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La sylviculture du nord-ouest des Etats-Unis vue par un forestier européen de la division des forêts et des produits forestiers de la FAO


La situation actuelle
Les problèmes

TOUT récemment l'un des membres européens de la Division des Forêts et des produits forestiers de la FAO a visité les régions forestières du Nord Ouest des Etats-Unis.*

*La Division des Forêts et des produits forestiers se doit de remercier ici non seulement le Directeur du Service forestier des Etats-Unis, M. E. F. Watts, et le Directeur adjoint, chargé des Recherches, M. E. I. Kotok, grâce à qui le voyage du représentant de la FAO a pu être effectué dans d'excellentes conditions, mais aussi les chefs des services régionaux et des stations d'expérience régionales qui en ont réglé les détails, ainsi que les nombreux forestiers américains à qui est revenue la tâche de guider ce représentant dans ses longues courses à travers les forêts des Etats de Montana, Idaho, Oregon, Washington et Californie.

Ainsi que le faisait remarquer le Directeur du Service forestier des Etats-Unis dans le premier numéro de cette Revue, ces régions constituent pour ce pays sa dernière réserve de forêts vierges et c test vers elles qu'il se tourne pour assurer la continuité de son approvisionnement en bois d'œuvre.

Foret nationale de Stanislaus (Californie). Peuplement vierge de Pinus ponderosa, mélangé de Pinus Lambertiana.

Les problèmes qui se présentent aux forestiers américains sont graves et nombreux. Que la Division forestière de la FAO les expose tels qu'un forestier européen les a vus et compris - en se référant à son expérience de forestier européen - ne peut qu'aider à une meilleure estimation de ceux-ci par tous les sylvicuteurs, et peut-être les induire à considérer leurs propres problèmes sous des points de vue nouveaux. D'un autre côté, on n'oubliera pas, en lisant le présent article, qu'il s'agit d'impressions recueillies au cours d'un voyage d'un mois seulement, et qu'il ne saurait ni épuiser la question ni même la montrer sous tous ses aspects.

Les pages qui suivent se proposent, après avoir décrit l'état des forêts et des industries du bois dans cette région, de passer brièvement en revue les questions qui s'y posent et les méthodes employées par les forestiers américains pour s'efforcer de les résoudre.

La situation actuelle

I. - LES FORÊTS

1) Leur origine

Ce n'est pas assez de dire que les forêts américaines impressionnent d'abord le forestier européen par leur étendue. On trouvera à ce sujet, dans les statistiques très détaillées du Service forestier américain tous les éléments susceptibles de frapper l'imagination et il n'y a pas lieu de s'y étendre. Il convient surtout d'observer que, il y a environ cent ans, tous ces massifs étaient vierges.

Mais, ainsi qu'on en peut juger par les très vastes étendues de forêts qui subsistent en cet état, principalement sur le sol détenu et administré par le gouvernement fédéral, cette forêt n'était pas nécessairement une forêt climatique.

Le feu a joué, en effet, de tout temps, un rôle primordial dans la constitution de ces massifs. Il est inexact de prétendre que l'homme a apporté ce fléau avec lui. Sauf dans le cas de défrichement volontaire, le feu allumé par l'homme a pu également être combattu par lui dès que ces régions ont été peuplées. Le feu naturel, allumé par la foudre pendant les deux à quatre mois très secs qui caractérisent l'été dans tout le Nord-Ouest, susceptible de se propager sans contrôle sur d'énormes surfaces grâce à l'abondance des déchets qui couvraient le sol sous ces peuplements alors inexploités, a joué un rôle beaucoup plus important et, à de très rares exceptions près, est à l'origine de tous les peuplements vierges actuellement existants et de ceux qui existaient encore il y a cent ans.

Le feu a produit ici son effet naturel. Les peuplements régénérés sont sur de vastes surfaces équiennes et pures, tout au moins dans l'étage dominant, car, en nombre de points, la réinstallation de la forêt climatique se poursuit sous ce peuplement tant qu'un nouvel incendie ne vient pas troubler cette évolution. D'autre part, les essences dites intolérantes, c'est-à-dire les essences les plus favorisées dans leur jeunesse par le plein découvert, ont pris dans la forêt la place prépondérante: pin blanc de l'Ouest, Pinus monticola Dougl., dans les forêts de l'ouest du Montana et du nord de l'Idaho, Douglas, Pseudotsuga taxifolia Britt., dans les Etats de Washington et d'Orégon, Pinus ponderosa Laws., ou pin de Jeffrey, Pinus jeffreyi Grev. et Balf., en Californie.

Nous ne voulons pas dire par là que ces espèces, et notamment les Pinus ponderosa et jeffreyi ne sauraient faire partie d'une forêt climatique. Les deux derniers, au contraire, en sont évidemment, sur de larges étendues, les principaux éléments. Cependant, il parait certain que le feu, aidé sans doute par des fluctuations climatiques, a modifié de façon très sensible non pas la composition par essence, mais la composition par classes d'âge et de diamètre des peuplements qu'ils constituent.

Il ne faudrait pas non plus s'imaginer d'après ce qui précède que les forêts du Nord-Ouest se présentent sous un aspect simple. Bien au contraire, ce sont des ensembles très complexes, parce que, sous les peuplements installés à la suite du feu ou, comme nous le verrons plus loin, des attaques d'insectes, les essences de la forêt climatique tendent aussitôt à se réinstaller Il en résulte une très grande diversité d'une part des espèces que l'on rencontre dans la forêt, et d'autre part de leur proportion relative, éléments qui varient non seulement en raison des conditions de climat et d'altitude, très diverses sur ces vastes surfaces, mais aussi du fait que, en chaque point particulier, le peuplement se trouve actuellement à un stade déterminé de son évolution, stade différent de celui que l'on rencontrera en un autre point voisin.

2) Conséquences sylvicoles

L'état de choses qui vient d'être décrit a entraîné plusieurs conséquences, les unes de caractère sylvicole, les autres de caractère économique.

L'état pur et équienne des peuplements accompagné du fait que des exploitations fréquentes et partielles y sont impossibles, même actuellement, en beaucoup de cas, les rend très sensibles aux maladies et attaques d'insectes. Le pin blanc de l'Ouest, pin à 5 feuilles, a le «blister rust» (Cronartium ribicola) sans parler d'un chancre, d'origine encore inconnue qui prend actuellement sur les perches un développement rapide. Le Douglas, quant à lui, présente une tendance inquiétante en certains points, à être attaqué par des champignons dont l'action entraîne la pourriture du tronc. Le Pinus ponderosa et ses associés ont le «western pine beetle» (Dendroctonus brevicomis), qui joue un rôle fort important dans la sylviculture californienne, tandis qu'un autre coléoptère, qui attaque les jeunes plants, a pris depuis peu d'années un développement de caractère épidémique.

