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Chapitre 3 : Quelques aspects socio-économiques de l'érosion


La diversité des crises érosives (communication de Ch. Lilin)
Qui s'intéresse a la lutte antiérosive ?
L'importance des averses exceptionnelles
L'impact de l'érosion dans différentes régions
Les conséquences de l'érosion sur le site érode: les pertes de productivité
Les conséquences de l'érosion en aval: les nuisances
La rationalité économique de la GCES
Les critères de succès des projets de conservation des sols
Etude de cas au Maroc: analyse socio-économique de la LAE dans le bassin du Loukkos


L'érosion n'est pas seulement un problème technique. Si la lutte antiérosive a connu jusqu'ici des succès mitigés, ce n'est pas seulement parce qu'on n'a pas bien résolu tous les aspects techniques du problème, mais aussi, parce qu'on n'a pas suffisamment étudié les racines socio-économiques des crises d'érosion.

Au nom du bien public, les ingénieurs de l'Etat ont cherché le moyen de faire accepter leurs solutions sans trop se préoccuper des intérêts particuliers de chacun des "bénéficiaires" des aménagements. Nous chercherons à rencontrer ces interlocuteurs gestionnaires des terres et à définir leur réaction en fonction de leurs soucis immédiats.

Ensuite, nous aborderons l'analyse de l'extension des problèmes d'érosion dans le monde et l'importance particulière des averses exceptionnelles.

Puis, nous schématiserons les connaissances sur le coût de l'érosion: d'une part, les effets immédiats in-situ de l'érosion et du ruissellement sur la production, les pertes en nutriments et l'évolution de la productivité à long terme des terres dégradées à l'échelle de la parcelle. D'autre part, les nuisances à l'aval (off-site) que crée le ruissellement lorsqu'il augmente les pointes de crue, réactive le creusement des rivières et la dégradation des berges, ou lorsqu'il pollue les eaux par les nutriments et les suspensions, ou lorsqu'il envase les barrages et réduit la qualité des eaux indispensables au développement des villes et de l'agriculture intensive.

Enfin, nous tenterons d'orienter le choix d'une stratégie de lutte antiérosive à partir des objectifs économiques des projets et nous préciserons les conditions de réussite de ces projets d'aménagements. Une brève étude de cas d'un aménagement antiérosif au Maroc sera présenté.

La diversité des crises érosives (communication de Ch. Lilin)

Lorsqu'on passe d'une époque ou d'un pays à un autre, on constate qu'il est possible de définir de grandes catégories de crise érosive, même si chaque situation est spécifique dès que l'on approfondit l'analyse. La démarche risque d'être inappropriée lorsque cette diversité est sous-estimée.

L'EROSION ET LE DESEQUILIBRE POPULATION-RESSOURCES

L'augmentation de la population se traduit par une pression accrue sur les ressources naturelles d'un espace, ce qui à son tour, conduit à leur surexploitation et à leur dégradation.

L'histoire de nombreux pays est jalonnée de crises érosives de ce type. Elles peuvent être classées en fonction des facteurs de dégradation ou des réponses apportées.

- Les facteurs qui participent à la dégradation. Dans beaucoup de cas, les effets du déséquilibre entre la population et les ressources sont aggravés par d'autres processus. Ainsi, dans de nombreux pays en développement, nous observons une différenciation sociale importante dans les sociétés rurales. Les fractions sociales déjà défavorisées sont marginalisées. Leur accès à la ressource foncière se dégrade, ce qui se traduit par leur rejet vers les terres marginales (souvent aussi les plus fragiles). De même, ces fractions défavorisées sont souvent caractérisées par un statut foncier médiocre. Or, l'insécurité foncière et des statuts tels que le métayage ou l'indivision sont défavorables à l'investissement, les risques étant trop importants ou les bénéfices pour l'exploitant trop faibles.

D'autres processus contribuent à créer des conditions difficiles pour l'investissement que constituent en général les mesures antiérosives: la faiblesse des ressources financières disponibles, par exemple. La marginalisation se traduit également par l'adoption de logiques de survie qui privilégient le très court terme. Elles peuvent se maintenir même lorsque les conditions ont évolué et sont devenues plus favorables aux fractions défavorisées de la paysannerie.

