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Chapitre 4. Le processus de réforme: les premières étapes[46]


OBJECTIF

Le précédent chapitre a exposé les différents éléments qui doivent être pris en compte pour décider si certains aspects de la prestation des services pourront être décentralisés. Le présent chapitre et le suivant ont maintenant pour objectif de proposer l'ossature nécessaire pour mettre réellement en œuvre un processus de réforme. Dans ces chapitres, l'accent a surtout été mis sur l'enchaînement des réformes, dont la privatisation, en s'appuyant sur une série de questions. Le chapitre présent montre ainsi que la «décentralisation» ne constitue que l'une des voies possibles d'amélioration du rendement des services d'appui à l'agriculture. Dans certaines conditions, il pourra en effet suffire d'améliorer le rendement interne des organismes de l'administration centrale ou de renforcer la concurrence externe à laquelle ils sont confrontés, notamment si les pouvoirs publics prennent également des mesures permettant d'améliorer les conditions de marché. On examinera ensuite, dans le prochain chapitre, quelles actions doivent être mises en œuvre lorsque la décision de décentraliser est effectivement prise.

ÉLÉMENTS CLÉS

· Il est essentiel d'entreprendre le processus de réforme une fois que les objectifs à long terme sont bien définis.

· La première étape vise à identifier s'il y a bien matière à une réforme.

· Il est essentiel de s'assurer qu'il y a bien une volonté de réforme et de susciter un consensus politique en sa faveur.

· Les différentes formes de décentralisation auront des impacts politiques distincts qui doivent être analysés lors du choix de la méthode appropriée de réforme.

· L'efficacité interne des organismes du secteur public peut être améliorée en introduisant une saine gestion, en modifiant les systèmes d'incitations et de réglementation, et en investissant dans de nouveaux outils de production et dans la formation.

· Un aspect essentiel de tout processus de réforme consiste à renforcer la concurrence réelle et potentielle à laquelle les organismes prestataires de services d'appui à l'agriculture doivent faire face par le biais d'une amélioration des conditions de marché.

4.1 Y a-t-il des arguments en faveur d'une réforme?

4.1.1 Définir les objectifs

Un approche à long terme

Il est essentiel de ne commencer le processus de réforme qu'une fois les objectifs recherchés parfaitement définis. Sachant que dans la plupart des cas une réforme ou une décentralisation n'est envisagée qu'en réaction à une crise budgétaire résultant de ce que les dépenses des entreprises du secteur public sont nettement supérieures aux recettes, il ne faut pas être surpris si ce sont des objectifs à court terme, tels que la réduction des déficits publics, qui sont alors mis en avant. Mais au-delà de ces objectifs immédiats, la mise en place d'une réforme offre généralement aussi l'occasion de restructurer ces entreprises ou même l'ensemble de l'économie, de sorte qu'on peut également envisager d'atteindre de nouveaux objectifs à long terme tels que la pérennisation de la croissance et la création d'emplois durables, la modification de la répartition du revenu, l'amélioration de l'accès aux produits de première nécessité, etc. Si la méthode retenue se contente uniquement de «gérer la crise» et d'atteindre les objectifs à court terme, on risque donc de rater une sérieuse occasion.

Les raisons qui justifient une réforme

La première étape de toute procédure de réforme consiste donc à déterminer s'il y a bien matière à mener une réforme. Comme on l'a vu au premier chapitre, les organismes du secteur public ont été créés dans le but de proposer une large gamme de services d'appui à l'agriculture pour des raisons économiques, politiques et sociales éminemment variables. Dans cette perspective, trois grands types d'arguments peuvent dès lors justifier d'entreprendre une réforme:

Si aucun de ces arguments ne peut être retenu, il n'y a par contre aucune raison de chercher à poursuivre la réforme. Dans cette perspective, la première étape de tout processus de réforme consiste donc à poser les questions suivantes:

