racines et aux galeries creusées par les vers de terre et les termites.

FIGURE 5 : Le Zaï méthode traditionnelle de restauration des sols (d'après Roose et Rodriguez, 1990)

Décembre à avril

Avril à juin

Juin-juillet

Novembre

• Creusement tous les 80 cm d'une cuvette Æ = 40 cm, H=15cm terre posée en croissant en aval.
• L'Harmattan apporte des sables et des matières organiques.

• Après la première pluie, apport de 2 poignées de poudrette (= 3 t / ha).
• Les termites y creusent des galeries enrobées d'excréments.
• Semis en poquet a la deuxième pluie.
• Eau infiltrée, stockée en profondeur à l'abris de l'évaporation directe.

• Démarrage de la saison des pluies.
• Levée précoce.
• Enracinement profond.
• Sarclage limité aux poquets.
• Germination de graines forestières.
• Concentration: de l'eau des nutriments.

• Récolte: des panicules et du fourrage.
• Coupe des tiges vers 1 m: cache les tiges forestières de la vue du bétail. ralentit le vent desséchant et l'érosion éolienne.

figure

• Zaï (en Moore) signifie: se hâter pour creuser en saison sèche le sol tassé et encroûté.

• Il permet de récupérer des terres abandonnées et de produire environ 800 kg / ha de grain dès la première année et d'entretenir la fertilité du sol sur plus de 30 ans.

• Il concentre l'eau et la fertilité sous le poquet et permet d'associer à la culture des arbres fourragers bien adaptés (agroforesterie).

• Limites:

- la date de commencement des travaux est fixée par le chef de terre du village... après les fêtes, quelque fois trop tard.
- le Zaï exige 300 heures de travail très dur soit environ 3 mois pour un homme pour restaurer 1 ha.
- le Zaï demande 2 à 3 tonnes de matières organiques et les charettes pour transporter la poudrette et le compost.
- pour réussir il faut entourer le champ à restaurer d'un cordon de pierres pour maîtriser le ruissellement.

• Améliorations:

- soussolage croisé à 1 dent jusqu'à 12 - 18 cm, après la récolte, tous les 80 cm, (11 heures avec des boeufs bien nourris), creuser ensuite le Zaï en 150 heures.
- compléter la fumure organique par N et P qui manquent dans la poudrette exposée au soleil.
- introduire d'autres espèces forestières élevées en pépinière (3 mois de gagné).

Un excellent exemple de restauration rapide de la productivité des terres dégradées (Zipellé en Moore) est donné par la méthode traditionnelle mossi qu'on appelle le Zaï et ses variantes comme le zaï forestier (figure 5). En saison sèche, le paysan creuse dans les parcelles dégradées (zipellé) des cuvettes (40 cm de diamètre, 15 cm de profondeur) tous les 80 cm en rejetant la terre vers l'aval. Le vent sec du désert (Harmattan) y pousse divers résidus organiques qui seront bientôt attaqués par les termites. Ces termites (Trinervitermes) creusent des galeries qui percent la surface encroûtée du sol et permettent aux premières pluies de s'infiltrer en profondeur hors d'atteinte de l'évaporation directe.

Deux semaines avant le début des pluies (15 mai à 15 juin), le paysan répand une à deux poignées de poudrette (1 à 2,5 t/ha de fumier sec) au fond des cuvettes et les recouvre de terre pour empêcher les matières organiques sèches de flotter et d'être emportées par le ruissellement.

Certains sèment en poquet avant les pluies, d'autres après la première averse une douzaine de graines de mil si le sol est léger, ou de sorgho si le sol est limono-argileux (environ 8 kg/ha de semence).

Les premières averses ruissellent abondamment sur les surfaces encroûtées (2/3 du terrain): les cuvettes captent ce ruissellement (de quoi mouiller une poche de sol sur un mètre de profondeur). Les graines germent ensemble, bousculent la croûte de battance et envoient des racines en profondeur où elles trouvent à la fois les réserves d'eau et les nutriments redistribués par les termites. Grâce à la concentration en eau et en nutriments autour du poquet, les rendements peuvent atteindre 800 kg/ha dès la première année et augmenter progressivement durant 30 ans à mesure que l'ensemble du champ s'améliore.

A la récolte, il laisse sur place les tiges coupées vers un mètre de haut: elles vont réduire la vitesse du vent et piéger les matières organiques poussées par le vent.

La deuxième année, ou bien le paysan trouve le temps de creuser de nouvelles cuvettes entre les premières et d'y apporter du fumier, ou bien il arrache la souche et resème dans la même cuvette. Les souches posées entre les cuvettes vont être à leur tour attaquées par les termites. Au bout de cinq ans, toute la surface a été remuée et fumée de telle sorte que le sol est assez souple pour être labouré normalement. Selon certains paysans, les terrains restaurés par le zaï peuvent être cultivés pendant plus de 30 ans.