Orégon - Foret de Douglas, Pseudotsuga taxifolia, abondamment melangée de tsugas, Tsuga heterophylla, et de sapins nobles, Abies nobilis, au premier plan.

FORÊT EXPÉRIMENTALE DE WIND RIVER (WASHINGTON) PEUPLEMENT MOYEN À L HA DANS UNE TRÈS VIEILLE FUTAIE DE DOUGLAS

SOUS LA VIEILLE FUTAIE DÉPÉRISSANTE DE DOUGLAS LA FORÊT CLIMATIQUE S'INSTALLE Graphique FAO No. 172

Une autre conséquence, d'importance sylvicole considérable, est que, d'une façon très générale, les peuplements d'âge moyen des essences jusqu'ici considérées comme précieuses - celles qui viennent d'être énumérées - manquent ou sont largement déficitaires. Le feu dans la forêt vierge, se reproduisait peut-être à intervalles relativement courts, mais sa distribution et son effet sur les différents éléments du peuplement étaient sans doute fort variables. Les arbres déjà suffisamment âgés pour être munis d'une écorce épaisse qui les protège contre les effets du feu, ou pour qu'un peuplement climatique, moins vulnérable à l'incendie ait pu se constituer sous eux, ont été sans doute épargnés. On ne s'expliquerait pas autrement la rareté des peuplements d'âge moyen de ces essences, et que les très gros arbres qui ont fait la renommée touristique des forêts du Nord-Ouest et la renommée commerciale de ses industries du bois, soient âgés de 200 à 300 ans et plus, et même parfois de plus de 1.000 ans en ce qui concerne la région des «Redwoods», Sequoia sempervirens (D. Don) Endl.

3) Conséquences économiques

Du point de vue économique, l'état où se trouvait la forêt vierge au début des exploitations a entraîné la constitution d'industries centrées sur une essence et une essence seulement. Jusqu'à la dernière guerre, toute l'économie forestière du nord de l'Idaho et de la région voisine du Montana était basée sur le pin blanc de l'Ouest, celle des Etats d'Orégon et de Washington sur le Douglas, celle du nord-est de la Californie sur le Pinus ponderosa et celle de la région côtière sur le «Redwood». Du fait que les peuplements étaient composés de très gros arbres et d'accès difficile, du fait que leur exploitation nécessitait de gros capitaux, les entreprises importantes se sont trouvées. Enfin, du fait que les peuplements étaient équiennes, elles ont presque toujours exploité par coupes blanches. Les arbres non abattus, fort rares en dehors des essences considérées comme non précieuses, étaient généralement brisés par l'exploitation ou la vidange à moins que l'isolement leur fût fatal. L'idée du rendement soutenu était inconnue de ces premiers exploitants. Une fois la terre dénudée, la scierie tombait. Les villes ne sont pas rares qui, créées autour d'une grosse usine, sont aujourd'hui dépérissantes parce que celle-ci a fermé. La petite agglomération d'Hobart Mills, en Californie, n'est plus que ruines, avec un poste d'essence au croisement de deux routes.

Bien entendu, ces exploitations massives commencées vers 1850, ont contribué à accentuer le problème sylvicole signalé ci-dessus. Les terrains en voie de reboisement à la suite de ces exploitations ne portent encore que des peuplements jeunes. Les ressources en bois d'âge moyen y sont de faible importance et souvent inexistantes.

II. - LA PROPRIÉTÉ FORESTIÈRE ET LES INDUSTRIES DU BOIS

Le Service forestier des Etats-Unis désigne sous le nom de «Forêts nationales» d'importante ensembles de forêts qui comprennent en réalité non seulement les forêts appartenant au gouvernement, mais encore les forêts particulières voisines. L'étendue de ces dernières y est souvent relativement importante.

1) La grande forêt privée et la grande industrie

Ces forêts particulières sont également situées, en général, sur les sites les plus favorables et les plus accessibles. Ce sont le plus souvent de grandes propriétés, appartenant à une puissante compagnie, qui les exploite directement ou parfois cède les coupes à une autre compagnie. Prises dans leur ensemble, elles renferment encore une certaine proportion de forêts vierges, mais aussi une très vaste surface de terrains exploités presqu'à blanc, qui ne portent guère que des jeunes bois, et où parfois la régénération se fait attendre pendant fort longtemps, si même elle n'est pas indéfiniment compromise.

Bien que la grande industrie soit en général trop peu soucieuse de l'avenir de ses fruits, le tableau que nous avons tracé tout à l'heure ne se réfère heureusement qu'au début des exploitations. Certaines compagnies privées s'efforcent au contraire actuellement de gérer les forêts qui leur appartiennent sur la base du rapport soutenu, ou tout au moins d'aboutir à ce résultat après une période de conversion dont on verra plus tard la nécessité. Elles disposent d'un état major de forestiers dont la formation est identique à celle des fonctionnaires fédéraux et qui sont parfaitement au courant des méthodes de sylviculture modernes. Leurs avis sont écoutés, et, le plus souvent, ils travaillent en étroite collaboration avec le Service forestier régional et les Stations d'expérience, surtout lorsque les forêts qu'ils gèrent sont adjacentes aux forêts du gouvernement et lorsque l'approvisionnement des usines de leur compagnie dépend non seulement des coupes qui peuvent être assises sur leurs propres forêts mais de celles qui peuvent leur être vendues sur les forêts contrôlées par le Service fédéral.

Forêt nationale de Clearwater (Idaho, Etats-Unis) - Bouquet de pins blancs, Pinus monticola, dans la foret vierge.

Mais ce n'est malheureusement pas le cas général, et il n'est que trop vrai que certaines compagnies se désintéressent entièrement d'assurer à leurs usines un revenu constant et indéfiniment soutenu. Le fait se rencontre dans toutes les régions. Il est particulièrement marqué dans la région du Redwood où le Service forestier ne dispose d'aucun moyen d'action, la forêt étant entièrement propriété particulière, à l'exception d'une étendue relativement faible qui a pu être acquise récemment par le Service fédéral. Bien qu'une légère amélioration s'y manifeste dans les méthodes d'exploitation, celles-ci sont, dans leur ensemble, particulièrement destructives et l'avenir forestier de cette zone semble extrêmement compromis.

