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Introduction


1. L’approche de précaution et la charge de la preuve
2. Définitions
3. L’approche de précaution appliquée a l’aménagement des pèches
4. L’approche de précaution appliquée a la recherche halieutique
5. L’approche de précaution appliquée a la technologie de la pèche
6. L’approche de précaution appliquée aux introductions d’espèces

1. Dans le cadre de son action en faveur de la conservation de l’environnement et de l’utilisation durable des ressources naturelles, le Gouvernement de la Suède (par le truchement de son Ministère de l’agriculture) a décidé d’organiser, en étroite coopération avec la FAO, une Consultation technique sur l’approche de précaution appliquée aux pêches de capture (et aux introductions d’espèces). La réunion, qui s’est tenue à l’invitation de l’Office national suédois des pêches, a été accueillie par l’Institut de recherche marine de Lysekil (Suède) et a été officiellement ouverte par S.E. le Ministre de l’agriculture, Mme Margareta Winberg.

2. La consultation a été présidée par M. Per Wramner (Office national suédois des pêches), aidé de M. Armin Lindquist (Office national suédois des pêches) et de M. Serge Garcia (FAO, Vice-Président). Les participants, invités en leur capacité personnelle, ont été choisis sur la base de leurs compétences techniques et de leur niveau d’expertise. Leurs délibérations se sont appuyées sur sept documents de travail préparés spécialement pour l’occasion, ainsi que sur un certain nombre d’autres documents jugés pertinents. Quatre Groupes de travail ont été formés pour examiner et rédiger des projets de Principes directeurs touchant: la recherche, l’aménagement, la technologie et les introductions d’espèces.

3. Le rapport administratif de la réunion, qui comprend également l’ordre du jour, la liste des participants, la documentation, le discours d’ouverture du Ministre suédois de l’agriculture, et la composition des Groupes de travail, a été publié dans les Rapports FAO sur les pêches, (527), 1995.

4. Dans le présent document, on commencera par expliquer ce qu’est le concept de précaution, puis on donnera la définition de certains termes importants utilisés dans les principes directeurs ainsi que des indications précises concernant l’aménagement, la recherche, la mise au point et le transfert de technologies, et les introductions d’espèces. Pour chacune de ces rubriques, on analysera les aspects particuliers de la question, et fournira enfin des indications spécifiques pour la mise en oeuvre.

1. L’approche de précaution et la charge de la preuve

5. Dans le cadre ébauché par l’Article 15 de la Déclaration de Rio de la CNUED, l’approche de précaution appliquée aux pêches découle du principe que les modifications affectant les systèmes halieutiques ne sont que lentement réversibles, qu’elles sont difficilement maîtrisables, pas très bien comprises et soumises à l’évolution de l’environnement et des valeurs humaines.

6. L’approche de précaution implique une vision prudente. Compte tenu des incertitudes des systèmes halieutiques et de la nécessité d’avoir à prendre des initiatives avec des connaissances incomplètes, il faut, entre autres:

a. prendre en compte les besoins des générations futures et éviter toutes modifications qui ne soient pas potentiellement réversibles;

b. identifier préalablement les effets indésirables et les mesures qui permettront de les éviter ou de les corriger rapidement;

c. lancer sans tarder toutes mesures correctives nécessaires et faire en sorte qu’elles atteignent rapidement leur but, dans un laps de temps qui ne dépasse pas deux ou trois décennies.

d. si l’on n’est pas sûr de l’impact probable qu’aura l’utilisation des ressources, donner la priorité à la conservation de la capacité productive de la ressource;

e. veiller à ce que la capacité de récolte et de transformation soit à la mesure des niveaux durables estimés de la ressource et limiter tous autres accroissements de la capacité quand la productivité de la ressource est extrêmement incertaine;

f. subordonner toutes les activités de pêche à l’autorisation préalable des organes de gestion et les soumettre à un examen périodique;

g. instituer, pour la gestion des pêcheries, un cadre juridique et institutionnel officiel à l’intérieur duquel des plans d’aménagement mettant en application les principes ci-dessus seront dressés pour chaque pêcherie; et

h. prévoir une attribution appropriée de la charge de la preuve en appliquant les critères ci-dessus.

7. Les points essentiels des discussions qui ont été jusqu’ici consacrées à l’approche de précaution ont été la charge de la preuve et la qualité de la preuve (c’est-à-dire la responsabilité d’apporter les preuves pertinentes et les critères à employer pour juger desdites preuves). On a souvent considéré que l’approche de précaution partait du principe que les interventions humaines sont nuisibles à moins que l’on ne puisse démontrer le contraire (renversement de la charge de la preuve). Eu égard à ces concepts, on sait que:
a. toutes les activités halieutiques ont des effets sur l’environnement et il n’est pas juste de présumer que ces effets sont négligeables tant qu’on ne peut pas prouver le contraire;

b. même si l’approche de précaution appliquée aux pêches peut nécessiter la cessation d’activités halieutiques qui ont des effets dommageables potentiellement graves, cela ne veut pas dire que la pêche est interdite en attendant que tous les impacts potentiels aient été évalués et considérés comme négligeables;

c. l’approche de précaution en matière de pêches suppose que toutes les activités halieutiques sont soumises à un examen et à une autorisation préalables; qu’un plan d’aménagement existe, qui spécifie clairement les objectifs de l’aménagement et la manière dont les effets de la pêche doivent être évalués, suivis et traités; et que toutes les activités de pêche sont soumises à des mesures provisoires d’aménagement bien précises en attendant que le plan d’aménagement ait été mis en place;

d. la norme de qualité de la preuve à utiliser dans les décisions concernant l’autorisation des activités de pêche doit être à la mesure du risque potentiel que court la ressource, sans toutefois négliger les avantages escomptés desdites activités.

2. Définitions

8. Règle de décision: Spécification de la manière dont des mesures d’aménagement préalablement agréées répondront à des états établis ou perçus du système.

9. Technologie de la pêche: Désigne l’équipement et les pratiques utilisés pour repérer, récolter, manipuler, transformer et distribuer les ressources aquatiques et les produits qu’on en tire.

10. Organisme génétiquement modifié: Organisme dans lequel le matériel génétique a été modifié par l’homme au moyen de techniques génétiques ou cellulaires.

11. Organisme génétiquement sélectionné: Organisme obtenu par reproduction sélective.

12. Espèces introduites: Toute espèce transportée et relâchée, intentionnellement ou accidentellement, par l’homme dans un environnement où elle n’était jusqu’ici pas présente.

13. Procédure d’aménagement: Description des données à rassembler, de la manière de les analyser et de traduire cette analyse en interventions.

14. Risque: Probabilité que quelque chose d’indésirable arrive (noter que, si l’on a besoin d’une définition technique dans le cadre de la théorie de décision, il convient d’utiliser non pas le terme “risque”, mais espérance de perte ou “perte moyenne prévisible”).

15. Etats du système: Description de la condition et de la dynamique de la ressource et de la pêcherie, notamment au moyen de paramètres tels que l’abondance du stock, la structure d’âge, la mortalité par pêche, la situation économique du secteur et l’état de l’environnement.

16. Incertitude statistique: Variabilité ou erreur d’origines diverses, mesurée à des méthodes statistiques.

17. Espèces transférées: Toute espèce transportée et relâchée, intentionnellement ou accidentellement, par l’homme dans un environnement situé dans son aire de distribution actuelle.

18. Incertitude: Incomplétude des connaissances relatives à l’état du système ou aux phénomènes naturels.

3. L’approche de précaution appliquée a l’aménagement des pèches

3.1 Introduction

19. L’aménagement, conçu selon l’approche de précaution, consiste à user de prévoyance et de prudence pour éviter que des situations inacceptables ou indésirables ne se produisent, compte tenu du fait que les modifications des systèmes halieutiques ne sont que lentement réversibles, qu’elles sont difficilement maîtrisables, ne sont pas très bien comprises et sont soumises aux fluctuations de l’environnement et des valeurs humaines.

20. Un aspect important de l’approche de précaution consiste à mettre en place un cadre d’aménagement juridique ou social pour toutes les formes de pêche, ce qui n’est actuellement pas le cas. Des cadres de ce genre devraient, à tout le moins, établir des règles concernant l’accès aux pêcheries (par exemple, tous les bateaux doivent être munis d’une licence), les conditions de déclaration des données, et les méthodes de planification et de mise en oeuvre d’un aménagement plus complet des pêcheries. Les plans d’aménagement institutionnalisent un mode de prévision qui tient compte des conséquences possibles de la mise en valeur d’une pêcherie et des événements qui l’affectent. Il faut parfois beaucoup de temps pour mettre au point une planification complète des pêcheries. C’est pourquoi, le cadre d’aménagement juridique ou social doit inclure des mesures intérimaires visant à sauvegarder les ressources en attendant que de tels plans soient adoptés.

21. Lors de la détermination des objectifs de l’aménagement et de l’élaboration des cadres, procédures et mesures d’aménagement, l’approche de précaution accorde l’importance voulue aux effets à long terme. Il faut évaluer les conséquences de l’aménagement et du développement des pêcheries pour limiter le risque d’éventuelles modifications potentiellement non réversibles dans un laps de temps égal à deux ou trois décennies. A l’appui de l’approche de précaution, on utilisera des méthodes qui permettent de déterminer quelles sont les modifications et les impacts acceptables. C’est ainsi que dans une approche de précaution, l’aménagement des pêches et l’aménagement général de l’environnement seront intimement liés.

22. Une gestion fondée sur la précaution exige que l’on tienne explicitement compte des effets indésirables et potentiellement inacceptables et elle s’accompagne de plans d’urgence et autres plans, à mettre en oeuvre, pour éviter ou atténuer de tels effets. Parmi les effets indésirables ou inacceptables, on peut citer la surexploitation des ressources, le développement excessif de la capacité de capture, la perte de la diversité biologique, de profondes perturbations physiques de biotopes sensibles, ou des désagrégations sociales ou économiques. Des conditions indésirables peuvent aussi surgir quand une pêcherie est négativement influencée par d’autres pêcheries ou par d’autres activités et quand ses gestionnaires, face à des modifications des conditions extérieures touchant par exemple la productivité des stocks de poissons, n’interviennent pas.

23. Sur le plan opérationnel, l’approche de précaution de l’aménagement pourra s’interpréter de diverses manières suivant le contexte. Différentes interprétations peuvent être appropriées suivant l’échelle des opérations de pêche (pêche artisanale ou aux petits métiers par opposition à pêche fortement capitalisée et technologiquement avancée) ainsi que suivant l’état du système exploité (système aux premiers états d’exploitation ou systèmes en surexploitation évidente).

24. L’approche de précaution intervient à tous les stades de l’aménagement. Ainsi, il faut pouvoir identifier les précautions à prendre à tous les stades de l’aménagement, depuis la planification jusqu’à la réévaluation en passant par la mise en oeuvre, l’application et la surveillance. Ces différentes questions sont traitées dans les paragraphes ci-après dans l’ordre de succession des étapes d’aménagement.

