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IV. LA PÉDAGOGIE À L'ÉCOLE RURALE

Ainsi que nous l'avons vu aux chapitres précédents, l'école rurale a besoin d'être transformée. Par dessus tout, ses objectifs, ses contenus et ses méthodes doivent changer. Ces trois aspects sont intimement liés entre eux, au point que l'on ne saurait en modifier un sans influer sur les autres.

Changer la pédagogie des écoles rurales implique l'existence d'un programme adapté aux caractéristiques de son environnement. Si les contenus et les buts ont été correctement adaptés, il sera plus simple de mettre en œuvre une méthode active capable d'intéresser et enthousiasmer les enfants dans leur travail. Dans le cas contraire, seules demeureront les explications verbales et les tâches fastidieuses.

Lorsque le programme s'insère bien dans la réalité rurale, de nouvelles voies s'ouvrent à la pédagogie: il est facile de tirer profit du potentiel éducatif de l'environnement, obtenir la participation des élèves et ouvrir la porte à celle de la communauté.

Exemple:

Si le programme indique que les maladies fréquentes dans la région doivent être étudiées, les troubles gastriques et bronchiques intervenant dans ce milieu seront soumis à discussion. Les enfants seront alors en mesure d'identifier ces symptômes et leur progression, puisque plusieurs d'entre eux auront, personnellement, ou dans leur famille, déjà fait l'expérience de ces maladies. Il ne leur sera pas difficile d'identifier les plantes utilisées pour les traiter et ils seront heureux de partir dans la campagne pour collecter des échantillons de plantes médicinales. Le potentiel environnemental sera ainsi utilisé avec la participation des enfants. Un guérisseur local pourrait aussi venir animer une causerie. Outre son exposé sur ces maladies, il apportera une explication précieuse sur le concept de santé en milieu rural. Un débat pourrait alors s'ouvrir sur ce que sont les médicaments pharmaceutiques, comment ils sont fabriqués et quel usage l'industrie pharmaceutique fait des produits prélevés dans la nature. En d'autres termes, le sujet aura été amplement traité avec la participation des enfants et de membres de la communauté.

LE CONCEPT D'APPRENTISSAGE

Le besoin d'utiliser une méthode différente, qui ne soit pas simplement verbale, répond à la conception même d'apprentissage et d'enseignement. Si, par enseignement, l'on entend la transmission par le maître de ses connaissances et, par apprentissage, la réception et la rétention de cette connaissance, alors l'explication verbale peut suffire, soutenue, si possible par un matériel audiovisuel. Mais ce n'est pas ainsi que les choses se passent: apprendre, ce n'est pas seulement porter attention à la "voix de son maître".

L'apprentissage résulte d'un effort pour connaître et comprendre le sujet que l'on étudie. Cela consiste à s'approcher de la réalité, l'observer, l'examiner, écouter les explications de l'enseignant(e), tirer des conclusions, les comparer avec celles des autres, lire des textes se rapportant au sujet. C'est ainsi qu'un ensemble organisé de concepts sur ce que l'on étudie sera réuni, à force d'efforts.

Exemple:

Un élève qui sait vraiment apprendre est un enfant qui observe la structure d'une plante et la compare avec une autre; qui observe le dessin dans son livre ou le diagramme accroché au mur de sa classe et, à la lumière de cette illustration, identifie la structure de la plante qu'il tient dans ses mains; qui cherche d'autres plantes semblables aux alentours de l'école; qui fait état de ses découvertes à son enseignant(e) pour obtenir confirmations ou rectifications; qui réalise que d'autres élèves aussi sont parvenus à des conclusions similaires.

Parce que, outre qu'il rassemble les informations nécessaires, il apprend comment observer, manipuler du matériel d'apprentissage, travailler avec autrui. Au bout du compte, le renseignement acquis ne l'aidera peut-être en aucune manière, mais il lui aura permis de développer des compétences d'apprentissage qui, sans nul doute, lui seront des plus utiles dans la résolution de situations nouvelles.