Une variante, le "zaï forestier", semble particulièrement intéressante. Dans la poudrette (fecès non fermenté séché), subsistent quantité de graines forestières prêtes à germer après le passage dans le tube digestif des chèvres. Certains paysans astucieux ont remarqué que, dans les cuvettes, poussent des arbustes fourragers, légumineuses à gousses pour la plupart: lors du sarclage, ils conservent deux plantules forestières tous les trois mètres, lesquelles vont profiter de l'eau et de la fumure destinées aux céréales. A la récolte, les tiges de sorgho sont coupées vers un mètre et protègent ainsi le sol de l'érosion éolienne et les jeunes tiges forestières de la vue des chèvres (voir figure 5). La culture de céréales se renouvelle chaque année, mais tous les cinq ans, les plants forestiers sont taillés pour fournir des perches et du bois de chauffe. Ainsi sans grillage, il se met en place une association agroforestière susceptible de reconstituer les parcs à Acacia albida et autres légumineuses capables de maintenir la production de céréales tout en fournissant du fourrage, de la litière et du bois. Ce zaï forestier peut aussi être utilisé pour implanter des haies vives.

Trois problèmes limitent l'extension du zaï: le travail très dur en saison sèche (environ 250 jours à raison de 4 heures par jour), la nécessité de maîtriser le ruissellement par un cordon pierreux entourant la parcelle, et la disponibilité en fumier. En préparant le terrain en décembre, lorsque les boeufs sont encore bien nourris par les résidus de culture, les températures sont encore fraîches le matin et les sols pas trop durs; un sous-solage croisé peut réduire de moitié les temps de travaux. Si on manque de fumier, des branchettes et autres résidus organiques peuvent servir à attirer les termites. Le rôle positif des termites n'est pas apprécié de la même façon par tous les paysans: certains les craignent et préfèrent recycler la biomasse par la production de fumier ou de compost plutôt que par le paillage. Il faut noter cependant que sous terre, il est encore plus facile aux termites de s'attaquer au fumier, mais c'est moins apparent. Cette méthode pourrait être encore améliorée par des apports complémentaires d'azote et de phosphates, tous deux déficitaires à la fois dans le sol et dans les poudrettes (gazéification par exposition au soleil). Voilà une méthode de restauration des sols et de reforestation traditionnelle orientée vers l'agroforesterie et bien adaptée aux zones des glacis soudano-sahéliens fortement dégradés depuis les périodes de sécheresse (Roose et Rodriguez, 1990).

L'AMENAGEMENT DES TERRES DECAPEES JUSQU'A LA ROCHE

- Si les roches sont dures, très lentes à s'altérer et le stockage de la couverture pédologique très faible, la meilleure utilisation en zone semi-aride (à une saison sèche au moins), est de gérer ces parcelles comme un impluvium, de capter les eaux de ruissellement dans un caniveau ou une piste bétonnée qui les rassemble dans une citerne creusée dans le sol et imperméabilisée (crépis). Après désablage, ces eaux de ruissellement serviront à abreuver le bétail, aux usages ménagers et à l'irrigation d'appoint de petites parcelles de culture intensive de légumes et autres produits très rentables hors saison des pluies. Des exemples de cette stratégie d'intensification localisée ont été développés en Haïti (Smolikovski, 1990) et au Burkina (Roose, Rodriguez, 1990) (voir figures 37 et 38).

- Si les roches sont tendres (grès tendres, schistes, argillites, marnes, etc...) ou s'altèrent rapidement (basaltes et autres roches volcaniques ou grenues), il est difficile de couvrir l'ensemble de la surface parce que le sol est trop peu épais, trop pentu et décapé lors des plus fortes averses. Par contre, il est possible d'appliquer la "stratégie du pot de fleurs" qui consiste à concentrer localement l'eau, les nutriments disponibles et les soins à quelques plantes intéressantes localement. Il s'agit de creuser tous les 5 à 10 m une fosse de 1 m3 minimum, de mélanger dans le fond le peu de terre minérale dont on dispose à deux poignées d'engrais complet, un seau de fumier/compost/tourbe bien décomposé, d'y planter un bananier ou un arbre fruitier intéressant et en bordure, une série de plantes (légumineuses de préférence) rampantes qui vont envahir progressivement l'espace entre les plages de culture intensive. Il reste à organiser les écoulements superficiels vers la fosse, le drainage des excédents éventuels, et à déverser dans la fosse autour des arbres, les cendres et tous les résidus végétaux susceptibles d'évoluer en compost. Un exemple classique de cette stratégie peut être admiré sur les îles Canaries, où des vignes sont plantées au fond de fosses creusées dans un champ de lave.

