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Les ressources en rotin et leur utilisation en Afrique occidentale et centrale

T.C.H. Sunderland

Terry C.H. Sunderland est directeur
du Programme de recherche sur le rotin
africain, Jardin botanique de Limbé
(Cameroun). Cette publication est le
résultat d'un projet de recherche financé
par le Département pour le développement
international du Royaume-Uni (DFID )
et effectué en faveur des pays en
développement. Les opinions qui
y sont exprimées ne reflètent pas
nécessairement celles du DFID.
Programme de recherche forestière R7636.

Les rotins africains, bien que moins renommés que leurs parents asiatiques, pourraient offrir une importante contribution au développement rural et au marché mondial.

Quatre genres de rotins, repré-sentés par 20 espèces, sont présents en Afrique occiden-tale et centrale. Tout comme leurs parents asiatiques, les rotins africains font partie intégrante des stratégies de subsistance de nombreuses populations rurales et sont à la base d'une industrie artisanale prospère.

Pont en cannes de rotin à Nyang (Cameroun) -- un exemple du rôle du rotin dans la vie rurale en Afrique de l'Ouest et centrale

- T. SUNDERLAND

Les bailleurs de fonds et les gouvernements nationaux ont longtemps reconnu le rôle potentiel des rotins africains sur le marché mondial, ainsi que la place importante qu'ils occupent dans le secteur régional des produits forestiers non ligneux (PFNL). À mesure que croît l'intérêt porté aujourd'hui à la capacité des PFNL commerciaux de contribuer à la conservation et au développement, le rotin est souvent mentionné comme un produit qui pourrait faire l'objet d'une mise en valeur et d'une promotion significatives. Cependant, le développement des ressources en rotin en Afrique a été entravé, jusqu'à très récemment, par le manque de connaissances de base sur les espèces utilisées, leurs besoins écologiques et le cadre social de leur utilisation. Ces carences ont interdit la formulation de stratégies d'aménagement aptes à garantir leur exploitation durable et équitable. Les travaux de recherche entrepris récemment ont visé en priorité la fourniture d'informations relatives à la taxonomie, à l'écologie et à l'utilisation de ces espèces. Ces informations de base étant désormais accessibles, la recherche sur le rotin en Afrique s'oriente de nos jours sur la mise en valeur et la promotion de cette ressource dans une perspective à la fois écologique et socioéconomique.

TAXONOMIE ET BIOLOGIE DES ROTINS AFRICAINS

Caractéristiques morphologiques les distinguant des rotins asiatiques

Les quatre genres de rotins africains sont relativement faciles à différencier, notamment par la morphologie de leurs organes d'ancrage. Ces palmiers lianescents qui appartiennent à la sous-famille des Calamoideae grimpent à l'aide de l'un des deux organes suivants: un flagelle (pousse sortant directement de la gaine et considérée comme une fleur modifiée [Baker et al., 1999]) ou un cirre (extension en forme de fouet placée avant la feuille et garnie d'épines courtes et arquées qui rappellent souvent la griffe d'un chat [Tomlinson, 1990]). Les flagelles ne sont présents que dans certaines espèces de Calamus, y compris C. deërratus, la seule représentante de Calamus en Afrique.

Feuille de Laccosperma acutiflorum montrant la forme particulière de son cirre muni d'acanthophylles

- T. SUNDERLAND

Les autres Calamoideae, en particulier celles d'origine asiatique, s'accrochent à l'aide d'un cirre. Cependant, dans les trois genres de rotin endémiques en Afrique, Laccosperma, Eremospatha et Oncocalamus, le cirre se distingue très nettement de celui des autres Calamoideae, se présentant comme une excroissance au milieu de feuillets réduits et en forme d'épines dits anthophylles. On retrouve aussi cette structure chez certains membres de genres non apparentés, qui ne poussent que dans le Nouveau Monde (Chamaedorea, Desmoncus) (Uhl et Dransfield, 1987).

De même que les autres membres du genre Calamus, C. deërratus est dotée d'une paire de fleurs monosexuées (une caractéristique commune aux Calamoideae); toutefois, les autres genres de rotins endémiques en Afrique se distinguent aussi par leurs fleurs au sein de la sous-famille. C'est ainsi qu'Eremospatha et Laccosperma ont des paires de fleurs hermaphrodites, un attribut exceptionnel chez les Palmae (Uhl et Dransfield, 1987; Baker et al., 1999). (Laccosperma peut aussi avoir, mais plus rarement, des triades de fleurs).