Ainsi, dans de nombreux pays, les effets mécaniques de l'augmentation de la population sont aggravés par des processus sociaux qui créent ce que l'on peut appeler une spirale de la dégradation. Dans ce cas, l'érosion constitue l'un des aspects du sous-développement et ne peut en être dissocié.

- L'élaboration de la réponse. Une crise érosive peut être assimilée à une maladie qui agresse un organisme, en l'occurence une société rurale. Les historiens qui ont travaillé sur des crises appartenant au passé, ont montré comment les sociétés locales ont réagi pour maîtriser l'érosion. Ainsi, Blanchemanche analyse la réponse apportée aux 17ème et 18ème siècles à la crise érosive observée dans les collines de la région méditerranéenne française. Les sociétés rurales ont répondu au défi en intensifiant la production agricole grâce à des techniques telles que la terrasse et l'irrigation. Elles se sont inspirées de ce qui se faisait dans des régions plus avancées techniquement, telles que la Toscane, par exemple. Les élites locales ont alors joué un rôle clé dans la recherche de techniques (transfert de technologies), dans leur adaptation aux conditions locales et dans leur diffusion.

Par contre, dans de nombreux pays en développement, la capacité des élites locales à prendre en charge le problème de l'érosion est déficiente. Les sociétés rurales sont souvent en crise, les structures traditionnelles ont perdu leur autorité sans que les structures modernes mises en place soient en mesure de jouer leur rôle de façon efficace. Ces sociétés ne disposent pas des structures nécessaires au niveau local pour répondre aux divers défis du sous-développement. La tentation est grande pour un acteur social comme l'Etat de se substituer aux structures locales défaillantes et, au moyen de projets, d'apporter les éléments techniques de la réponse au problème de l'érosion.

Une telle stratégie a pu être efficace dans le contexte très particulier de l'érosion en montagne dans la France du 19ème siècle. Une stratégie d'intervention de l'Etat privilégiant la dimension technique du problème peut également être appropriée dans le traitement de la crise érosive actuellement observée dans certaines régions de grandes cultures et de vignobles sur côteaux en France, dans la mesure où les sociétés rurales concernées disposent de structures locales efficaces (par exemple, au niveau de la commune, du Conseil général, de la profession agricole, de l'administration de l'agriculture dans le département). Le rôle principal de l'Etat est alors de stimuler la production et la diffusion de références techniques adaptées, de façon à accélérer la mise en place des mesures permettant d'assurer la maîtrise de l'érosion.

Par contre, lorsque la crise érosive concerne des sociétés rurales elles-mêmes en crise, la maîtrise de l'érosion passe en grande partie par le renforcement de l'autorité de structures locales. L'aspect institutionnel du problème ne doit pas être négligé dans ce cas.

L'EROSION COMME UNE BAVURE DE LA MODERNISATION

L'érosion peut être interprétée comme résultant d'une modernisation trop hâtive de l'agriculture dans certaines régions de grandes cultures ou de vignobles de l'Europe de l'ouest. Ces dernières décennies ont été marquées par un ensemble de changements qui se sont traduits par une augmentation très importante de la productivité à l'hectare et, encore plus, de la productivité par travailleur agricole. Les impacts sur le sol de ces changements nombreux et rapides (spécialisation des systèmes de production, mécanisation et motorisation, agrandissement de la taille des parcelles, et suppression de structures jouant un rôle dans le fonctionnement hydrologique du paysage, etc) ont été importants. Dans certaines régions, ces transformations ont conduit à l'apparition d'une crise érosive.

Dans les pays tropicaux, nous observons une situation similaire là où une agriculture traditionnelle a été remplacée par une monoculture moderne mécanisée.

De même, à des époques plus anciennes, les changements de pratiques culturales ou l'introduction d'une nouvelle culture se sont parfois traduits par le développement de l'érosion: passage à l'assolement triennal obligatoire, introduction de la culture de la pomme de terre, etc.

Lorsque l'érosion peut être analysée comme conséquence de la modernisation de l'agriculture, la priorité doit être donnée aux aspects techniques du problème. Une fois les références nécessaires élaborées et testées, leur mise en oeuvre sera d'autant plus facile que les agriculteurs les plus innovants sont en règle générale les plus concernés par ce problème lié à l'introduction de nouvelles techniques.

