Page précédente Table des matières Page suivante


CHAPITRE 1: Les phénomènes de marginalisation et d'exclusion


1. Le contexte de l'analyse de ces phénomènes
2. Les marginalisations et exclusions dues aux choix faits par les intervenants extérieurs
3. Les interactions entre les structures sociales existantes et l'intervention extérieure
4. Les phénomènes d'exclusion et leur identification

1. Le contexte de l'analyse de ces phénomènes

Après trois décennies d'expérience de grands projets ou programmes de développement en milieu rural, sous-tendus par une politique fondée sur une approche verticale et technique (méthodes d'encadrement, vulgarisation à des fins de croissance économique) les résultats décevants en matière de mobilisation du monde rural autour des objectifs définis par l'Etat, ont conduit à une remise en cause de ces politiques.

La dernière décennie restera dans l'histoire des pays du Sahel en général, et au Sénégal en particulier, celle du désengagement de l'Etat et, les transferts de responsabilité qui en sont l'expression, considèrent "la participation populaire au développement" comme un facteur essentiel du processus de développement rural participatif et décentralisé.

Le développement rural participatif devrait tendre à susciter l'expression des différents groupes ou ensembles d'individus qui composent la société bénéficiaire du Projet ou Programme de développement concerné. L'on peut toutefois se demander si cet engouement pour la participation des populations, est toujours motivé par une réelle volonté d'aboutir à une responsabilisation de toutes les couches sociales des communautés de base concernées.

De façon générale, il semble que la participation n'est pas exempte d'ambiguïtés; en effet, beaucoup de projets et programmes disent utiliser des démarches participatives pour mener à bien leurs objectifs, ces démarches sont-elles réellement participatives? des réponses apportées à un certain nombre de questions pourraient le confirmer ou non, il faut se demander en effet:

- Qui participe? à quoi? comment? jusqu'à quel point?

- La participation consiste-t-elle à décider de façon unilatérale et à transférer des charges que l'Etat ne peut et ne veut plus assumer?

- La participation consiste-t-elle à informer, "sensibiliser" les populations pour qu'elles adhèrent à des actions définies en dehors d'elles?

- La participation est-elle uniquement réservée aux zones et aux populations les plus défavorisées, là où les enjeux semblent faibles en termes macro-économiques?

- La participation peut-elle être sélective pour certains domaines d'intervention et pour une certaine catégorie de population?

La réponse à ces questions soulève des ambiguïtés autour de l'utilisation de la participation, qui, dans le contexte de vide crée par le désengagement de l'Etat, risquent d'encourager la récupération de cette dynamique participative au profit de quelques uns cherchant à s'approprier les centres de contrôle du pouvoir et du savoir.

Une autre incertitude, quant à la mise en oeuvre d'une démarche participative est celle liée à la capacité de prendre en compte les réalités sociales rurales qui sont aujourd'hui extrêmement complexes. Les sociétés villageoises combinent en leur sein, dans une juxtaposition le plus souvent conflictuelle, une situation d'économie de cueillette (système de production ancien) et une situation d'économie moderne (système de production marchand); cette contradiction interne, aggravée par les agressions diverses venant de l'extérieur (effets de crise généralisée), a fini par renforcer et complexifier la différenciation sociale au sein des communautés de base; les sociétés villageoises ne sont pas homogènes, elles sont largement différenciées.

On trouvera, selon divers critères économiques, sociaux, ethniques, etc... toute une palette de situations. Ainsi, par exemple, on aura côte à côte les paysans riches et les paysans pauvres, les aînés et les cadets, les hommes et les femmes, les nobles et les esclaves, etc...

En apportant une attention insuffisante à ces distinctions ou hiérarchisations préexistantes, une démarche participative menée de façon indifférenciée auprès des différents groupes sociaux peut, de ce fait et parfois involontairement, renforcer les clivages préexistants ou pour le moins ne pas les atténuer.

A côté de ces ambiguïtés et par rapport à ces difficultés, certains projets et programmes s'efforcent de promouvoir des approches réellement participatives qui concrètement impliquent toutes les couches sociales des communautés de base concernées:

- dans la définition, l'élaboration, la mise en oeuvre de leurs objectifs et stratégies de développement;

- dans le suivi, le contrôle, l'évaluation des activités;

- dans l'organisation et la gestion des dynamiques de base qui s'expriment à travers des structures de groupes autonomes;

- dans la concertation et la négociation de leurs objectifs et stratégies avec les autres acteurs du développement rural.