4.1.2 Une approche interministérielle

Une perspective globale

Si chaque ministère de tutelle devait répondre seul à ces questions, il y aurait de fortes chances que, compte tenu des intérêts acquis, celui-ci préfère le statu quo et préconise la poursuite du système existant. Cette raison a conduit la plupart des pays qui sont parvenus à mettre en œuvre avec quelque succès des programmes de décentralisation et de privatisation à considérer d'un bon œil la création d'une instance centrale ad hoc, chargée de surveiller le processus (Adam et al., 1992). Le cas échéant, cette instance peut prendre la forme d'une commission interministérielle chargée, au plus haut niveau, de la réforme du secteur public et parapublic. Elle doit en tout cas disposer des capacités d'analyses nécessaires pour répondre à ces questions et pouvoir, au besoin, s'appuyer sur une assistance extérieure afin soit de mener l'analyse, soit de former le personnel local qui réalisera l'analyse de politique correspondante. L'embauche de ce personnel et de conseillers compétents revêt par conséquent une importance primordiale (Guislain, 1997). Mais plus important encore peut-être, cette commission doit avoir l'autorité et le poids politique suffisants pour passer outre les exigences de chaque ministère et de ses directions, et pour mener positivement à son terme le processus de réforme. En parallèle, une distinction doit très clairement être opérée entre les compétences des autorités politiques qui définiront le programme de réforme et ses priorités, et celles de l'instance qui mettra en œuvre le programme de réforme.

4.2 Y a-t-il une volonté politique de réforme?

4.2.1 Introduction

Dans l'absolu, toute réforme est susceptible de créer des perdants et des gagnants. Pour réussir à entreprendre, mettre en œuvre et poursuivre l'ensemble du processus de réforme, les plus hautes instances doivent donc au préalable s'engager politiquement à mener à bien l'ensemble des démarches nécessaires. D'un point de vue politique, dans de nombreux pays, les grandes entreprises publiques nationales sont en effet toujours considérées comme des instruments indispensables pour conserver le contrôle de certains domaines stratégiques de l'économie ou de certaines fonctions. Dans d'autres, elles sont vues comme un outil nécessaire au maintien du clientélisme politique. Dans de telles situations, il est donc probable que des groupes de pression, relativement petits mais puissants, et qui bénéficient du système en place, s'opposent avec force à toute proposition de décentralisation à moins d'avoir la garantie que leurs intérêts seront préservés, quelle que soit l'issue des réformes (Bennell, 1997). Dans ce cadre, le gouvernement risque dès lors de considérer que la décentralisation est au mieux «un mal nécessaire», à n'entreprendre que lorsque les déficits deviennent vraiment insupportables ou que les bailleurs conditionnent leur appui à sa réalisation.

Dans d'autres situations, la décentralisation peut par contre être considérée comme un moyen de gagner la confiance politique. Cela sera par exemple le cas lorsque la décentralisation ou la privatisation des grandes entreprises publiques permettent d'entrevoir une amélioration substantielle de leurs services ou la baisse de leurs coûts. Une cession visant à répartir largement leur capital pourrait également s'avérer populaire. Toutefois, de telles transformations ne sont généralement envisageables qu'après un changement de politique, lorsque le nouveau groupe au pouvoir ne doit aucune faveur aux partisans des entreprises publiques concernées. D'après l'expérience de la Banque mondiale (1995), il semble dès lors qu'un processus de réforme n'a que peu d'effets si il ne repose sur une puissante volonté politique. La volonté, la faisabilité et la crédibilité politiques apparaissent par conséquent comme les conditions nécessaires à la réussite de toute réforme du secteur public et parapublic.

La volonté politique

La réforme doit être voulue par les dirigeants, ce qui revient à dire que les bénéfices politiques attendus doivent être supérieurs aux coûts politiques. Un tel contexte n'a de chances de se manifester qu'à deux occasions, soit après un changement de gouvernement, lorsque les bénéficiaires des services initialement offerts par l'administration perdent le pouvoir, soit lorsqu'une crise budgétaire rend intenable le maintien des subventions publiques et oblige à mettre impérativement en place une réforme. Dans ce second cas, les conditions seront éventuellement imposées par les bailleurs; la «volonté» politique sera donc beaucoup plus relative qu'absolue. Mais même ainsi, il est fort probable que cette volonté ira croissante, notamment si la réforme permet effectivement de réaliser des économies budgétaires et d'améliorer la situation économique du pays.