LA LUTTE ANTIEROSIVE N'EST PAS SEULEMENT UN PROBLEME TECHNIQUE

Une meilleure prise en compte de la diversité des crises érosives permet de mieux adapter les stratégies aux contextes rencontrés. Suivant les cas, l'importance à donner à la production et à la diffusion de références techniques, au traitement du problème du sous-développement dans sa globalité, ou aux aspects institutionnels sera très variable.

Une difficulté majeure provient de ce que c'est dans les pays sous-développés que le traitement simultané de ces différents aspects s'impose et constitue souvent la clé de l'efficacité des actions entreprises. Or, c'est également dans ces contextes difficiles que la production de références adaptées est souvent déficiente, que la coordination des actions de différentes administrations est difficile et que le poids des projets bénéficiant d'aides étrangères s'oppose à la continuité des actions entreprises.

Qui s'intéresse a la lutte antiérosive ?

En général, les gros propriétaires ( > 500 ha) sont peu concernés par l'érosion car ils peuvent facilement abandonner les terres dégradées aux friches.

En France, on observe relativement peu de problèmes d'érosion pour les petites exploitations (élevage ou polyculture avec élevage) car leurs terres sont de petites dimensions, souvent bien fumées parce que leur élevage se fait hors sol, en stabulation permanente. En fait, ce sont les agriculteurs les plus entreprenants qui ont de sérieux problèmes d'érosion car ils se sont endettés pour acquérir les gros tracteurs et les outils préparant finement les lits de semence et de lourdes remorques pour transporter les récoltes. Ils ont accepté le remembrement pour regrouper et rentabiliser au mieux leur exploitation en supprimant tous les obstacles (fossés, haies, bosquets) à la mécanisation lourde. Enfin à l'aval, ce sont les gens touchés par les dégâts liés aux débits de pointe du ruissellement, aux pollutions de nappes et rivières, aux ravinements et aux coulées de boues dans les zones d'habitat, qui posent les problèmes de la lutte antiérosive. Les propriétaires des grandes exploitations devront s'intéresser aux techniques de non travail du sol, d'autant plus que la nouvelle politique agricole de la CEE préconise une réduction de la production, le gel des parcelles trop fragiles et l'élevage extensif sur prairies (Séguy et al., 1989; De Ploey, 1991).

Dans les pays en voie de développement, de très nombreux petits paysans pauvres sont acculés à assurer la survie de leur nombreuse famille (5 à 10 personnes au Rwanda) sur de minuscules exploitations (0,2 à 1,5 ha): malgré la baisse des rendements, ils ne peuvent laisser au repos les terres épuisées, si bien qu'elles sont souvent peu couvertes (surtout en zone semi-aride), fragiles, en pente forte et peu protégées des eaux de ruissellement venant des parcelles voisines et des routes. Certaines familles ne se décident à investir dans l'aménagement foncier de leurs terres qu'une fois que les dégâts d'érosion sont si graves qu'il n'y a plus d'autre solution. D'autres familles dans les mêmes conditions, abandonnent tout pour tenter leur chance en ville, ou bien, envoient quelques adultes dans les pays voisins pour rapporter un supplément de ressources. L'intérêt des paysans pour l'aménagement des terres dépend fortement du mode de faire-valoir. S'ils sont propriétaires, les paysans acceptent d'investir de leur temps (souvent le seul intrant disponible) pour délimiter leurs parcelles (haie vive, muret, cordon de pierres) et améliorer le foncier (arnendements organiques, chaulage, terrassement progressif ou radical, défonçage pour casser les encroûtements calcaires, épierrage, agroforesterie). Il est relativement facile d'introduire l'agroforesterie ou la culture intensive sous verger, mais en cas de métayage ou de location de terre, le paysan ne peut améliorer le foncier sous peine de se voir retirer le permis d'exploitation pour tentative d'appropriation du foncier ou de voir le prix de location augmenter en relation avec l'amélioration foncière

En Haïti, on distingue trois types de terre. Le jardin A sur lequel est bâtie la demeure du propriétaire, est un jardin multiétagé où croissent les arbres fruitiers, le fourrage pour le petit élevage au piquet, le potager et les cochons: le tout est protégé des maraudeurs et parfaitement mis en valeur. Les jardins B sont déjà plus éloignés, moins surveillés, moins intensivement exploités et moins bien protégés contre l'érosion. Enfin, la plupart des paysans louent des terres éloignées, les jardins C, non clôturés, très peu aménagés, les arbres et les sols souvent fort dégradés. Une enquête récente a montré que tous les paysans ont demandé en priorité l'aménagement de leur jardin A, les mieux protégés... quitte à aménager plus tard les terres les plus dégradées - là où les spécialistes de CES se sont acharnés sans succès depuis un demi-siècle à tester toutes les méthodes connues de fossés et de terrassement (Naegel, 1991).