Ces projets s'efforcent effectivement de mettre en oeuvre, et de façon planifiée, un réel processus de libération des initiatives de base. Mais même dans ces cas là, certaines structures ont quelques difficultés à maîtriser ces méthodes, et des pratiques d'intervention plus ou moins directives réapparaissent parfois en contradiction avec l'objectif de responsabilisation des acteurs concernés qu'ils sont censés poursuivre ainsi d'une manière générale, les résultats des expériences participatives ont connu des limites réelles qui peuvent être diversement appréciées:

IL y a les limites imputables aux facteurs externes, parmi celles-ci:

- Un environnement politique et institutionnel peu favorable. Il a, bien des fois, réduit la marge de manoeuvre dans l'application d'une démarche participative. Au Sénégal l'option nationale en faveur des principes du développement à la base est exprimée et formulée dans les textes juridiques existants (droit associatif avec statut loi 1901 - statut mutualiste de coopérative - contrat constitutif de groupement d'intérêt économique - nouvelle politique agricole etc...). Mais ces cadres juridiques ont le plus souvent été conçus de façon unilatérale par les services de l'Etat, sans tenir compte des réalités socio-économiques locales, et se sont parfois avérés inadaptés. Certains sont trop généraux (statut loi 1901, pour les organisations paysannes à but à la fois lucratif et non lucratif), d'autres tout à fait contraignants (les frais constitutifs d'un GIE sont inaccessibles pour plus d'un groupement potentiel) ou tout simplement inapplicables (la Nouvelle Politique Agricole "NPA" transfère les responsabilités sans les moyens pour les assurer).

- Un environnement économique peu incitatif est un autre facteur limitant; les zones agricoles sans filières de rente en situation de pointe (le Fogny par rapport au Fouta) constituent un contexte socio-économique peu favorable. Il en est de même des projets à contenus peu motivants et peu souples, des projets qui ont des priorités et des exigences qui ne sont pas celles des populations, également des projets qui dans une société composée de catégories très dépendantes les unes des autres, choisissent leurs partenaires de façon exclusive, les femmes uniquement sans les hommes, les jeunes sans les adultes, etc...

Il y a aussi les limites provenant des facteurs internes aux communautés de base elles-mêmes. En effet les organisations des sociétés rurales au sein desquelles se développent les projets et programmes participatifs sont diversement favorables à la participation de tous; ce sont des sociétés hiérarchisées où chacun selon son statut social et/ou économique, a sa place; l'homme par rapport à la femme, l'adulte (l'aîné) par rapport au jeune (le cadet), l'initié par rapport au non initié, l'initié marié par rapport à l'initié non marié, l'esclave par rapport à l'homme libre, le noble par rapport aux castes, la famille fondatrice, propriétaire de terres par rapport à celle de migrants etc... Ce sont des sociétés déstructurées où la juxtaposition de l'ancien ordre des choses aux nouvelles exigences du mode de production marchand, a fini par entamer l'équilibre socio-culturel de populations dangereusement écartelées; situation des plus difficiles à intégrer dans l'impérieuse nécessité pour ces populations de s'organiser de façon fonctionnelle et efficace pour une véritable participation.

Ces divers facteurs limitants et bien d'autres encore, génèrent, sûrement, des phénomènes de marginalisation s'exprimant à travers l'exclusion de certains groupes de couches sociales. Ceux-ci auront très difficilement, voire pas du tout accès aux facteurs de production (terre - eau), aux centres de prise de décision, au partage des revenus, du pouvoir et du savoir.

