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POLLINISATION PAR VOIE LIQUIDE SUR LES PINS

par

G.B. Sweet, R.L. Dickson, Yetty G. Budi Setiawati et Iskandar Z. Siregar
School of Forestry, University of Canterbury
Christchurch, Nouvelle-Zélande

INTRODUCTION

Dans une publication récente (Sweet et al., 1992), nous avons parlé des potentialités qu'offre la pollinisation par voie liquide pour réaliser des croisements dirigés avec Pinus radiata. Nous examinerons dans cet article les raisons qui motivent l'emploi de cette technique, et la décrirons plus en détail.

L'un des grands avantages de la pollinisation par voie liquide pour les pins est que la technique d'application fournit en même temps le pollen et la gouttelette de liquide qui assurera la pollinisation. Contrairement à la pollinisation à sec, le pollen appliqué en suspension liquide ne reste pas plusieurs jours sur les bras du micropyle, attendant une gouttelette de liquide, mais il est à même de pénétrer immédiatement dans le micropyle. C'était pour nous un avantage appréciable, parce que nous cherchions à réaliser des pollinisations dirigées sans recourir à des sachets isolants. Nous avons donc utilisé de l'air comprimé pour souffler le pollen sauvage pouvant se trouver sur les bras du micropyle, et ensuite appliqué le pollen contrôlé en suspension dans l'eau pour lui permettre de pénétrer dans le micropyle. En utilisant du pollen teinté, nous avons montré que, si la technique d'application est bonne, tout le pollen qui pénètre dans les micropyles est du pollen apporté, autrement dit qu'il est possible d'éviter la pollinisation par du pollen “sauvage” sans recourir à des sachets isolants (Sweet et al., 1992).

Nous appliquons, en collaboration avec l'Institut de recherche forestière de Nouvelle-Zélande, des techniques d'analyse génétique pour confirmer que le système est efficace à échelle opérationnelle. Dans ce cas, ce sera un outil précieux pour effectuer des pollinisations dirigées dans les vergers à graines, et ce pour deux raisons. La première est qu'elle rend la pollinisation dirigée bien plus économique et facile à réaliser, et la seconde, sans doute plus importante, est qu'en opérant sans sachets isolants on accroît considérablement le rendement en graines par cône. Ce dernier facteur confirme l'effet négatif bien connu des sachets isolants sur le rendement en graines.

QUELLE EST L'EFFICACITE DE LA TECHNIQUE ?

Nos données (Tableau 1) proviennent de pollinisation sans sachets. Si la pollinisation par voie liquide produit des rendements en graines par cône comparables à ceux obtenus par pollinisation normale (à sec), elle aboutit en outre à des graines de plus grande taille ayant une énergie et une faculté germinatives supérieures. Cela indique, pressentons-nous, que chez les pins la pollinisation par voie liquide est biologiquement plus efficace que la pollinisation à sec.

Selon nous, cette technique offre des possibilités manifestes d'utilisation dans les vergers à graines à pollinisation dirigée, et les vergers “prairies” à forte densité établis en Nouvelle-Zélande s'y prêtent idéalement. A l'heure actuelle, seul un petit nombre de vergers à graines dans le monde sont soumis à la pollinisation dirigée, en dépit des avantages génétiques considérables de cette technique (voir Sweet et Krugman, 1977). Bien que cette situation soit sans doute en train de changer, il y a lieu de se demander si la pollinisation par voie liquide a aussi sa place dans les vergers à graines à pollinisation libre ? Un certain nombre de ces vergers recourent actuellement à la pollinisation massale de complément, dans le but d'accroître la proportion de pollen génétiquement amélioré dans le verger (par rapport au pollen sauvage amené de l'extérieur par le vent). Il semblerait très logique de faire cette pollinisation de complément en suspension liquide, pour la même raison que ce mode d'application est efficace dans les pollinisations dirigées pratiquées sans isolement.

Tableau 1. Caractéristiques comparées des graines de cônes identiques pollinisés par voie liquide et à sec. Les données ci-dessous sont les moyennes de 10 cônes représentant 3 clones différents.

ParamètresPollinisation par voie liquidePollinisation à sec
Nombre total de graines par cône135 ± 5 a139 ± 5 a
Nombre de graines pleines par cône126 ± 5 a129 ± 8 a
% de graines pleines93 ± 1 a93 ± 1 a
Taille moyenne des graines (g)3,65 ± 0,9 a3,25 ± 0,12 b
Energie germinative (%)84 ± 2 a71 ± 3 b
Faculté germinative (%)95 ± 2 a86 ± 3 b

Les traitements ayant des lettres différentes (a et b) diffèrent statistiquement au niveau 1 %.

QUELLE EST LA TECHNIQUE D'APPLICATION DE POLLEN PAR VOIE LIQUIDE ?

Nous utilisons un pulvérisateur comparable à un mini-pistolet à peinture (Figure 1). L'air comprimé sortant par une buse passe sur une deuxième buse qui constitue l'orifice du réservoir contenant la suspension de pollen. Cette méthode utilise l'“effet de Bernoulli” pour faire monter la suspension de pollen dans la buse et la pulvériser sur les strobiles. A échelle commerciale, on peut utiliser comme source d'air comprimé un réservoir du type bouteille de scaphandre autonome, ou un compresseur mû par batterie. Avec un régulateur de pression classique, on peut régler la pression d'air au niveau approprié. Une vanne de commutation dans la poignée permet de souffler l'air sur les strobiles avec ou sans inclusion de suspension liquide de pollen.