3.2 Planification de l’aménagement

25. Si l’on veut gérer une pêcherie selon une approche de précaution, il faut, à l’intérieur des stratégies et plans d’aménagement, étudier explicitement les mesures de précaution qu’il faudra prendre pour éviter des effets indésirables bien précis. Comme le surdéveloppement de la capacité d’exploitation est une cause fréquente de résultats indésirables, il faudra que le plan d’aménagement comprenne des mécanismes permettant de suivre et de contrôler ladite capacité. Il faut se demander comment les incertitudes et le manque de connaissances seront pris en compte pour élaborer et moduler les mesures d’aménagement. Pour toutes les pêcheries, il faudrait élaborer ou revoir les plans de manière à y introduire des éléments de précaution. Les plans, même dans les cas où aucune mesure supplémentaire de précaution n’est jugée nécessaire, devraient être réévalués en fonction du processus décrit ci-après. Dans le cas de pêcheries multispécifiques, il faudra aussi dresser des plans considérant avec précaution l’impact global sur l’environnement marin. Les plans doivent s’inscrire dans une dimension temporelle portant sur deux ou trois décennies au moins, voire plus dans le cas d’espèces à vie longue.

26. Pour s’assurer une large acceptation, il faudra, à tous les stades de la planification, consulter l’industrie de la pêche, les groupes de conservation et autres parties intéressées. Les plans concernant la pêche doivent aussi être coordonnés avec les plans d’aménagement intégré des zones côtières. Pour mettre au point un plan d’aménagement qui soit largement accepté, il est préférable d’envisager toute une série de solutions différentes, dont chacune aura été élaborée et évaluée au moyen des composantes décrites ci-après. Les solutions envisagées peuvent différer soit dans leur fondement, soit dans leurs détails. Par exemple, une approche de base utilisant les captures totales autorisées (TAC) pourrait être opposée à une autre approche faisant intervenir des contrôles de l’effort. Les variantes de détail de deux approches fondées sur les TACs pourraient porter sur l’utilisation de règles de décision différentes pour la détermination de ces TACs.

Identification des objectifs de l’aménagement

27. La première étape consiste à identifier les grands objectifs de l’aménagement. Ceux-ci doivent tenir compte tant de la manière dont on va tirer profit de la pêcherie que des éventuels effets indésirables qu’il convient d’éviter. Parmi les objectifs généraux, il faudra prendre en considération les intérêts à long terme et la nécessité d’éviter des modifications irréversibles ou lentement réversibles. Normalement, les captures doivent être aussi importantes que possible, pour autant que la probabilité d’une diminution appréciable du stock reste en dessous d’un niveau acceptable et que les captures puissent être maintenues raisonnablement stables.

28. Les objectifs généraux peuvent être pris comme point de départ pour établir les objectifs plus particuliers d’une pêcherie déterminée. Dans une optique de précaution, on accordera la priorité à la reconstitution des stocks déjà surexploités, à la nécessité d’éviter la surpêche et la création d’une capacité excessive d’exploitation. Les objectifs doivent aussi viser à contenir les effets de la pêche sur l’environnement dans des limites acceptables. On peut par exemple limiter ou supprimer les captures accessoires et la mortalité accidentelle des espèces non visées, et contenir les effets éventuels de certains types d’engins de pêche sur les communautés benthiques.

Identifications des valeurs cibles et des contraintes opérationnelles

29. Les valeurs cibles correspondent aux résultats que l’on attend de la pêcherie. Par exemple, on peut se fixer une valeur cible en matière de mortalité par pêche, ou correspondant à une abondance relative moyenne du stock par rapport à l’abondance du stock non exploité. Dans certains cas, ces valeurs cibles seront probablement identiques que l’aménagement de la pêche se fonde sur une approche de précaution ou pas. Dans d’autres cas, les valeurs cibles devront peut-être être ajustées par mesure de précaution, en fixant par exemple comme cible une mortalité par pêche inférieure à FMSY.

30. Par contraintes opérationnelles on entend très précisément les résultats non désirables qu’il convient d’éviter. Par exemple, pour éviter le risque de voir baisser le recrutement, on peut se fixer une valeur minimale de la biomasse du stock reproducteur, une fourchette d’âges ou une aire géographique qui constitueront les limites de sécurité à l’intérieur desquelles le stock devrait être maintenu avec un degré élevé de probabilité. Des limites particulières peuvent aussi être nécessaires pour tenir compte des effets sur les écosystèmes, des captures accessoires et autres incidences secondaires de la pêcherie.

31. Les cibles et contraintes opérationnelles doivent être exprimées en valeurs mesurables, sous forme par exemple de niveaux cibles et des niveaux limites de référence (en anglais: Target reforme and limit reference points) limites (expression utilisée dans les documents de la FAO). Dans le détail, les paramètres qui peuvent être mesurés varieront le plus souvent suivant les espèces et les pêcheries, de sorte que les cibles et contraintes opérationnelles devront être exprimées en tenant compte de ces particularités. L’établissement des cibles et contraintes opérationnelles ne peut être dissocié des types de données et des méthodes qui peuvent être utilisées pour évaluer l’état des stocks. En tout état de cause, il faudra prêter attention à la rapidité avec laquelle on approche des niveaux cibles de manière à ne pas les outrepasser, et violer ainsi les contraintes.

Définition de la procédure d’application et d’ajustement des mesures d’aménagement

32. Un plan d’aménagement doit indiquer quelles sont les mesures d’aménagement à appliquer et dans quelles circonstances elles doivent être modifiées. Il faut pour cela formuler des règles de décision, qui spécifient par avance les mesures à prendre quand on observera des déviations déterminées à l’avance par rapport aux cibles et contraintes opérationnelles. La spécification doit inclure la liste des données minimales nécessaires suivant le type d’évaluation utilisé en appui à la prise de décisions.

33. Les mesures de précaution énumérées ci-après dans les “exemples de mesures de précaution” pourraient être mentionnées dans le plan. Pour instaurer la précaution, il faut des règles de décision permettant de réagir, dans un minimum de temps, à des événements inattendus ou imprévisibles. Tous les imprévus envisageables doivent être pris en compte quand on élabore le plan. Il faut, par exemple, y inclure les mesures explicites de réduction de l’effort à prendre en cas de baisse marquée et inattendue du recrutement.

34. Il est extrêmement souhaitable que la procédure prévoie de petits ajustements périodiques des mesures d’aménagement de manière à maintenir dans des limites acceptables la probabilité que les contraintes soient violées. Il n’est pas toujours possible d’atteindre simultanément une cible (résultat souhaité) assignée à une pêcherie et de respecter les contraintes imposées pour prévenir des effets indésirables. Par exemple, un objectif tel que FMSY fixé pour la mortalité par pêche peut impliquer de réduire la biomasse du stock reproducteur à un niveau auquel une contrainte de précaution serait nécessaire pour éviter l’éventualité d’une baisse du recrutement. Si, par exemple, la contrainte consiste à maintenir, avec une probabilité élevée, la biomasse du stock reproducteur au-dessus de 30 pour cent du niveau moyen du stock non exploité, alors une cible FMSY qui ramènerait la biomasse du stock reproducteur à 35 pour cent du niveau du stock non exploité pourrait comporter une probabilité trop élevée que la contrainte soit violée. L’aménagement de précaution doit ajuster les cibles de manière qu’elles soient compatibles avec les contraintes.

Evaluation prospective

35. Si l’on veut adopter une approche de précaution, il faut évaluer la faisabilité et la fiabilité des options d’aménagement. Un plan d’aménagement ne doit pas être accepté tant qu’il n’aura pas été démontré qu’il fonctionne convenablement du point de vue de son aptitude à éviter des effets indésirables. L’évaluation peut servir à déterminer si les données et les méthodes d’évaluation utilisables aux fins d’aménagement suffisent pour atteindre les objectifs de l’aménagement. L’évaluation doit viser à vérifier si le plan d’aménagement résiste tant à l’incertitude statistique qu’à une connaissance incomplète de facteurs tels que l’identité et l’abondance du stock, sa dynamique, ainsi que les effets de la variabilité et des tendances de l’environnement. De même, les évaluations doivent tenir compte du comportement dynamique du secteur de production et de l’aptitude des gestionnaires à modifier les volumes de récolte.

36. Dans le cas de pêcheries de grande valeur économique pour lesquelles on dispose de solides connaissances scientifiques, on aura généralement tout avantage à recourir à des techniques d’évaluation puissantes telles que les modèles de simulation. Ce genre d’analyses mettra souvent en évidence les sources d’incertitude qui conditionnent de manière cruciale les résultats que l’on pourra obtenir eu égard aux divers objectifs. L’évaluation devra aussi tenir compte des possibilités concrètes de mise en oeuvre et d’application de toute la série des mesures d’aménagement incluses dans le plan.

37. Pour la petite pêche et la pêche artisanale, il n’est souvent ni possible ni rentable d’effectuer des analyses intensives exigeant de nombreux calculs. Dans de tels cas, les mesures d’aménagement ne dépendront probablement pas d’analyses quantitatives mais plutôt d’une estimation des conditions pratiques dans lesquelles il sera possible de faire accepter et observer des mesures de précaution par l’ensemble des pêcheurs. Une mesure pourrait consister, par exemple, à fermer à la pêche des zones déterminées pour protéger une proportion suffisante du stock. Un autre exemple serait de mettre sur pied un système d’aménagement de type communautaire. La responsabilité de l’aménagement serait décentralisée au niveau des utilisateurs des ressources, ce qui pourrait abaisser le coût de l’aménagement et des mesures d’application. D’autres exemples de mesures simples de précaution applicables à ces types de pêche sont donnés plus loin dans la section intitulée “Exemples de mesures de précaution”.

38. Si l’on s’aperçoit que des options d’aménagement ne sont pas satisfaisantes du point de vue de la précaution, on peut en modifier un ou plusieurs aspects, puis les réévaluer jusqu’à ce que le système d’aménagement soit jugé satisfaisant. Les aspects en question pourraient être les suivants:

a. modification des cibles et contraintes opérationnelles;
b. respécification de la procédure envisagée pour appliquer des mesures d’aménagement;
c. nouvelles recherches pour diminuer les incertitudes critiques, ou
d. prise en considération de méthodes plus puissantes d’évaluation et de suivi.
3.3 Mise en oeuvre, suivi et application

39. La mise en oeuvre d’un plan d’aménagement consiste à mettre en place toutes les règles de décision prévues. Cela suppose l’interprétation, sur le plan concret, des objectifs et des procédures, à l’exécution d’instructions détaillées concernant l’application, le suivi de la pêcherie et la tactique d’application. Les éléments de cette phase mise en oeuvre comprennent: des évaluations des stocks, l’établissement de règles, des évaluations économiques et la communication au grand public et à l’industrie de la pêche des décisions prises et de leur raison d’être. Comme le public et l’industrie sont plus enclins à comprendre et à appuyer des mesures à propos desquelles ils ont été consultés, il importe de les faire participer à la phase de mise en oeuvre. L’examen critique des évaluations des stocks et la transparence des opérations contribuent à prévenir des erreurs, ce qui est indispensable à une application efficace des mesures envisagées. La vérification indépendante des procédures de suivi devrait aussi être un aspect courant du système d’aménagement. L’effet des mesures sur le degré d’application devrait être spécifiquement étudié.