Au travers des trois études de cas, nous nous sommes attachés à la recherche et l'analyse:

- du contexte historique dans lequel ont évolué ces projets. Il est abordé d'un point de vue social, économique, politique, culturel et écologique. Pour une raison ou une autre, un tel contexte peut s'avérer favorable ou non à la mise en place d'un processus de participation,

- de l'institution porteuse du processus de participation et de son évolution, car son organisation et ses méthodes d'intervention pourront faire émerger ou non les initiatives de base,

- de la structure sociale en place, expression des dynamiques de base au sein desquelles peuvent déjà exister des phénomènes d'exclusion et de marginalisation, mais qui en même temps possède les moyens de sa propre remise en cause et de réajustement de sa trajectoire,

- de la capacité et de la volonté des utilisateurs à conduire un véritable processus de participation dont le succès dépend en premier lieu d'une volonté philosophique et méthodologique, de la capacité technique de la mise en oeuvre de la démarche participative, de la maîtrise enfin des réalités du milieu. Du côté des populations, la mobilisation et le désir de participer dépend, en effet, de l'intérêt et de la motivation que peuvent susciter en elles les objectifs et priorités du projet ou programme.

Les exemples choisis l'ont été pour leur diversité dans la conception du projet ou programme; projets très différents au niveau de la conception et de la mise en oeuvre, au niveau des zones géographiques et des groupes concernés, ils se caractérisent toutefois par un objectif commun, celui de conduire les programmes de développement identifiés, suivant une démarche participative visant à la responsabilisation des groupes concernés. Ces trois études de cas sont les suivantes:
- Le Projet Recherche-Développement CADEF est le projet d'une Association paysanne endogène qui bénéficie de l'appui d'intervenants extérieurs multidisciplinaires pour la mise en oeuvre du plan de développement local qu'elle a contribué à définir.

- Le Projet d'appui aux producteurs et productrices d'oignons (APPOL) est un projet essentiellement conçu par les intervenants extérieur aboutira à une participation des catégories professionnelles intéressées seulement dans sa 2ème phase.

- Le Projet d'appui à l'Union de Koulouk à partir d'un projet de mise en place de micro-réalisations, favorisera l'émergence de l'Union des groupements de Koulouck qui définira elle-même son programme de développement triennal.

Pour parvenir à la formulation de réponses à notre questionnement, pour chaque étude de cas, ont été abordés:
- le diagnostic analyse du contexte historique,
- l'analyse de l'institution porteuse du processus de participation,
- l'analyse des structures sociales existantes,
- l'analyse de la pratique de participation à travers les actions et activités, leurs résultats,
- la synthèse de l'analyse des phénomènes d'exclusion.
Les méthodes d'observation utilisées ont été essentiellement des entrevues, avec les responsables et dirigeants des projets, avec les participants responsables, leaders des différentes structures, organes et instances de participation des populations, avec les autres acteurs du développement rural de la zone.

L'étude approfondie des 3 études de cas, ainsi que des remarques plus générales portant sur d'autres expériences mettent en évidence des phénomènes d'exclusion, phénomènes provoqués par l'intervention extérieure qui aura mal appréhendé le contexte socio-économique et culturel des groupes partenaires et proposera un contenu de programme d'actions inadapté pour certains groupes et qui, de ce fait, se retrouveront exclus du processus de développement initié par les intervenants extérieurs, mais aussi phénomènes d'exclusion existant au sein même des sociétés rurales, dont certains proviennent de l'organisation traditionnelle elle-même et d'autres des conditions liées aux changements apportés par le projet de développement.

2. Les marginalisations et exclusions dues aux choix faits par les intervenants extérieurs


a. au niveau des objectifs et des contenus des projets
b. au niveau du choix des populations cibles

a. au niveau des objectifs et des contenus des projets

Lorsqu'un l'objectif d'un Projet est déconnecté de l'ensemble des préoccupations prioritaires des habitants de la zone où celui-ci intervient, il se heurte à des difficultés pour atteindre cet objectif et peut entraîner des marginalisations plus ou moins volontaires:

- Si le choix d'une entrée sectorielle est diversement motivante pour les populations concernées, parce que leur demande a été mal interprétée, celles-ci s'investiront mollement dans les activités proposées surtout si elles ne contribuent pas à leur meilleure intégration dans la vie socio-économique de la zone et les détourne de leurs préoccupations principales.