En outre, à la différence des autres espèces de Palmae, les fleurs d'Oncocalamus sont disposées en forme de grappe complexe. Cette grappe de fleurs inusitée des taxons africains, et d'Oncocalamus en particulier, donne à penser qu'une importante évolution des Calamoideae s'est produite en Afrique, accompagnée d'amples extinctions, causée par des bouleversements climatiques d'une grande envergure qui n'ont laissé que des lignées isolées. Cette assertion est confirmée par les modèles de spéciation que présentent aujourd'hui les palmiers africains, lesquels ont un centre de diversité guinéo-congolais distinct, dû probablement au maintien et à la spéciation successive de refuges forestiers pendant les périodes de changement climatique.

Structure complexe de la fleur d'Oncocalamus mannii

- T. SUNDERLAND

Anatomie et qualité de la canne

L'épaisseur des parois fibreuses, le pourcentage de tissu fibreux et le diamètre du vaisseau du métaxylème, facteurs apparemment déterminants pour la qualité du rotin, présentent des différences marquées parmi les genres africains (Oteng-Amoako et Ebanyele, 2001; Weiner et Liese, 1994).

Les espèces de Laccosperma ont un taux relativement élevé de fibres épaisses, des vaisseaux à diamètre plutôt étroit et, partant, une densité plus élevée que les cannes des autres genres. Leur résistance est donc meilleure et elles sont renommées pour leur durabilité.

Les cannes des espèces de C. deërratus et d'Eremospatha ont une anatomie similaire, mais le pourcentage de fibres minces est majeur et le diamètre des vaisseaux du métaxylème plus large, ce qui accroît les espaces vides à l'intérieur des tiges et nuit à la densité et à la résistance. Aux fins de ses utilisations, C. deërratus est normalement jugée de qualité inférieure à celle des espèces prisées d'Eremospatha. Des études anatomiques plus poussées, actuellement en cours, pourraient jeter plus de lumière sur cette anomalie.

Oncocalamus a des parois fibreuses très minces et les vaisseaux de son métaxylème sont d'un très grand diamètre; c'est le genre le moins recherché de tous les rotins africains aux plans de la densité et de la résistance. Ces espèces ont des cannes particulièrement faibles et fragiles qui ne sont guère appréciées (Profizi, 1986; Defo, 1997; Defo, 1999; Sunderland, 1999).

ÉCOLOGIE ET RÉPARTITION

Composante commune de la flore forestière, les rotins sont très répandus dans toute l'Afrique occidentale et centrale. Les aires de répartition de certaines espèces sont très vastes; celle de Laccosperma secundiflorum et d'Eremospatha macrocarpa, par exemple, s'étend du Libéria à l'Angola, alors que C. deërrratus est présente de la Gambie jusqu'au Kenya et, au sud, à la Zambie. Sous l'angle de la diversité, la plus grande concentration de rotins et les niveaux d'endémisme les plus élevés se rencontrent dans les forêts guinéo-congolaises de l'Afrique centrale. Au Cameroun poussent 18 des 20 espèces africaines connues. La diversité des rotins des forêts de la haute Guinée est assez pauvre en comparaison, avec seules sept espèces dont aucune n'est endémique.

À l'intérieur de cette zone forestière, les rotins sont présents dans un large éventail de conditions écologiques. La plupart des espèces poussent spontanément dans les forêts tropicales denses et colonisent précocement les trouées. Beaucoup d'entre elles sont des essences très héliophiles qui répondent bien à une réduction limitée du couvert forestier. La perturbation des forêts causée par les activités d'exploitation sélective, par exemple, encourage la régénération des rotins, et l'on trouve communément ces palmiers le long des chemins forestiers et des pistes de débusquage. Essences pionnières et de lumière, quelques espèces, notamment d'Oncalamus, colonisent souvent en premier les zones forestières fortement perturbées. D'autres espèces de rotins, C. deërratus en particulier, poussent dans les forêts inondées en permanence ou périodiquement, ou dans les marécages, alors que d'autres encore, comme Laccosperma opacum et Laccosperma laeve tolèrent très bien l'ombre et poussent de préférence sous le couvert forestier.