La grande industrie consacre, en fait, son activité a l'exploitation des forêts vierges. Elle est intéressée essentiellement au sciage des très gros bois de haute qualité qui composent ces forêts et est équipée pour leur maniement. Si ses méthodes d'exploitation sont parfois fort mauvaises, en ce sens qu'elles laissent la forêt improductive pour de longues années et parfois aussi abandonnent sur le sol d'importantes quantités de bois qui pourraient être employées, l'utilisation qu'elles font du produit tiré de la forêt est, par contre, aussi poussée que possible. A côté des scieries, installées dans les conditions les plus modernes, et indépendamment des fours de séchage et des ateliers de rabotage, les usines de certaines de ces grandes compagnies comprennent également des ateliers de caisserie pour l'utilisation des moindres sciages, des ateliers de contre-plaqué, où sont traitées les billes de haute qualité, des ateliers pour le traitement des sciures, transformées en bûches de chauffage, et pour le traitement des écorces, et même, dans l'état de Washington, une importante usine de pâte.

Californie - Exploitation dans la région des Redwoods.

2) La petite propriété forestière

A côté de la grande propriété forestière, la petite propriété existe également, mais présente une importance variable suivant les Etats. Elle est principalement constituée par les forêts de ferme, dont l'étendue moyenne est de l'ordre d'une cinquantaine d'acres (une vingtaine d'hectares). Ses terrains, riches et aisément accessibles, ont été parmi les premiers exploités et renferment actuellement un peuplement nouveau qui constitue ce que les forestiers américains appellent «la forêt de seconde génération» (the second growth), et qui, en pareil cas, est généralement très dense et de croissance active. Ces peuplements sont cependant fort loin d'avoir atteint l'âge d'exploitabilité, et devraient tout au plus, sous de sages méthodes d'aménagement, fournir des produits d'éclaircie, d'ailleurs de valeur fort intéressante.

3) La petite industrie

De même aussi à côté de la grande industrie du bois existent des petites scieries, dont le nombre s'est d'ailleurs considérablement accru au cours de la dernière guerre. Au sentiment des forestiers locaux, ces petites industries, insuffisamment pourvues de capitaux et d'équipement pour l'exploitation des forêts vierges, se rabattent sur les forêts de seconde génération, poussant les petits propriétaires à liquider avant qu'elles aient atteint leur valeur normale des massifs en pleine croissance. Le Service forestier a, durant la guerre, vendu des coupes à beaucoup d'entre elles afin d'activer la production; mais si elles exploitent en ce cas de façon correcte, l'utilisation des produits à la scierie est fort incomplète. Les déchets sont importants et non utilisés. Dès maintenant, beaucoup de ces petites scieries nées durant la guerre, et dont l'approvisionnement était basé sur les forêts nationales, doivent fermer leur porte, incapables de faire face aux frais qu'entraîne l'exploitation dans ces forêts, ainsi qu'à la concurrence des grandes entreprises.

4) Les marchés du bois

Pour terminer ce tableau de la situation de l'industrie du bois, il y a lieu de noter l'absence dans certaines régions, de débouchés suffisants pour assurer l'application de saines méthodes de sylviculture. Cet état de choses rapproche curieusement les forêts vierges américaines des forêts vierges tropicales. Il tend d'ailleurs à s'atténuer. Si quelques essences ont toujours trouvé preneurs pour des fabrications particulières, par exemple le cèdre rouge de l'Ouest, Thuya plicata Donn., pour la fabrication des bardeaux ou l'«incense cedar», Libocedrus decurrens Torr., pour la fabrication des crayons, par contre la plupart des essences secondaires étaient dans chaque région, jusqu'avant la guerre, considérées comme sans valeur. Cette situation se rencontre encore en Idaho et Montana sauf pour de faibles volumes de poteaux de cèdres et de bois de sciage de mélèze. Mais surtout il n'existe aucun marché pour les bois de pâte ni dans ces deux Etats, ni en Californie, et ce fait met les forestiers de ces régions dans l'incapacité non seulement de disposer des bois considérés comme sans valeur pour le sciage, mais encore d'exécuter économiquement les éclaircies qui seraient dès maintenant nécessaires, et qui le deviendront plus encore à mesure que les jeunes peuplements actuellement existants atteindront une trentaine d'années. Des projets sont cependant en cours en Californie pour l'installation d'une très importante usine de pâte sur la baie de San-Francisco.

Les problèmes

I. - L'UNITÉ D'AMÉNAGEMENT

1) Comment se pose le problème

Le problème de l'unité d'aménagement ne se pose guère pour les forestiers européens. Les forêts qu'ils administrent sont d'étendues relativement réduites, une fois réparties entre leurs divers propriétaires, et, dans toutes les régions forestières, les scieries, toujours d'importance relativement faible (par rapport aux grandes entreprises américaines) sont nombreuses. L'unité d'aménagement est bien souvent la forêt appartenant à un seul et même propriétaire. Si elle couvre une trop vaste surface et s'il est nécessaire d'y morceler les coupes pour assurer un approvisionnement normal aux scieries voisines, la tendance sera bien plutôt de la diviser en séries que d'en former des blocs importants. Au reste, un équilibre s'est établi au cours des siècles entre la capacité des scieries et les ressources forestières.

La situation est toute différente dans le nord-ouest des Etats-Unis

Notons cependant que dans les Balkans, la mise en exploitation de vastes forêts vierges a donné lieu, comme aux Etats-Unis, à la constitution de très grosses entreprises et qu'en France même la mise en exploitation des dernières forêts vierges du pays basque n'a pu être réalisée, au cours de la première guerre mondiale, qu'en groupant une importante surface de forêts appartenant à des communautés diverses, afin de mettre à la disposition de grandes sociétés, un matériel ligneux suffisamment abondant pour leur permettre d'investir de larges capitaux dans l'organisation de leurs exploitations.

Les forêts du Nord-Ouest sont situées sur des terrains d'accès difficile, montagnes et pentes parfois rapides, mais surtout coupées d'innombrable canyons, généralement très étroits, qui en rendent la topographie extrêmement mouvementée. En dehors des vallées suivies par les routes et les voies ferrées, ces régions sont encore, pour la plupart, fort peu peuplées. Certaines d'entre elles étaient encore considérées il y a peu comme inaccessibles aux exploitations, et, lorsqu'on s'enfonce à l'intérieur, on ne rencontre bien souvent que des camps de bûcherons, installés avec un certain confort pour durer quelques années, mais essentiellement temporaires. Certaines grosses scieries elles-mêmes n'ont visé jusqu'ici qu'une exploitation transitoire et les communautés qui se sont créées autour d'elles présentent un caractère de profonde instabilité.

Le choix d'une unité d'aménagement, d'une portion de forêt qui pourra, à l'avenir, fournir de façon continue une quantité déterminée de bois, et par suite une quantité déterminée de travail aux habitants d'une communauté, scieurs ou bûcherons, est donc lié à un véritable problème de colonisation et de pénétration de la forêt.

2) Sa solution

Dans ce choix, les forêts particulières qui sont souvent étroitement imbriquées dans les forêts gouverne mentales, ne peuvent généralement être négligées. Les ressources ligneuses qu'elles peuvent fournir et qu'elles pourront fournir ultérieurement viendront s'ajouter à celles des forêts gouvernementales pour faire vivre la communauté dont l'instauration ou la stabilisation est désirée.