- Si l'objectif du projet est d'intervenir dans un secteur précis, celui de développement d'une production par exemple, il risque de privilégier des stratégies à court terme, pour atteindre des résultats quantitatifs et au nom de la recherche d'efficacité, sacrifier la démarche participative nécessaire aux conditions d'une appropriation par les producteurs concernés; souvent dans ces cas là les agents du projet font eux-mêmes les démarches pour atteindre les résultats escomptés et cantonnent les producteurs au rôle d'exécutant, de ce qu'on leur "fait faire", sans que ceux-ci maîtrisent les tenants et aboutissants de leurs actions. Le projet apportera des solutions toutes faites, en se substituant aux acteurs qu'il aura dépourvus de leur responsabilisation.

- Quand le Projet, défini de l'extérieur, et installé "clef en main", veut infléchir les stratégies de fonctionnement existantes par des modèles et des normes extérieurs, prisonnier de sa propre logique, convaincu qu'il détient le monopole de la décision en matière de changement, il risque d'occulter et de mettre à l'écart le potentiel d'initiatives des catégories qu'il veut aider. Par ailleurs les réglementations mises en place par le projet de façon externe risquent de normaliser les actions entreprises de façon inadaptée à la logique et au fonctionnement des sociétés auxquelles il s'adresse. Il ne s'agit pas de choisir à la place des paysans et de leur expliquer ensuite le bien fondé de ce choix.

- Lorsque le projet crée délibérément, pour être efficace, de nouvelles formes d'organisations qui se superposent aux formes d'organisations traditionnelles, il risque d'écarter des groupes ou catégories de personnes de la société dont ils font partie, et déstabilise les stratégies de fonctionnement endogènes, rompant les liens traditionnels qui unissent des groupes et sous-groupes de la communauté; le projet porteur de modèles pré-établis risque de se tromper sur la représentativité des groupements qu'ils créent, et ceux-ci ne sont parfois qu'une façade de circonstance composée des plus opportunistes heureux de profiter de ce qu'apporte le projet.

- Il arrive qu'un Projet, qui veut instituer un système de fonctionnement économique plus équitable et plus rentable, exclut d'une filière déjà existante, des catégories professionnelles traditionnellement impliquées. Cette détermination à vouloir tout faire par une seule catégorie d'acteurs (les producteurs) se heurte souvent à des réticences de leur part, car ils ne se sentent pas toujours ni compétents, ni disponibles pour assurer toutes ces fonctions.

- Lorsque le projet met en place des programmes de formation indifférenciée pour toutes les catégories sociales confondues, il risque d'exclure de ces formations les groupes qui ne peuvent pas s'exprimer librement dans une assemblée représentative de la société dans laquelle ils vivent (jeunes par rapport aux vieux, femmes par rapport aux hommes). Ces programmes, qui prônent la mixité, ne prennent pas toujours en compte les contraintes et limites des femmes par exemple, dont la disponibilité n'est pas égale à celle des hommes du fait de leurs charges et calendriers de travail.

b. au niveau du choix des populations cibles

Un projet qui s'adresse à des catégories sociales déterminées risque de les maintenir dans un isolement peu propice à leur meilleure intégration de la société dans laquelle elles vivent et le choix des secteurs d'intervention ne répondent pas toujours à cette priorité. Enfin les projets conçus de l'extérieur, sur la base d'un diagnostic technique, choisissent parfois des niveaux d'intervention (découpage administratif par exemple) qui ne sont pas toujours adaptés aux réalités sociales dont les regroupements par affinités ne se font pas forcément à ce niveau. En voulant travailler indifféremment avec des groupes ethniques ou des castes très différents, parce que le niveau d'intervention est par exemple le village, le projet risque d'exclure des prises de décision, les catégories qui, dans ce contexte administratif, n'ont pas l'habitude de les prendre.

3. Les interactions entre les structures sociales existantes et l'intervention extérieure


a. les marginalisations au sein des sociétés traditionnelles
b. les marginalisations provoquées par les partenaires interlocuteurs directs du projet

La population rurale n'est pas homogène. Elle est composée d'individus, (plus ou moins responsables, plus ou moins aisés) de familles (celle du fondateur du village, des aînés et les autres) elle se répartit en strates, suivant le niveau de richesse, en caste (noble, guerrier, artisans, anciens esclaves) en classe d'âge et par sexe, en groupes professionnels (agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, maraîchers) et associations (de femmes, de jeunes, sportives, culturelles, religieuses). C'est ainsi que l'on peut constater des phénomènes de marginalisation résultant du fonctionnement même des sociétés traditionnelles, ou provoquées par la prise de pouvoir des partenaires privilégiés du Projet s'appropriant les avantages apportés au détriment de certaines catégories qu'ils excluent de ces avantages.