40. Le suivi d’une pêcherie nécessite la collecte de toutes les informations dont on a besoin pour s’assurer que le plan est bien exécuté et qu’il donne les résultats souhaités. En particulier, il faut des données pour vérifier si des règles de décision ayant un caractère de précaution sont violées. Une approche de précaution appliquée à des activités de suivi utilisera un grand nombre de sources d’informations différentes, et notamment des données écologiques et socio-économiques.

41. Un suivi de la pêche fondé sur la précaution doit avoir pour objet de déceler et d’observer toute une gamme d’effets secondaires, comme les modifications de l’environnement, la dégradation de l’habitat des poissons et les effets sur les oiseaux, les mammifères et autres êtres vivants. Cette fonction de suivi peut faire usage de renseignements fournis par les participants à la pêche, les communautés indigènes et autres groupes officiels, ainsi que des procédures appropriées servant à traiter et analyser cette information.

42. Dans un système d’aménagement fondé sur la précaution, des règles d’urgence doivent être adoptées pour veiller à ce que les valeurs cibles et contraintes opérationnelles soient respectées en cas de catastrophes, même peu probables. Il doit aussi comporter des mécanismes permettant de réviser les valeurs cibles et les contraintes à la lumière d’événements inattendus.

43. Le système d’application (de mise en oeuvre) fondé sur la précaution, ainsi que les pénalités sanctionnant les infractions doivent être suffisamment souples pour qu’il soit possible de redéployer rapidement les ressources disponibles pour le suivi et l’application. Par exemple, les premiers signes de problèmes liés aux captures accessoires pourraient conduire à un échantillonnage plus intensif des zones touchées par le problème, selon une procédure préétablie, ou à un renforcement de la surveillance de la pêcherie. En cas d’urgence, il devrait être possible de modifier rapidement les réglementations.

3.4 Réévaluation des systèmes d’aménagement

44. Le niveau de précaution atteint dans le système d’aménagement doit être périodiquement réévalué du point de vue: 1) du degré de précaution reflété par les objectifs, les valeurs cibles et les contraintes opérationnelles par rapport aux modifications observées dans la pêcherie et dans l’environnement, 2) de l’utilisation de l’information scientifique et autres renseignements dans le processus d’aménagement, 3) de l’applicabilité des plans d’urgence dans des situations inattendues et 4) de la vérification de toutes les procédures intervenant dans le système d’aménagement de la pêcherie. Des réévaluations spéciales devraient être entreprises dès qu’il apparaît manifeste que la pêcherie viole sans le vouloir les niveaux de référence limites établis dans le plan.

3.5 Modalités d’application

45. Plusieurs mesures de précaution pourraient être prises par les organes d’aménagement pour éviter les effets indésirables ou inacceptables du développement des pêches. Certaines de ces mesures sont applicables à tous les types de pêcheries; d’autres ne sont utiles que dans des situations particulières, par exemple dans le cas de pêcheries surexploitées. A titre d’exemple, nous indiquerons les mesures de précaution qui s’appliquent à quatre situations types: 1) les pêcheries nouvelles ou en développement; 2) les pêcheries surexploitées; 3) les pêcheries pleinement exploitées et 4) les pêcheries traditionnelles ou artisanales.

46. Les mesures indiquées pourraient figurer dans des plans exhaustifs d’aménagement des pêches, mais elles peuvent être aussi utilisées comme mesures intérimaires pour des interventions de précaution dans l’attente de l’élaboration de tels plans. Une mesure intérimaire type s’appliquant à de nouvelles pêcheries consisterait à fixer un plafond conservatoire à l’effort de pêche. Sur une pêcherie surexploitée, une mesure intérimaire viserait à abaisser rapidement la mortalité due à la pêche. Dès que les divers plans d’aménagement proposés ont été évalués au moyen des méthodes examinées plus haut, le plan approuvé peut remplacer les mesures intérimaires.

Pêcheries nouvelles ou en développement

47. Certaines des mesures de précaution, énumérées ci-après pour des pêcheries nouvelles ou en développement, pourront aussi s’appliquer à des pêcheries pleinement exploitées, surexploitées ou artisanales, comme on le verra plus loin. La plupart de ces recommandations valent aussi pour des pêcheries existantes mais non encore aménagées:

a. réglementer toujours très tôt l’accès à la pêcherie, avant que des problèmes ne se posent. Une pêcherie à accès libre est contraire à l’approche de précaution;

b. fixer immédiatement un plafond conservatoire (ou un niveau par défaut) tant sur la puissance de pêche que sur le taux de mortalité totale due à la pêche. On peut pour cela limiter soit l’effort soit la capture totale admissible. Il faut, de même, prévenir tout investissement excessif dans le secteur de transformation. Les plafonds conservatoires doivent rester en place jusqu’à ce que des analyses des données justifient un relèvement de l’effort de pêche ou du taux de mortalité par pêche. Le but visé est d’éviter que le développement de la puissance et de la capacité de pêche de ces flottilles aille plus vite que ce que le gestionnaire est à même de comprendre des effets de l’effort de pêche existant;

c. introduire la souplesse permettant l’élimination progressive de certains navires de la flottille, si cela s’avérait nécessaire. Pour éviter de nouveaux investissements en capacité de pêche, accorder des licences temporaires à des navires venant d’une autre pêcherie;

d. pour limiter les risques auxquels sont exposés la ressource et l’environnement, établir des cantonnements, mesure relativement rapide à mettre en oeuvre et facile à faire respecter. Ces cantonnements fournissent des refuges aux stocks de poissons, et ils permettent de protéger l’habitat et de conserver des points de comparaison avec les zones exploitées;

e. fixer préalablement des niveaux limites de référence biologiques ayant un caractère de précaution (par exemple, une biomasse reproductrice du stock inférieure à 50 pour cent de la biomasse reproductrice initiale) dès le stade de la planification (voir plus haut);

f. encourager une conduite responsable de la pêche pour assurer la pérennité d’un stock productif ou d’autres éléments de l’écosystème. Par exemple, encourager des accords volontaires pour une conduite responsable de la pêcherie à trouver de formes de cogestion, de gestion communautaire, ou de quelque forme de propriété ou de droits de pêche;

g. encourager le développement de pêcheries qui soient économiquement viables sans avoir besoin de subventions à long terme;

h. créer, pour les nouvelles pêcheries, un système de collecte et de déclaration des données dès le début de leur développement;

i. entreprendre immédiatement un programme de recherche sur le stock et la pêcherie, notamment sur le comportement de chaque navire à l’égard des réglementations. Lors de l’octroi d’une licence de pêche, exiger de chaque navire la fourniture d’informations détaillées, notamment de données biologiques normalisées et des renseignements d’ordre économique;

j. profiter de toutes les occasions qui se présentent pour réaliser des expérimentations permettant d’obtenir des renseignements sur les ressources, par exemple, en confrontant différentes stratégies d’exploitation appliquées à des sous-populations.

Pêcheries surexploitées

48. La plupart des recommandations décrites ci-dessus sont également valables pour des stocks de poisson déjà surexploités mais il faut, à l’égard de tels stocks, prendre en outre des mesures de précaution spéciales, à savoir:

a. restreindre immédiatement l’accès à la pêcherie et plafonner tout accroissement ultérieur de la capacité de pêche et du taux de mortalité par pêche;

b. dresser un plan de rétablissement qui permettra, avec une certitude raisonnable, de reconstituer le stock dans un laps de temps déterminé. Ce plan devra comporter plusieurs des éléments ci-après:

c. abaisser les taux de mortalité par pêche pendant un temps suffisamment long pour que le stock reproducteur puisse se reconstituer. Si possible, prendre immédiatement des mesures à court terme, même si l’efficacité d’une mesure particulière n’est qu’insuffisamment démontrée. Dans certains cas, le résultat pourrait être obtenu en fermant entièrement certaines zones à la pêche;

d. lorsqu’une bonne classe d’âge se présente, réserver les recrues en priorité pour reconstituer le stock, plutôt que permettre d’accroître la capture autorisée;

e. réduire la capacité de pêche pour éviter la surexploitation chronique. Supprimer la capacité de pêche excédentaire; ne pas accorder de subventions ou d’allègements fiscaux pour maintenir la capacité de pêche. Si nécessaire, mettre sur pied des dispositifs permettant d’éliminer une partie de l’effort de pêche;

f. on peut aussi autoriser certains navires à quitter une pêcherie surexploitée pour se transférer sur une autre pêcherie, si la pression résultant de ce redéploiement ne met pas cette dernière en péril;

g. ne pas recourir à la reproduction artificielle comme stratégie de remplacement des mesures de précaution indiquées ci-dessus;

h. dans le plan d’aménagement, établir des niveaux de référence biologiques définissant la reconstitution du stock, utilisant des mesures de l’état du stock, telles que la biomasse reproductrice du stock, sa répartition spatiale, sa structure d’âges ou le niveau de recrutement; et

i. pour les espèces qui s’y prêtent, surveiller de près la productivité et la superficie totale de l’habitat nécessaire, pour disposer d’un autre indicateur permettant de savoir quand une mesure d’aménagement est nécessaire.

Pêcheries pleinement exploitées

49. Certaines pêcheries sont fortement exploitées, sans être encore surexploitées. Les institutions chargées de les réglementer doivent guetter tout particulièrement l’apparition des signes éventuels de surexploitation. Si certaines des mesures de précaution décrites ci-dessus leur sont applicables, il en est d’autres qui s’imposent ici, à savoir:

a. assurer les moyens de maintenir effectivement le taux de mortalité par pêche et la capacité de pêche au niveau existant;

b. il existe de nombreux “signes précurseurs” de la mise en surexploitation (par exemple un glissement de la structure d’âge des reproducteurs vers une proportion inhabituellement élevée d’individus jeunes; un rétrécissement de la répartition spatiale du stock ou un changement de la la composition spécifique de la capture). Ces signes précurseurs devraient déclencher des mesures d’investigation, suivant des procédures préétablies, en même temps que sont prises des mesures intérimaires d’aménagement, notamment:

c. quand on approche de près des niveaux limites de référence (ou niveaux de précaution), des mesures préétablies doivent être immédiatement appliquées pour éviter que ces niveaux de référence ne soient dépassés (cela signifie, qu’il ne faut pas attendre que la violation d’un niveau limite de référence soit imminente pour commencer à décider de ce qui va être fait);

d. si des niveaux limites de référence sont dépassés, il faut immédiatement mettre en oeuvre des plans de rétablissement pour permettre la régénération du stock. Les recommandations décrites plus haut pour les stocks surexploités doivent alors être appliquées;

e. pour prévenir une réduction excessive de la capacité de reproduction d’une population, éviter la capture d’individus immatures, à moins que le stock reproducteur ne soit fortement protégé. Par exemple, si la proportion de poissons immatures dans les captures dépasse un pourcentage prédéterminé, fermer la zone à la pêche.