- Le système Van der Poel et Kaya (1989). Il cherche à combiner la régénération de la végétation naturelle (enherbement) avec des plantations plus profitables aux paysans. Il propose de confectionner tous les sept mètres, des cordons de pierres ou des bandes de tiges de coton en courbe de niveau et de planter dans l'intervalle, par semis direct dès le deuxième hivernage, une ligne d'Anacardium occidentale, espèce frugale bien adaptée aux sols ferrugineux tropicaux qui peut fournir d'excellents coupe-feux car son feuillage épais arrive à étouffer toutes les herbes. Pour améliorer le taux de reprise et la croissance de ces arbres fruitiers, on peut faucher les herbes poussant sur les "bandes d'arrêt" et les disposer comme paillage autour des arbres. Ce système exige évidemment la mise en défens de la parcelle, ce qui peut s'obtenir en expliquant l'aménagement aux bergers du village (+ marquage coloré sur les troncs des arbres environnants). L'ensemble du dispositif réduit le ruissellement et les risques d'érosion à l'aval, tout en restaurant progressivement la productivité des terres (fourrages, fruits et bois). Ce système ressemble un peu aux "brousses tigrées" qui associent une zone dénudée encroûtée où se forme le ruissellement qui va irriguer une zone de brousse (herbe + arbustes) qui profite de ce complément d'eau. Il permet d'imaginer toute une série de variantes adaptées à chaque zone semi-aride en fonction du type de sol, de végétation et des besoins des gestionnaires des terres.

- La réhabilitation agricole des sols sur cendres volcaniques durcies (tepetate) au Mexique. Quantin (1992) et un groupe de chercheurs financés par la CEE ont étudié la réhabilitation de "tepetate" ou cendres volcaniques durcies dont l'horizon humifère a été sérieusement décapé. Pour rendre à ce matériau stérile sa capacité de production agricole, on a procédé à différentes techniques culturales préliminaires:

• passage croisé d'une soussoleuse tirée par un chenillard qui enfonce les dents jusqu'à 50 cm tous les 60 cm de distance;
• nivellement de terrasses en pente isolées par des ados et des fossés;
• succession de labours et de pulvérisages pour réduire les blocs de cendres durcies à 3-5 cm de diamètre.

L'élevage étant extensif sur parcours, les fermiers disposent de peu de fumier, à peine assez pour fumer 0,5 à 1 hectare. Le coût du travail du sol revient à 8 000 FF/ha. Si l'on plante du maïs la première année, les rendements sont très faibles, même si on répand du NPK seul ou avec un peu de poudrette de parc.

Par contre, le blé peut donner 15 q/ha dès la première année si on apporte du NPK, seul ou avec poudrette. Dès la troisième ou la cinquième année, les problèmes biologiques disparaissent et les rendements atteignent normalement 60 quintaux/ha/an si les conditions climatiques sont favorables. Si le paysan ne rembourse que les frais bruts, l'opération de réhabilitation d'une terre dégradée est rentabilisée au bout de huit ans. Les nouveaux sols fumés ont une meilleure infiltration et sont plus stables, moins érodibles que les sols cultivés originaux.

CONCLUSIONS

Le développement des sociétés humaines pose forcément des problèmes de dégradation des ressources naturelles. Pour faire face à ce défi, les sociétés rurales ont mis au point des stratégies traditionnelles de gestion de l'eau et de la fertilité des sols en équilibre avec le milieu physique et socio-économique de leur époque. Actuellement en déclin, ces méthodes traditionnelles ont été trop souvent ignorées, voire méprisées par les experts en CES, mais il serait utile d'étudier leur fonctionnement et leur dynamisme car elles peuvent servir de point de départ au dialogue avec les paysans pour une amélioration durable de leur environnement.

Face aux énormes problèmes de protection du patrimoine foncier, des ouvrages d'art et de la qualité des eaux indispensables au développement des villes et des périmètres irrigués, les ingénieurs ont développé préférentiellement les approches mécaniques qui s'avèrent finalement coûteuses et relativement peu efficaces. On constate aujourd'hui que la protection des terres est l'affaire de ceux qui la gèrent: paysans et éleveurs. Pour obtenir leur participation, il paraît nécessaire de changer de stratégie, de répondre d'abord à leurs problèmes urgents (la sécurité alimentaire, l'amélioration de leur niveau de vie, etc...) La conservation du sol reste indispensable, mais elle est insuffisante pour assurer un développement réel et durable: les terres sont déjà trop pauvres et trop dégradées. La GCES tente d'y parvenir en améliorant à la fois la gestion de l'eau et des nutriments pour augmenter nettement la production de biomasse.

L'aménagement du territoire reste le domaine de l'Etat, qui est le seul à disposer des ingénieurs compétents et des moyens suffisants pour résoudre des problèmes tels que la reforestation des montagnes, la correction torrentielle, l'aménagement des rivières, la stabilisation du réseau routier et des zones de glissement de terrain. La RTM et la CES restent donc des stratégies valables aujourd'hui, mais elles doivent être associées à des approches tenant mieux compte des intérêts des paysans.


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