Concevoir l'apprentissage de la sorte, c'est accepter qu'il débute nécessairement par le contact avec le fait réel que l'on étudie. Apprendre, c'est observer un objet, le manipuler, le comparer. Apprendre, c'est observer un événement, expérimenter, tirer des conclusions, les relier entre elles, former un jugement personnel à son propos, etc.

LE RÔLE DE L'ENSEIGNANT

À l'école, l'observation est accompagnée. L'élève y procède avec d'autres, qui partagent la même tâche et ont décidé d'aller vers le même résultat. L'accompagnateur principal est le maître. C'est lui qui conçoit les activités d'apprentissage, guide leur mise en œuvre et finalement dirige la structuration des résultats.

Ce qui change, dans une pédagogie renouvelée, c'est le rôle du maître: il n'est pas diminué, mais des tâches différentes lui sont dévolues. Lorsque la méthode entre au contact de la réalité, lorsqu'il est nécessaire d'agir sur elle pour parvenir à l'appréhender, le maître devient celui qui dirige le travail. Il réendosse son costume grec de "pédagogue", "celui qui conduit les enfants", qui les guide dans leur travail.

Selon cette conception des choses, le maître sait déjà ce que les enfants sont en train de chercher, mais il ne se presse pas de le leur dire. Il leur pose un problème, les dirige et leur pose des questions pour guider leurs observations, pour qu'ils puissent même discuter de résultats partiels. Lorsque c'est nécessaire, il leur fournit les informations qu'ils sollicitent, ou leur livre les indices qui leur permettront d'avancer dans leurs recherches.

À l'évidence, ces conclusions enfantines sont élémentaires, germinales, elles ne sont que l'amorce d'une connaissance plus élaborée. Ici, le rôle du maître se présente sous un autre jour. S'appuyant sur les réalisations des élèves, il organise et complète les informations de manière telle qu'après son intervention les élèves voient leurs découvertes magnifiées. Ce faisant, il n'est pas simplement un animateur, une personne qui conduit le dialogue et permet aux élèves d'exposer ce qu'ils savent.

Vu dans son ensemble, le travail scolaire, pendant un certain temps (deux mois par exemple) n'est pas une succession d'activités hors-les-murs, ni une chaîne de travaux de groupes ou de tâches individuelles. Le travail scolaire est constitué d'une série de moments où les explications magistrales alternent avec les activités entreprises par les élèves, mais dans lesquelles l'enseignant(e) reste bien présent(e).

Ce nouveau rôle implique une attitude différente envers les enfants. Il est indispensable d'éviter de les voir comme un groupe d'êtres ignorants le sujet traité, qu'il faut tenir tranquilles pour qu'ils puissent apprendre. Ce travers, fréquent dans les villes, l'est plus encore dans les campagnes, où les préjugés de certains enseignants à l'encontre des enfants pauvres sont une absolue évidence.

La précipitation est au rendez-vous aussi. Mais cette précipitation devient de l'impatience dans le travail avec des petits paysans. Soumis à un programme qui leur est étranger, il apprennent difficilement. Comment en serait-il autrement alors qu'on les confronte à des objets ou des faits à mille lieues de leur vécu quotidien? Un enfant vivant au cœur d'un continent peut se révéler incapable d'imaginer l'océan et une côte rocheuse. D'autres fois, les enfants sont confrontés à des éléments pédagogiques inappropriés, avec lesquels ils ne sont pas familiarisés ou sur lesquels ils ne peuvent travailler, par manque de temps. L'enfant rural exécute hors de l'école des tâches qui lui sont imposées par sa communauté (ramasser du bois pour le feu, surveiller ses jeunes frères et sœurs, les animaux, etc.) Comment pourrait-il faire beaucoup de travail scolaire à la maison?

LE FONDS CULTUREL DE L'ENFANT RURAL

Vu sous cet angle, l'enfant scolarisé en milieu rural doit être envisagé comme un individu doté d'un potentiel d'apprentissage identique à celui de son camarade de la ville, même si son vécu est autre. L'enfant rural connaît en détails son monde, parce qu'il y vit et y travaille. .

Et sa connaissance de la nature est donc profonde et vaste. Pour lui, la nature n'est pas simplement un paysage: elle son lieu de travail.