La création de bases politiques qui anticiperont les bénéfices de la réforme permet en outre de renforcer la volonté de poursuivre ce processus. Ce sera par exemple le cas lorsque les consommateurs comptent sur une baisse des coûts de l'alimentation, que les agriculteurs sont mieux ou plus rapidement payés, que les commerçants ou hommes d'affaires profitent de meilleures opportunités ou d'une baisse des coûts. L'analyse menée afin de déterminer s'il y a bien matière à mener une réforme doit donc permettre d'identifier ces groupes d'éventuels bénéficiaires. A cet égard, il est en outre utile de tirer les leçons des expériences comparées des pays qui ont mené de telles réformes. Des mesures concrètes pourront aussi être prises afin de sensibiliser mieux et plus rapidement les bénéficiaires potentiels des résultats escomptés. Mais dans le même temps, il faudra aussi garder présent à l'esprit le fait que la crédibilité du processus de réforme risque à tout instant d'être remise en cause si ces bénéfices restent lettre morte.

La faisabilité politique

Le processus de réforme doit être politiquement faisable dans la mesure où les dirigeants doivent pouvoir obtenir l'appui des institutions publiques dont la participation est indispensable au succès. Cela recouvre tout aussi bien les élus des assemblées, que la fonction publique (notamment les fonctionnaires des ministères de tutelle) et les échelons nationaux et régionaux de l'administration qui auront à mettre en œuvre les réformes. Les dirigeants doivent donc être capables de dépasser l'opposition des groupes qui risquent de perdre leurs avantages du fait du processus de réforme. Ce dernier point concerne en particulier le cas des organismes du secteur public dont les effectifs sont largement «gonflés» et où les salariés craignent donc de perdre leur emploi. Dans de telles circonstances, il peut dès lors être utile d'aider ces salariés à retrouver du travail dans d'autres secteurs, de leur offrir des indemnités de licenciement, voire même de modifier le code du travail afin de limiter certaines contestations. Il faut aussi s'attendre à l'opposition des groupes qui bénéficient d'autres formes de clientélisme et des rentes générées par les activités des grandes entreprises publiques. Dans certains cas, cela peut être obtenu en leur offrant de nouveaux avantages dans les nouvelles entreprises, comme par exemple des possibilités de rachat du capital par les cadres dans des conditions favorables.

La crédibilité politique

Le gouvernement doit aussi pouvoir compter tirer une certaine crédibilité politique du processus de réforme. Cet aspect peut sembler n'avoir guère d'importance lorsqu'il s'agit seulement de réformer une ou deux entreprises publiques du secteur agricole mais il devient crucial dès que les réformes envisagées couvrent un grand nombre d'opérations sur une assez longue période. Dans de telles conditions, le gouvernement risque en effet de perdre rapidement sa crédibilité s'il n'arrive pas à tenir ses promesses faites au début du processus de réforme. Il perdra également sa crédibilité s'il fait prendre à sa politique un virage à 180 degrés qui se traduit par des pertes et des coûts supplémentaires pour ceux qui ont investi ou pris des décisions en fonction des orientations initialement annoncées. Un rapport préalable sur la cohérence de sa politique lui sera donc utile pour établir solidement sa réputation.

La coordination des bailleurs

Les chances de réussite de la réforme sont susceptibles d'être considérablement renforcées lorsque les bailleurs sont en mesure de définir une position et une approche coordonnées avec celles du gouvernement concernant le processus. En outre, les bailleurs doivent accepter de tenir compte des contraintes économiques, sociales et politiques que le gouvernement et les principaux décideurs sont susceptibles de rencontrer durant la procédure de réforme. Même si les expériences comparées d'autres réformes sont utiles, la situation réelle propre à chaque pays a en effet toutes les chances d'être suffisamment spécifique pour que les propositions soient adaptées sur mesure aux besoins nationaux. Il est en outre essentiel que les représentants des bailleurs soient bien conscients qu'ils n'ont généralement qu'une très petite expérience des pays où ils sont en fonction et que la plupart d'entre eux n'y restera pas suffisamment longtemps pour subir les conséquences de leurs propres interventions.