a. les marginalisations au sein des sociétés traditionnelles

Les sociétés traditionnelles sont basées sur des rapports hiérarchiques entre les classes d'âge, les hommes et les femmes, les notables et les artisans, les chefs traditionnels, religieux et les villageois, les différents groupes ethniques, entre les natifs et "les étrangers". Les systèmes de fonctionnement sociaux économiques sont complexes. Les systèmes de production obéissent à des règles précises, basées sur la répartition des tâches, des fonctions de décision, qui excluent certaines catégories sociales.

- Au sein de l'association CADEF, on a pu constater les difficultés qu'ont les femmes à accéder aux centres de décision et de gestion; elles sont, en effet, soumises au principe de la division sexuelle du travail, à l'autorité de leur mari ou de leurs aînés, elles n'ont pas accès à la propriété individuelle, et, préoccupées par leurs travaux domestiques et familiaux dont elles ont la charge, elles font rarement partie des structures de concertation par manque de temps, mais aussi parce que dans les assemblées mixtes, les femmes prennent rarement la parole.

- Dans les pays du Fogny et du Gandiolais l'âge social, sanctionné par le mariage, est plus important que l'âge biologique, les jeunes cadets sont réduits à travailler pour les autres, sans pouvoir de décision économique. Il est très difficile pour les intervenants d'un projet de supprimer cette marginalisation des jeunes par les aînés, même s'ils ont décidé de travailler avec eux en priorité; les jeunes célibataires, sont "dépendants" de leur famille, n'ont pas accès à la propriété et sont avant tout tributaires des décisions prises par le chef d'exploitation sur laquelle ils travaillent.

- Les systèmes de production traditionnels réservent toujours aux hommes adultes les cultures de rente génératrices de revenus monétaires, la quasi exclusivité de l'utilisation des outils de mécanisation, le droit à la propriété des terres. Ainsi dans le Gandiolais, les hommes cèdent à leur femme des parcelles à cultiver, mais se chargent de la commercialisation des produits, la redistribution des résultats de la vente restant à leur entière appréciation. Dans le Fogny, les jeunes et les femmes sont exclus des revenus monétaires de l'arachide tout en apportant une main-d'oeuvre conséquente à l'exploitation. Parallèlement, les hommes sont exclus des jardins maraîchers, qui restent le domaine exclusif des femmes. Ces exclusions de fait sont la conséquence des lois internes qu'une société traditionnelle réglementée, ne peut transgresser.

b. les marginalisations provoquées par les partenaires interlocuteurs directs du projet

Souvent, les vrais bénéficiaires visés par les intervenants extérieurs d'un projet, voient leurs responsabilités confisquées par les notables ou les personnes politiquement influentes dans la zone et qui, parce que possédant le pouvoir, deviennent les interlocuteurs privilégiés et incontournables du projet extérieur.

Par ailleurs, l'émergence des nouvelles associations paysannes, résultat d'une crise socio-économique devenue plus grave, permet aux jeunes leaders de ces associations, quelle que soit leur origine sociale, de devenir les leaders charismatiques et écoutés, porteurs d'espoir d'une société de changement, dont la répartition des ressources et des responsabilités serait plus équitable.

Par le biais des projets de développement, dont ils deviennent les interlocuteurs privilégiés, ils ont accès à la formation donc au savoir, ils obtiennent des avantages matériels (véhicules, indemnités...) qu'ils ont du mal à partager, et deviennent détenteurs du pouvoir au sein de ces nouvelles structures qu'ils ont contribué à créer, au détriment des notables et chefs religieux, qui se retrouvent ainsi dépourvus des pouvoirs qu'ils exerçaient traditionnellement sur leur base.

Cette confiscation du savoir et du pouvoir par une minorité agissante tend à exclure du processus de participation certaines catégories sociales moins armées pour s'y investir, pour cause notamment d'analphabétisme, de désinformation et manque de formation, ou parce qu'elles ont d'autres obligations à assurer leur laissant peu de temps pour s'impliquer dans les actions menées par le projet.

