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Estimation de la régression des forêts de l'Afrique tropicale

Par H. L. SHANTZ

DANS son article La mort des forêts de l'Afrique tropicale, Aubreville1 expose d'une manière frappante les nombreuses raisons pour lesquelles ces forêts sont on voie de-régression. La diminution des surfaces boisées au profit de celles des savanes est imputable en grande partie aux défrichements effectués par les populations indigénes et a la destruction des forêts par les incendies.

1André Marie A. Aubreville (UNASYLVA, vol. 1, n° 1, juillet-aout 1947, p. 5-11).

Il semble possible d'estimer avec une certaine exactitude le montant de cette destruction. Il y a en Afrique trois grands types de forêts qui ont cédé du terrain aux savanes et pour chacun d'eux le processus de destruction continue à se dérouler sous nos yeux. La forêt tropicale humide est graduellement remplacée par la savane de hauts herbages, la forêt tempérée humide par la prairie de montagne et la forêt séche (forêt des moussons) par la savane de hautes herbes et d'acacias.2

2H. L. et C. F. Marbut Shantz, Végétation et sols de l'Afrique.

La démarcation (ecotone) entre la forêt tropicale humide et la savane de hautes herbes présente toutes les caractéristiques d'une ligne en régression. Les bouquets d'arbres éparpillés au milieu de la savane sont des restes de ce qui, du point de vue œcologique, semble avoir été une forêt presque continue. Cette affirmation se trouve confirmée par le fait que le climat et le sol, de même que la faculté de production des récoltes de cette zone, sont les mêmes, à l'exception toutefois de l'effet microclimatique, de l'action de la lumière et du régime des vents.

Au delà de la savane de hauts herbages, qui provient sans doute de la forêt tropicale humide se trouve la forêt sèche. Cette forêt à son tour ne peut être que bien difficilement distinguée de la savane de hautes herbes et d'acacias. A la limite de la forêt sèche, là où les arbres s'éparpillent en bouquets jusqu'à disparaître presque complètement pour laisser la place à une espèce de prairie parsemée de boqueteaux et d'arbres isolés, nous retrouvons le même type de ligne de démarcation (d'ecotone) qu'entre la forêt tropicale humide et la savane de hautes herbes. Souvent les arbres disparaissent entièrement pour faire place à de hautes graminées, mais généralement les arbres offrant le plus de résistance aux incendies sont éparpillés milieu de la savane. Les indigènes choisissent pour leurs cultures les terres marquées par des bouquets d'arbres; ils abattent et brûlent ces arbres et ensemencent la terre fertilisée par leurs cendres.

Des radeaux de troncs d'okoumé descendant une rivière du Gabon, en Afrique équatoriale.

La forêt tempérée humide, que l'on trouve à une altitude élevée et qui bénéficie d'un climat tempéré, est en voie de régression rapide. Le sol peut produire une grande variété de cultures et ces régions ont souvent une population très dense. Lorsque cette terre, après avoir été cultivée, est abandonnée et brûlée, elle est alors envahie, non par la forêt qui l'occupait primitivement, mais par des fougères arborescentes et de hautes graminées. Là encore, de petites superficies boisées subsistent lorsqu'elles sont naturellement protégées, et tout semble indiquer que les forêts occupaient autrefois une grande partie, sinon la totalité, de la région montagneuse aujourd'hui envahie par la savane.

Il est évident que, si ce processus de destruction progressive des forêts de l'Afrique tropicale n'est pas arrêté ou compensé par des reboisements, la brousse ou la savanne se substituera entièrement aux forêts.

Il semble raisonnable d'évaluer l'importance de cette régression en comparant la superficie occupée par la forêt avec celle de la brousse, œcologiquement équivalente, qui a pris sa place. Nous pouvons ainsi par ce moyen chiffrer ce qui reste et ce qui a probablement été détruit par les pratiques actuelles.

La forêt tropicale humide cède la place à la savane de hautes herbes et leurs superficies respectives sont les suivantes :3

3H. L. Shantz, Régions agricoles de l'Afrique [Economie géographique, vol. 16, n° 1, p. 147; vol. 16, n° 2, p. 122-161; vol. 16, n° 4, p. 341389 (1940). Vol. 17, n° 3, p.217-249, vol. 17, n° 4, p. 353-379 (1941). Vol. 18, n° 3, p. 229-246, vol. 18, n° 4 p. 343-362 (1942). Vol. 19 n° 1, p. 77-109; vol. 19, n° 3, p. 217-269 (1943)].