Un loi récente permet effectivement au Service forestier, sous certaines conditions, de négocier avec les propriétaires l'incorporation dans des unités coopératives d'aménagement sous rapport soutenu (cooperative sustained yield management units) des forêts particulières voisines des forêts gouvernementales, qui seront ultérieurement traitées sous son contrôle et suivant les mêmes règles d'aménagement. Cette loi, dont l'application est en cours, facilite dans certains cas la solution du problème de l'unité d'aménagement.

D'une façon générale, le Service forestier découpe chaque forêt nationale en «cercles de travail» (working circles) qui sont surtout des unités administratives, mais qui peuvent servir de base aux futures unités d'aménagement.

Mais, dans la plupart des cas, et presque inévitablement, la constitution de ces unités d'aménagement nécessite la coopération du Service forestier et des grandes entreprises industrielles du bois. La chose est si vraie que, là où les grandes industries n'existent pas, le Service forestier doit, avant d'ouvrir une nouvelle unité d'exploitation, ou avant d'organiser une unité coopérative, attendre qu'une grosse usine se construise à l'endroit le plus favorable et pousser lui-même à cette construction.

Aux Etats-Unis mêmes, des critiques se sont élevées contre cette façon de procéder, qui risque de donner à la grosse industrie une sorte de monopole sur d'importantes portions des forêts gouvernementales. En fait, ce danger n'a pas échappé au Service forestier qui a pris les précautions nécessaires pour le minimiser. Mais il faut bien reconnaitre que, pour la mise en exploitation rationnelle de ces unitsé d'aménagement, le Service forestier a besoin du concours des industries du bois, et du concours d'industries munies de capitaux et de moyens puissants, et inversement. Le premier élément de l'exploitation rationnelle, par exemple, est la construction d'un réseau routier complet permettant d'atteindre aisément tous les points de l'unité d'aménagement. Si le Service forestier dispose parfois de crédits suffisants pour ouvrir la route principale, dite «route d'accès», il ne peut songer à ouvrir lui-même les routes secondaires, très nombreuses en raison même de la topographie de ces régions, qui rendent possible l'aménagement régulier de ces unités.

En fait aussi ces grosses industries ont créé ou créeront des points d'attraction à l'emplacement de leurs usines, points on se sont constitués ou se constitueront des communautés parfois extrêmement importantes. Ainsi donc la stabilité des communauté existantes ou la création de communautés nouvelles, qui doit être normalement le but recherché par la constitution des unités d'aménagement, marche bien souvent de pair avec la consolidation des grandes industries du bois ou la constitution de nouvelles grandes sociétés.

II. - LA POLITIQUE DES COUPES

1) Les problèmes de la forêt vierge

Pour rendre un compte exact de la politique sylvicole généralement adoptée par le Service forestier du nord-ouest des Etats-Unis, il convient de rappeler que les forêts dont il assure la gestion sont des forêts vierges.

Dans la forêt vierge climatique normalement constituée, les pertes sont, en moyenne et statistiquement, sensiblement égales à l'acroissement ligneux, et pour en tirer un accroissement net par l'exploitation régulière, il convient d'abord d'en éliminer par une opération aussi rapide que possible les éléments qui entraînent les pertes les plus importantes, c'est-à-dire les arbres ayant atteint ou dépassé le stade de la maturité et qui sont la proie des pourritures, des insectes, des parasites de toute nature.

La forêt vierge du Nord-Ouest n'est pas climatique, mais sa constitution, longuement décrite ci-dessus, entraîne les mêmes conséquences. Bien souvent même, dans la forêt abandonnée à elle-même, le volume des pertes naturelles dépasse - et de beaucoup - le volume de l'accroissement ligneux, du moins si l'on ne considère que le matériel effectivement exploitable, faisant abstraction des bois jeunes ou d'âge moyen.

Il convient donc dans ces forêts - et c'est la politique suivie par le Service forestier - de se débarrasser rapidement du matériel susceptible d'être irrémédiablement perdu avant qu'une autre exploitation puisse être assise sur les surfaces visitées par les coupes.

D'un autre côté la mise en vente immédiate d'importants volumes permet aux grandes entreprises qui les exploitent d'investir notamment en travaux de routes d'importante capitaux, de sorte que la forêt se trouvera munie d'un réseau complet de desservitude, qui permettra de passer, aussitôt après que l'opération dite «de conversion» aura été menée à bien, à l'application d'un aménagement normal. Cette politique donne, en fait, le résultat attendu, et le visiteur reste surpris, là où les exploitations sont passées ou sont en cours, du très important développement du réseau de route qui a pu ainsi être obtenu.

2) Les méthodes de coupes - Tendance à la coupe sélective

Quant à la coupe elle-même, elle est marquée suivant des méthodes très différentes, car on a à faire à des essences de tempéraments divers et à des peuplements dont l'état de maturité et l'importance des risques qu'ils présentent est très variable.

Forêt nationale de Willamette (Orégon) - Divers types de coupes dans la forêt vierge de Douglas: coupes blanches - coupes blanches avec porte-graines épars - coupes de sélection.

D'une façon très générale, on peut dire cependant que la tendance est à la coupe de sélection, qui se rapproche de façon assez sensible de la coupe de jardinage des forestiers européens. En fait, on peut voir de fort beaux peuplements dans lesquels la première coupe n'a pris que 25 pour cent du matériel de 12 pouces (0,30 m) de diamètre et au-dessus, proportion assez voisine de celle d'une coupe de jardinage moyenne. Les deux genres de coupes ne peuvent évidemment se comparer puisque la coupe de jardinage effectue en principe toutes les opérations culturales dans les peuplements de toute nature rencontrés sur le terrain visité par la coupe, tandis que la coupe de sélection est concentrée en général sur les arbres qui présentent les plus hauts risques de mortalité. Mais il semble normal que les deux types de coupes se rejoignent lorsque les peuplements seront régularisés, et cette tendance peut être même déjà notée en certains endroits.

En adoptant le type de la coupe sélective, les forestiers américains espèrent pouvoir étendre sur une période aussi longue que possible la réalisation des vieux peuplements de la forêt vierge, de façon que les jeunes peuplements actuellement existants puissent être ouverts aux exploitations lorsque les premiers seront totalement épuisés. La menace qui pèse sur l'industrie du bois du fait du déficit des bois d'âge moyen se trouverait ainsi conjurée, au moins partielle ment, surtout si des coupes d'éclaircie et des opérations d'amélioration peuvent être économiquement effectuées sur les jeunes peuplements de façon à hâter la croissance des tiges d'élite. En fait, les débouchés pour les produits d'éclaircie n'existent pas encore dans la plupart des régions, mais le Service forestier est autorisé à retenir sur la vente des coupes une certaine proportion du prix des bois sur pied, à condition de consacrer les sommes ainsi recueillies à des travaux d'amélioration. Il a pu ainsi réaliser assez fréquemment des éclaircies locales et surtout il effectue de plus en plus des élagages artificiels, qui paraissent présenter le plus haut intérêt.