Figure 1. Exemples de pulvérisateurs utilisés pour la pollinisation par voie liquide

Figure 1

QUELLE EST L'IMPORTANCE DE LA TECHNIQUE D'APPLICATION ?

Comme pour toute forme de pollinisation, le pollen, qu'il soit frais ou ait été conservé, doit avoir un fort pourcentage de germination. En ce qui concerne la concentration, nos recherches montrent qu'il faut une suspension de 2,5 à 3 grammes de pollen par 100 ml d'eau pour obtenir une pollinisation optimale. Des concentrations plus faibles peuvent produire des rendements en graines inférieurs. L'eau doit être distillée ou désionisée, en effet la germination du pollen est souvent inhibée si l'on utilise de l'eau du robinet. Le moment de l'application n'a pas une importance particulière, cependant plusieurs pollinisations successives donnent de meilleurs résultats qu'une seule. Sweet et al. (1992) présentent des données à l'appui de ces affirmations.

En Nouvelle-Zélande nous utilisons fréquemment du pollen qui a été séché (entre 6% et 12%) et entreposé pendant un an. Ce pollen doit être réhydraté avant d'être mélangé à l'eau. Nous le faisons en le plaçant pendant 4 à 12 heures dans une atmosphère humide.

CETTE TECHNIQUE EST-ELLE SUSCEPTIBLE D'AMELIORATION ?

L'une des premières questions que nous nous sommes posée est évidemment de savoir si l'eau est le liquide optimal pour la suspension de pollen (la gouttelette qui assure la pollinisation est elle-même une solution de sucres simples - McWilliam, 1958). Nous avons effectué de nombreux essais de laboratoire pour déterminer si en utilisant diverses solutions nous pouvions améliorer la germination du pollen in vitro. Nous avons réussi à améliorer la germination du pollen de plus de 15%, et la croissance in vitro du tube pollinique d'environ 20%, en utilisant des mélanges appropriés d'hormones, d'ions minéraux, d'hydrates de carbone, etc. Nous avons mis en place des expérimentations pour déterminer si l'utilisation in vivo de ces additifs se traduira par un accroissement du rendement en graines par cône, mais les résultats ne sont pas encore disponibles. Selon des observations récentes, il semble qu'il puisse se produire au moment de la pollinisation une infection des strobiles par des bactéries pathogènes ou des spores de champignons, et nous avons également mis en place des essais pour déterminer les rendements en graines après application de pollen en suspension avec des antibiotiques et des fongicides.

Nous n'avons pas fait d'essais de pollinisation avec des pins autres que Pinus radiata, mais il n'y a pas de raisons qu'elle ne réussisse pas. Chez Pinus spp la gouttelette de pollinisation permet aux grains de pollen de s'élever en flottant pour atteindre le micropyle. On a des raisons de penser (Greenwood, 1986) que dans la nature ce phénomène se produit souvent avec de l'eau de gouttes de pluie, plutôt qu'avec la gouttelette de pollinisation qui n'apparaît que d'une manière peu fréquente, et dans des conditions de très forte humidité. Il n'y a donc biologiquement rien d'antinaturel à appliquer de l'eau immédiatement après la dispersion du pollen. Nous avons en fait essayé cette technique, mais constaté que l'application de pollen dans de l'eau est plus efficace que l'application de pollen à sec, et d'eau ensuite.

Dès 1962, Allen et Sziklai ont rapporté un essai de pollinisation par voie liquide sur sapin de Douglas. Du fait que les grains de pollen de douglas ne sont pas ailés, et qu'il n'y a pas de mécanisme de gouttelette de pollinisation (Allen et Owens, 1971), la biologie de la pollinisation est très différente de celle des pins. Néanmoins, ces auteurs indiquent des nombres de graines pleines par cône comparables ou supérieurs à ceux obtenus par pollinisation à sec. On peut là aussi penser que la pluie avant ou après la pollinisation est un phénomène naturel courant, et que la pollinisation par voie liquide en est plus ou moins la reproduction pour un certain nombre d'essences.

L'application commerciale de la pollinisation par voie liquide n'en est encore qu'à ses débuts, mais des signes encourageants permettent de penser qu'elle se répandra. Un intérêt s'est déjà manifesté pour son emploi dans l'hybridation de Pinus.

Références

Allen, G.S. & J.N. Owens (1972). The life history of Douglas fir. Environment Canada, Ottawa.

Allen G.S. & O. Sziklai (1962). Pollination of Douglas fir with water suspensions of pollen. Forest Science 8, 64–65.

Greenwood, M.S. (1986). Gene exchange in loblolly pine: the relation between pollination mechanism, female receptivity and pollen availability. Amer. J. Bot. 73(10) 1443–1451.

McWilliam, J.R. (1958). The role of the micropyle in the pollination of Pinus. Botanical Gazette 120, 109–117.

Sweet, G.B. & S.L. Krugman (1977). Flowering and seed production problems - and a new concept of seed orchards. Contribution spéciale invitée, 3ème Consultation mondiale sur la génétique forestière.

Sweet, G.B., R.L. Dickson, B.D. Donaldson & H. Litchwark (1992). Controlled pollination without isolation - a new approach to the management of radiata pine seed orchards. Silvae Genetica 41(2), 95–99.

Informations sur les Resources Génétiques Forestières No 21. FAO, Rome (1994)


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