Une attention spécifique à la réalité du milieu est nécessaire, à défaut, les interventions extérieures peuvent involontairement renforcer les clivages. L'interaction entre les structures sociales existantes et l'intervention extérieure provoque parfois une déstabilisation des valeurs traditionnelles et crée des contradictions internes à la société, au bénéfice de certains et au détriment d'autres. Une dynamique paysanne peut contenir en elle-même le germe de l'exclusion et des marginalisations, en permettant à une seule catégorie de s'approprier les avantages du processus de développement, en excluant les autres.

Toutes ces considérations ont pu être mise en évidence à partir des études de cas où ont été recensés différentes manifestations de marginalisation de certaines catégories sociales ou groupes et sous-groupes composant les sociétés rurales. Le tableau ci-après fait apparaître les différentes situations observées.

4. Les phénomènes d'exclusion et leur identification

· PROJET CADEF

Catégories exclues

Origine

Nature

Manifestations

des cadets et des femmes par les aînées

socio-culturelle de type ancien interne à la société villageoise

prend des rennes économiques avec l'introduction de l'arachide culture de rente, et l'amélioration des conditions de production par le projet R/D.

- les ressources provenant de la commercialisation de l'arachide sont gérés par le "chef de famille" de façon discrétionnaire: une partie sert à combler le déficit vivrier, une autre à l'acquittement des impôts...

Le chef de famille bénéficie des crédits en matériel agricole, semences améliorées, production phytosanitaire. Femmes et cadets assurent une main d'œuvre gratuite sans contre partie.

Ceci va expliquer l'engouement des femmes pour l'exode auparavant, pour les activités maraîchage et d'arboriculture actuellement.

des femmes:

· de la gestion du crédit
· des GIE
· de la gestion centrales

 

lié à l'accaparement des centres de décisions politiques et économiques par les aînés

 

de nature économique le crédit favorise les investissements pour la production agricole, l'artisanat qui sont des éléments de diversification des activités et des sources de création d'emploi

- les femmes sont absentes au sein des comités de gestion du crédit, bien que la présidente des groupements de femme soit membre de droit, elle n'assiste jamais aux réunions.

- les entreprises et prestations de services dans le secteur agricole et traditionnel sont pourtant souvent assignés aux femmes (labour motorisé des rizières, production de semences et de plants,...).

Toutefois elles ne peuvent pas accéder au crédit GIE Celte impossibilité d'avoir recours au crédit GIE freine l'accès aux emplois rémunérables, malgré une grosse demande pour les petites réalisations de type embouche, transformation des produits et commercialisation.

Par ailleurs le crédit Argent, en principe destiné aux femmes ne se développe pas malgré un bon remboursement après la phase expérimentale

Exclusion des femmes pur rapport à l'appropriation des terres

· elles ne peuvent pas hériter

· les conseillers ruraux n'attribuent pas de terre aux femmes.

socio-culturelle économique.

Un propriétaire de terre accepte plus volontiers de faire des investissements à long terme, si la terre lui appartient.

- Elles sont obligées d'obtenir des parcelles (pour le maraîchage par ex.) en usufruit ou en achat dans les rares cas où on accepte de les leur vendre; si bien qu'elles hésitent à investir sur des terres qui pourront leur être retirées à tout moment

des migrants

Phénomène d'origine socioculturelle traditionnelle

de nature sociale, culturelle, politique et surtout économique

- Aucun étranger dans les villages CADEF ne participe à des programmes économiques et ne fait partie desinstances d'organisation au CADEF; ils ne figurent nulle part dans les programmes CADEF.

des anciens

Phénomène d'origine récente, lié à l'intervention extérieure et la formation des jeunes leaders qui ont écarté les anciens de leurs activités

phénomène de nature économico-politique

- Aucun programme de réalisations économiques ou sociales spécifiques au 3e âge n'est connu par CADEF malgré les récrimination des anciens qui se plaignent que CADEF ne fait rien pour eux.


· PROJET APPOL: 1ère Phase

Catégories exclues

Origine

Nature

Manifestations

Les populations de Gandiolas globalement

diagnostic et études externes

- stratégie initiale les initiateurs du projet technique ont effectué les études techniques et "monté" le projet sans la phase diagnostic concerté d'une démarche participative.