Le tempo approprié

Compte tenu de la complexité des problèmes soulevés ci-dessus, il est évident que cela peut prendre un certain temps avant que puisse émerger un véritable consensus politique en faveur de la réforme. Entre-temps, les déséquilibres budgétaires et les services de mauvaise qualité risquent donc de se prolonger. Dans ces conditions, les bailleurs risquent donc de se montrer impatients et de faire des résultats de la réforme une condition toujours plus pressante à l'octroi de nouveaux prêts et de crédits. Dans de nombreux pays, cette attitude a débouché sur la mise en œuvre de réformes des organismes publics sans la moindre ressource. A défaut de permettre aux entreprises du secteur privé de prendre en charge l'offre de service, il en a résulté un véritable vide d'activité. A long terme, il faut reconnaître que, dans certains pays, cette reprise a fini par avoir lieu mais souvent les coûts à court et moyen termes se sont avérés très élevés du fait de crises imprévues et non planifiées, de ruptures dans l'offre de services de première nécessité et de l'inexistence de filets de sécurité limitant les effets négatifs sur les groupes les plus touchés par le processus.

Dans l'optique de la Banque mondiale (1995), il ne faut guère espérer pouvoir réformer le secteur public et parapublic dans les pays où les conditions politiques ne sont pas favorables. Dans ces cas là, certaines mesures ou étapes préliminaires que le gouvernement voudra bien mettre en œuvre sont toutefois susceptibles d'aider à faire avancer cette réforme. Parmi ces actions, on peut citer les suivantes:

4.2.2 L'impact politique des différentes formes de décentralisation

La déconcentration

La décentralisation modifie l'équilibre des pouvoirs au sein du système de gouvernance. C'est là un de ses aspects particuliers qu'il faut avoir bien présent à l'esprit lorsqu'on veut juger de ses chances de succès. Les diverses formes de décentralisation ont toutefois un impact différent sur cet équilibre. La déconcentration déplace l'équilibre au sein d'une organisation en direction des cadres opérationnels. Elle peut de ce fait permettre d'améliorer l'efficacité. Mais elle renforce également la position des cadres dirigeants vis-à-vis de leur base externe. Au niveau local, la plus grande efficacité d'une administration déconcentrée avec contrôle central (par opposition à une administration centralisée) tend par ailleurs à renforcer l'emprise de l'administration centrale sur le territoire et, en conséquence, à affaiblir le degré d'autonomie locale. La bureaucratie de l'administration centrale peut en outre détourner le sens d'une politique de dévolution en une politique de déconcentration afin de conserver son pouvoir et son influence.

La délégation

Une délégation aux organismes publics revient à transférer le pouvoir hors de l'administration centrale. Lorsqu'elle s'accompagne d'une réelle politique de responsabilisation, de transparence et de saine gestion (voir le paragraphe 4.3.2), les résultats sont alors beaucoup plus visibles. Les agents deviennent pleinement responsables de tous les aspects de l'activité qui leur a été déléguée et ne peuvent plus invoquer les erreurs d'autres départements pour justifier leurs propres déficiences. La séparation des budgets et des comptabilités permet en outre de mieux repérer les coûts. L'opérateur étant distinct de l'organe de contrôle, la professionnalisation devient également plus facile (pour autant qu'une politique indépendante de ressources humaines soit permise). En principe, tout cela devrait donc permettre une meilleure responsabilisation. Mais dans la mesure où ils n'ont plus à se plier à la réglementation du travail de la fonction publique (et qu'ils profitent au contraire de l'indépendance que cela suppose), les cadres dirigeants rémunérés par l'administration deviennent aussi plus sensibles aux pressions extérieures. Les risques de clientélisme sont donc accrus. La délégation à des entreprises privées présente alors moins de risques de pressions politiques externes même si celles-ci restent possibles dans le cas des grandes organisations. Quant aux ONG caritatives, elles tendent elles aussi à être moins susceptibles aux pressions politiques vu qu'elles disposent de leurs propres ressources. C'est d'ailleurs une des raisons parfois invoquées par les pouvoirs publics pour refuser de les appuyer avec l'argent public.