Pêcheries traditionnelles ou artisanales

50. Il s’agit de pêcheries à faible niveau technologique exploitées par une multitude de petites embarcations, souvent sans intervention d’une institution centrale d’aménagement. Là encore, nombre des recommandations formulées plus haut sont valables. Les mesures de précaution indiquées ci-après peuvent aussi s’appliquer à certaines pêcheries de loisir:

a. fermer certaines zones à la pêche afin d’obtenir les avantages mentionnés au point d) de la section consacrée aux “pêcheries nouvelles ou en développement”. De même, veiller à ce que, dans les zones où la pêche est autorisée, l’effort de pêche ne devienne pas excessif;

b. déléguer certains pouvoirs de décision, en particulier pour ce qui concerne l’établissement de cantonnement et la limitation de l’entrée dans la pêcherie, aux communautés locales ou aux coopératives;

c. faire en sorte que la pression exercée par d’autres secteurs de la pêche (par exemple le secteur industriel) n’épuisent pas les ressources au point que de sévères mesures correctives ne deviennent nécessaires; et

d. étudier les facteurs qui influent sur le comportement des exploitants pour mettre au point des méthodes propres à maîtriser l’intensité de la pêche. Par exemple, l’amélioration des revenus des exploitants pourrait atténuer la pression exercée sur les ressources.

4. L’approche de précaution appliquée a la recherche halieutique

51. L’application de l’approche de précaution à l’aménagement dépend de la quantité, du type et de la fiabilité des renseignements dont on dispose concernant les pêches, et de la manière dont cette information est utilisée pour atteindre les objectifs de l’aménagement. L’approche de précaution de l’aménagement d’une pêcherie peut s’appliquer même quand on a très peu d’informations. L’acquisition, grâce à la recherche, de nouvelles données d’information concernant une pêcherie contribue généralement à en accroître les bénéfices potentiels tout en réduisant le risque pour la ressource. Les données scientifiques et les apports de la recherche nécessaires pour adopter une approche de précaution pour les pêches sont examinés sous les rubriques ci-après: objectifs de l’aménagement; observations et bases d’information, évaluation des stocks et méthodes d’analyse et de décision.

4.1 Rôle de la recherche dans l’établissement des objectifs d’aménagement

52. Le rôle des scientifiques est d’aider les gestionnaires à définir leurs objectifs et de faire en sorte que l’apport de la science à l’ensemble du processus d’aménagement contribue de manière aussi efficace que possible à la réalisation des intentions de l’aménagement. L’approche de précaution exige une évaluation permanente et par anticipation, des conséquences des mesures d’aménagement en termes de contribution aux objectifs de l’aménagement. L’évaluation scientifique de ces conséquences suppose l’établissement explicite de critères d’appréciation quantifiables. La science peut contribuer de manière importante à l’établissement des valeurs cibles et des contraintes opérationnelles ainsi que des critères de jugement qui soient à la fois scientifiquement utilisables et pertinents pour l’aménagement.

53. La recherche est nécessaire pour aider à formuler les objectifs, déterminer les valeurs cibles et contraintes biologiques en liaison avec la protection de l’habitat, la nécessité d’éviter que la pêche n’entame sensiblement la capacité reproductive de la population, et d’atténuer les effets de la pêche sur d’autres espèces (non ciblées par exemple). Associée à la recherche biologique, la recherche sur les caractéristiques socio-économiques et la structure des communautés de pêche est nécessaire pour formuler les objectifs de l’aménagement.

54. En attendant que des recherches intéressant spécifiquement tel ou tel stock aboutissent à l’établissement de valeurs cibles opérationnelles différentes, l’approche de précaution consisterait, sur la base des recherches existantes et d’expériences concrètes, à: a) maintenir la biomasse du stock reproducteur à un niveau prudent, (c’est-à-dire supérieur à 50 pour cent de son niveau non exploité), b) garder le taux de mortalité par pêche à un niveau relativement bas (c’est-à-dire inférieur au taux de mortalité naturelle), c) éviter la pêche intensive des immatures, d) protéger l’habitat.

4.2 Processus d’observation et base d’information

55. Pour appliquer une approche de précaution aux pêches il faut définir de manière précise les informations dont on aura besoin pour atteindre les objectifs d’aménagement compte tenu de la structure d’aménagement, ainsi que les mécanismes à mettre en oeuvre pour répondre à ces besoins. Il faut évaluer et revoir périodiquement le système de collecte des données.

56. Une approche de précaution doit comporter des mécanismes permettant de s’assurer qu’à tout le moins, les données concernant les rejets, les débarquements, et l’effort de pêche sont exactes et complètes. Ces mécanismes peuvent prévoir l’utilisation d’observateurs et d’incitations visant à s’assurer la coopération du secteur.

57. Reconnaissant le fait que les utilisateurs des ressources ont une connaissance approfondie des pêcheries, une approche de précaution fera appel à leur expérience pour acquérir une bonne compréhension de la pêcherie et de ses impacts.

58. L’approche de précaution devient plus efficace lorsqu’on comprend quelles sont les sources d’incertitude qui entachent les opérations d’échantillonnage et qu’on a rassemblé une quantité suffisante de renseignements pour pouvoir quantifier cette incertitude. Si l’on dispose de telles informations, on peut s’en servir directement dans la procédure d’aménagement pour estimer le degré d’incertitude qui planera sur les décisions et le risque qui en découlera. Si l’on ne dispose pas de telles informations, une approche de précaution à l’aménagement de la pêcherie tiendra implicitement compte de l’inconnue incertitude en étant plus conservatoire.

59. Le suivi prudent d’une pêcherie est l’un des aspects d’une recherche fondée sur la précaution. Il comporte la collecte de renseignements permettant de traiter non seulement les problèmes et questions d’intérêt immédiat, mais également ceux dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’ils prennent de l’importance pour les futures générations, ou en cas de modifications des objectifs. On rassemblera des renseignements sur les espèces cibles, les captures accessoires, la capacité de capture, le comportement du secteur halieutique, les aspects sociaux et économiques de la pêcherie, ainsi que la structure et le fonctionnement de l’écosystème. Il est extrêmement souhaitable de disposer aussi de mesures de l’état de la ressource qui soient indépendantes des données concernant la pêche.

60. L’approche de précaution d’une pêcherie repose sur l’emploi de toute l’expérience acquise au fil du temp concernant les effets de la pêche, dans le cas de la pêcherie considérée et/ou de pêcheries similaires, sur la base de laquelle il est possible de déterminer les conséquences de la pêche et de s’en inspirer pour définir un futur aménagement de précaution. Cela exige que tant les données que les méthodes de collecte de ces données soient bien documentées et disponibles.

61. Les méthodes d’aménagement et les structures de décision utilisées dans le monde sont très nombreuses: organismes régionaux d’aménagement, pratiques de cogestion d’aménagement communautaire, et pratiques traditionnelles d’aménagement. Des recherches doivent être faites pour savoir dans quelle mesure les différentes méthodes d’aménagement et structures de décision favorisent la précaution.

4.3 Méthodes d’évaluation et analyse

62. L’approche de précaution, comporte la détermination des niveaux de référence biologiques indiquant la surpêche.

63. Une approche de précaution exige spécifiquement un traitement de l’incertitude plus complet que ne le prévoient les normes actuelles en matière d’évaluation des pêches. Pour cela, il faut admettre que nos connaissances présentent des lacunes, et identifier explicitement l’étendue des interprétations raisonnables compte tenu de l’information présente.

64. La compilation active et l’analyse scientifique du savoir traditionnel pertinent offriraient une source complémentaire de renseignements sur les pêches. Ce travail devrait être accompagné de la mise au point de méthodes permettant d’exploiter cette information et de l’utiliser pour élaborer des avis en matière d’aménagement.

65. Plus précisément, le processus d’évaluation devrait inclure:

a. des normes scientifiques concernant les preuves (qui doivent être objectives, vérifiables et potentiellement reproduisibles) qui devraient être appliquées pour évaluer l’information utilisée dans l’analyse;

b. un processus d’évaluation et d’analyse transparent; et

c. un examen périodique, indépendant, objectif et approfondi par des pairs, comme contrôle de qualité.

66. L’application d’une approche de précaution à l’évaluation et à l’analyse requiert une appréciation réaliste de tout l’éventail des effets possibles de la pêche, et de la probabilité que ces effets possibles concrétisent dans le cadre des différentes interventions d’aménagement envisageables. L’approche de précaution appliquée à l’évaluation passerait par l’identification, en fonction de l’information disponible, des différentes hypothèses ou états du système possibles, et par l’examen des conséquences que pourraient avoir les interventions d’aménagement proposées sous chacune de ces différentes hypothèses. Ce processus devrait être exactement le même, que les données soient abondantes ou rares. Une évaluation fondée sur la précaution devrait, à tout le moins, prendre en compte: a) les incertitudes que présentent les données; b) les hypothèses alternatives concernant les processus biologiques, économiques et sociaux sous-jacents et c) le calcul de la réaction théorique du système à un éventail d’interventions d’aménagement possibles. On trouvera, dans les paragraphes ci-après, une liste des questions à examiner sous ces différentes rubriques.

67. Les incertitudes affectant les données peuvent provenir: a) des estimations de l’abondance; b) de la structure du modèle; c) des valeurs des paramètres utilisés dans les modèles; d) des futures conditions d’environnement; e) de l’efficacité de la mise en oeuvre des mesures d’aménagement; f) des futures conditions économiques et sociales; g) des futurs objectifs d’aménagement et h) de la capacité et du comportement de la flottille.

68. Les différentes hypothèses à envisager concernant les processus biologiques, économiques et sociaux sous-jacents sont: a) la sous-compensation (depensation en anglais) du recrutement ou autre dynamique entraînant un rapide effondrement; b) les modifications de comportement de l’industrie de la pêche sous l’octroi de la réglementation, et notamment les modifications de la structure des communautés côtières; c) des modifications à moyen terme des conditions d’environnement; d) la sous-déclaration systématique des captures; e) des estimations de l’abondance dépendant de la pêcherie mais dont les variations ne sont pas proportionnelles à celles de l’abondance; f) des variations des prix ou des coûts pour l’industrie de la pêche; et g) des modifications des écosystèmes entraînées par la pêche.

69. Pour calculer (simuler) la réaction du système à différentes mesures d’aménagement, il faut tenir compte de ce qui suit:

a. les projections à court terme (1-2 ans) ne suffisent pas pour effectuer une estimation de précaution; il faudrait utiliser des échelles de temps et les taux d’actualisation qui conviennent à l’analyse des problèmes inter-générationnels;

b. l’évaluation scientifique des options d’aménagement exige l’énoncé des valeurs cibles, des contraintes et des règles de décision opérationnelles. Si celles-ci ne sont pas convenablement énoncées par les gestionnaires, il faut alors, pour procéder à une analyse de précaution, formuler des hypothèses les concernant et calculer l’incertitude additionnelle résultant de ces hypothèses. Les gestionnaires devraient être informés du fait que pour atténuer cette incertitude, une spécification supplémentaire de valeurs cibles, contraintes et règles de décision est nécessaire.

