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ANNEXE C


Analyse des variations de la température
de l'eau de surface le long des côtes mauritaniennes
par
Y. LOKTIONOV1

1. INTRODUCTION.

La plupart des nombreux travaux consacrés au régime hydrologique de la région mauritanienne se portait jusqu'à présent sur les descriptions des caractéristiques générales des conditions du milieu ou sur l'analyse détaillée d'un ou de quelques phénomènes hydrologiques particuliers (Bernikov, 1980, Bruhlet, 1974, Tchemychkov et Damiano, 1985). Les analyses ont été effectuées à partir des données épisodiques obtenues le plus souvent en dehors de la zone côtière. Il n'existe qu'une seule station standard, la station standard Bayadère (20.40' N - 17°04'W) où des observations sur la température de l'eau sont effectuées depuis le début des années 60. Cela était insuffisant pour procéder à une analyse détaillée de la variabilité des conditions hydrologiques dans la ZEE mauritanienne et des conséquences sur la pêche et les stocks.

Récemment, le laboratoire d'hydrologie marine du CNROP a entrepris la constitution d'une banque de données hydrologiques obtenues dans la ZEEM. La première partie de cette banque (21.000 valeurs de température de l'eau en surface observées depuis les années 50), a rendu possible l'estimation des caractéristiques saisonnières et interannuelles de la variabilité thermique dans la ZEEM. L'échelle spatiale utilisée a permis de distinguer les particularités hydroclimatiques qui paraissent jouer un rôle déterminant dans la localisation des zones de pêche des chalutiers pélagiques.

2. ORIGINE DES DONNEES ET TRAITEMENTS UTILISES

L'estimation des particularités de la variabilité des conditions thermiques dans la ZEE mauritanienne a été réalisée à partir des données suivantes:

La précision des données étant différente, les fichiers “Hydro S” et “Surface” ont du être traités séparément. Les données ont été regroupées par “carrés” de 20 milles de côté, identiques à ceux utilisés pour le traitement des statistiques de la pêche pélagique industrielle (Chavance et al, 1987). Les valeurs de température étaient ensuite moyennées par carré, pour différentes périodes caractéristiques, et les écarts types calculés, afin d'estimer les paramètres de la variabilité spatio - temporelle de la température. Dans le but de mettre en évidence les relations possibles entre les changements de température dans différents secteurs de la ZEEM, une analyse corrélative linéaire a été effectuée

1 Océanographe physicien en poste au CNROP, B.P. 22, Nouadhibou, Mauritanie.

3. REPARTITION CLIMATIQUE MOYENNE ET VARIATIONS SAISONNIERES DE LA TEMPERATURE DE SURFACE DANS LA ZEE

Dans chaque “carré” statistique de 20 milles de côté, la température moyenne a été calculée pour chaque année, puis une moyenne pluriannuelle a été effectuée pour l'ensemble de la série disponible. Les résultats ainsi obtenus ont été reportés sur une carte. Afin d'éliminer l'apparition possible d'irrégularités dues à une répartition temporelle variable des observations, un lissage spatial avec moyenne mobile de quatre points a été effectué. Des isothermes ont ensuite été tracés (Figure 1).

Les températures moyennes pluriannuelles de la ZEE mauritanienne sont comprises entre 19° et 23°C. Il est possible d'y distinguer 3 secteurs :

Les particularités de la répartition moyenne des températures de surface pendant les saisons froide et chaude et au cours des périodes de transition peuvent être décrites comme suit: (Figures 2 et 3).

La saison froide (janvier-avril) est caractérisée par une faible variabilité spatio-temporelle, la plus faible de toutes les saisons (Figures 2a et 3a). Les eaux les plus froides (températures inférieures à 16,5°C) se trouvent près de la côte au sud du cap Timiris. Cette région où l'upwelling côtier est assez prononcé est séparée des eaux plus chaudes du large par une zone de gradients thermiques. Les températures inférieures à 17°C, que l'on rencontre durant cette saison à la côte, au sud de 18°N, permettent de constater l'existence d'upwellings moins stables. Ceci est confirmé par la répartition des écarts-types de température. A l'extrémité nord-ouest de la ZEEM, la présence d'un upwelling stationnaire se traduit par des températures inférieures à 17°C et par des écarts-types peu importants. En général, les températures durant la saison froide augmentent de la côte vers le large.