Les connaissances de l'enfant rural doivent être appréciées à leur juste valeur et, simultanément, considérées comme la base de l'apprentissage. Il bâtira à partir de ce fondement pour acquérir une connaissance supplémentaire qui, jusqu'à un certain point, en sera le prolongement.

LES SÉQUENCES D'ENSEIGNEMENT

Comme nous l'avons déjà dit, l'action éducative déroule pendant la période scolaire une chaîne de séquences, certaines dans l'enceinte de la classe, d'autres à l'extérieur.

Les séquences les mieux adaptées à l'école rurale répondront aussi au cadre théorique déjà cité, à savoir:

Chaque séquence pédagogique comporte trois phases, que l'on peut décrire comme suit:

Dans la phase préparatoire, il est demandé aux enfants de démontrer ce qu'ils savent déjà de l'objet ou de l'événement qu'ils vont étudier. Au travers d'un bref dialogue mené par l'enseignant, les enfants exposent leurs propres concepts, ceux résultant soit de leur expérience personnelle, soit d'un apprentissage scolaire antérieur. À l'issue de ce dialogue, les idées justes évoquées par les enfants sont résumées. L'idée est de se préparer à avancer vers la phase suivante sur la base de ce que les enfants savent déjà. Cette phase aura aussi valeur de diagnostic pour l'enseignant: il pourra orienter à partir de là une grande partie de son travail ultérieur.

Au moment du contact avec la réalité, tout sera fait pour permettre aux enfants d'entrer en relation directe avec ce qu'ils vont examiner. C'est la phase de la visite, de la démonstration, du dessin dirigé ou de tout autre activité que l'on aura décidé d'entreprendre. Ce faisant, les concepts élaborés par les élèves restent encore individuels et éventuellement imprécis; ils seront néanmoins le tremplin des étapes suivantes.

L'étape de structuration de l'expérience est la phase finale de chaque activité. Les concepts, opinions et conclusions que les enfants auront élaborés lors de l'étude de l'objet sont exposés. C'est l'instant où chacun amène au groupe ses propres expériences. Ici, le rôle de l'enseignant devient fondamental: les élèves soumettent leurs conclusions dans le cadre du schéma qu'il aura choisi. Celles-ci sont discutées un moment, et la plus correcte sera intégrée à un premier récapitulatif. Naturellement, tout ceci est organisé par l'enseignant.

Le résultat de la structuration a une portée générale. Ce n'est plus l'événement observé qui est au centre, mais le sentiment acquis sur tous les événements similaires.

D'où un tableau récapitulatif, un diagramme, un texte bref que les élèves intégreront à leur cahier. Mais, quelque élémentaire qu'elle soit, cette construction est maintenant collective, c'est une idée sur laquelle tous auront travaillé.

Plus tard, hors de cette activité et grâce aux explications fournies par le maître, émergera une vue meilleure de ce qui a été découvert. D'autres exemples seront alors présentés, des textes seront lus, des illustrations montrées, des enregistrements écoutés.

LA NATURE PLURIDIRECaIONNELLE DES SÉQUENCES

Toutes ces activités sont, fondamentalement, pluridirectionnelles: elles permettent d'approcher plusieurs objectifs, les uns inhérents au sujet, d'autres plus généraux.

Exemple:

Lors d'une excursion guidée pendant laquelle on se déplacera sur plusieurs lieux successivement pour observer un élément commun, les buts du voyage (découvrir diverses manières de labourer, identifier les activités agricoles propres à la communauté, recevoir des informations sur les cultures entreprises, etc.) seront atteints mais, en outre, les compétences d'observation, de collecte de données et organisation de l'espace, seront renforcées. Finalement, le sens de l'ordre, de la discipline et de la coopération sera rehaussé. Par contraste, un cours dans une classe traditionnelle n'aurait offert aux élèves qu'une approche indirecte de l'objectif.

Il faut absolument souligner cette nature pluridirectionnelle des séquences, en raison de la tendance à penser qu'une activité de ce genre prend trop de temps, ce qui ne serait exact que si un but unique était ainsi atteint. Mais le grand mérite des séquences d'enseignement de ce type est leur polyvalence, qui compense magistralement les efforts déployés pour les mener à bien.

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