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CHAPITRE 2: Les mécanismes d'amplification de la marginalisation et de l'exclusion


1. Les mécanismes liés à la mise en oeuvre de la démarche participative
2. Les mécanismes renforcés par la faiblesse de l'organisation rurale
3. La marginalisation et l'exclusion favorisées par le contexte administratif et institutionnel

Nous avons vu, dans le premier chapitre quelles pouvaient être les différentes catégories de phénomènes d'exclusion et de marginalisation engendrés au sein même des sociétés traditionnelles ou par l'intervention extérieure qui peut déstabiliser le fonctionnement traditionnel des sociétés rurales si elle ne prend pas suffisamment en compte les réalités socio-culturelles et économiques. Le deuxième chapitre a pour objet de tenter d'expliquer par quels mécanismes ces phénomènes d'exclusion et de marginalisation sont crées ou renforcés. Ainsi la mise en oeuvre de la démarche participative peut elle-même entraîner des déviations quant à la participation de tous les acteurs concernés. La combinaison des mécanismes d'exclusion peut se manifester à l'intérieur même des organisations rurales, et les mécanismes sont différents suivant que ces organisations sont faibles ou dynamiques; les phénomènes d'exclusion peuvent également être favorisés par un contexte administratif et institutionnel qui ne maîtrise pas ou mal les démarches participatives.

1. Les mécanismes liés à la mise en oeuvre de la démarche participative

Le processus classique d'une démarche participative peut devenir "pervers" au fur et à mesure qu'il avance dans les phases de son processus, en introduisant, à chaque étape des "petites sélections" qui aboutissent à des déviations par rapport à la participation populaire, et l'implication de certains à ce processus, est susceptible de renforcer la stratification sociale préexistante.

Tableau II: Démarche participative

Les grandes phases d'une démarche participative

Mécanismes qui peuvent, favoriser ou renforcer l'exclusion et les marginalisations

1.1. Information générale sur l'intention de l'intervention

 

- Une unité visible:


 

le village et

les notables

- Les destinataires de l'information réels

1.2. Diagnostic concerté



· Enquêtes

- Auprès de qui?


 

- Sur quel thème se penche l'étude?

- Prend-on en compte les systèmes de productions traditionnels?



· Exploitation

- Mettra plus l'accent sur des constats économiques, techniques, environnementaux que sur l'organisation sociale.

· Restitution

- Où se fait-elle?


 

- Comment s'organisent-elles?

- Favorise-t-elle ou non la participation du plus grand nombre et son accord sur le programme?

1.3. Définition des priorités

 

- Qui s'exprime

- Les priorités de toutes les catégories sociales sont-elles prises en compte?

1.4. Programmation

- Qui programme? (reprise du pouvoir par l'intervenant) ou les leaders d'associations

1.5. Mise en oeuvre



 

a. Répartition des tâches

-Organisation/gestion/exécution qui retrouve-t-on et où?

b. Gestion des moyens


- Transparence/opacité des comptes

- Décentralisation ou non des moyens

c. Information

- En quelle langue? quels médias? diffusion? Sous quelle forme?

d. Formation

- Exclusion de certaines catégories suivant la forme de l'intervention en matière de formation

e. Suivi-Conseil

- Penchant pour les producteurs les plus réceptifs


- Peu de place, de temps pour écouler les réserves/objections des producteurs qui veulent s'exprimer.

1.6. Evaluation concertée

 

- Qui la fait?

- Qui écoute-t-on?

- Comment la restitue-t-on et à qui?

- Quels sont les critères d'évaluation (techniques, économiques, sociaux).


2. Les mécanismes renforcés par la faiblesse de l'organisation rurale


a. organisation populaire faible ou inexistante
b. organisation reconnue

a. organisation populaire faible ou inexistante

La participation des membres de ce type d'organisation peut être réduite, ou inexistante face à l'attitude de récupération des hommes influents qui traditionnellement représentent l'organisation. Un homme influent de la zone (responsable politique, chef traditionnel ou religieux, ressortissant...) prend en charge les négociations avec les autres opérateurs économiques, l'administration et les services, les ONG...; il devient le médiateur entre l'extérieur et le milieu rural, cette dépendance des populations de base à l'intervenant, les dépossède d'un pouvoir de négociation; c'est le cas du projet initial de l'Union de Koulouk, ou le ressortissant à Dakar a directement négocié avec une ONG pour la mise en oeuvre de micro-réalisations qui n'étaient pas forcément le reflet des besoins prioritaires des populations de la zone.

Des responsables politiques, des chefs traditionnels peuvent craindre qu'une démarche participative, menée auprès de tous les groupes et sous-groupes de l'organisation qu'ils disent représenter, amène ceux-ci à contester leur comportement et les avantages qu'ils retirent de leur fonction. En restant les seuls interlocuteurs des projets ils peuvent biaiser la démarche, l'écourter et la galvauder. C'est le cas du projet Appol, dans sa 1ere phase d'intervention, où les agents du projet se sont adressés en premier lieu aux notables des différents villages qui, voulant bénéficier directement des avantages qu'ils imaginaient que le projet allait apporter, ont crée des groupements peu représentatifs de la profession maraîchère de la zone, à l'inverse de ce que préconisaient les agents du Projet, mais qui avaient l'avantage de leur être tout dévoués.