Pendant la période de transition de saison froide à saison chaude (mai-juin) l'intensification des upwellings côtiers dans les secteurs nord et sud de la ZEEM est le phénomène le plus remarquable (Figure 2b). A leur voisinage, des zones de gradients thermiques très prononcés se sont formées. L'étendue de l'upwelling du cap Blanc vers le sud est augmentée par rapport à la saison froide. L'orientation des isothermes dans le secteur intermédiaire est changée de méridienne à zonale. Des zones de gradients thermiques se sont formées entre les eaux froides de l'upwelling nord et celles plus chaudes du secteur sud. La répartition de la température durant cette période est la plus variable, surtout dans les régions de l'upwelling côtier au sud du cap Timiris (Figure 3 b). Ces zones, les plus favorables de par leurs conditions hydrobiologiques (upwelling, contrastes thermiques) à la concentration naturelle des poissons pélagiques, sont soumises aux variations spatiales intrasaisonnières et inter-annuelles.

Pendant la saison chaude (juillet-octobre) toute la partie de la ZEEM au sud de 20°N est occupée par des eaux dont les températures moyennes sont supérieures à 24-25°C (Figure 2c). Le front thermique perpendiculaire à la côte occupe sa position nord extrême. Les contrastes thermiques dans ce front peuvent atteindre 8-9°C. La répartition des écarts-types durant cette saison montre que le front thermique peut se déplacer et changer d'intensité tout en restant favorable à la concentration des poissons pélagiques (Figure 3c). A certaines périodes de cette saison les eaux proches du cap Timiris peuvent représenter une autre région de conditions favorables pour la pêche pélagique.

La période de transition de saison chaude à saison froide (novembre-décembre) est caractérisée par l'intensification des upwellings côtiers et par la formation de zones des gradients thermiques le long de toute la ZEEM (Figure 2d). Les isothermes prennent une orientation méridienne. Outre le secteur nord où l'intensification de l'upwelling maintient le front thermique, on peut remarquer l'apparition de zones identiques dans le secteur sud. La variabilité la plus importante de température est notée dans le secteur intermédiaire et près de la côte au sud de 18°30'N (Figure 3d).

Figure 1.

Figure 1. - Répartition moyenne annuelle de la température de surface, et des écarts-types de température dans la ZEE mauritanienne.

Figure 2.

Figure 2. - Répartition moyenne de la température de surface, dans la ZEE mauritanienne, au fcours des différentes saisons hydrologiques (En grisé : Zones de pêche intensive d'après Chavance et al, 1987 et Chavance 1988).

Figure 3.

Figure 3. - Répartition moyenne de l'écart-type de température de surface, dans la ZEE mauritanienne au cours des différentes saisons hydrologiques.

Un schéma d'évolution annuelle des conditions favorables aux concentrations de poissons pélagiques peut être déduit des particularités de la répartition moyenne climatique et de la moyenne saisonnière des températures des eaux de la ZEEM.

La probabilité de concentrations de poissons pélagiques en saison froide est presque identique dans toute la ZEEM avec une faible préférence pour le secteur nord et pour la région située entre le cap Timiris et 17°30'N. Pendant la période de transition saison froide-saison chaude des concentrations de poissons peuvent être recontrées dans le sud de la ZEEM, surtout au début de cette période. On peut y rencontrer les concentrations les plus denses entre 17° et 18°'N. De juillet à octobre les poissons pélagiques se concentrent près du front thermique dans le secteur nord de la ZEEM. Ils y restent jusqu'à la fin de l'année avant d'entreprendre leurs migrations vers le sud.

Ce schéma général peut cependant varier en fonction de la variabilité interannuelle des conditions thermiques dans la ZEEM.

4. VARIATIONS INTERANNUELLES

La répartition climatique et saisonnière des écarts-types de température dans la ZEEM montre la possibilité de variations theramiques internnuelles. Les données disponibles au CNROP ont permis d'analyser les différences entre les conditions hydrologiques qui ont eu lieu en saison chaude de 1986 à 1988 (Figures 4 et 5).

De juillet à octobre 1986 dans le secteur nord de la ZEEM, le front thermique était caractérisé par des contrastes de températures de 6-7°C. Au sud de 20°N, la températures des eaux était de 27-28°C. L'intensité du front et sa position créaient des conditions très favorables pour la concentration des poissons pélagiques. La plus grande partie de la ZEEM était caractérisée par des anomalies positives de température.