Toutefois, la coupe sélective, même pratiquée avec des taux de réalisation très supérieurs à celui mentionné ci-dessus (le taux normal est de l'ordre de 65 pour cent) n'est pas toujours possible. Certains peuplements sont, dans leur ensemble, si dépérissants, que tous les arbres exploitables doivent être enlevés. Dans la région du pin blanc de l'Ouest certains forestiers pensent, peut-être avec raison, que la coupe blanche est le seul moyen d'assurer à cette précieuse essence la prédominance dans le peuplement régénéré et qu'elle ne présente pas d'inconvénient majeur, surtout si on la limite à d'étroites bandes découpées dans le peuplement non encore visité par les coupes. Dans la région du Douglas la coupe blanche limitée à des surfaces de faible étendue dans les mêmes conditions, donne aussi de bons résultats au point de vue de la régénération, bien que la coupe de sélection entrouvant suffisamment les massifs pleins permette également d'obtenir celle-ci de façon satisfaisante.

Il faut noter enfin que la coupe sélective n'est possible que si les exploitants disposent d'un outillage convenable. La plupart opèrent maintenant à l'aide de tracteurs à la fois puissants et très maniables, et disposent de grues aisément mobiles pour le chargement des grumes sur les camions. Mais, pour ceux qui ont conservé le système du slack-line, tel qu'il fonctionne généralement dans la région des Redwoods, la coupe sélective paraît difficilement réalisable.

Forêt nationale de Willamette (Orégon) - Feu, de forêt.

3) «Relogging» - «Prelogging» - Coupes «de sauvetage»

Même la coupe blanche, cependant, a reçu au cours des récentes années quelques améliorations non négligeables en ce sens qu'elles permettent de récupérer une importante quantité de bois utilisables, autrefois abandonnés sur les coupes. Telle est la pratique du relogging qui consiste à repasser sur la coupe effectuée en récoltant ces bois, qu'ils aient été jetés à terre par accident lors de l'exploitation de la coupe principale ou laissés sur pied dans un état qui les condamne à une mort prochaine et les rend inutilisables pour la forêt future. Telle est surtout celle du prelogging qui consiste à abattre et exploiter avant la coupe principale les bois utilisables surcimés ou de dimensions relativement faibles, qui risqueraient d'être endommagés et probablement perdus, lors du passage de la coupe principale. Dans la plupart des cas, ces deux pratiques se sont révélées, pour les exploitants qui les ont utilisées, non seulement réalisables du point de vue économique, mais d'un rendement fort intéressant qui vient s'ajouter à celui de la coupe normale, augmentant souvent son volume d'un quart ou d'un tiers.

Enfin, il faut signaler que, à la suite des coupes de sélection, l'ouverture de nombreuses routes dans la forêt exploitée permet de réaliser de façon économique des coupes dites «de sauvetage», qui correspondent à peu près à la récolte annuelle des chablis des forestiers européens. On peut espérer qu'elles s'en rapprocheront de plus en plus et que la réalisation des arbres morts postérieurement à la coupe permettra d'incorporer au rendement net un volume qui était jusqu'ici pour la forêt une perte sèche de capital.

III. - AUTRES PROBLÈMES MAJEURS

Le très grand nombre des problèmes qui se posent aux forestiers américains du Nord-Ouest ne permet pas de les énumérer de façon complète dans le cadre d'un seul article. Ils portent d'une façon générale sur la régénération, la protection et le traitement sylvicole les plus appropriés à chaque type de forêt.

Mais il en est trois qu'il convient de mentionner de façon toute spéciale.

1) Le problème du feu

a) Prévention et lutte directe. - Le premier est le problème du feu. L'importance ancienne des incendies, rendait impossible tout aménagement rationnel de la forêt. AUSSI les forestiers américains n'ont-ils pas hésité à organiser la lutte contre l'incendie en s'aidant de tous les moyens que la technique moderne peut mettre à leur disposition: réseaux de chemins permettant l'arrivée rapide des secours, organisation de très nombreuses tours de surveillance (look-outs) occupées nuit et jour pendant la saison dangereuse et reliées par un réseau téléphonique très complet, constitution d'équipes spécialisées munies de moyens de transport rapides et d'un équipement étudié jusque dans ses moindres détails, renforcement de la surveillance par des patrouilles d'avions, généralement même de parachutistes pour l'attaque rapide de l'incendie avec la coopération de l'aviation militaire, emploi, notamment dans les nombreux endroits d'accès encore difficile, enfin propagande intense dans le pays tout entier pour avertir chacun du danger du feu, et règlementation de la circulation et des feux de touristes.

Coupe sur forêt privée dans l'Etat de Washington - Les déchets (couleur claire) et après (couleur foncée) l'incinération.

Ces efforts ont porté leur fruit. Sans doute ne peut-on pas dire que la forêt du Nord-Ouest est maintenant à l'abri de tout incendie échappant au contrôle des équipes spécialisées et se développant sur de vastes étendues. Cependant, au cours des dernières années, leur nombre et surtout la surface moyenne parcourue par chacun d'eux ont été ramenés à un chiffre tel qu'ils ne constituent plus, dans le traitement de la forêt, qu'un hasard normal, comparable à celui des chablis dans les forêts européennes, et non, comme auparavant, une menace toujours susceptible de déjouer les plans d'aménagement les plus soigneusement étudiés.