De même, s'abritant derrière les principes traditionnels de fonctionnement de leur société, les chefs d'exploitation peuvent refuser que jeunes et femmes soient consultés dans le cadre des innovations proposées, et bloquent de ce fait les possibilités d'accès aux moyens de production, tout en échappant au contrôle de ceux à qui ils étaient destinés. Le difficile accès aux crédits intrants pour les femmes au Cadef, en est un exemple.

Des paysans nobles, grands propriétaires peuvent redouter qu'une démarche participative amène les producteurs à contester les avantages traditionnels qu'une situation nouvelle ne justifie plus. Dans la seconde phase du Projet Appol, les jeunes producteurs du Gandiolais, toute caste ou ethnie confondues, mieux informés, rodés aux techniques nouvelles de production, se sont mobilisés pour obtenir les postes de responsables techniques au sein des comités de gestion des GIE de producteurs, mais ont dû pour cela mener des négociations difficiles avec les grands propriétaires, les anciens et les nobles afin d'obtenir leur consentement, encore qu'ils n'aient pas toujours eu la possibilité d'accéder aux postes clefs de décision.

A l'inverse, si les producteurs sont vulnérables, non organisés, dépendants d'intermédiaires ou de propriétaires fonciers, ils peuvent hésiter à s'impliquer dans un projet "participatif par crainte d'éventuelles mesures de sanction de leur "tuteur"; de nombreux producteurs, membres de groupements partenaires du projet Appol dans la première phase, n'adhéraient que très peu au système de commercialisation de la production mis en place par le projet, de crainte de mécontenter leurs partenaires habituels assurant la commercialisation de leurs produits, souvent hommes influents dans le village de par leur assise financière, ou leur position sociale de notable, par crainte également de remettre en cause un système traditionnel qui fonctionnait depuis longtemps et de s'en désolidariser.

Des fonctionnaires, de gros commerçants, des entrepreneurs, qui profitent de la fragilité des paysans non organisés en leur achetant des produits à bas prix, peuvent être réticents à l'idée d'une participation populaire, qui de ce fait aiderait les plus défavorisés à faire l'analyse de leurs problèmes et rechercher des solutions qui risqueraient d'entraver les avantages acquis de fait par les mieux nantis.

b. organisation reconnue

Les négociateurs "attitrés" sont-ils porteurs de l'approbation de toutes les catégories constituant la base de l'organisation? Nous avons vu comment les nouveaux leaders des associations de base risquaient de se couper d'elles, grisés par les avantages qu'ils retirent de leur nouveau pouvoir et de leur savoir. Mieux informés, mieux formés, ils ont tendance à vouloir aller trop vite, poussés en ce sens par leurs interlocuteurs extérieurs, eux-mêmes soumis à des impératifs de temps pour la réalisation du programme prévu. Si les responsables paysans ne sont pas attentifs à placer des garde-fous permanents, susceptibles de s'assurer de la participation et de l'adhésion des groupes de base à la mise en oeuvre des actions du projet et à chaque étape de cette mise en oeuvre, ils risquent de creuser l'écart entre le niveau de compréhension et de conscience d'une avant-garde paysanne et celui de la masse des adhérents.

3. La marginalisation et l'exclusion favorisées par le contexte administratif et institutionnel

Très souvent les organismes de Coopération, les structures étatiques jouent modestement le jeu de la participation populaire; les programmes "descendant" maintiennent à leur place respective paysans, agents de développement, décideurs et conseillers, et ne reflètent pas toujours les préoccupations prioritaires des populations pour qui théoriquement ces programmes sont mis en route.

Renforcés dans leur conviction par la faiblesse de certaines organisations rurales, ou refusant la reconnaissance de certaines autres mieux structurées, les techniciens du développement peuvent ne pas vouloir s'investir dans une démarche participative qui leur paraît longue et difficile à conduire, hasardeuse quant aux résultats immédiats qu'ils veulent atteindre; il leur est alors plus commode de conduire et de gérer leur programme d'actions sans y associer réellement les populations de base. Leur position de technicien, donc de celui qui sait par rapport à celui à qui on doit apprendre, tend à les inciter à maintenir ces barrières entre eux et les groupes qu'ils doivent former. Soucieux plus ou moins consciemment de conserver leurs privilèges (gérer les moyens financiers du projet par ex.) ils se justifient en disant: "qu'il n'y a rien à attendre des paysans, que c'est difficile de travailler avec eux...". Conservant les habitudes héritées du passé, ils ne feront pas l'effort (parce que diversement formés à l'utilisation des démarches participatives) de s'adresser directement aux groupes concernés par leur formation, en essayant de les convaincre et de leur expliquer l'objet de leur intervention, ils préféreront s'adresser aux responsables, aux chefs en priorité lesquels seront libres de transférer ou non à leur base.


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