70. Les méthodes d’analyse et de présentation varieront suivant les circonstances mais, dans une évaluation fondée sur la précaution, il faut que l’incertitude soit traitée efficacement et que les résultats soient communiqués. Les approches (voir également l’appendice à la fin de la présente section) qui pourraient se révéler utiles sont les suivantes:
a. quand il n’existe pas d’observations suffisantes pour assigner des probabilités d’occurence aux différents états possibles du système, on peut utiliser des tables de décision pour représenter, au moyen des critères Maximin et Minimax, différents degrés de précautions dans l’aménagement;

b. quand le nombre des différents états possibles du système et le nombre de mesures potentielles d’aménagement sont peu élevés mais qu’il est possible de leur assigner des probabilités, on peut utiliser les tables de décision pour faire apparaître les conséquences et les probabilités de toutes les combinaisons possibles;

c. quand il existe un large éventail d’états possibles du système, l’évaluation des procédures d’aménagement devient plus complexe, car elle nécessite une intégration des diverses sources d’incertitude.

71. Pour appliquer une approche de précaution à l’analyse, il faut examiner l’aptitude du système de collecte des données à déceler les tendances indésirables. Quand l’aptitude à déceler les tendances est faible, l’aménagement doit être prudent.

72. Le souci que l’on a de la réversibilité des impacts nuisibles de la pêche est une des principales raisons d’adopter une approche de précaution, aussi la recherche sur la réversibilité des écosystèmes devrait-elle jouer un rôle important dans la mise au point d’approches de précaution.

4.4 Modalités d’application

73. Pour appliquer une approche de précaution à la recherche halieutique, on peut envisager les mesures ci-après:

a. tenir compte des meilleures preuves scientifiques disponibles quand on conçoit et adopte des mesures d’aménagement et de conservation, comme le prévoient les dispositions de la Convention de 1982 de la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Dans le contexte d’un aménagement de précaution, les meilleures preuves scientifiques sont celles qui sont décrites dans la Section 4.3;

b. exiger qu’un minimum d’informations soit mis à disposition avant d’autoriser toute pêcherie que ce soit à commencer ou à continuer;

c. veiller à ce que “l’absence de certitude scientifique absolue ne serve pas de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement” (Principe 15 de la Déclaration de Rio);

d. réduire les incertitudes critiques affectant le plan d’aménagement;

e. prendre des mesures visant à éliminer ou réduire les non-déclarations et les déclarations erronées, en veillant entre autres à ce que le secteur des pêches coopère à la collecte des données et que le public soit pleinement informé des résultats et de l’incertitude affectant l’évaluation;

f. analyser systématiquement les diverses options d’aménagement possibles en utilisant toute la gamme des modèles disponibles (bioéconomiques, multispécifiques et comportementaux) indiquant: a) l’orientation et l’ampleur probables des conséquences biologiques, sociales et économiques; b) les niveaux connexes d’incertitude ainsi que les coûts potentiels des mesures proposées (évaluation du risque) et de l’absence essentielle d’intervention (scénarios de statu quo);

g. promouvoir des recherches pluridisciplinaires associant notamment: a) les sciences sociales et économiques et les sciences de l’environnement et b) des recherches sur les institutions d’aménagement et les processus décisionnels;

h. développer l’information scientifique concernant les processus en jeu dans les pêcheries plurispécifiques et les écosystèmes, comme base de la détérmination des degrés acceptables de perturbation;

i. identifier des niveaux limites de référence biologiques (biological limit reference point) et les niveaux cibles de référence (target reference point) pour les espèces et les stocks concernés, les habitats et l’écosystème dans son ensemble;

j. identifier des niveaux de référence bioéconomiques prenant en compte les objectifs du plan d’aménagement des pêches;

k. améliorer les méthodes de quantification des effets directs et indirects de la pêche;

l. obtenir une meilleure compréhension des performances de différentes structures d’aménagement en matière de précaution;

m. mettre au point des méthodes permettant d’optimiser le système de suivi, et

n. élaborer un programme de recherche-développement visant à améliorer les résultats de la technologie halieutique du point de vue des impacts sur l’environnement et de l’aménagement de précaution.

Annexe

74. L’Approche Minimax/Maximin est une manière d’examiner l’incertitude et d’orienter les décisions qui ne nécessitent pas de déclarations explicites des probabilités concernant les différentes hypothèses (Schmid, A. 1989, Cost-benefit analysis, West View Press). Dans le tableau ci-dessous, S1 et S2 représentent les hypothèses possibles concernant la ressource (parfois appelées “les différents états du système”). Dans cet exemple, S1 est une hypothèse qui implique une productivité de la ressource et un rendement durable de niveau plus élevé que S2. Dans les colonnes, D1 à D3 représentent différentes décisions possibles. Dans cet exemple, D1, D2 et D3 correspondent approximativement à des niveaux d’effort de pêche élevé, moyen et bas. Les valeurs P représentent les probabilités que les hypothèses S1 et S2 soient vérifiées. Les valeurs inscrites dans le tableau représentent la valeur relative du résultat d’une décision donnée appliquée à un état du système donné. Dans l’exemple, ces valeurs pourraient être considérées comme représentant la capture durable.

Décision

S1 p=?

S2 p=?

D1

100

5

D2

50

40

D3

70

20


75. Le critère des valeurs Maximin est une approche prudente qui conduit à retenir la proposition correspondant à la valeur maximum (la plus élevée) du résultat minimum. Le tableau ci-dessous donne la valeur relative des résultats des décisions si l’hypothèse est vraie. Selon cette approche, c’est la Décision 2 qu’il faudrait choisir.

Décision

S1 p=?

S2 p=?

Valeur minimum

D1

100

5

5

D2

50

40

40

D3

70

20

20


76. Le critère du regret Minimax est une approche moins prudente qui retient la proposition correspondant à la valeur minimum du regret maximum. Le tableau ci-dessous donne une mesure du regret correspondant à chaque décision quand l’hypothèse est vraie. Selon cette approche, c’est la Décision 3 qu’il faudrait choisir.

Décision

S1 p=?

S2 p=?

Regret maximum

D1

100-100=0

40-5=35

35

D2

100-50=50

40-40=0

50

D3

100-70=30

40-20=20

30


77. L’approche par table de décision utilise les probabilités de différentes hypothèses de l’état du système et les valeurs des résultats des décisions, pour obtenir une valeur et variance escomptées de chaque intervention et pour toutes les différentes hypothèses.

Décision

S1 p = 0,7

S2 p=0,3

Valeur escomptée

Variance

D1

100

5

71,5

1 895,25

D2

50

40

47,0

21

D3

70

20

55,0

525


78. La décision consiste à choisir le compromis souhaité entre la variance et la valeur escomptée du résultat. La variance est une mesure de l’incertitude et la valeur escomptée correspond au résultat que l’on attend quand on choisit une politique donnée. La politique D1 a un résultat escompté élevé avec le maximum d’incertitude, et une probabilité de 0,3 de résultat très médiocre. En revanche, la politique D1 a un résultat escompté beaucoup plus bas avec une incertitude plus faible et aucune probabilité de résultat médiocre.

79. Méthodes qui intègrent l’incertitude: quand le nombre des états possibles du système est important, comme c’est presque toujours le cas, on peut effectuer une opération mathématique équivalente à celle décrite ci-dessus pour une table de décision simple. Ceci permet de calculer, pour chaque décision possible, des probabilités de résultat, par intégration des incertitudes.

5. L’approche de précaution appliquée a la technologie de la pèche

5.1 Objectif

80. Compte tenu de ce que beaucoup de ressources aquatiques sont surexploitées et que la capacité de pêche actuellement disponible compromet leur conservation et leur utilisation rationnelle, les nouveautés technologiques qui ne visent qu’à accroître ultérieurement la capacité de pêche ne seront généralement pas considérées comme souhaitables. L’approche de précaution appliquée au changement technologique aura, au contraire, pour but:

a. d’améliorer la conservation et la durabilité à long terme des ressources aquatiques vivantes;
b. de prévenir tout dommage irréversible ou inacceptable à l’environnement;
c. d’accroître les avantages sociaux et économiques tirés de la pêche; et
d. d’améliorer la sécurité et les conditions de travail des travailleurs de la pêche.
5.2 Introduction

81. La technologie de la pêche englobe l’équipement et les pratiques utilisés pour repérer, récolter, manipuler, transformer et distribuer les ressources aquatiques et leurs produits dérivés.

82. Différentes technologies auront des effets différents sur les écosystèmes, sur la structure sociale des communautés de pêche, sur la sécurité des travailleurs et sur la facilité, l’efficacité et l’efficience avec lesquelles la pêcherie est gérée. C’est la quantité de technologie et le contexte dans lequel elle est utilisée (quand, où et par qui) et non la technologie en soi, qui font que les objectifs de l’aménagement des pêches seront ou non atteints. Par exemple, l’actuelle surexploitation de beaucoup de ressources halieutiques est le résultat combiné de l’efficience des technologies de repérage et de capture actuelles, et de la quantité de technologie mise en oeuvre. De même, la construction d’une usine de farine de poisson peut involontairement, mais profondément, modifier la manière dont la pêcherie est conduite, et la structure sociale de la communauté.

83. La technologie de la pêche est en constante évolution et son efficacité sur le plan des captures ne fera que croître avec le temps. Par exemple, un accroissement d’efficacité de 4 pour cent par an doublera le taux de mortalité par pêche en l’espace de 18 ans, si l’effort de pêche reste constant. Une approche de précaution appliquée à l’aménagement devrait tenir compte de tels accroissements.

84. Il faudrait adopter une approche de précaution quand on met au point de nouvelles technologies ou que l’on transfère des technologies existantes à d’autres pêcheries, si l’on veut éviter des modifications brutales et imprévues de la pression exercée par la pêche, ou des structures sociales. Certaines technologies seront considérées comme indésirables si elles entraînent des effets inacceptables (comme le poison ou les explosifs) ou si leur adoption se traduit par un gaspillage (par exemple les machines de triage en mer ont été interdites là où elles pouvaient entraîner une augmentation des rejets).

85. Les techniques halieutiques ont des effets collatéraux sur l’environnement et sur les espèces non-cibles. Ces effets ont souvent été ignorés mais, dans le contexte d’une approche de précaution, il serait peut-être bon de revoir certaines technologies. De même, une approche de précaution devrait encourager un examen attentif des effets secondaires des nouvelles technologies avant qu’elles ne soient autorisées.

86. Chaque technologie a ses avantages et ses inconvénients qui doivent être pesés dans une approche de précaution, et il peut être préférable de disposer d’un assortiment de technologies. Quand une nouvelle technologie est introduite, il faut l’évaluer soigneusement pour en estimer les effets potentiels directs et indirects. S’il est possible d’identifier un mélange de techniques de pêche représentant la “meilleure pratique actuelle” dans une zone donnée, l’aménagement de précaution encouragera son adoption, en décourageant par ailleurs celles considérées comme nuisibles. Une technologie responsable est celle qui permet d’atteindre les objectifs d’aménagement d’une pêcherie particulière avec un minimum d’effets secondaires dommageables. Ces concepts (de “pêche responsable” et de “meilleures pratiques actuelles”) ont été abordés par l’Assemblée générale des Nations Unies1 et dans la Déclaration de Cancùn2.