La position moyenne du front de juillet à octobre 1987 était plus sud, les gradients de température étaient plus faibles et les eaux au sud de 20°N étaient moins chaudes qu'en 1986. Des anomalies négatives de températures ont été observées partout dans la ZEEM sauf à l'extrémité nord-ouest du secteur nord et dans la région comprise entre le Banc d'Arguin et le cap Timiris. En saison froide 1987 des anomalies de température négatives dominaient dans la ZEEM (Figure 6). Aussi, pendant toute l'année 1987 les conditions thermiques étaient plus froides que la moyenne, et plus froides qu'en 1986. Cependant, l'alternance de zones d'anomalies différentes de température de l'eau au sud a créé de bonnes conditions pour la pêche de janvier à avril entre 17°30' et 19°N.

La situation hydrologique observée en saison chaude 1988 (juillet-septembre) peut être qualifiée d'intermédiaire entre celle de 1986 et celle de 1987.

Les conditions thermiques observées en saison chaude 1986 étaient les plus propices, pour les concentrations de poissons pélagiques, de la période 1986–1988. De juillet à octobre, les flottilles de pêche travaillent essentiellement dans le secteur nord, où les variations interannuelles sont les plus importantes.

L'analyse des changements interannuels de la répartition de la température permet de suivre l'évolution interannuelle des particularités hydroclimatiques agissant sur la distribution des poissons pélagiques aux différentes saisons hydrologiques. Afin de comparer les années 1986 à 1988 aux conditions hydrologiques moyennes à long terme, il était nécessaire de posséder un indice général des conditions hydroclimatiques. Pour cela, la procédure suivante a été adoptée. A partir des observations des contrôleurs embarqués sur les chalutiers pélagiques, les moyennes mensuelles ont été estimées pour les “carrés” de 20 milles de côtés situés le long de la côte. Les valeurs obtenues dans des carrés, à différentes distances, ont été soumises à l'analyse corrélative linéaire. Cette analyse a montré que les coefficients de corrélation ne changent presque pas avec l'augmentation de la distance entre les carrés et sont compris entre 0,77 et 0,97. Cela signifie que les variations de température dans les différents secteurs de la ZEEM au cours de l'année sont étroitement liées. Ceci nous permet d'estimer la tendance de la variabilité thermique d'après l'évolution d'une moyenne calculée pour la partie de la ZEEM la plus fréquentée par les bateaux de pêche. En analysant la courbe de variation de la température moyenne de la ZEEM (Figure 7) on remarque que de 1985 à 1988, le maximum secondaire de température observé durant la saison froide se déplaçait de février (1985) à mars (1986–1988). La température moyenne dans la ZEEM en mars augmentait graduellement de 1986 à 1988. Pendant les années 1985–1988, l'écart-type de température le plus important correspond à celui de septembre et confirme l'existence des gradients de température les plus prononcés dans le front thermique. Les températures les plus basses durant la saison chaude ont été enregistrées en 1987. La température moyenne de la ZEEM, calculée à partir des données des contrôleurs, reflète bien l'évolution des conditions thermiques. Cependant, ces données ne sont disponibles que pour la période 1985–1988.

Figure 4

Figure 4 - Répartition moyenne de la température de surface, en saison chaude, dans la ZEE mauritanienne, de 1986 à 1988.

Figure 5

Figure 5 - Anomalies thermiques observées en surface dans la ZEE mauritanienne pendant la saison chaude, de 1986 à 1988. (En grisé : anomalies négatives).

Figure 6

Figure 6 - Répartition moyenne (a) et anomalies (b) de la température de surface en saison froide 1987.

Figure 7

Figure 7 - Evolution des moyennes et des écarts types mensuels de la température de surface dans la région 18 à 21°N de la ZEE mauritanienne.

Les observations effectuées à la station Bayadère depuis 1963 permettent de suivre à long terme les variations des conditions hydroclimatiques. L'analyse des relation entre les changements de ternpérature observés à la station Bayadère et ceux de la température moyenne de la ZEEM a été basée sur la comparaison des anomalies par rapport à une moyenne calculée pour la période 1985–1987. Une bonne corrélation a été trouvée, surtout pendant la saison chaude (Figures 8 et 9a). Les coefficients de corrélation sont respectivement, pour toute l'année, et pour la saison chaude uniquement (juillet-octobre) de 0,62 et 0,82. Cela s' explique par le fait que les déplacements du front thermique, qui en saison chaude se trouve au voisinage de la station, sont bien reflétés par les changements de température à la station Bayadère.