Les graines de la plupart des rotins africains sont disséminées dans une large mesure par les calaos (Whitney et al., 1998). Toutefois, les primates, et notamment les drills (Mandrillus leucophaeus), les mandrills (Mandrillus sphinx), les chimpanzés (Pan troglodytes) et les gorilles (Gorilla gorilla), de même que les éléphants, sont aussi des importants agents de dissémination (White et Abernethy), 1997; Sunderland, 2000). Les graines sont souvent disséminées loin de la plante mère. Quelques autres dispersions, encore que limitées, sont le fait de rares cas de prédation et de consommation de la part des petits rongeurs. Il est intéressant de noter qu'une importante germination a lieu aussi près de la plante mère, due à la chute naturelle des fruits, et plus particulièrement dans les zones où la surchasse a provoqué une réduction marquée de l'action de dissémination des animaux.

Malgré de nombreux essais de terrain et la constitution d'herbiers, notamment au cours de ces dernières années, pour la plupart des espèces africaines on n'a pu construire de modèle phénologique évident de développement des fleurs et de production des graines.

Conservation des rotins africains

D'après les statistiques, dans de nombreuses régions d'Afrique, le rotin fait l'objet d'une demande croissante et le nombre de cannes transformées est beaucoup plus élevé qu'il y a cinq ou 10 ans (Sunderland et al., 2001). La demande accrue a entraîné un baisse notable des peuplements naturels et un épuisement considérable des ressources locales, notamment autour des centres urbains (Profizi, 1986; Morakinyo, 1995; Sunderland, 1998; Sunderland, 1999; Defo, 1999; Oteng-Amoako et Obiri-Darko, 2001). Néanmoins, à l'échelle continentale, les espèces commerciales n'entrent pas aujourd'hui dans la catégorie des espèces «menacées» (tableau 1).

TABLEAU 1. L'état de conservation des espèces africaines de rotin

Espèce

Aire géographique
(millions ha)

Catégorie de l'UICN

Calamus deërratus

804,9

Non menacée

Eremospatha barendii

Une seule collection

En voie de disparition

E. cabrae

191,8

Non menacée

E. cuspidata

189,1

Non menacée

E. haullevilleana

270,4

Non menacée

E. hookeri

110,2

Non menacée

E. laurentii

273,2

Non menacée

E. macrocarpa

426,0

Non menacée

E. quinquecostulata

0,9

Vulnérable

E. tessmanniana

0,6

Vulnérable

E. wendlandiana

60,4

Non menacée

Laccosperma acutiflorum

148,5

Non menacée

L. laeve

122,6

Non menacée

L. opacum

180,8

Non menacée

L. robustum

153,7

Non menacée

L. secundiflorum

319,5

Non menacée

Oncocalamus macrospathus

70,1

Non menacée

O. mannii

12,9

Non menacée

O. tuleyi

1,8

Vulnérable

O. wrightianus

0,3

En voie de disparition

Note:L'état de conservation a été estimé en fonction principalement du critère d'«étendue de la présence» (ainsi que d'autres critères de l'UICN). Bien qu'approximative, cette estimation est la meilleure possible en l'absence de données provenant d'études sur les populations réalisées à grande échelle.

UTILISATION COMMERCIALE ET ÉCHANGES

Bien que de nombreuses espèces africaines de rotin soient utilisées localement pour de multiples objectifs, les échanges commerciaux se concentrent sur le gros de la récolte d'un petit nombre seulement d'espèces très répandues et relativement communes (Sunderland, 2001). Le tableau 2 présente les principales espèces commerciales de rotin utilisées dans chaque région.

TABLEAU 2. Espèces de rotin présentant un intérêt commercial par région

Région

Principales espèces commerciales

Autres espèces présentant un intérêt commercial

Afrique occidentale (Sénégal, Côte d'Ivoire, Ghana, Bénin, Nigéria occidental)

Laccosperma secundiflorum
Eremospatha macrocarpa

Eremospatha hookeri
Calamus deërratus

Afrique occidentale/centrale (Nigéria occidental Cameroun, Congo, Gabon, Guinée orientale)

Laccosperma robustum
Eremospatha macrocarpa

Laccosperma secundiflorum

Afrique centrale (République démocratique du Congo, République centrafricaine)

Laccosperma robustum
Eremospatha haullevilleana

Eremospatha macrocarpa

Afrique australe/orientale (Zambie, Ouganda, Kenya, République-Unie de Tanzanie)

Calamus deërratus

Eremospatha haullevilleana

L'ère coloniale a été marquée en Afrique par un important commerce de cannes et de produits du rotin. Le Cameroun et le Gabon, en particulier, approvisionnaient la France et ses colonies (Hédin, 1929), et le Ghana (l'ancienne Côte de l'Or) ravitaillait dans une large mesure l'important marché britannique pendant la période de l'entre-deux-guerres (Département des forêts de la Côte de l'Or, 1934). En 1926, le Cameroun exportait à destination de la France 100 tonnes de cannes brutes dont la valeur s'élevait à 50 000 dollars EU. L'industrie de l'exportation ne s'est pas limitée à la canne brute; en 1928, le Cameroun tirait un montant supplémentaire de 50 000 dollars de l'exportation au Sénégal de meubles en rotin finis pour satisfaire les besoins de la communauté étrangère qui y résidait (Hédin, 1929).