87. Une approche de précaution devrait mettre en place un processus d’examen initial et permanent des effets des technologies de la pêche, au moment où elles sont introduites ou quand elles évoluent en pratique locale. Toutefois, la mesure dans laquelle il est possible d’appliquer une approche de précaution à la gestion du progrès technologique dépend du niveau d’aménagement existant. Dans certains cas, l’éducation des pêcheurs et des consommateurs à l’égard de pratiques responsables sera la seule approche possible. Quand il existe des systèmes élaborés de recherche, d’aménagement et d’application, on dispose de toutes sortes de solutions pour appliquer l’approche de précaution. Cela dit, même si certains engins et pratiques sont interdits, ils continueront peut-être à être utilisés. Pour appliquer une approche de précaution à la gestion d’une nouvelle technologie de la pêche il faut pouvoir la faire respecter, soit par l’éducation, soit par la coercition. Dans les sections ci-après, on part du principe que le dispositif institutionnel d’application existe.

5.3 Evaluer l’impact de la technologie

88. L’application d’une approche de précaution à la mise au point et à la sélection de technologies de pêche responsables suppose une compréhension appropriée des conséquences qu’entraîneront leur adoption et leur utilisation. Ces conséquences, en particulier sur la faune d’accompagnement et sur les écosystèmes, sont parfois hautement aléatoires. Néanmoins, on possède déjà quelques informations et l’on peut en obtenir d’autres. Le problème des évaluations d’impact se pose aussi bien dans le cas de l’emploi de techniques existantes que de la mise au point de techniques nouvelles, ainsi que dans le cas d’extension de technologies existantes à de nouvelles zones. La description d’une technique donnée devrait indiquer quels en sont les incidences et avantages relatifs pour une espèce donnée dans un environnement déterminé. Quand on évalue l’impact de technologies halieutiques, il faut prendre en compte tous les facteurs concernant la pêcherie, l’environnement et l’écosystème ainsi que la situation socio-économique et juridique.

89. Les facteurs à examiner sont, entre autres, les suivants:

a. les facteurs liés à la pêcherie, tels que la sélectivité par taille et par espèce (espèces visées, faune d’accompagnement et espèces protégées; rejets; survie des animaux passant au travers des mailles; “pêche fantôme”; et capacité de capture);

b. les facteurs concernant l’environnement et l’écosystème, tels que la diversité biologique; la dégradation de l’habitat; la contamination et la pollution; la production de débris et l’évacuation d’ordures; la mortalité directe; les relations prédateur-proie;

c. les facteurs socio-économiques tels que les risques et les accidents du travail; les besoins de formation; les conflits entre usagers; les performances économiques; l’emploi; les besoins en matière de suivi et d’application et les coûts correspondants; les facteurs technico-économiques (par exemple les besoins en matière d’infrastructures et de services; coût et accessibilité de la technologie; qualité des produits et rendement énergétique);

d. les facteurs juridiques tels que la législation existante; la nécessité de nouveaux textes de lois; les accords internationaux et les libertés civiles.

90. Ces facteurs peuvent être utilisés pour identifier parmi les nouvelles technologies celles qui seront bénéfiques ou celles qui seront dommageables; apprécier l’aptitude d’une pêcherie à supporter un accroissement du taux d’utilisation d’une technologie déjà établie, et aider à orienter les procédures de suivi et de communication des données vers la résolution des problèmes importants. Certaines technologies, comme les instruments de navigation, les dispositifs de localisation du poisson, les techniques de transformation et de distribution, pourraient aussi être décrites et évaluées au moyen des critères ci-dessus. Il faudra pour cela une description appropriée des techniques, et de leurs propriétés en rapport avec toute une série d’impacts potentiels. D’autres éléments relevant spécifiquement de la technique ou de la zone particulière en cours d’évaluation devront aussi être considérés.

91. Les approches utilisées pour évaluer les impacts varieront en fonction des ressources humaines et financières dont on dispose pour rassembler des informations. Si ces ressources sont modestes, il sera parfois possible de prendre des décisions en se fondant sur ce que l’on sait des effets de techniques similaires dans des environnements similaires. Le suivi des pratiques de pêches existantes (par exemple l’enregistrement des captures accessoires) apportera des renseignements supplémentaires.

92. Quand on dispose de ressources financières et humaines insuffisantes, on peut utiliser l’information existante pour effectuer des études sur dossier suivant la méthode d’évaluation suggérée ci-dessus. Bien que l’on puisse donner des indications générales en se fondant sur les caractéristiques connues des types de ressources visés et des techniques, la combinaison la plus appropriée de technologies à utiliser sur une pêcherie donnée devra être établie cas par cas, après avoir effectué des évaluations aux niveaux régional et national appropriés. De telles évaluations peuvent être affinées à la lumière de l’expérience et pondérées en fonction des paramètres sociaux et économiques locaux.

93. Dans le cas de nouvelles technologies, ou de technologies récemment introduites dans une zone donnée, des études pilotes pourront être d’un bon rapport efficacité-coût pour évaluer les impacts et seront utiles pour mettre en évidence les avantages d’une nouvelle technologie. Par exemple, l’introduction dans les casiers à langoustes, d’ouvertures permettant aux sujets de petite taille de s’en échapper a permis de démontrer aux pêcheurs que les taux de capture de grosses langoustes augmentaient. Cela dit, les études pilotes ne peuvent mettre en évidence certains gains à longue échéance, comme l’augmentation du rendement par recrue, alors qu’elles feront apparaître les pertes à court terme.

94. Les expériences de grande envergure pour mesurer les effets d’une technique de pêche sur l’environnement marin nécessitent des ressources considérables mais, si elles sont bien conçues (soit sous la forme de projets de recherche, ou d’aménagement expérimental), elles livreront les renseignements les plus utiles pour juger des effets des techniques dans des zones ou habitats particuliers. Ces informations peuvent aussi servir dans des zones et pêcheries autres que celles d’où proviennent les données.

95. Les procédures mises au point dans d’autres contextes pour protéger l’environnement3 peuvent aussi convenir quand on évalue les conséquences de l’introduction de nouvelles techniques de pêche ou de profondes modifications de celles qui existent déjà. Cela sera particulièrement nécessaire en présence de ressources vulnérables ou d’écosystèmes fragiles qu’il faut protéger. Dans une approche de précaution, les promoteurs d’une nouvelle technique de pêche seront invités par l’Etat à fournir une évaluation correcte de l’impact potentiel des nouvelles techniques avant qu’une autorisation soit délivrée.

96. Le coût maximum justifiable d’une évaluation de nouvelles techniques ou pratiques de pêche doit être en proportion des avantages aux impacts prévisibles.

5.4 Mise en oeuvre

97. Dans une approche de précaution à la gestion de la technologie des pêches, il faudra conférer à une autorité responsable désignée le mandat d’évaluer et de décider de l’acceptabilité de la nouvelle technologie proposée ou des modifications que l’on envisage d’apporter à la technologie existante, et de superviser la procédure d’évaluation d’impact. Les auteurs de la proposition et autres parties prenantes devront être en mesure de faire appel si la procédure correcte n’a pas été suivie ou si la décision prise par les autorités ne semble pas concorder avec les conclusions de l’examen.

98. Etant donné que, dans la plupart des cas, les procédures d’autorisation ne concerneraient que des améliorations techniques mineures, on pourrait se contenter de procédures simples et limiter les frais d’administration. Cela dit, les effets d’améliorations minimes et progressives s’accumulent au fil du temps et il faudra périodiquement effectuer des examens des impacts de la technologie existante. La rapide diffusion des technologies modernes de l’information constatée dans la plupart des pêcheries du globe (méthodes acoustiques de détection et d’identification du poisson, suivi permanent du fonctionnement des engins et des navires, surveillance de l’environnement et navigation satellitoire et facilité des communications entre navires) se traduit par des accroissements de l’efficacité de capture (catching efficiency). Toutefois, cette information, officiellement destinée à réduire l’incertitude peut aussi potentiellement améliorer la sélectivité, la sécurité et la rentabilité des opérations de pêche et avoir ainsi des effets positifs.

99. Les tentatives de restreindre l’emploi des nouvelles techniques d’information seront rarement justifiées ou courronnées de succès et il faut savoir se montrer ouvert au progrès technique dans le domaine des pêches en général, et tout particulièrement pour ce qui affecte la sécurité en mer et la santé des pêcheurs.

100. Pour encourager l’adoption des améliorations technologiques, il faut se livrer à un travail approprié de vulgarisation et d’éducation pour en faire connaître les avantages. Comme le souligne le Programme “Action 21” de la CNUED, une meilleure coopération internationale dans le domaine des transferts de technologies contribuerait à promouvoir la technologie la meilleure. L’action internationale menée dans le Pacifique centre-est pour former les équipages et leur apprendre à éviter efficacement les captures accessoires de dauphins grâce à une technologie spécialement conçue a été couronnée de succès, et c’est là un bon exemple de ce qu’il est possible d’obtenir dans ce domaine.

5.5 Recherche et développement technologiques

101. Les recherches menées dans le domaine de la technologie halieutique à l’appui d’une approche de précaution devraient encourager l’amélioration des techniques actuellement utilisées et devraient promouvoir la mise au point de nouvelles techniques appropriées. Ce type de recherches ne devrait pas se concentrer uniquement sur les engins utilisés pour la capture; par exemple, des recherches sur des méthodes rentables de purification de l’alimentation en eau des fabriques de glace pourraient réduire considérablement les pertes après capture et améliorer la qualité et la salubrité des produits.

102. Certains développements technologiques, comme la localisation par satellite, peuvent aussi contribuer à un aménagement de précaution en améliorant le suivi des opérations commerciales et en permettant à la recherche de réduire l’incertitude dans divers aspects importants de la science halieutique.

5.6 Modalités d’application

103. Les mesures ci-après pourraient être prises pour mettre en oeuvre une approche de précaution en matière de développement et de transfert de technologie:

Autorité

a. Il conviendrait de mettre en place des mécanismes efficaces pour s’assurer que l’introduction de la technologie est soumise à examen et réglementée.
Procédures d’évaluation
b. La première étape de la procédure d’évaluation consiste à réunir une documentation sur les caractéristiques et la quantité de technologie halieutique actuellement utilisée.

c. Des procédures d’évaluation devraient être établies pour identifier les caractéristiques des nouvelles technologies, de manière à promouvoir l’utilisation des techniques bénéfiques et prévenir l’emploi de celles qui conduisent à des changements difficiles à renverser.

d. Ces procédures devraient évaluer avec la précision voulue les impacts possibles de la technologie envisagée, afin d’éviter d’inutiles investissements financiers et sociaux.

e. Les autorités concernées devraient s’assurer que les promoteurs de technologies et autres parties prenantes connaissent leurs obligations et leurs droits concernant de telles procédures.

f. Le niveau des procédures d’évaluation devrait être à la mesure des effets potentiels de la technologie proposée, allant par exemple de la simple étude sur dossier jusqu’aux études d’impact complètes, comprenant éventuellement des projets pilotes ou y conduisant.

