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La recherche sur la conservation et l'utilisation des ressources génétiques du rotin: perspectives et stratégie de l'Institut international des ressources phytogénétiques

L.T. Hong, V. Ramanatha Rao et W. Amaral

L.T. Hong est spécialiste des ressources
génétiques forestières du bambou et du
rotin au Bureau régional de l'Institut international
des ressources phytogénétiques pour l'Asie, le
Pacifique et l'Océanie (IPGRI-APO), Serdang,
Selangor (Malaisie).
V. Ramanatha Rao est préposé principal à la
recherche (Conservation/diversité génétique) à
l'IPGRI-APO.
W. Amaral est spécialiste des ressources
génétiques forestières (Coordonnateur du
programme mondial) au siège de l'IPGRI, Rome.

Les recherches en cours sur l'identification, la diversité et la conservation des ressources génétiques du rotin contribueront à favoriser une gestion et une utilisation durables de l'espèce.

I l y a peu de temps encore, peu de recherches portaient sur la conser-vation de la diversité biologique ou des ressources génétiques du bambou et du rotin ou sur l'amélioration génétique de ces végétaux. Toutefois, au début des années 90, la nécessité de réunir de toute urgence des informations pour assurer la conservation et l'utilisation durable de ces végétaux a été reconnue. Le Réseau international sur le bambou et le rotin (INBAR) a demandé à l'Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI) de guider les activités de recherche sur la conservation des ressources génétiques de ces deux produits forestiers non ligneux (PFNL) importants. C'est ainsi qu'a été constitué en 1993 le Groupe de travail INBAR-IPGRI sur la diversité biologique et la conservation. Le Japon a fourni une assistance financière à l'IPGRI pour lancer le programme (Ramanatha Rao, Rao et Ouedrago, non daté). Les activités de recherche sur le rotin et le bambou sont planifiées et mises en œuvre à partir du Bureau régional de l'IPGRI pour l'Asie, le Pacifique et l'Océanie, qui se trouve à Serdang (Malaisie).

Les travaux sur l'identification et la diversité des ressources
génétiques du rotin devraient aider à maximiser l'utilisation de l'espèce et, partant, à renforcer sa conservation pour un aménagement durable. Cet article présente une synthèse des activités de l'IPGRI dans le domaine de la conservation des ressources génétiques du rotin.

L'Institut international des ressources phytogénétiques

L'Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI) est un des 16 centres du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI). Sa mission est de promouvoir, de soutenir et d'entreprendre des activités pour améliorer la gestion des ressources génétiques du monde entier, de façon à contribuer à éradiquer la pauvreté, à accroître la sécurité alimentaire et à protéger l'environnement. L'IPGRI se concentre sur la conservation et l'utilisation des ressources phytogénétiques importantes pour les pays en développement, avec une priorité pour certaines cultures spécifiques. L'IPGRI travaille en partenariat avec d'autres organisations, entreprend des activités de recherche et de formation et fournit des avis scientifiques et techniques ainsi que des informations. L'IPGRI opère dans cinq zones géographiques, à savoir: l'Afrique subsaharienne; l'Europe; l'Asie centrale et occidentale; l'Afrique du Nord; et l'Asie, le Pacifique et l'Océanie.

LES RESSOURCES EN ROTIN

Le rotin ne pousse que dans l'Ancien monde, en Afrique équatoriale, en Asie du Sud, dans le sud de la Chine, dans l'archipel malaisien, en Australie et dans le Pacifique Ouest jusqu'à Fidji. C'est en Asie du Sud-Est que l'on trouve la plus grande diversité de genres et d'espèces de rotin. Calamus, le plus grand des 13 genres connus, avec 370 à 400 espèces, est présent dans toute l'aire de répartition géographique des rotins (Dransfield et Manokaran, 1993). En Afrique, trois des quatre genres enregistrés sont endémiques.

Les espèces de rotin sont exceptionnellement abondantes et diversifiées. On trouve parfois jusqu'à 30 espèces dans un lieu où la végétation est en apparence uniforme. Toutefois, il existe probablement des différences d'habitat et des obstacles ténus à la sélection entre les espèces qui sont encore mal compris. En outre, la diversité génétique inter et intraspécifique du rotin reste mal connue. Compte tenu de l'épuisement rapide des forêts tropicales, il est impératif d'acquérir ces connaissances pour gérer durablement les ressources restantes. Pour les espèces commercialement prisées, comme le roseau solitaire Calamus manan, le problème est particulièrement aigu car le rythme de régénération dépend de la survie des plantules (contrairement aux roseaux qui poussent en bouquets, comme Calamus caesius, dont la régénération est assurée par les rejets partant de la racine).

