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ANNEXE J


Aspects socio-économiques des pêcheries pélagiques en Mauritanie
par
M. SOK1

1. INTRODUCTION

La ZEE Mauritanienne est riche en ressources pélagiques côtières (sardinelles, sardine, chinchards et maquereau). Exploitées depuis de longues années par des chalutiers à grand rayon d'action (Super-Atlantique et Atlantique), les espèces de petits pélagiques côtiers demeurent en volume les captures dominantes dans les eaux mauritaniennes. Les estimations peuvent varier d'une source à l'autre. Toutefois on s'accorde sur un chiffre de 450.000 tonnes de captures annuelles.

Une analyse économique approfondie entreprise pour l'année 1986 par la CEAMP/MPEM sur l'ensemble de la Filière Pêche de la Mauritanie a retenu le chiffre de 486.000 tonnes et confirme tout à fait cette prédominance de tonnage de captures contrastant fortement avec une faible valorisation et une retombée économique la plus médiocre par rapport à celle des autres pêcheries.

En effet, la Valeur Ajoutée incluse à la tonne (VAi/T) (Tableau 1) est seulement de 4,418 UM au kg pour l'ensemble des pêcheries pélagiques industrielles. C'est la plus faible valeur ajoutée observée rapportée à l'unité de poids comparativement à celle de toutes les filières et sous-filières de la pêche mauritanienne.

A titre d'illustration, on peut constater, pour 1986 que:

Cette faible contribution de l'exploitation du pélagique au développement économique du pays a été signalée dans différents rapports et certaines évaluations réalisées concluent qu'il n'est actuellement pas rentable pour la Mauritanie d'exploiter elle-même cette ressource (Gilly et Maucorps, 1987).

2. ASPECT ECONOMIQUE DES PECHERIES PELAGIQUES DANS LE CONTEXTE DE L'ENSEMBLE DES FILIERES PECHE MAURITANIENNE

Le poids économique respectif de chaque pêcherie dans l'ensemble de la Valeur Ajoutée incluse (VAi) du secteur de la pêche est mentionné dans le tableau 1 (demière colonne). Le total de VAi se chiffre à 11,529 miliards d'UM en 1986 (pour les détails se référer aux tableaux en annexe de “Analyse Economique du Secteur de la Pêche en Mauritanie”, Octobre 1987 CEAMP/SEDES).

Une étude approfondie sur l'aspect “économie externe” de cette pêche chalutière serait intéressante à entreprendre, et ce en vue d'appréhender les incidences économiques et biologiques de cette pêche au chalut sur les stocks démersaux et d'orienter la stratégie de développement de la pêche pélagique en Mauritanie dans le sens souhaitable. L'objectif d'une telle étude est de voir l'opportunité d'une participation plus grande de ces ressources abondantes au développement économique et social du pays.

1 Expert économiste de la CEAMP/MPEM. Directeur d'Etudes de la SEDES, Société d'Etudes pour le Développement Economique et Social.

Tableau 1: Les ratios significatifs de la filière pêche en Mauritanie pour 1986. Tableau récapitulatif (Extrait et synthèse de “Analyse Economique du Secteur de la Pêche” CEAMP/SEDES octobre 1987).
IDENTDEFINITIONSQUANTITEVAi/VACD/EXPVai/TVAi/liBal Dev/VA directeVA incluse
AGENTSFILIERES ET S/FILIERES(T)RatioRatio(K UM)Ratio(K UM)par filièrenette
 Pêche artisanale au stade producteur        
A1- traditionnelle10,0002,231,2014,7292,37-10,43066,60147,30
A2- moderne6 0001,280,2674 3443,0370 847348,30446,10
 Ensemble16 0001,430,3437 0852,8325 916414,90593 40
 Unités de stock age et de        
A7congélation 2,4437,0593 6872,538 966626,201 397,20
A7bisUnités de stockage 2,4411,1828 2802,538 966  
A9Bateaux-glaciers démersaux        
A8- Flotte affrétée1 7804,760,7324 8700,3824 87013,2051,80
 - Flotte autorisée2201,940,6234 0820,6034 082  
 Ensemble2 0003,930,7125 8840,4025 88413,2051,80
 Chalutiers-glaciers        
A8démersaux        
 - Flotte affrétée2,9002,830,7132 2910,4032 291329,60548,70
 - Flotte autorisée7,0001,540,4364 3321,3464 332  
 - Flotte licenciée3001,000,0015 900 15 900  
 Ensemble10 2001,670,5053 7980,9653 798329,60548,70
 Chalutiers congélateurs        
A10démersaux        
 - Flotte affrétée7,1001,110,5879 7850,7279 7855 861,905 179,40
 - Flotte autorisée42,9000,850,43100 4351,30100 435  
 - Flotte licenciée5,0001,000,0060 852 60 852  
 Ensemble55,0000,880,4174 1701,2694 1705 861,05 179,40
 Chalutiers congélateurs        
A11pélagiques        
 - Flotte affrétée466,5001,020,494 4180,414 4182 039,302 080,10
 - Flotte licenciée19,5001,000,000 972 0 972  
 Ensemble486,0001,020,484 2800,424 2802 039,302 080,10
 TOTAL GENERAL569,200       
 - Pêches spécialisées22,000     513,00513,00
 - SNCP + Circ commercialis      990,101,363,10
IDENTTOTAL GENERAL591,300     10 788,2011,726,70
AGENTS(y c. commercialisation)(T)RatioRatio(K.UM)Ratio(K.UM)(K.UM)(K.UM)
  QUANTITEVAi/VACD/EXPVAi/TVAi/liBal Dev/VA directeVA incluse