L'importance des averses exceptionnelles

Quand la presse parle d'érosion, il s'agit le plus souvent de catastrophes naturelles, d'événements exceptionnels, qui ont entraîné en quelques jours, voire en quelques heures, des dégâts exceptionnels et la perte de vies humaines. Bien souvent, l'homme n'est pas le responsable direct de ces catastrophes, mais ce sont des forces naturelles qui en sont à l'origine, forces qu'il ne domine pas. Par exemple: des éruptions volcaniques, des secousses sismiques ou encore, des pluies torrentielles tombant sur des sols gelés. Cependant, par ses aménagements imprudents, l'homme peut augmenter les dégâts. Oubliant la sagesse de ses ancêtres, il a installé ses ouvrages ou sa demeure, sur la trajectoire des avalanches, de coulées boueuses ou près des failles géologiques (exemple: San Francisco), dans le lit majeur des rivières ou sur toute autre surface que les inondations couvrent de temps en temps. L'homme peut donc augmenter les conséquences désastreuses de ces événements exceptionnels.

Les récentes inondations de Nîmes (sud de la France) en sont un bon exemple (Davy, 1989). Le 3 octobre 1988, un orage violent déversa 420 mm de pluie en 6 heures sur deux petits bassins versants méditerranéens qui dominent la ville. Les torrents et les sources sortant du massif calcaire gonflèrent démesurément et envahirent brutalement la vieille ville en emportant tout sur leur passage: les véhicules et le contenu des magasins. Les passages existent qui sont capables d'évacuer ces énormes quantités d'eau. Ces passages ont été respectés jadis par les Romains mais récemment, ils ont été barrés par des immeubles, par la route nationale 113, laquelle est prévue pour être inondable et ne pose pas de problème, par la digue sur laquelle est situé le chemin de fer qui a été emportée sur 20 m (le drainage étant barré par les épaves de voitures) et enfin par l'autoroute, légèrement surélevée. Il s'en est suivi une vaste zone inondée, 4 milliards de francs (FF) de dégâts et onze morts.

La question est de savoir si l'essentiel des dégâts causés par l'érosion provient de ces catastrophes très médiatisées, mais sporadiques, lesquelles sont bien difficiles à arrêter, ou si l'essentiel de l'érosion est provoqué par la somme de l'énergie des pluies tombant sur les sols cultivés susceptibles d'être aménagés. Une étude détaillée des dégâts d'érosion dans le vignoble alsacien (Schwing, 1979) a montré que le coût annuel des remontées de terre et des pertes d'intrants, à la suite des orages habituels, s'élève à environ 2.000 FF/ha/an tandis que le coût supplémentaire dû aux événements exceptionnels revient à 15.000 FF/ha tous les 25 ans, plus les dépenses des collectivités locales.

TABLEAU 2 : Ruissellement dans les bassins-versants de Manankazo (Madagascar).
Effet du couvert végétal et des techniques antiérosives (d'après Goujon, 1972)

Couvert végétal

KRAM

KRMax

Débit max. de crue l/sec/ha


%

%

fréq. 1/1

1/20

1/100

Steppe brûlée:

- si feux

16

50 à 70

180

320

400


- autres années

13

40 à 50

-

-

-

Steppe en défens

6,5

40 à 50

125

200

250

Cultures

2,6

> 20

45

140

200

Forêt Pinus patula :