La comparaison des moyennes mensuelles de la température à la station Bayadère pendant les périodes 1963–1987 et 1985–1987 montrent également les phénomènes déjà mis en évidence pour l'ensemble de la ZEEM, à savoir :

Ces résultats montrent donc qu'il est possible d'analyser l'évolution à long terme des conditions hydroclimatiques en saison chaude dans la ZEE mauritanienne à partir des observations effectuées à la station Bayadère. La température moyenne à la station Bayadère en saison chaude (juillet-octobre) a été calculée pour chaque année, de 1963 à 1987. La moyenne pluriannuelle a ensuite été calculée, puis les anomalies par rapport à cette moyenne. Les résultats ainsi obtenus sont représentés à la figure 10. Il nous est alors possible de distinguer deux périodes:

5. DISCUSSION ET CONCLUSIONS

L'analyse de la répartition saisonnière moyenne de la température de l'eau de surface permet d'expliquer les déplacements quasi-cycliques annuels des flottilles de chalutiers pélagiques le long des côtes mauritaniennes.

Les réchauffements et refroidissements saisonniers des eaux, combinés avec les variations d'intensité de l'upwelling côtier, créent à certaines périodes, et en certains lieux privilégiés des conditions favorables pour la concentration des poissons pélagiques. Les régions favorables à la concentration des poissons sont caractérisées en surface par l'existence de gradients thermiques importants entre les eaux froides de l'upwelling côtier et les eaux plus chaudes du plateau continental. Ces gradients thermiques sont la résultante des processus hydroclimatiques ayant lieu dans ces régions.

De janvier à avril, l'apparition de conditions favorables est plus probable dans les régions situées à proximité du cap Timiris. D'avril à juin, le réchauffement progressif des eaux par le sud, ainsi que le renforcement de l'upwelling côtier au sud du cap Timiris, créent d'importantes zones de contraste des paramètres hydroclimatiques, favorables à la concentration des poissons. De juillet à octobre, le réchauffement des eaux est maximum et un front thermique très prononcé se forme à proximité du cap Blanc vers 20°30'N. Cette zone est favorable à la concentration du poisson jusqu'à la fin de l'année. Ce schéma général peut cependant être perturbé du fait de la variablilité spatio-temporelle des paramètres hydroclimatiques.

L'examen de la variabilité de la tempéérature moyenne de l'eau pendant la saison chaude a montré un refroidissement des condition thermiques de surface à partir de 1977. Des variation de ce type peuvent influer sur la distribution àchelle des espèces pélagiques.

Figure 8

Figure 8 - Comparaison des écarts type de la température de surface dans la région 18° à 21°N (¾) et à la station Bayadère (-----) de 1986 à 1988.

Figure 9

Figure 9 - Comparaison des températures moyennes en surface, et près du fond, à la station Bayadère (A) et évolution de la température moyenne mensuelle à cette même station (B).

Figure 10

Figure 10 - Anomalies thermiques observées en saison chaude à la station Bayadère de 1963 à 1987.

6. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Bernikov R.G., 1980 - Régime thermique des eaux de la baie du Lévrier. Bull. Centr. Nat. Rech. Océanogr. et Pêches, Nouadhibou, 9(1): 32–40.

Bruhlet J., 1974 - Eleven years of hydrological observations near cap Blanc. CUEA News-letter, 3(1): 1–7.

Chavance P., 1988 - Description de l'activité des flottuilles pélagiques industrielles en 1987 dans la ZEE mauritanienne. Bull. Centr.Nat. Rech. Océanogr. et Pêches. Nouadhibou, 17:1–29

Chavance P., Josse E.., Damiano A. et Lawal D., 1987 - Description de l'activité des flottilles pélagiques industrielles en 1986 dans la ZEE mauritanienne. Bull. Centr. Nat. Rech. Océanogr. et Pêches, Nouadhibou, 15(1):113–138.

Tchernychkov P. et Damiano A., 1985 - Régime hydrologique de la Zone Exclusive de Mauritanie. Bull. Centr. Nat. Rech. Océanogr. et Pêches, Nouadhibou, 9(1):32–40.

8. REMERCIEMENTS

L'auteur remercie P. Chavance, A. Damiano, E. Foucher et M. Ould El Mahfoud pour leur contribution à la réalisation de ce travail.


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