N B: VAi:Valeur Ajoutée incluse VAd: Valeur Ajoutée directe CD:Coûts en devises li : Importation incluse T: Tonnes K UM : Milliers d'Ouguiyas Bal Dev : Balance en devises EXP : Exportation

Avant de se lancer dans ce créneau de mauritanisation de l'exploitation des ressources pélagiques dont on connait mal les conditions de rentabilisation, il faut prendre en compte plusieurs paramètres (la faiblesse des prix internationaux, les coûts élevés de la transformation à terre des produits et sous-produits pélagiques (farine de poisson, congélation), les coûts des intrants importés, le circuit de commercialisation très spécifique des pélagiques. Il n'est pas certain que toutes ces contraintes recensées en défaveur de la maîtrise mauritanienne de cette activité interdisent à priori toute exploitation nationale semi-industrielle de ces ressources pélagiques.

La carte pélagique reste encore à jouer dans la mesure où la Mauritanie devient le premier fournisseur du marché ivoirien par exemple (INFOPECHE n° 12). D'autres marchés africains existent et peuvent être redynamisés dans le cadre de la coopération sous-régionale. L'idée de création d'un complexe de pêche communautaire CEAO garde une certaine actualité du point de vue de l'approvisionnement en protéine du marché régional. A ce projet on peut réfléchir et expérimenter des formules des “échanges compensés” rendus possibles par les perspectives de développement d'une coopération inter-régionale.

La petite pêche fraîche artisanale qui s'est fortement développée au Sénégal semble être une alternative valable pour la Mauritanie, à condition qu'elle se développe progressivement et non à coup de grands frais, dans le sens adopté par le Gouvernement dans sa nouvelle stratégie de développement prioritaire de la pêche artisanale. D'autant plus que la pêche industrielle pélagique n'a qu'une faible retombée économique. En cernant de plus près tous les effets de cette pêche chalutière, peu sélective, il n'est pas exclu qu'on assiste à une déséconomie externe sur les ressources en particulier sur la pêche démersale, exclusivement réservée au nationaux (fausse pêche démersale, exportation officieuse, sous-déclaration).

3. REFLEXIONS SUR L'ALTERNATIVE DE L'EXPLOITATION DES PELAGIQUES PAR LES MAURITANIENS

Sans sous-estimer l'apport en devises au Trésor Public de la pêche pélagique (VAd directe 2,039 milliards UM et une VAi de 1,938 milliard en 1986 pour 486.000 tonnes) il demeure que l'avantage que tire l'état de l'affrêtement des congélateurs pélagiques reste très faible.

La décomposition est ainsi faite (Tableau 2):

TOTAL : 4.993.538.000 UM pour les armateurs pélagiques, 2.061.150.000 UM de VAi dont:

Salaires : 502.929.000 UM soit 7,1%,

Etat : 26.908.000 UM soit 0,4% (la part Etat dans les nourritures),

Divers : 1.518.313.000 UM soit 21,7% dont une partie de dividende (49 à 50%) comprise dans ce montant pourrait être retransférée par les sociétés pélagiques bénéficiaires au profit des partenaires étrangers.

Compte tenu de cette faible retombée économique du pélagique, et du fait que l'affrêtement représente un “coût en devises” équivalent à un manque à gagner en recettes d'exportation pour la Mauritanie, on doit développer des réflexions sur:

Tableau 2: Répartition du chiffre d'affaire des chalutiers congélateurs pélagiques en importations incluses, valeurs ajoutées incluses.
Année 1986KUMdont
PostesCDVASalaireEtatDivers
Nourriture55.25740.8421.44126.90812.493
Affrêtement4.938.281    
Salaires-501.488501.488- 
R.N.E. 1.518.820  1.518.820
TOTAL4.993,5382.061.150502.92926.9081.531.313
POURCENTAGE(70,8%)(29,2%)(7,1%)(0,4%)(21,7%)

Avec cet ensemble de train de mesures incitatives, l'exploitation et la maîtrise mauritanienne du pélagique reste une affaire à suivre sur laquelle des recommandations originales seront à formuler.

4. STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT ET DE LA MAITRISE PROGRESSIVE DES PELAGIQUES PAR LA MAURITANIE

Par recoupement d'informations, il semble qu'il existe une incertitude notable sur la conclusion selon laquelle les contraintes techniques et économiques empêchent un développement local de l'exploitation pélagique et que le mode d'exploitation actuel par des chalutiers pélagiques soit une fatalité. Il y a eu dans le passé un fort développement de la pêche industrielle par des flottilles de senneurs et navires-usines. La nécessité de diversification des techniques de pêche par le biais de senneurs est peut-être encore plus souhaitable que la diversification des partenaires. Le développement de senneurs serait vivement recommandé, et ce afin de promouvoir une exploitation plus sélective des ressources pélagiques.