Forêt tropicale humide

233.000.000 hectares

Savanes de hautes herbes

381.000.000 hectares

Total

614.000.000 hectares

Le rapport des superficies occupées par la forêt actuelle et de la zone qui a peut-être été occupée autrefois par la forêt serait de 0,38. Autrement dit, la forêt tropicale humide actuelle ne serait plus que 38 pour cent de ce qu'elle fut à l'origine.

Dans les régions montagneuses, la forêt tempérée humide cède du terrain à la prairie de montagne et leurs superficies respectives sont les suivantes:

Forêt tempérée humide

24.900.000 hectares

Prarie de montagne

83.100.000 hectares

Total

108.000.000 hectares

Le rapport de la forêt actuelle à la zone forestière éventuelle est de 0,23. La forêt tempérée humide actuelle ne représente donc que 24 pour cent de ce qu'elle a pu être à l'origine.

A la limite de la savane de hautes herbes, du côté le plus sec, dans une région caractérisée par une période de sécheresse prononcée, se trouve la forêt sèche. Cette forêt cède la place petit à petit à la savane de hautes herbes et d'acacias, et leurs superficies respectives sont les suivantes:

Forêt sèche

273.000.000 hectares

Savane de hautes herbes et d'acacias

526.500.000 hectares

Total

799.500.000 hectares

Le rapport de la forêt actuelle à la zone forestière éventuelle est de 0,34 c'est-à-dire que la forêt sèche actuelle ne représente que 34 pour cent de ce qu'elle a pu être à l'origine.

On peut additionner les superficies de ces différentes régions pour obtenir une image d'ensemble de la situation des forêts de l'Afrique tropicale.

 

Actuellement

Probablement autrefois

(superficie en hectares)

Forêt tropicale humide

233.000.000

614.000.000

Forêt tempérée humide

24.900.000

108.000.000

Forêt sèche

273.000.000

799.500.000

Total

530.900.000

1.511.500.000

Il semble possible d'affirmer qu'en Afrique tropicale, la superficie occupée par la forêt est aujourd'hui le tiers de ce qu'elle serait si ces forêts n'avaient pas été ravagées par les incendies et les pratiques destructives des agriculteurs.

(:es chiffres sont basés sur des évaluations planimétriques, d'après la carte; ils constituent probablement les renseignements les plus précis qu'il soit possible de se procurer en l'absence de toute enquête sur le terrain. De telles prospections fourniraient sans doute des détails plus précis, mais il est fort douteux qu'elles modifieraient de façon appréciable les conclusions générales.

Les forêts actuelles de l'Afrique tropicale occupent environ 531 millions d'hectares. La brousse et les savanes voisines qui proviennent en grande partie, si ce n'est complètement, de la destruction des forêts, occupent à présent environ 991 millions d'hectares, dont la plus grande partie, voire la totalité, serait susceptible avec un traitement approprié, de porter à nouveau la forêt qui l'occupait auparavant.

La conclusion générale à tirer de ceci est que les forêts de l'Afrique tropicale qui sont à l'heure actuelle en voie de régression rapide se trouvent déjà réduites à un tiers de ce qu'elles étaient probablement à l'origine.

Graphique 1. - RÉGIONS FORESTIÈRES ET PRINCIPAUX TYPES DE FORÊTS

LÉGENDE POUR L'OUEST (WESTERN LEGEND)
Spruce - fir, Picea - Abies
Pacifie Douglas fir, Pseudotsuga
Sugar pine - Ponderosa pine, Pinus lambertiana - Pinus ponderosa
Redwood, Sequoia
Western larch - Western white pine, Larix occidentalis - Pinus monticola
Lodgepole pine, Pinus contorta
Ponderosa pine, Pinus ponderosa
Pifion - Juniper, Pinus-Juniperus
Chaparral (broussaille)

LÉGENDE POUR L'EST (EASTERN LEGEND)
Spruce - fir, Picea - Abies (avec un mélange de bois feuillu)
Birch- beech-maple-hemlock forest, Betula-Fagus-Acer-Tsuga
White, red, and jack pine, Pinus strobus, Pinus resinosa, Pinus banksiana
Oak - chestnut - yellow poplar, Quercus - Castanea - Liriodendron
Oak - pine, Quercus - Pinus
River bottom hardwoods and cypress (formation forestière de bord de rivière, feuillus et cyprès)
Longleaf - loblolly - slashpine, Pinus palustris - Pinus echinata - Pinus caribea


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