La dévolution

Dans le cadre de la déconcentration et de la délégation, l'administration centrale conserve le contrôle des ressources de sorte que la coalition externe peut encore influer sur la définition de sa politique. La dévolution modifie par contre radicalement l'équilibre des pouvoirs dans la mesure où elle bouleverse la nature même des coalitions internes et externes des organismes publics dans l'ensemble du système administratif. En renforçant le pouvoir des collectivités territoriales, la dévolution contribue en effet à diversifier ces coalitions internes et externes propres à chaque collectivité. La dévolution entraîne une mobilisation des groupes de pressions locaux. Dans le même temps, ceux-ci ont l'occasion, par le biais de la représentation démocratique, de gagner en pouvoir et légitimité. Pour être effective, la dévolution suppose en effet que les hommes politiques responsables des niveaux inférieurs des pouvoirs publics soient élus et que les autorités centrales respectent les priorités que ceux-ci auront définies dans l'utilisation de leurs ressources. Les politiques de dévolution font donc partie intégrante des systèmes de contrôles et de contre-pouvoir qui caractérisent les systèmes démocratiques de gouvernance. De ce fait, au lieu de parler de dévolution on utilise également l'expression décentralisation démocratique (voir encadré 4.1).

Encadré 4.1 La décentralisation démocratique

Une collectivité territoriale démocratique

C'est un système politique dans lequel l'autorité est réellement rendue aux instances locales, celles-ci étant tenues de rendre compte de leurs actions et de rester accessibles à leurs concitoyens qui, de leur côté, bénéficient pleinement des droits juridiques et civiques leur permettant d'exercer leur liberté politique.

Source: Blair (1997).

Le fait que les pauvres et les femmes puissent sortir renforcés d'un processus de dévolution n'est en rien automatique. La dévolution aux collectivités territoriales ne peut donc en elle-même être considérée comme une mesure fiable et suffisante pour lutter contre la pauvreté ou traiter des questions de genre. L'impact d'une dévolution aux collectivités territoriales sur la situation économique et sociale des populations pauvres dépend en réalité des conditions socioéconomiques, culturelles et politiques. Lorsque les sociétés locales sont fortement stratifiées, que la répartition du revenu est inégale, les niveaux de santé très hétérogènes ou bien que de puissants facteurs culturels conduisent à une discrimination sociale marquée, les politiques de dévolution peuvent même aggraver encore la situation des populations les plus pauvres et marginalisées. En Inde par exemple, le développement autonome des panchayat raj[47] a été fortement contesté par les hommes politiques des niveaux fédéral et national jusqu'à l'instauration du 73ème Amendement de la Constitution, et ce pour deux raisons:

Généralement parlant, l'impact sur la pauvreté des expériences de dévolution menées de par le monde n'apparaît guère encourageant.

Le partenariat

Les mesures de partenariat avec les OSC approfondissent plus encore le processus démocratique, elles élargissent le champ politique, facilitent la mobilisation des ressources financières et humaines et améliorent la participation et le renforcement des capacités des populations locales. Le partenariat avec les OSC présente également l'avantage qu'aux niveaux les plus bas des OSC, il y a une relation beaucoup plus étroite avec les bénéficiaires des services rendus. Par le biais de leur contribution au coût des services et leur participation au processus de décision, les bénéficiaires et niveaux inférieurs des OSC sont ainsi comme des partenaires du développement et des gestionnaires des mécanismes de prestation. Au niveau des organisations intermédiaires chargées de consolider les plans des organisations de base et de canaliser les fonds, les cadres disposent d'une base mieux unifiée, notamment lorsque les groupes d'intérêt sont membres de l'organisation intermédiaire et y disposent d'un droit de vote au conseil d'administration. Le rôle des leaders des organisations de base dans les processus de décision des organisations intermédiaires constitue par conséquent un excellent indicateur du fonctionnement de ces dernières qui peut être suivi et évalué.