Mise en oeuvre
g. Les autorités concernées devraient mettre en oeuvre graduellement la technologie envisagée de manière à minimiser le risque de dommages irréversibles ou de surinvestissement.

h. Les technologies existantes et leurs effets sur l’environnement devraient être examinés périodiquement.

i. Les développements technologiques peuvent conduire à des modifications des pratiques des personnes travaillant dans la pêche. Pour recueillir tous les avantages de la technologie tout en assurant la sécurité des travailleurs, il faut former ces derniers à l’utilisation correcte des techniques nouvelles.

j. Dans le cas de pêcheries en cours de réhabilitation, il faudrait saisir l’occasion pour examiner le mélange de techniques utilisées.

k. Il faudrait encourager la recherche sur les techniques de pêche responsables.

l. Il faudrait encourager la recherche technologique destinée à réduire le coefficient d’incertitude qui apporte l’évaluation et le suivi des stocks.

6. L’approche de précaution appliquée aux introductions d’espèces

6.1 Introduction

104. Comme il est hautement probable que les introductions d’espèces aient des effets irréversibles et imprévisibles, bon nombre de celles-ci ne relèvent pas de l’approche de précaution. Une stricte approche de précaution ne permettrait donc pas les introductions délibérées et préconiserait des mesures énergiques pour prévenir les introductions accidentelles. Compte tenu des difficultés que comportent les introductions, les objectifs d’une approche de précaution appliquée aux introductions d’espèces dans le contexte des pêcheries de capture seront de limiter le risque d’effets dommageables des introductions sur ces pêcheries, d’adopter (par exemple dans un plan d’urgence) des mesures de correction ou d’atténuation avant même que les dommages ne se vérifient, et de réduire au minimum les introductions involontaires dans les écosystèmes naturels dans les pêcheries de capture qui leur sont associées.

105. Pour ce qui concerne l’aquaculture, l’expérience a montré que les animaux arrivent généralement à franchir les limites d’une installation aquacole. En conséquence, l’introduction d’organismes aquatiques à des fins aquacoles doit être considérée comme une introduction intentionnelle dans le milieu naturel, même si le dispositif de quarantaine et l’écloserie constituent un système fermé.

106. Les introductions et transferts (ci-après désignés par le terme d’introductions) sont un moyen efficace d’accroître la production de protéines, d’engendrer des revenus et de créer des emplois. Pourtant, certaines introductions volontaires et beaucoup d’introductions involontaires peuvent avoir des incidences importantes et graves sur les pêches de capture. Le nombre d’introductions involontaires, par exemple par l’intermédiaire de l’eau de lest, dépasse de loin celui des introductions effectuées volontairement dans l’intérêt des pêches de capture. Dans le cas d’espèces introduites dans l’intérêt de la pêche, il est possible d’atténuer le risque pour les pêcheries de capture en appliquant les codes internationalement acceptés, comme le Code d’usages du CIEM de 1994 (voir annexe A)4. Ce code pose les principes d’une approche plus prudente et devrait être largement diffusé et expliqué.

107. Si l’on veut appliquer une approche de précaution à l’aménagement des pêches il faut éviter, en tenant compte du facteur d’incertitude, les changements irréversibles à l’échelle de générations humaines et autres impacts indésirables. Les introductions d’espèces, qu’elles soient volontaires ou accidentelles, peuvent avoir de tels effets indésirables. Une fois qu’une espèce est introduite elle ne peut généralement pas être éliminée, même s’il est parfois possible d’en atténuer les effets indésirables.

108. La difficulté de renverser une introduction et ses effets néfastes doivent figurer en bonne place dans la réflexion qui précède la décision d’autoriser ou non une introduction. L’évaluation des risques liés à des introductions intentionnelles sur des pêcheries est une nécessité de l’approche de précaution; le Code d’usages de la CIEM propose une procédure pour ce genre d’évaluation.

109. Pour encourager une application plus stricte de l’approche de précaution en matière d’introduction, l’actuel Code d’usages formulé pour la région du CIEM peut être modifié et adapté pour être plus applicable au niveau national, en simplifiant ses procédures sans en affaiblir la rigueur.

110. Les introductions accidentelles sont, par nature, étrangères à la notion de précaution car elles peuvent rarement être évaluées par avance. Une approche de précaution viserait à atténuer le risque de telles introductions involontaires et à en minimiser les effets.

6.2 Principaux problèmes et objectifs

111. Les introductions sont examinées ici du point de vue du secteur des pêches. Les principales raisons pour lesquelles on procède à des introductions délibérées concernent, entre autres, la production de protéines, l’emploi, les recettes en devises, la lutte biologique et les loisirs. Des introductions d’espèces se sont produites à l’occasion d’activités en rapport avec: les transports (par exemple par l’eau de lest, les salissures des coques de navires et des forages pétroliers), le commerce des organismes vivants, notamment des espèces d’aquarium, l’aquaculture et les pêches (commerciales et récréatives; amélioration des stocks; organismes accidentellement transportés avec les engins de pêche, poissons vivants utilisés comme appât). Beaucoup de ces activités se sont intensifiées au cours du siècle écoulé et ne feront probablement que croître à l’avenir.

112. Les impacts potentiels de certaines introductions sur le secteur des pêches comprennent des modifications de la distribution et de l’abondance des ressources halieutiques par le biais de maladies, des modifications des relations prédateur-proie, des modifications de la concurrence, des mélanges de mauvais gènes (mal adaptés) et des modifications de l’habitat. Il peut y avoir aussi des modifications secondaires et tertiaires de l’écosystème. Des changements de la stratégie de pêche et de la communauté de pêche peuvent aussi nécessiter des modifications des engins et des saisons de pêche pour permettre à une espèce nouvellement introduite de s’installer, ou pour éviter que la nouvelle pêcherie ne s’accompagne d’effets secondaires. Les modifications du climat peuvent aussi avoir des conséquences appréciables et modifier l’environnement, le rendant plus favorable à l’introduction d’espèces soit utiles, soit nuisibles.

113. L’utilisation d’espèces introduites, spécialement d’organismes génétiquement modifiés et génétiquement sélectionnés, peut favoriser une production constante ou accrue à partir d’habitats qui sont désormais si altérés ou dégradés que les pêcheries d’origine ne sont plus viables. Il faut prendre garde de ne pas utiliser cette productivité potentielle des espèces introduites pour justifier d’ultérieurs abus dans l’utilisation de l’habitat ou pour retarder sa remise en état.

6.3 Recherche et technologie

Introductions délibérées

114. Le Code d’usages du CIEM (annexe A) décrit comme suit les activités de recherche qui devraient être entreprises avant une introduction: 1) évaluation sur dossier de la biologie et de l’écologie de l’introduction envisagée; 2) préparation d’une évaluation des risques (analyse détaillée des impacts potentiels sur l’environnement); 3) examen de l’espèce dans son aire de distribution d’origine. Les résultats des recherches ci-dessus devraient être consignés dans un document ou une proposition à soumettre à l’autorité compétente pour évaluation et décision.

115. Pendant et après l’introduction, il est possible de recourir à une intervention technologique; par exemple, on peut:

a. utiliser des écloseries ou des dispositifs de quarantaine pour diminuer le risque de propagation de maladies au sein des ressources halieutiques, et contrôler le nombre d’organismes exotiques introduits;

b. utiliser des organismes stériles pour diminuer le risque de croisements avec des stocks naturels de poissons;

c. procéder à une identification génétique du stock pour réduire ou prévenir des modifications génétiques des ressources halieutiques;

d. effectuer des diagnostics médicaux afin de suivre l’état de santé des espèces introduites; et

e. développer la pratique des projets de petites dimensions à petite échelle (projets pilotes) pour évaluer les impacts et les performances des introductions.

116. Des recherches et interventions technologiques continues devraient être faites sur les espèces introduites dans le cadre d’un programme de suivi et d’évaluation, pour évaluer leur impact, leur état de santé et leurs performances dans le nouvel habitat. Des bases de données ou des registres d’introductions d’espèces aquatiques, avec leurs incidences écologiques et socio-économiques, ont été créés à cet effet; ils devraient continuer à être tenus par les organisations compétentes, avec la contribution du secteur des pêches.

Introductions accidentelles

117. Les introductions accidentelles peuvent provenir de sources diverses, telles que les “salissures” des coques, la suppression de barrières naturelles et le commerce des poissons d’aquarium, mais l’eau de lest est probablement le facteur le plus appréciable et le plus préoccupant pour le secteur des pêches et c’est pourquoi on y insistera ici. Dans le cas de l’eau et des sédiments de lest, des études sur dossier peuvent être effectuées pour établir: 1) les principales sources de provenance de l’eau de lest, 2) les volumes de lest introduits et 3) les probables “points chauds” constituant des sources d’introductions.

118. Des recherches actives devraient être entreprises et régulièrement poursuivies concernant:

a. les moyens pratiques de traiter les organismes contenus dans l’eau et le sédiment de lest;

b. l’étude de la dynamique des espèces visées pendant le voyage;

c. l’étude des kystes algaux présents dans le sédiment de lest des navires et dans les zones portuaires;

d. l’efficacité des opérations de renouvellement du lest;

e. les modifications de la conception des réservoirs pour tuer ou contrôler les espèces nuisibles présentes dans l’eau de lest;

f. la conception de navires facilitant le traitement et la manutention des sédiments et de l’eau de lest.

119. Les recherches sur de nouveaux matériaux anti-salissures non létaux plus efficaces devraient se poursuivre pour diminuer les risques d’introductions par les coques des navires et pour remplacer les applications de produits biocides nocifs pour les pêches. Les agents antisalissures sont conçus pour atténuer l’effet de freinage et accroître le rendement du combustible d’un navire et son efficacité à long terme, mais ces produits devraient aussi être respectueux de l’environnement. Il faudrait aussi prêter attention aux agents anti-salissures conçus pour lutter contre des organismes spécialement nuisibles pour les pêches, même ces agents n’ont pas d’influence positive sur la performance du navire.

6.4 Aménagement

120. La première chose à faire en matière d’introductions est de créer un organe d’aménagement qui ait la responsabilité d’évaluer les introductions proposées, de les approuver en se conformant aux présentes directives et de suivre en permanence les effets de l’introduction. La gestion des introductions d’espèces comprendra une évaluation comparée des risques et des choix entre les diverses options qui s’offrent pour accroître la productivité. Les options d’aménagement considérées ici ne concernent que le secteur aquatique, mais les pays peuvent être sensibles à des problèmes plus vastes, en liaison avec le développement d’autres secteurs (par exemple l’agriculture). Les codes d’usages internationaux, comme le Code d’usages du CIEM, offrent un bon cadre pour l’aménagement des introductions volontaires d’espèces. Ces codes ne devraient pas être considérés comme une entrave au développement mais plutôt comme un outil qui permet aux importateurs d’effectuer les bons choix en matière d’introductions. L’application du code devrait accroître les probabilités de succès d’une introduction appropriée.

Introductions délibérées

121. Les introductions intentionnelles doivent être contrôlées; en conséquence, ceux qui procèdent à une introduction doivent suivre, selon le cas, le Code d’usages du CIEM ou tout autre code similaire et, pour démontrer qu’ils font preuve de prudence, sont censés présenter une proposition indiquant: 1) le but et les objectifs de l’introduction préalablement à cette introduction, 2) toutes les données biologiques, écolologiques et génétiques pertinentes concernant l’espèce et la zone susceptible d’être affectée, 3) l’analyse des impacts potentiels sur les lieux de l’introduction, notamment les impacts écologiques, génétiques et pathogènes potentiels et les conséquences éventuelles de sa propagation et 4) une évaluation qualitative et, si possible, quantitative des risques.