Culture au Sarawak du rotin monocaule Calamus manan, espèce jouant un rôle important dans les activités de recherche et développement et pour la conservation des ressources génétiques

- J. DRANSFIELD

OBJECTIFS DES RECHERCHES

L'IPGRI a formulé comme suit les principaux objectifs de la recherche sur le rotin (et le bambou):

Au cours des dernières années, une grande quantité d'informations sur le rotin ont été produites, compilées et distribuées par l'IPGRI. Les connaissances restent cependant très insuffisantes pour garantir la conservation de la ressource dans de nombreux pays.

STRATÉGIE

La stratégie adoptée par l'IPGRI pour garantir une bonne conservation des ressources génétiques du rotin a indiqué quatre domaines prioritaires pour les travaux des organisations nationales de recherche (Ramanatha Rao, Rao et Ouedrago, non daté). Les domaines identifiés n'ont pas tous la même importance pour tous les pays de la région; des activités sont mises en œuvre en fonction des priorités et des besoins de chaque pays.

Évaluation et inventaire

Des mesures de conservation in situ sont nécessaires et auront la priorité, alors que des stratégies de conservation complémentaires sont en cours d'élaboration pour les ressources en rotin. Il est donc indispensable d'évaluer les ressources actuelles pour garantir le succès des efforts de conservation in situ (et ex situ). Dans ce domaine, les activités comprennent une évaluation et des inventaires, ainsi qu'une analyse de la répartition géographique, de la taille des populations, des taux d'exploitation, etc.

Élaboration et mise en œuvre des procédures de conservation

Diverses procédures de conservation doivent être mises en œuvre pour garantir la gestion durable des ressources génétiques du rotin. Font partie de ce domaine de recherche: l'élaboration de plans de conservation in situ et ex situ; une évaluation de la viabilité des semences et la mise au point de protocoles d'entreposage et de conservation in vitro des semences; la création et la gestion de banques de gènes de terrain; et la formulation de directives pour le transport sans risque du matériel génétique.

Taux d'exploitation et impact des activités humaines

Quelques pays font actuellement les frais des effets nuisibles prolongés de la surexploitation des ressources naturelles de rotin. On manque toujours d'informations sur la régénération naturelle de cette plante et sur l'impact socioéconomique de son exploitation et de sa conservation. Or, ces informations sont nécessaires pour mettre au point des mesures in situ (et ex situ) appropriées pour utiliser de manière durable cette ressource et maintenir les avantages socioéconomiques qui en découlent.

Élaboration de méthodes de conservation et d'utilisation durable

Beaucoup de communautés rurales pauvres sont tributaires des PFNL comme le rotin. Les efforts de conservation ne devraient pas entraver les activités d'exploitation et d'utilisation de la ressource qui permettent à ces personnes et aux autres habitants des forêts de subvenir à leurs besoins quotidiens et de percevoir un revenu. Pour poursuivre les efforts de conservation du rotin dans les habitats naturels, il est important de comprendre les raisons des préférences des communautés vivant à l'intérieur ou aux abords des forêts pour cette plante, surtout lorsque d'autres moyens de subsistance deviennent accessibles. Dans ce domaine, les activités de recherche comprennent: une évaluation des gains économiques provenant de l'exploitation du rotin; l'identification et la sélection de variétés de rotin poussant bien dans des environnements et des écosystèmes différents; et l'identification et la sélection d'espèces cultivables pour atténuer la pression sur les peuplements naturels.

FAITS SAILLANTS DES RECHERCHES

L'IPGRI a entrepris avec des partenaires des projets de recherche sur le rotin dans plusieurs pays de la région (voir tableau). Quelques-unes des réalisations sur lesquelles ont débouché ces activités font l'objet des sections suivantes.