Par ailleurs, la même performance réalisée en 1987 avec moins d'effort de pêche en terme de nombre de chalutiers devrait faire réfléchir. Le stock des petits pélagiques, d'après l'avis des scientifiques du Groupe de travail sur le pélagique de juin 1988 (Anonyme, 1988) semble bien se comporter. Il ne faut pas perdre de vue la nécessité de contrôle et du suivi des sociétés pour réduire la part de manque à gagner de l'Etat dû au fait des sous-déclarations de captures, et la réalité de la fausse pêche. Les taxes à l'exportation, telles qu'elles sont pratiquées actuellement sont calculées et perçues sur la base théorique de captures erronées ou sous-déclarées.

5. CONCLUSION

Par l'analyse économique du secteur de la pêche qu'elle a menée pour l'année 1986, la CEAMP contribue à éclairer le choix de la stratégie de développement en matière de pêche. La combinaison des ratios significatifs de la Filière Pêche Mauritanienne contenus dans le tableau 1 permet de tracer les grandes orientations en matière de stratégie en fonction des objectifs à atteindre.

Pour s'en tenir au pélagique, la pêche pélagique, la pêche artisanale et la pêche industrielle chalutière n'occasionnent pas les mêmes effets induits sur l'économie nationale. En effet, il est certain que la pêche industrielle pélagique dans sa forme actuelle d'exploitation n'induit que peu de retombées économiques pour le pays et que l'Etat ne retire qu'un faible avantage de l'affrêtement de congélateurs pélagiques.

L'appréhension et la prise en compte des incidences qu'aurait la pêche pélagique sur les ressources démersales conduiraient probablement à confirmer une déséconomie externe de par le manque à gagner pour la Mauritanie mais l'absence de données détaillées sur la composition et le volume exact des prises accessoires d'espèces démersales par la pêche pélagique ne permet pas de quantifier l'impact réel de cette dernière sur les prises de certaines espèces démersales. Pour 1987, nos estimations des prises et du chiffre d'affaire de la filière chalutiers congélateurs pélagiques s'élèvent à 445.780 t (y compris 21.000 t de fausse pêche) et à 8,267 milliards d'UM (y compris “by catch” de 1,764 milliards d'UM). Tous ces facteurs concourent à chercher à diversifier les modes d'exploitation des petits pélagiques, l'abandon du système d'exploitation des congélateurs pélagiques étant inconcevable, vu l'importance des recettes en devises procurées par ce stock partagé et compte tenu des problèmes d'accès de la pêche artisanale aux ressources disponibles.

L'objectif, tel qu'il est indiqué dans la Déclaration de Politique de Développement du Secteur de la Pêche, est d'accorder une priorité absolue au développement de la pêche artisanale pour maximiser la Valeur Ajoutée nationale par le biais de la création d'emplois. Il semble que ce soit la pêche prioguière à la senne tournante qui donnerait, à la lumière de l'expérience sénégalaise, de meilleurs résultats à moindre coût.

La flotte optimale pélagique de demain serait composée d'unités artisanales de sennes tournantes, de filets maillants, de senneurs industriels approvisionnant un navire-usine et de chalutiers congélateurs pélagiques majoritairement affrêtés et nationaux (minoritairement). Tout sera question de dosage, de programmation et de gestion de l'effort pélagique, tenant compte de l'avis du comité consultatif et des résultats de recherches du CNROP en matière de ressources et de l'effort de pêche.

Des actions doivent aller dans le sens de la recherche des moyens pour améliorer des systèmes d'exploitation complémentaires ou/et alternatifs de manière à ce que ces ressources abondantes participent réellement au développement économique et social de la Mauritanie. Le développement de la pêche artisanale doit être au centre des préoccupations du moment, étant une priorité absolue adoptée par le Gouvernement dans sa Déclaration de Politique de Développement de secteur de la pêche en avril 1987.

6. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Gilly B. et Maucorps A., 1987 - L'aménagement des pêcheries de la Mauritanie et la développement de la recherche halieutique. Rapport pour le projet Assistance au CNROP. FAO,FI:TCP/MAU/6655,174 p.

Sok M., 1988 - Application de la méthode des effets dans “L'analyse économique du secteur de la pêche en Mauritanie”. In Rapport du Groupe de travail CNROP-CRODT/ISRA sur les ressources pélagiques côtières (Sénégal-Mauritanie). Centr. Nat. Rech. Océanogr. et Pêches, Nouadhibou, Mauritanie - 8–16 juin 1988:221–253.

Sok M., Ould Abdi F., Ould Sidi B. et Gaudechoux J.P., 1987 - Analyse économique du secteur pêche. Cellule économique d'appui au ministère des pêches (CEAMP), SEDES : 36p. + annexes.


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