122. Si cette proposition est approuvée, il faudra: 1) créer un stock de géniteurs dans un dispositif de quarantaine approprié, 2) stériliser de manière appropriée tous les effluents de l’installation, 3) relâcher en petit nombre des individus isolés de la première génération, exempts de maladies, et 4) poursuivre l’étude de l’introduction dans le nouvel environnement.

123. Un plan d’urgence peut être établi pour prendre en compte des effets négatifs, si ceux-ci se manifestent et justifient une intervention.

124. Le code devrait aussi couvrir les introductions qui font partie de la pratique commerciale courante (commerce de poissons et de coquillages vivants) et recommander: a) une inspection périodique avant exportation; b) des inspections régulières et c) des mesures de quarantaine et de lutte, si nécessaire.

125. Les préoccupations exprimées à propos de l’introduction d’espèces à des fins halieutiques suivant le Code du CIEM, devraient s’appliquer aux espèces que l’on envisage d’introduire pour la lutte biologique et qui peuvent avoir des implications pour la pêche. Il faudrait comparer attentivement les programmes de lutte biologique et d’autres méthodes de contrôle, comme les techniques physiques et chimiques ou la pêche intensive. Il faudra probablement plusieurs années pour évaluer les techniques de lutte biologique, en recourant à des essais in situ. Il y a beaucoup à apprendre des études faites sur la lutte biologique dans d’autres disciplines, comme l’entomologie.

126. La proposition soumise par l’importateur potentiel d’une espèce exotique et son examen par l’autorité compétente servent de mesures de précaution pour réduire le risque d’une introduction nuisible. Les gouvernements souhaiteront peut-être inclure dans la législation nationale la possibilité pour l’importateur d’une espèce exotique qui n’aurait pas respecté les principes du code d’être tenu pour financièrement et pénalement responsable si des dégâts importants se produisent.

127. Il faudrait veiller à ce que la population introduite ait une base génétique satisfaisante - à savoir diversité génétique, faible consanguinité, etc. - cela pour ne pas avoir à procéder à des introductions supplémentaires qui, si non, pourraient se révéler nécessaires pour accroître la base des ressources génétiques. En outre, il faudrait envisager la possibilité d’importer des gamètes - par exemple oeufs, sperme cryoconservé - ou bien d’organismes entiers, pour réduire le risque d’introduire des maladies ou des organismes non désirés.

Introductions non intentionnelles

128. L’introduction d’espèces indésirables par l’intermédiaire de l’eau de lest pose, dans le monde entier, des problèmes pour les pêches. Mais à côté des introductions involontaires par le biais de l’eau de lest, il existe beaucoup d’autres véhicules d’introductions, dont la pêche et le commerce des poissons vivants. La pêche peut être une occasion d’introductions quand elle transporte d’un écosystème à un autre, des appâts vivants ou frais ou des engins de pêche biologiquement contaminés. Ce commerce des organismes vivants quand il a lieu (pour des aquariums ou pour la consommation humaine), comprend des risques de fuites.

129. Les autorités chargées de réglementer la pêche et le commerce des produits de la pêche devraient, pour limiter ces risques, élaborer des réglementations dont la sécurité devrait être en relation avec la gravité des impacts nuisibles potentiels. Mais les autorités nationales et internationales qui ont compétence pour s’occuper des questions de lest sont rarement celles qui sont aussi chargées des questions d’aménagement des pêches. La coopération entre ces différentes instances faciliterait grandement la gestion de ce problème.

130. Pour limiter le risque créé par l’introduction des organismes contenus dans l’eau de lest pour les pêcheries de capture, dans les zones de délestage ou à proximité de celles-ci, l’OMI a recommandé (1994, annexe B) les méthodes de prévention ci-après: a) s’abstenir de délester; b) renouveler l’eau de lest en des points approuvés ou à proximité; c) prévenir ou minimiser le prélèvement d’eau ou de sédiments contaminés (en eau peu profonde, à proximité d’opérations de dragage, pendant des périodes de proliférations d’algues); d) prévoir des installations spéciales de délestage à terre; e) former les équipages aux procédures de gestion de l’eau de lest et f) traiter l’eau de lest, notamment en modifiant la température et la salinité et grâce à l’emploi de biocides (produits chimiques).

131. Les questions relatives au transport de l’eau de lest, aux organismes salisseurs et autres introductions involontaires ne relèvent pas toujours du mandat des ministères des pêches, mais le secteur de la pêche pourrait contribuer à la gestion de ce type d’introductions susceptibles d’avoir un retentissement sur l’industrie elle-même. Pour cela, on pourrait promouvoir la création et l’entretien, auprès de l’institution appropriée, d’une base de données accessible sur les questions de lest ou les organismes salisseurs ayant un effet démontré sur les pêches; promouvoir la constitution d’un réseau d’experts qui identifierait les problèmes, participerait à l’identification d’espèces et délimiterait les zones d’impact. Le secteur des pêches serait peut-être bien placé pour détecter la propagation d’organismes nuisibles provenant de salissures ou de lest, et devrait par conséquent apporter sa contribution à ces bases de données et à ces réseaux quand ils auront été créés; il pourrait aussi prendre des initiatives en matière de gestion de l’environnement.

132. Les organismes introduits peuvent entraîner de profondes modifications des écosystèmes, spécialement dans les zones portuaires et connexes, les zones confinées ou partiellement confinées comme les lagunes. De telles introductions peuvent modifier la productivité des espèces exploitées localement. Le suivi des organismes introduits et des pêcheries de ces zones pourrait apporter des informations utiles qui serviraient à modifier les techniques et politiques d’aménagement concernant les ressources exploitées.

6.5 Modalités d’application

133. Ceux qui procèdent à des introductions devraient considérer le Code d’usages du CIEM comme un moyen de limiter les introductions d’espèces nuisibles, ainsi que de parasites et de maladies qui peuvent avoir un impact dommageable sur les pêches de capture.

134. Pour encourager une approche plus prudente, les gouvernements n’appartenant pas à la région du CIEM devraient appliquer les principes ou recommandations du code en fonction de leur situation particulière. Les éléments critiques à prendre en considération sont la proposition, l’examen indépendant par un organe scientifique et les protocoles à élaborer par la suite si une introduction est approuvée.

135. Outre les codes publiés par le CIEM et l’OMI, il pourrait être bon, dans le cadre d’une approche de précaution à l’égard des espèces introduites:

a. d’élaborer des procédures et protocoles clairs et sans ambiguïté concernant la mise en place, pour la gestion des espèces introduites, de mécanismes opérant sous la responsabilité des services publics compétents et habilités à traiter des questions d’application, de responsabilité et d’obligations;

b. de promouvoir la coopération entre le secteur des pêches et les autres secteurs qui s’occupent du milieu aquatique afin de coordonner la politique et la réglementation des espèces introduites; il s’agit spécialement des autorités nationales qui s’occupent des ports et du transport maritime, et des organisations internationales comme le CIEM, la FAO, l’OMI et l’ICLARM, qui disposent de l’expertise nécessaire;

c. d’encourager les groupes pertinents (importateurs et organes de réglementation) à étudier un plan d’urgence à mettre en oeuvre au cas où l’espèce introduite ne répondrait pas à ce que l’on en attend ou aurait des effets nuisibles;

d. de promouvoir l’éducation, la formation et une prise de conscience à l’égard de l’introduction d’espèces nuisibles, diffuser aussi largement que possible les codes du CIEM et de l’OMI et de dispenser des avis aux autorités compétentes, du secteur des pêches et d’autres secteurs, concernant les procédures contenues dans ces codes;

e. de créer, auprès d’institutions appropriées, un système international d’information sur les organismes présents dans l’eau de lest ou organismes salisseurs ayant un impact démontré sur les pêches, en encourageant la constitution d’un réseau d’experts chargé de définir les problèmes, d’identifier les espèces et les zones d’impact, d’organiser la normalisation des méthodes d’échantillonnage (inter-étalonnage) et de mettre au point un système de suivi qui permette d’évaluer les changements dans les zones à haut risque. Si des espèces non désirées devaient être repérées, il faudrait envisager un programme d’éradication;

f. d’encourager l’application du code par l’industrie de la pêche et par les autres utilisateurs des ressources aquatiques; les gouvernements pourraient encourager l’industrie de la pêche et les autres utilisateurs de la ressource à une autosurveillance et à une application volontaire du Code en vue de minimiser les effets des espèces introduites par des moyens non autorisés; et

g. de conduire des recherches sur l’applicabilité des conclusions tirées d’introductions portant sur un nombre limité d’individus (introductions pilotes ou expérimentales).

136. Il est suggéré de créer et d’entretenir des bases de données sur les espèces délibérément introduites aux fins de pêche. Des données sur l’impact de ces introductions devraient y figurer. Les importateurs ou les gestionnaires des pêches souhaiteront peut-être consulter ces bases de données pour faciliter la formulation de propositions et leur évaluation.

137. La mise au point de méthodes anti-salissures non biocides et efficaces pour réduire le risque d’introductions lié aux salissures des navires est encouragée.


1 La résolution 44/228 de l’Assemblée générale (22 décembre 1989) sur la CNUED parle plutôt de “techniques écologiquement rationnelles”, insistant sur la nécessité de prendre en compte les contraintes socio-économiques. Le libellé ne prétend pas restreindre la possibilité de choix à une seule technologie qui soit la “meilleure” ou la plus rationnelle, ce qui revient à dire que beaucoup de techniques “rationnelles” peuvent être utilisées conjointement en fonction du contexte socio-économique dans lequel elles sont introduites

2 La Déclaration de Cancun (Mexique, 1992) dispose que “les Etats devront encourager le développement et l’utilisation d’engins et de techniques de pêche sélectifs qui réduisent le gaspillage des espèces visées ainsi que la capture accidentelle de la faune d’accompagnement”, ne mettant ainsi l’accent que sur un seul aspect des techniques de pêche responsables

3 Avant d’introduire une technologie éventuellement dangereuse ou d’évacuer des polluants, les industries doivent fournir des renseignements sur l’impact potentiel de leurs activités pour obtenir une autorisation des autorités. Généralement, un certain nombre de mesures spéciales sont prescrites pour suivre les effets et limiter les incidences possibles sur l’environnement. Le Principe de l’Information Préalable (PIP) constitue une méthode plus souple; le Principe du Consentement Préalable (PCP) est plus lourd à mettre en oeuvre. Le premier suppose essentiellement le consentement de ceux qui pourraient éventuellement être touchés, tandis que le second implique une procédure plus formelle. Ces mécanismes ne sont toutefois efficaces que s’il existe une autorité puissante et compétente en matière d’environnement

4 Note de l’éditeur: Le code d’usages initialement rédigé par le CIEM a été par la suite mis définitivement au point par le CIEM et la CECPI conjointement, à l’intention des organes régionaux des pêches de la FAO. Son élaboration se poursuit et la FAO s’emploie actuellement à rassembler des matériaux complémentaires, principalement pour faciliter son application des les pays en développement


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