Projets sur le rotin actuellement soutenus par l'IPGRI

Étude

Organisation/pays

En cours

 

Distribution et état des ressources en rotin dans le district de Bardiya, au Népal

Institute of Foresters, Népal

Calamus manan - distribution, état des populations et diversité génétique à Sumatra

Indonesian Institute of Sciences, Research and Development Centre for Biotechnology, Indonésie

Études sur les rotins des districts de Dakshina, Kannada et Kodagu, dans le Karnataka, portant en particulier sur la diversité spécifique, la densité des populations, la viabilité des semences et la germination

Mangalore University, Inde

Achevées

 

Enquête sur herbier visant à déterminer la distribution de certaines espèces de rotin en Chine

Research Institute of Tropical Forestry, Guangzhou, Chine

Évaluation de la conservation ex situ et in situ du matériel génétique du rotin, en Chine

Research Institute of Tropical Forestry, Guangzhou, Chine

Évaluation génétique de trois espèces de rotin

Forest Research Institute Malaysia

Identification des modèles de variation génétique des trois rotins sélectionnés

Universiti Malaya, Malaisie

Distribution et conservation des espèces de bambou et de rotin, dans le nord de la Thaïlande

Chiang Mai University, Thaïlande

Diversité génétique des espèces de Calamus

Royal Forest Department, Thaïlande

Cartographie de la diversité génétique du rotin dans les Ghâts occidentaux, en Inde

Ashoka Trust for Research in Ecology and the
Environment (ATREE), Inde

Diversité génétique et conservation de certaines espèces de rotin dans les îles d'Andaman et de Nicobar et dans les Ghâts occidentaux, en Inde du Sud

Kerala Forest Research Institute, Peechi, Inde

Estimation de l'ADN nucléaire présent dans diverses espèces de rotin

National University of Singapore, Singapour

Distribution, phénologie, et conditions propres à la germination des semences de certains rotins, au Viet Nam

Institut des sciences forestières du Viet Nam

Enquête écogéographique et phénologie du rotin, au Népal

Forest Research Centre, Népal

Désignation des espèces prioritaires pour la conservation des ressources génétiques

Une identification correcte des rotins est indispensable pour établir les priorités des stratégies de conservation ou d'utilisation. Une bonne taxonomie permet aussi de transférer les informations dans des conditions sûres et de prévoir les propriétés du rotin [NDLR: voir article de Dransfield, dans ce même numéro]. L'identification taxonomique de certaines espèces commerciales est encore incertaine. Compte tenu du grand nombre d'espèces et de la diversité de leurs écologies et de leurs aires de répartition géographiques, la priorité doit être donnée à la conservation des pools géniques des espèces les plus utiles. Cela est d'autant plus vrai que parmi l'ensemble d'espèces existantes, un petit nombre seulement sont utilisées ou ont une valeur commerciale.

En 1994, l'IPGRI a publié en association avec l'INBAR une liste de neuf espèces prioritaires sur la base des informations disponibles quant à l'utilisation, la culture, les produits et la transformation, le matériel génétique et les ressources génétiques, et l'agroécologie (Williams and Ramanatha Rao, 1994). Compte tenu des besoins et des informations en retour des pays de la région, cette liste de priorités a ultérieurement été élargie aux 21 espèces indiquées dans l'encadré (Rao, Ramanatha Rao et Williams, 1998). La liste des espèces prioritaires sert de guide aux pays pour orienter leurs recherches sur le rotin.

Liste des espèces de rotin prioritaires pour la recherche et le développement

Calamus manan

Calamus polystachys

Calamus caesius

Calamus warburghii

Calamus trachycoleus

Calamus zeylanicus

Calamus sect. podocephalus

Calamus zollingeri

Calamus andamanicus

Calamus palustris et apparentées

Calamus burckianus

Calamus inermis

Calamus erinaceus

Calamus nambariensis

Calamus foxworthyi

Calamus deeratus

Calamus merrillii

Calamus tetradactylus

Calamus nagbettai

Calamus hollrungii et apparentées

Calamus ovoideus

Source: Rao, Ramanatha Rao et Williams, 1998.

Évaluation et inventaires

Des études sur les ressources génétiques du rotin et sur l'identification des espèces importantes sur le plan commercial ont été réalisées au Bangladesh, en Chine, en Inde dans les Ghâts occidentaux, en Indonésie, en République démocratique populaire lao, en Malaisie, au Myanmar, au Népal, aux Philippines, à Sri Lanka, en Thaïlande et au Viet Nam (Rao et Ramanatha Rao, 1999; Vivekanandan, Rao et Ramanatha Rao, 1998; Xu et al., 2000). Les activités de collecte de données ont aidé les pays à mesurer l'appauvrissement des ressources en rotin et facilité l'identification des zones se prêtant le mieux aux mesures de conservation. Par exemple, les enquêtes réalisées au Viet Nam ont montré que les descriptions taxonomiques et l'identification des espèces étaient incomplètes pour la plupart des ressources, en particulier pour celles des régions du centre et du sud du pays. On a constaté que l'aire de répartition de Calamus platyacanthus, un grand roseau similaire à C. manan d'Asie du Sud-Est, allait de la province du Yunnan en Chine, jusqu'à plusieurs provinces du Viet Nam.