- les différents groupes sociaux ne se sont pas retrouvés dans le programme proposé et sans refuser ce que proposait le programme, ils n'y ont adhéré que modérément, continuant à fonctionner parallèlement suivant le mode traditionnel initial.

Les femmes

extérieure:

choix des pop. ciblés Intervient auprès des femmes en créant des activités isolés du reste du programme

- cantonnent les femmes dans les secteurs spécifiques pour lesquels elles sont tenues, pensent-elles, de passer du temps pour la formation et la mise en place de ces activités nouvelles au détriment de leur activité principale de production

- ne bénéficient pas des formations techniques des hommes pour l'amélioration de la production maraîchère.

Les producteurs maraîchers d'une autre origine que les notables

Intervention extérieure

Stratégie de l'intervention au niveau de la formation des groupements

- Les groupements créés par le Projet ne sont ni homogènes ni représentatifs de la réalité sociale des producteurs de Gandiolas qui se regroupent par affinité ethnique, de caste et non par village.

- Les groupements du Projet, en phase 1, composés de personnes influentes, souvent non producteurs, écartent les vrais producteurs qui ne se retrouvent pas dans celle organisation qui leur est extérieure.

Une partie des producteurs s'excluent d'eux-mêmes du projet

Intervention extérieure

Stratégie directive d'intervention

Tout est fixé et contrôlé directement par l'équipe projet

- banque de céréales
- service crédit
- stockage et commercialisation

- Certains producteurs ne s'impliquent pas dans les activités mises en place, fixées et contrôlées par le Projet, système qui les cantonnent dans un rôle d'exécutant sans aucun pouvoir de négociation.

- Ceux qui ont bénéficié du crédit intrants ne remboursent pas forcément, puisque c'est de l'Argent anonyme d'un bailleur de fonds.

- Ne maîtrisant pas les principes de commercialisation ils préfèrent s'exclure du système mis en place et continuer à travailler avec les intermédiaires traditionnels.

Intermédiaires et bana de la filière à l'amont et l'aval de la production

externe

Stratégie de l'intervention dans les objectifs du programme. Superposition de nouvelles formes d'organisation aux formes traditionnelles pour des raisons économiques de rentabilité.

- Le projet pour des raisons économiques veut supprimer le rôle d'intermédiaires que sont et ont toujours été certains producteurs, liés aux autres par des liens familiaux, et déstabilisent de ce fait les formes d'organisation traditionnelle de la filière en excluant toute une catégorie professionnelle qui a joué jusqu'ici un rôle important auprès des producteurs.

Les producteurs jeunes "dépendants" de classe non noble, les femmes

Interne à la société traditionnelle

De nature socio-culturelle et politique

- Les premiers comités de gestion sont le reflet du fonctionnement de la société traditionnelle et composés d'anciens, de notables, de personnes influentes qui ne prennent en compte que la position sociale et non les compétences techniques.

Les femmes exclues de la formation

socio-traditionnelle interne

sociale et culturelle

- Etant soumises à des obligations familiales d'une part, ne pouvant pas prendre la parole dans une réunion d'hommes, elles ne peuvent pas assister aux formations techniques dispensées par les agents auprès des producteurs et se sentent de ce fait lésées.

- Par ailleurs, les formations à la gestion des activités spécifiques (boutique villageoises, moulin à mil) mobilisent du temps au détriment de leurs activités productives et elles se sentent isolées.

Les femmes cadets "dépendants"

Interne socio-culturelle

prend des formes économiques

- Les femmes sont tributaires de leur mari en recevant le produit de leur commercialisation qu'elles ne contrôlent pas.

- Les jeunes non mariés n'ont pas accès à la terre et dépendent du chef de famille pour cultiver.

· PROJET KOULOUK
Les hommes

Extérieure

économique

- Les échecs enregistrés lors de la mise en place des jardins maraîchers, dus essentiellement aux difficultés techniques de fonçage des puits, ont pénalisé les maraîchers bénéficiaires, en l'occurrence les groupements d'hommes.

L'échec de leur campagne par rapport à la réussite des femmes dans un autre domaine ont écarté les hommes de l'aide apporté par le projet


Page précédente Début de page Page suivante