Dans les années 70, l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) a promu au Sénégal une initiative visant l'exploitation des cannes à l'état naturel pour une production et une exportation à grande échelle (Douglas, 1974), mais cette entreprise a pris fin peu de temps après son démarrage, en raison de la difficulté d'assurer des approvisionnements réguliers en matière première.

À l'heure actuelle, de grandes quantités de cannes brutes pénètrent tous les jours sur les marchés des centres urbains d'Afrique occidentale et centrale. Le tableau 3 résume les résultats d'essais menés pour quantifier les échanges sur certains marchés au cours de ces dernières années.

TABLEAU 3. Importance et valeur du commerce africain du rotin sur certains marchés urbains

Ville

Taille de l'échantillon (nombre d'entreprises)

Quantité estimée de cannes utilisées par mois (m)

Valeur annuelle moyenne estimée (dollars EU)

Référence

Lagos, Nigéria

Inconnue

180 000

1 141 180

Morakinyo, 1994

Accra, Ghana

27

inconnue

64 080

Falconer, 1994

Kumasi, Ghana

11

inconnue

95 475

Falconer, 1994

Ankasa, Ghana

12

4 300
(toutes espèces)

62 000

Holbech, 2000

Bata, Guinée équatoriale

15

20 550
(toutes espèces)

27 400

Sunderland, 1998

Douala, Cameroun

25

26 955
(grand diamètre)
28 875
(petit diamètre)

127 405

Sunderland et al., 2001

Yaoundé, Cameroun

31

23 165
(grand diamètre)
29 765
(petit diamètre)

103 500

Sunderland et al., 2001

Kinshasa, République démocratique du Congo

114

13 760
(grand diamètre)
14 448
(petit diamètre)

56 600

Minga, 2001

On ne possède que de rares données sur les exportations actuelles ou récentes de rotin en provenance des pays africains (Oteng-Amoako et Obiri-Darko, 2000). Komolafe (1992) fait état d'une exportation limitée de produits finis d'Afrique occidentale vers l'Europe et de rotins bruts vers l'Asie, y compris la Chine et la République de Corée. Des exportations de cannes brutes du Ghana et du Nigéria à destination de l'Asie du Sud-Est ont été signalées récemment (Sunderland, 1999), ainsi qu'un commerce prospère du Nigéria vers la République de Corée (Morakinyo, 1995).

Récolte et transport

Dans toute son aire de répartition en Afrique, le rotin est récolté et transporté dans des conditions et des circonstances remarquablement constantes. Le gros de la récolte est destiné aux échanges commerciaux et représente une activité secondaire pour les particuliers, normalement les agriculteurs, chasseurs ou autres groupes ruraux; la récolte du rotin leur assure un revenu supplémentaire destiné, dans la plupart des cas, à satisfaire des besoins occasionnels tels que dépenses médicales ou frais de scolarité annuels (Trefon et Defo, 1998; Sunderland, 1998). De nombreux producteurs de cultures de rente récoltent aussi le rotin pour obtenir le capital supplémentaire servant à l'achat de matériel végétal ou d'autres intrants agricoles.

En général, les cueilleurs de rotin tendent à exploiter la même zone forestière chaque fois qu'ils ont besoin de cannes. Si le cueilleur n'est pas originaire de la zone, il verse au chef du village local une petite provision contre le droit d'accès à la forêt. Les cueilleurs préfèrent normalement récolter aussi près que possible d'une route carrossable pour éviter le transport prolongé sur la tête des bottes de cannes. Cependant, l'épuisement des ressources locales observable près de nombreux centres urbains oblige désormais de nombreux cueilleurs à pénétrer plus loin dans la forêt (Sunderland, 1998; Defo, 1999; Profizi, 1999). Le surcroît de transport occasionné par cette extension de l'aire détermine un lent redressement des prix des cannes brutes, qui est ressenti au niveau du marché.