Toutefois, les forestiers doivent toujours être prêts à faire face à des situations critiques, et l'on doit dire que la menace du feu restera toujours un trait caractéristique de la forêt du Nord-Ouest. Elle est en effet une conséquence directe du climat, de la sécheresse de l'été, poussée parfois jusqu'à l'absence complète de précipitation pendant de longues semaines, accompagnée de vents violents et d'une humidité relative extrêmement faible. Peut-être la constitution d'un climax réussirait-elle dans certains cas à former des peuplements moins sensibles à l'incendie. Peut-être, certaines règles de sylviculture permettraient-elles d'en atténuer le danger. Ce sont là des questions qui font l'objet d'études détaillées de la part des stations d'expérience. Mais, même dans le cas le plus favorable, on ne peut s'attendre à voir cette menace disparaître.

b) Le problème des déchets de coupes. - A la question du feu se rattache celle des déchets, provoqués par les coupes. Le volume de ceux-ci présente une importance qui suprend le forestier européen, mais qui s'explique par l'abondance des bois morts ou partiellement pourris dans les peuplements vierges. Ces déchets constitueraient un danger trop grand d'inflammabilité pour un trop grand nombre d'années si on les laissait en cet état. Même dans certaines coupes sélectives, il est nécessaire de les brûler. Cependant, dans la plupart des cas, lorsque cette méthode est adoptée, les déchets sont en quantité suffisamment faible et suffisamment épars sur les coupes pour qu'on puisse se contenter de les abandonner sur place après avoir toutefois ébranché les flèches de façon que tous les déchets, de petite ou de grande dimension, soient en contact direct avec le sol et recouverts par la neige dès le premier hiver de façon à hâter leur pourriture. Parfois, cependant, on brûle, après empilage, les déchets qui se trouvent sur une certaine distance le long des route, où les risques de feu sont les plus grands. Lorsque l'intensité des coupes devient plus forte, le brûlage des déchets est une nécessité, et, suivant les cas, il se pratique en plein ou après empilage si l'on veut préserver la régénération préexistante ou les arbres laissés debout sur la coupe.

c) Le reboisement des terrains incendiés. - A la question du feu se rattache encore celle des plantations, qui constituent une activité importante du Service forestier. Nous ne nous étendrons pas ici sur la splendide organisation des pépinières du Nord-Ouest, nous contentant de noter que, si les forestiers européens préfèrent en général les pépinières d'étendue relativement faible et suffisamment multipliées pour ´ éviter aux jeunes plantations une crise d'acclimatation trop intense, les forestiers américains préfèrent au contraire concentrer les travaux sur de vastes étendues, mais en des stations très judicieusement choisies. Il ne semble pas en résulter une mortalité plus accentuée que dans les plantations européennes, et ce système a l'avantage de pouvoir doter chaque pépinière d'un magnifique équipement, non seulement pour la récolte et le séchage des cônes ou la conservation des graines, mais encore pour la culture de la pépinière elle-même, effectuée autant que possible par des moyens mécaniques, pour l'empaquetage, et pour la conservation des plants après arrachage qui s'effectue dans des chambres réfrigérées.

Forêt nationale de Shasta - Bandes à travers la broussaille préparées pour la plantation (1938)

Forêt nationale de Cabinet (Montana). Vue générale de la pépinière de Savenac (1941). Les pentes à l'arrière plan ont été parcourues par un terrible incendie en 1910 et sont en voie de reboisement naturel et artificiel.

Les plantations les plus importantes sont effectuées sur les terrains parcourus par l'incendie. Mais leur prix de revient et leurs chances de succès sont très diverses suivant l'état du terrain. Bien souvent les terrains incendiés, surtout s'ils sont parcourus plusieurs fois par l'incendie, se recouvrent d'abondantes broussailles, arbustes feuillus variés dans le Nord, et dans le Sud, buissons de divers manzanitas, Arctostaphyllos spp., de chinkapins, Castanea spp., et de plusieurs variétés de Ceanothus. D'importantes surfaces de ce genre ont été reboisées à l'époque de la dépression, mais, en fait, le prix de revient de ces plantations, tout au moins dans le dernier cas, où l'extirpation des broussailles doit être effectuée par bandes, est absolument prohibitif. Le Service forestier préfère donc à juste titre concentrer ses efforts sur les terrains les meilleurs et sur les sols récemment parcourus par l'incendie où la concurrence des broussailles n'est pas à redouter et où les résultats obtenus sont généralement excellents.

2) Le «blister rust»

Lé second problème est celui du «mlister rust», Cronartium ribicola, particulièrement aigu dans les Etats de Montana et d'Idaho, en raison de l'importance économique du pin blanc de l'Ouest pour cette région, mais également fort important dans le sud le l'Etat d'Orégon et en Californie où le champignon menace le «Sugar pine», Pinus lambertiana Dougl., arbre magnifique, parfois assez abondant dans les forêts de ces régions.

Il n'existe que peu de moyens de lutter contre cette maladie et tous ces moyens reposent sur l'élimination des différentes espèces de Ribes que l'on peut rencontrer dans le sous-bois. Il est possible d'assurer la régénération du pin blanc tout en aménageant le couvert du peuplement restant après la coupe d'ensemencement de telle façon que les Ribes ne puissent apparaître. On doit alors le plus souvent protéger ultérieurement le pin contre la concurrence d'autres essences, qui sont tolérantes, notamment du «hem-lock», Tsuga heterophylla (Raf.) Sarg. Mais cet aménagement du couvert sous une densité déterminée n'est que rarement possible dans des peuplements renfermant trop souvent une proportion telle d'arbres mûrs que les coupes doivent en enlever une quantité beaucoup plus considérable qu'il ne faudrait.

Par ailleurs, le brûlage en plein des déchets, sur une coupe blanche, effectué deux ou trois ans après la coupe, alors que les Ribes ont eu le temps d'apparaître, germés de graines susceptibles de rester indéfiniment dans le sol sans perdre leur pouvoir germinatif, présente l'avantage d'en assurer l'élimination. Mais cette élimination est malgré tout restreinte à la partie de la forêt coupée à blanc, et la coupe blanche présente par ailleurs, en nombre de cas, de graves inconvénients.

Il ne reste donc que la solution d'assurer l'éradication complète des Ribes à la main et c'est ce que font les forestiers de ces régions en constituant des équipes spécialisées dans ce genre de travail. Des essais de suppression des Ribes par arrosage avec des solutions à concentration diverse de 2,4-D sont, il est vrai, en cours d'essai, mais l'efficacité de cette méthode n'est pas encore connue et il est douteux qu'elle soit plus économique que l'arrachage à la main.

3) La petite propriété forestière

Enfin, le troisième problème que nous voudrions indiquer brièvement ici, bien qu'il ait bien plus un caractère économique et social que sylvicole, est celui de la petite propriété forestière privée.

L'intérêt qu'elle présente et les dangers qui la menacent ont déjà été indiqués. Les forestiers américains n'ont sur ce problème qu'une action de conseil, qu'ils exercent d'ailleurs par l'intermédiaire des organisations des Etats, et le personnel qu'ils peuvent consacrer à cette tâche, limité à deux ou trois spécialistes dans chaque Etat, est évidemment très insuffisant.

Cependant il convient de dire que, là où ces agents spécialisés peuvent exercer leur action, ils ont obtenu d'excellents résultats et que certains fermiers de cette région paraissent aisément accessibles aux idées de progrès en matière de sylviculture.

IV. - LA RECHERCHE FORESTIÈRE

1) Son importance pour la sylviculture américaine

Le comportement des sylviculteurs du Nord-Ouest en face des différents problèmes que nous venons d'énumérer, et les méthodes qu'ils emploient pour les résoudre ne sont pas, comme on pourrait le croire, des tâtonnements aveugles à la poursuite de solutions pratiques.