Modèles de variation génétique

La diversité génétique du rotin est un sujet auquel les scientifiques et les chercheurs s'intéressent depuis très peu de temps, d'où la rareté des études disponibles sur la diversité génétique du rotin dans et entre les populations.

Des recherches sur trois espèces de Calamus dans les Îles d'Andaman et de Nicobar en Inde et en Malaisie ont mis en évidence une variation phénotypique et génétique significative suivant les espèces et les sites. D'après une étude portant sur 13 populations de Calamus palustris provenant de sept provinces de Thaïlande, environ 18 pour cent de la diversité totale résulte de différences entre les populations. Des enquêtes sur la diversité génétique de C. palustris, en Thaïlande, ont mis en lumière de grandes différences dans la forme et la localisation des isozymes (un type de marqueur génétique), au sein de cette espèce. Ce résultat indiquait qu'une analyse des isozymes n'est sans doute pas suffisante pour évaluer la diversité génétique intraspécifique de C. palustris.

Une étude, réalisée en Inde dans les Ghâts occidentaux, a fait un bilan de la diversité génétique du rotin afin de construire des modèles spatiaux et temporels de la perte des populations de rotin et des ressources génétiques qu'elles contenaient. Vingt-sept espèces de rotin ont été identifiées. L'évaluation de la variabilité génétique des populations, avec pour espèce pilote Calamus thwaitesii, a mis en évidence un manque de différenciation. L'Université nationale de Singapour vient d'entamer des recherches connexes sur l'identification de marqueurs génétiques, pour la détermination du genre dans deux espèces dioïques de Calamus.

Processus de régulation de la diversité génétique

Une enquête sur les aspects socio-économiques de la perte des ressources en rotin vient d'être achevée au Karnataka, en Inde. Ses objectifs étaient les suivants: déterminer le degré d'exploitation et de dépendance économique à l'égard de la ressource, aux niveaux local et de l'État, identifier les facteurs sociaux et économiques du déclin de la ressource et examiner les conséquences sociales et économiques de ce déclin. Les résultats sont en cours d'analyse et l'étude formulera des propositions pour atténuer les effets de l'exploitation et des changements dans l'utilisation des terres.

Mise en valeur des ressources humaines

Le manque de personnel qualifié est une des contraintes qui freinent les recherches sur le rotin. Cette question préoccupe l'IPGRI depuis que celui-ci a entamé les recherches sur cette plante. Depuis quelques années, l'IPGRI s'efforce de promouvoir et d'appuyer la formation à la conservation et à l'utilisation durable des ressources en rotin. La collaboration avec le réseau INBAR et avec d'autres organisations a amélioré les compétences des partenaires qui travaillent dans ce secteur. Des ateliers et des stages de formation sur la taxonomie, la conservation, l'écologie, la sylviculture et les approches moléculaires en matière de génétique des populations végétales, ont aidé les partenaires de la région à améliorer leurs compétences de recherche.

REGARD VERS LE FUTUR

Les recherches sur le rotin soutenues par l'IPGRI en Asie ont procuré des avantages aux pays dans lesquels elles ont été effectuées; de plus elles ont eu pour effet de renforcer les capacités nationales de conservation des ressources génétiques du rotin, et de sensibiliser davantage les pays à l'importance de la conservation. Les résultats obtenus créent d'ores et déjà une prise de conscience parmi les instituts de recherche nationaux, non seulement en Asie, mais aussi en Afrique, en Amérique du Sud et en Amérique centrale, où ont été introduites des espèces de rotin.

Pour assurer la conservation et l'utilisation durable des ressources en rotin, il est impératif d'abandonner les pratiques d'exploitation non durables et de les remplacer par des méthodes efficaces de conservation, de culture et de gestion durable qui seront également utiles aux ruraux pauvres, à long terme. Les travaux réalisés jusqu'à présent pour identifier les ressources génétiques disponibles dans différents pays devraient également aider à optimiser l'utilisation du rotin, notamment à augmenter le nombre d'espèces cultivées ou soumises à un aménagement. L'IPGRI continuera à soutenir des études sur la conservation des ressources génétiques du rotin dans le cadre des quatre domaines stratégiques identifiés. L'IPGRI restera fidèle à sa politique qui consiste à collaborer avec des organisations compétentes aux niveaux national et international pour gérer de manière plus durable les ressources en rotin, en vue en particulier d'améliorer la situation économique des populations rurales. 

Bibliographie


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