Les cueilleurs habitant le village transportent eux-mêmes le rotin récolté jusqu'aux marchés urbains, ou le vendent au village à un négociant local qui le revend aux artisans urbains (voir Falconer 1994; Oteng-Amoako et Obiri-Darko, 2001; Defo, 1999; Sunderland et al., 2001) (voir figure p. 23). Certains artisans urbains vivant à proximité des formations naturelles récoltent eux-mêmes le rotin.

La constitution d'un large réseau de chemins forestiers à travers de nombreuses zones boisées d'Afrique occidentale et centrale a favorisé l'accès à des zones autrement inaccessibles de la forêt, et s'est traduite par une exploitation accrue du rotin. En fait, le rotin récolté est souvent transporté sur les camions des compagnies d'exploitation (Defo, 1997; Sunderland, 1998).

Les systèmes indigènes d'aménagement à long terme des ressources en rotin sont inconnus en Afrique, malgré les déclarations optimistes de certains rapports (Sunderland, 1999). Dans toute son aire de répartition, le rotin est considéré comme une ressource à «accès libre» et les lois coutumières réglementant sa récolte à l'état naturel sont rares, voire inexistantes . La réglementation de l'exploitation des PFNL continue à être ignorée dans la plupart des codes forestiers, et la surexploitation de nombreux produits présentant un intérêt commercial, y compris le rotin, se poursuit sans frein ni contrôle. Même les États qui exigent des licences et permis pour l'extraction des produits forestiers n'appliquent pas toujours strictement les règlements et ne surveillent pas l'exploitation des ressources. Cependant, à l'heure actuelle, on s'efforce de lever ces contraintes législatives et institutionnelles pesant sur la pérennité de la ressource, notamment au Ghana, au Nigéria et au Cameroun, où l'adoption de systèmes d'aménagement des forêts à assise communautaire, avec l'appui technique direct de l'État, a permis pour la première fois d'inclure les PFNL de valeur, comme le rotin, dans les plans de gestion des forêts. Le Programme de recherche sur le rotin africain s'emploie notamment à établir une relation directe entre l'écologie et l'utilisation du rotin en Afrique, et les interventions à long terme nécessaires pour assurer sa pérennité.

Le manque de rotin local aux environs de nombreux centres urbains oblige à présent de nombreux cueilleurs à pénétrer de plus en plus dans la forêt, où ils vivent dans des camps temporaires

- T. SUNDERLAND

Les techniques de récolte utilisées habituellement en Afrique exercent aussi une incidence sur la durabilité potentielle de l'extraction du rotin, en particulier pour les espèces multicaules. Pour avoir accès aux tiges mûres, les cueilleurs enlèvent souvent toutes les tiges d'une touffe, y compris celles qui ne sont pas encore assez mûres pour être exploitées ou commercialisées. Ces pratiques sont appliquées notamment dans les régions où le régime de propriété des ressources est incertain ou faible. Cependant, là où les cueilleurs de rotin sont assujettis à une réglementation plus rigoureuse, les jeunes tiges ne sont pas enlevées et on les laisse se régénérer pour assurer l'approvisionnement futur en cannes, normalement suivant une révolution de deux ou trois ans. Le glissement actuel du contrôle de l'État sur l'aménagement des ressources forestières vers des systèmes de gestion communautaire pourrait donc justifier un certain optimisme quant aux possibilités d'exploitation durable et équitable à long terme de la ressource.

Transformation

La transformation de la canne brute consiste essentiellement à débarrasser la tige de sa cuticule et à sécher la canne brute avant son utilisation. Dans presque toute l'Afrique, le canne brute est traitée manuellement: on gratte les tiges à l'aide d'un couteau de cuisine pour enlever la cuticule, et le séchage se fait normalement en plein air. Ces techniques rudimentaires de transformation ont l'inconvénient d'une part d'être exigeantes en main-d'œuvre et, d'autre part, de donner une canne de qualité médiocre, ce qui réduit la valeur des produits finis. Ces carences sont à l'origine des conjectures émises sur la mauvaise qualité intrinsèque des cannes africaines (J. Dransfield, communication personnelle). Cependant, elles n'ont pas été corroborées par des études anatomiques, et il est possible que des techniques de transformation améliorées permettront à la canne africaine de rivaliser au plan de la qualité avec celle asiatique.

En outre, des méthodes perfectionnées de transformation garantiraient une durée de conservation accrue et, par voie de conséquence, une durabilité majeure du produit, laquelle consentirait de limiter la récolte de cannes à l'état naturel. Enfin, du point de vue social, grâce à la valeur plus élevée d'une production de meilleure qualité, les artisans urbains pourraient accroître leurs revenus.