Ils sont, bien au contraire, l'application de méthodes scientifiquement mises au point par les stations de recherche qui, dans chaque région forestière des Etats-Unis, doublent le Service forestier régional tout en maintenant avec lui une liaison aussi étroite que possible.

Par rapport à l'organisation des recherches dans les Services européens, organisation qui est généralement concentrée en quelques points seulement, et qui n'a que de rares communications avec les services d'exécution, c'est là une innovation à la fois originale et pleine d'intérêt.

2) Sylviculture américaine et sylviculture européenne

Elle était d'ailleurs nécessaire à la sylviculture américaine, surtout à la sylviculture du Nord-Ouest.

L'évolution écologique des forêts européennes est, en effet, bien connue dans son ensemble. Leur histoire, à l'échelle de cette évolution, est relativement facile à reconstituer, puisque ce sont les exploitations de main d'homme qui en ont été les facteurs essentiels. Le faible nombre des essences forestières et la similarité de leur développement sur des surfaces relativement étendues simplifie encore cette histoire.

Le Service forestier des Etats-Unis, au contraire, a eu à traiter dans le Nord-Ouest des forêts où seuls les facteurs naturels étaient intervenus dans l'évolution des peuplements, mais souvent avec une violence inconnue en Europe. La diversité des conditions de climat, de sol, et d'altitude, ainsi que le grand nombre d'espèces forestières, empêchaient de lire clairement sur le terrain l'histoire des peuplements et de déterminer les réactions de telle ou telle essence à un traitement donné. Toute l'écologie de ces forêts était à construire, et cette tâche, qui est encore leur tâche essentielle, imposait la nécessité de nombreuses stations d'expérience réparties sur l'ensemble du pays.

D'autre part, en Europe, ou du moins dans les pays d'Europe où la sylviculture est le plus avancée, chaque forêt, chaque unité d'exploitation, constitue à elle seule une véritable expérience que le forestier chargé d'en assurer la gestion peut suivre pas à pas. L'exemple le plus frappant en est fourni par les forêts soumises à la méthode du contrôle, mode d'aménagement amené à son point extrême de perfection, parce qu'il permet au forestier de connaître presqu'à tout moment l'évolution de ses peuplements et d'agir sur ces peuplements au point et au moment précis où cette action s'avère nécessaire.

De telles méthodes sont actuellement inapplicables aux forêts du nord-ouest des Etats-Unis:

- non seulement parce que la composition actuelle des peuplements, due à leur origine, ne peut se prêter à une évolution lente de ces forêts, et nécessite une période de conversion pendant laquelle les méthodes européennes d'aménagement serraient pratiquement vides de sens;

- non seulement parce que ces forêts sont encore mal pourvues, dans leur ensemble, de moyens d'accès, inconvénient auquel on pourrait à la rigueur remédier en augmentant considérablement le budget du Service intéressé;

- non seulement parce qu'elles ne disposent pas encore de tous les débouchés qui pourraient seuls permettre l'exécution de certaines opérations culturales indispensables, inconvénient qui tendra fatalement à s'atténuer;

- mais surtout parce qu'elles sont extrêmement vastes, inconvénient auquel le seul remède serait la multiplication par un facteur indéterminé, mais certainement fort grand, du nombre actuel des officiers forestiers.

Dans ces conditions, la meilleure ligne de conduite consistait évidemment à multiplier les stations de recherche dans les types de forêts les plus divers, et à y étudier les problèmes qui se posaient pour chacun de ces types, problèmes d'ailleurs économiques aussi bien que sylvicoles. Une fois les solutions trouvées et dûment expérimentées par des méthodes scientifiques, il ne restait plus qu'à les appliquer à l'échelle du type de forêt tout entier.

En d'autres termes, si l'on peut dire que le traitement des forêts européennes est d'ordre énumératif, disséquant les peuplements en unités parfaitement individualisées, on devra dire que le traitement des forêts du Nord-Ouest est d'ordre statistique. Ce fait est dû sans doute aux circonstances dans lesquelles s'est trouvé le Service forestier des Etats-Unis et à la nature des problèmes qu'il a dû dès le début chercher à résoudre. Mais il est fort probable que le traitement d'ordre statistique subsistera indéfiniment, parce que toutes les conditions qui ont été énumérées ci-dessus ne seront jamais intégralement remplies (la dernière surtout), et parce que, au fond, la méthode statistique appliquée à de vastes étendues de forêts se de façon parfaite, qu'elle a donné déjà d'excellents résultats et qu'elle est susceptible de présenter, sur l'ensemble de ces forêts, une efficacité comparable à toute autre méthode.

Il convient d'ajouter que cet état de choses a permis à la science forestière et à ses différentes branches de faire aux Etats-Unis, et notamment dans les régions du Nord-Ouest, des progrès remarquables

3) Le caractère statistique de la sylviculture américaine

Il serait facile de donner de nombreux exemples du caractère statistique des méthodes utilisées par les forestiers américains et basées sur les recherches des stations d'expérience. Nous nous contenterons de deux qui sont, croyons-nous particulièrement frappants.

a) La forêt expérimentale de Blacks Mountain. - Le forestier européen qui visite la forêt expérimentale de Blacks Mountain, en Californie du Nord-Est, est surpris d'y trouver fort exactement appliqués tous les éléments de la méthodes du contrôle. Cette forêt, de prés de 4.000 hectares (10.000 acres) est traitée en vue d'un rendement soutenu maximum. Le traitement appliqué est très voisin de celui du jardinage, compte tenu du fait qu'il s'applique ici à une essence de lumière, le Pinus ponderosa, et à des peuplements vierges de composition très éloignée de la normale. L'aménagement qui règle les coupes a toute la souplesse de la méthode du contrôle, et même plus encore puisque, pour intervenir en temps utile sur tous les points où une action culturale est nécessaire, la station de recherche intéressée dispose de ses propres équipes d'exploitation et de son propre matériel L'inventaire de la forêt, enfin, a été exécuté à cent pour cent.

Mais tout cela est forêt expérimentale. Le but général est de déterminer les règles de culture qui doivent être appliquées pour aboutir au rendement soutenu, de rechercher si elles sont économiquement applicables, et éventuellement de rechercher des règles de culture qui soient effectivement applicables du point de vue économique. Ces règles pourront alors être étendues à toutes les forêts du même type, qui s'étendent sur près d'un million et demi d'hectares (3,7 millions d'acres).

L'Institut de Génétique forestière de Placerville (Californie).