- 0-5 ans

2

15 à 38

20

95

205


- >10 ans

0,5

1 à 5

9

30

40

S'il est bien connu que les pluies exceptionnelles entraînent généralement de gros dégâts, l'importance relative de celles-ci est variable selon les milieux. En milieu tempéré, d'après Wischmeier, c'est la somme de l'érosivité de toutes les pluies significatives (supérieures à 12,5 mm) qui détermine le niveau annuel de l'érosion à l'échelle des versants. En région sub-équatoriale (Côte d'Ivoire), il semble qu'il en soit de même (Roose, 1973). Par contre, là où les cyclones sont fréquents (Nouvelle Calédonie, les Antilles, la Réunion, etc...), les trombes d'eau sont telles (500 mm en quelques heures) que leurs effets marquent profondément le paysage (ravines régressives, larges lits des rivières et abondance des terrasses alluviales). De même, en zone semi-aride, sahélo-saharienne ou méditerranéenne, il peut ne rien se passer pendant des années" puis brutalement, à l'occasion d'une averse ou d'une série d'averses exceptionnelles, l'allure du paysage est modifiée en quelques heures pour des années, voire des siècles: ravines profondes, glissements de terrain, sapements de berges des oueds, sédimentations imposantes dans les plaines inondées. (voir les événements en Tunisie en 1969: Claude et al., 197()). C'est ainsi qu'il n'est pas toujours facile de distinguer les ravines actuellement fonctionnelles, des formes héritées de l'histoire. Il n'y a donc pas toujours de lien direct entre les formes de l'érosion et le système d'exploitation du terrain qui l'entoure.

Autre problème économique important: les aménagements anti-érosifs sont-ils aussi efficaces pour les averses exceptionnelles que pour les averses ordinaires ? En hydrologie, il est généralement admis (théorie du gradex) qu'au-delà d'un certain volume de pluie, caractérisée par une forte intensité ou une longue durée, le ruissellement d'un bassin tend vers 100 %. Ce point est atteint pour des averses de retour très variables selon le type de pluie, l'état du sol et du couvert végétal, et de l'aménagement de l'ensemble du bassin. Dans le cas de ces événements exceptionnels, on se trouve donc confronté à des débits de crue très importants dans les émissaires et à des transports solides impressionnants suite à des reprises de matériaux dans le lit, sur les berges et les basses terrasses. Cependant, au niveau des versants, plus on trouvera des mesures antiérosives intelligentes (des terrasses protégées par des haies, des talus enherbés, des sols bien structurés sous un paillis ou un couvert végétal dense, etc...) et moins il faudra craindre de dégâts durant ces averses exceptionnelles. Les barrages de correction torrentielle sont d'ailleurs calculés pour résister à de telles averses (communication de Mura, 1992).

Le problème s'est posé pour l'aménagement de la cuvette de Tananarive sur les plateaux malgaches. Comme cette cuvette reçoit cinq rivières et ne connaît qu'un petit exutoire, gêné par une barre rocheuse, elle est régulièrement inondée lors des cyclones qui proviennent de l'Océan Indien. Ces inondations sont d'autant plus dommageables qu'elles détruisent les récoltes de riz et délogent parfois plus de 100.000 personnes (Roose, 1982).

Trois solutions ont été étudiées. D'abord, agrandir et approfondir l'exutoire en faisant sauter la barre rocheuse, mais l'érosion régressive risque alors de détruire la rizière qui alimente la capitale. On peut aussi supprimer une partie du bassin versant et écrêter les crues en construisant des barrages conçus pour stocker le ruissellement des plus fortes averses. C'est une formule élégante mais coûteuse en devises étrangères. Enfin, on peut aménager les collines, planter des forêts, renforcer les structures antiérosives (tanette = terrasse à talus enherbé) et améliorer les techniques culturales. Cette solution s'étale dans le temps mais elle est à la portée financière d'un pays pauvre fortement encadré politiquement.

Les seuls résultats expérimentaux disponibles (4 bassins versants de 4 ha, à Manankaso, sur les hauts plateaux malgaches - tableau 2) montrent que les débits de pointe du bassin régional témoin (savane à Loudetia stipoïdes brûlée) sont dix fois plus forts que sous jeunes forêts de pins (Pinus patula) et 4 fois plus forts que sur bassins cultivés, aménagés en terrasses progressives (Goujon, 1972). Pour les averses rares, les débits de pointe se confondent en effet mais seulement pour des averses de fréquence 1 sur 500 ans sous forêts et 1 fois tous les 100 ans sous cultures. Bien qu'efficace à long terme, la méthode n'a pas été développée à grande échelle car son action est trop différée dans le temps (plus de 10 ans) pour que la forêt soit efficace sur le ruissellement.


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