À cet égard, on tente d'introduire de nos jours en Afrique des techniques de transformation asiatiques adaptées au milieu africain (Sunderland et Nkefor, 1999). Une unité modèle de transformation a été construite récemment à Limbé (Cameroun) et servira en premier lieu à des fins de formation et de démonstration. Des unités semblables seront établies au Ghana et au Nigéria dans les deux prochaines années.

LES MULTIPLES CHEMINS MENANT À LA DURABILITÉ

La pénurie de ressources locales et l'irrégularité des approvisionnements en rotin brut, associées à la demande croissante, figurent parmi les principales contraintes qui pèsent sur le développement continu de l'industrie. La récolte et l'aménagement durables des rotins africains sont freinés, avant tout, par le manque d'informations fondées sur le matériel sur pied, la croissance, les rendements et l'intensité de la récolte. En outre, l'absence de régimes adéquats de propriété des terres et des ressources limite les essais visant la récolte durable et à long terme, et le statut d'accès libre normalement accordé au rotin compromet les perspectives d'un aménagement durable.

Néanmoins, le Programme de recherche sur le rotin africain élabore à l'heure actuelle des stratégies de recherche visant à affronter ces problèmes. Elles comprennent l'étude à long terme de la mortalité, du recrutement et de la phénologie dans les forêts naturelles et l'évaluation du recrû des cannes sous différents systèmes de récolte. Les résultats de ces études permettront de mettre au point les techniques de récolte les plus appropriées pour chaque espèce, grâce à une connaissance approfondie de son écologie fondamentale. De telles techniques ont des répercussions profondes au plan des politiques et sont à la base des stratégies d'aménagement à assise communautaire mises en œuvre à l'heure actuelle dans les pays cibles.

En outre, bien qu'actuellement les rotins africains soient récoltés exclusivement à partir de populations naturelles, les facteurs écologiques et sociaux qui prédominent dans la région favoriseraient le développement de plantations aménagées de rotin. Les pratiques traditionnelles de culture du rotin observées dans certaines zones d'Asie du Sud-Est, telles que la production dans des jardins mixtes par des agriculteurs sédentaires ou la culture sur brûlis réalisée par les agriculteurs itinérants (Godoy, 1992), sont inconnues en Afrique occidentale et centrale.

Système généralisé de production-consommation du rotin en Afrique

Toutefois, le Programme de recherche sur le rotin africain a entrepris récemment des travaux sur certains aspects du stockage et du traitement préliminaire des graines, et le matériel végétal issu de cette recherche a servi à l'établissement d'une parcelle expérimentale de L. secundiflorum plantée sous des hévéas devenus improductifs.

Le Programme de recherche sur le rotin africain à Limbé (Cameroun) dispense des cours de formation pour les agriculteurs locaux intéressés à cultiver le rotin

- T. SUNDERLAND

Des essais communautaires axés sur l'introduction de rotins dans les systèmes agroforestiers et de plantations d'enrichissement dans les boisements ruraux et les forêts secondaires, dans le cadre législatif de l'aménagement communautaire des forêts, ont récemment été mis en route au Cameroun et ils seront bientôt suivis par des initiatives similaires au Ghana et au Nigéria. Les taux de croissance annuels, ainsi que la viabilité économique de ces systèmes d'exploitation, sont surveillés et évalués à l'heure actuelle.

CONCLUSIONS

À mesure que deviennent accessibles les informations biologiques, écologiques et socioéconomiques sur les rotins africains, et que sont mises en œuvre des stratégies appropriées visant à en garantir la durabilité, les possibilités pour ces rotins d'Afrique de contribuer, non seulement au développement régional, mais aussi au marché mondial vont en s'accroissant. À l'aide de méthodes appliquées d'aménagement des forêts et de la gestion à assise communautaire étayée par des cadres législatifs appropriés, les rotins africains, soumis à une extraction durable, pourraient favoriser grandement tant la promotion d'un développement significatif et viable des zones rurales que la conservation des forêts. À cet égard, il importe que la recherche de base contribue à l'élaboration et à la mise en œuvre de politiques forestières. Le Programme de recherche sur le rotin africain s'emploie à fournir les directives d'aménagement nécessaires, dans le cadre de la législation forestière nationale, pour que des stratégies de durabilité soient adoptées et correctement appliquées. 

Bibliographie


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