L'expérience générale englobe d'ailleurs des expériences diverses et multiples. L'inventaire n'a été exécuté à cent pour cent que pour vérifier le degré de certitude des méthodes d'échantillonnage employées dans les forêts de ce type. Dans le cadre de l'aménagement, certains coupons sont marqués suivant des modes de culture variés de façon à déterminer non seulement les résultats culturaux obtenus par chacun d'eux mais aussi leurs incidences sur les frais d'exploitation. En d'autres points on expérimente les méthodes d'élagage artificiel, d'éclaircie, etc.

b) Les méthodes d'inventaire. - Nous tirerons notre second exemple des méthodes d'inventaire employées de façon courante par les forestiers américains et dont le caractère statistique est particulièrement éclatant. Il inventaire à cent pour cent des vastes étendues des forêts du Nord-Ouest était évidemment irréalisable. Les méthodes d'échantillonnage mises au point par les stations de recherche, qui se sont largement perfectionnées par l'emploi des photographies aériennes, et qui sont maintenant mises en œuvre sur toute l'étendue des régions forestières, permettent cependant aux forestiers des Etats-Unis d'avoir de leur forêt une connaissance dont l'exactitude est aussi approchée qu'ils le désirent, et cela sous tous les points de vue: composition des peuplements par essence, par volume, par catégories de diamètres ou par classes d'arbres, taux d'accroissement, importance et composition de la régénération, mortalité, etc.

L'application de ces méthodes a eu pour les forestiers américains un double avantage.

Tout d'abord elle leur a donné de l'ensemble des forêts des Etats-Unis, une connaissance probablement beaucoup plus approfondie que celle dont peuvent se prévaloir nombre de pays européens. Si les forestiers de ces se flattent de connaître fort exactement la composition des forêts dont ils assurent directement la gestion - avantage qui ne leur restera peut-être pas longtemps en raison du prix de plus en plus élevé des inventaires à cent pour cent - ils ignorent par contre à peu près tout des forêts particulières sur lesquelles ils n'ont aucun contrôle. Même dans les forêts qu'ils administrent, ils ne possèdent de certains éléments, tels que l'importance et la nature des jeunes bois non compris dans les inventaires, qu'une impression purement visuelle.

D'un autre côté, l'application de l'échantillonnage à tous les massifs privés ou publies, a eu l'avantage de familiariser tous les forestiers américains avec les méthodes statistiques. Celles-ci, à leur tour, s'appliquent actuellement à tous les champs d'activité de la recherche, et il n'est pas douteux que la connaissance qu'ils en ont contribue largement au succès de leurs expériences dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la prévision du danger d'incendie, de la lutte contre les insectes et les maladies des arbres, du succès des plantations, de l'étude des conditions de la régénération naturelle pour une essence déterminée, enfin et surtout des études de génétique auxquelles l'Institut de Placerville a donné une impulsion si large et si pleine de promesses.

La ressemblance de maints problèmes des forêts du Nord-Ouest avec ceux qui se posent dans les forêts tropicales - ressemblance déjà signalée dans les pages qui précèdent - fait de ces massifs un remarquable champ d'études pour le développement de ces dernières. Les forestiers américains ont, en effet, mis au point des méthodes de reconnaissance de la forêt, de recherche, d'exploitation, de protection, qui doivent retenir l'attention des techniciens de la forêt, de même que les caractéristiques du matériel d'exploitation et de sciage utilisé par les industriels du bois doivent retenir l'attention des techniciens chargés d'assurer l'utilisation des produits de la forêt vierge tropicale.

D'autre part, le trait essentiel de la sylviculture du Nord-Ouest est actuellement la conversion de la forêt vierge en un peuplement susceptible d'obéir à des règles d'aménagement grâce auxquelles des volumes déterminés pourront être récoltés chaque année sous la forme des bois les plus précieux pour l'industrie. Or c'est également là le problème essentiel qui se pose aux forestiers dont la tâche est d'assurer la mise en exploitation des forêts tropicales.

Enfin on peut dire que, pour ces forestiers, l'expérience du nord-ouest des Etats-Unis est d'un intérêt d'autant plus grand qu'elle s'est déroulée et va se poursuivre sur un intervalle de temps très réduit. En quelques décades la population de ces régions a augmenté dans une énorme proportion et cette évolution va se poursuivre. Non seulement cette situation permettra le passage rapide d'une sylviculture extensive à une sylviculture intensive, similaire, sinon par ses méthodes, du moins par les buts qu'elle devra rechercher, à la sylviculture intensive des pays européens, mais encore elle rendra nécessaire cette forme de sylviculture.

Peut-on prévoir dès maintenant ce que sera le résultat de cette évolution?

Il n'est-pas possible à un simple visiteur du nord-ouest des Etats-Unis de formuler une opinion sur l'avenir des forêts de cette région. Seuls les forestiers qui en ont une connaissance intime peuvent se livrer à des prévisions, bien que nombre de circonstances, d'ordre économique notamment, qui peuvent exercer une large influence sur cet avenir, échappent à leur contrôle. Il nous paraît probable que l'exceptionnelle qualité des bois actuellement exploités sur ces forêts, qualité due vraisemblablement en grande partie à l'âge des arbres, qui va de 200 à 300 ans et bien plus, ainsi qu'à la lenteur de leur croissance, ne se retrouvera plus dans les peuplements futurs que les forestiers s'efforcent maintenant de construire et dont les révolutions seront basées sur des durées de 120 à 175 ans seulement. Par contre, l'accroissement ligneux sera beaucoup plus important et la production soutenue ne sera plus grevée d'une importante mortalité. La perte de qualité qui nous apparaît probable, bien que cette vue soit peut-être pessimiste, ne présente donc peut-être pas autant d'importance qu'il apparaît à première vue, si l'on considère l'évolution de l'industrie du bois. Toutefois, une période de crise est à redouter, du fait du déficit des bois d'âge moyen. Cette crise pourra sans doute être atténuée si la réalisation des vieux peuplements vierges peut être étendue sur une période assez longue et surtout si, dans l'intervalle, des marchés s'ouvrent pour les essences actuellement considérées dans chaque région comme inférieures.

Quel que soit l'avenir des ces forêts, les forestiers des Etats-Unis auront accompli dans ces régions une œuvre gigantesque. Non seulement ils en ont assuré l'ouverture, non seulement ils ont fait de ces massifs, en proie à tous les hasards des forces naturelles, des peuplements susceptibles d'être maintenant soumis à une sylviculture rationnelle, non seulement ils ont établi et perfectionnent encore les règles de cette sylviculture, mais encore ils ont, chemin faisant, ouvert la voie à des méthodes originales de recherche, dont tous les pays peuvent et doivent bénéficier et obtenu des résultats d'ordre général qui seront d'un grand poids dans l'avenir des sciences de la forêt.

Ils ont le droit d'être fiers de leurs efforts et de leurs forêts.

[Photos: USDA Forest Service.]


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