Tant que les organisations de base restent petites et que leurs leaders participent en tant que membres à l'assemblée générale sans se faire représenter par un délégué, la relation avec les bénéficiaires finaux reste étroite. Mais à des niveaux supérieurs, la coalition externe tend à se diversifier, la coalition interne devient plus complexe et d'autres forces d'influence peuvent jouer un rôle prépondérant, en particulier la bureaucratie des organisations sommitales.

La privatisation

Avec la privatisation, les politiciens tant locaux que centraux sont susceptibles de perdre leur contrôle direct sur la prestation de services. Ils peuvent toutefois conserver une influence par le biais des pouvoirs de réglementation et de contrôle des circuits de financement. Dans le cadre d'une privatisation, les politiciens sont en outre plus libres de critiquer les résultats des prestataires vu qu'ils n'ont plus eux-mêmes à délivrer le service. Cette situation est susceptible de leur faire bénéficier d'un soutien supplémentaire de la part de certaines fractions de l'électorat.

La synchronisation des politiques

Les politiciens locaux sont responsables devant leur base électorale locale et peuvent donc avoir des priorités distinctes de celles de l'administration centrale. L'impact politique de la dévolution peut par conséquent avoir de fortes implications sur les questions de synchronisation des politiques. D'éventuelles divergences sont en effet susceptibles d'apparaître entre l'administration centrale et les collectivités territoriales concernant les objectifs de politiques présentant un intérêt tout particulier pour les pouvoirs publics centraux. En zone rurale, cela pourra par exemple concerner la recherche agricole et la vulgarisation, les programmes de développement de certaines espèces, la distribution d'eau, l'irrigation, les infrastructures de transport, l'éducation ou encore la santé. Dans certains cas, les collectivités territoriales pourront conserver la responsabilité opérationnelle d'un service spécifique même si, pour le reste, celle-ci est partagée. Les collectivités territoriales auront par exemple à répondre devant leur électorat du volume et de la qualité de la prestation de certains services (distribution d'eau, réseaux sanitaires, etc.) tandis que l'administration centrale se chargera des activités qu'elle tient pour prioritaires (par exemple le système de santé). En théorie, c'est le principe de non-superposition des compétences qui aidera à faire cette distinction.

4.3 Les premières étapes du processus de réforme

4.3.1 Introduction

Une fois que les raisons d'une réforme sont exprimées et que la volonté politique est affirmée, l'étape suivante consiste à déterminer quelles sont les voies permettant d'assurer une prestation de service au meilleur rapport coût-efficacité tout en atteignant les nouveaux objectifs. Dans cette démarche, il est maintenant essentiel de prendre en compte l'ensemble du système et des systèmes les plus proches dans lesquels l'organisme public concerné opère habituellement (producteurs, commerçants informels et entreprises, consommateurs, etc.) et non de se centrer exclusivement sur l'organisme lui-même (FAO, 1991b). La réforme risque en effet d'affecter l'ensemble de ces groupes et son efficacité dépendra de ce qu'ils auront ou non été correctement intégrés au processus. Toute stratégie de réforme doit donc inclure des composantes de réforme de la politique macroéconomique et commerciale, des règles de la concurrence et du secteur financier, à moins que ces réformes n'aient déjà été entreprises.

4.3.2 Est-il possible d'améliorer l'efficacité interne des organismes du secteur public?

La première étape logique pour chercher à améliorer le rapport coût-efficacité d'un service consiste à analyser si les performances internes des organismes publics centralisés peuvent être augmentées. Cette démarche vise à décider si l'organisme public doit être liquidé ou décentralisé d'une façon ou d'une autre. Trois grandes familles de mesures permettent d'améliorer l'efficacité interne, à savoir la mise en place d'une politique de saine gestion, la modification des systèmes de motivation et du cadre réglementaire, et l'investissement dans de nouveaux outils techniques et dans la formation. Ces différentes familles de mesures seront toutes abordées à leur tour.

La mise en place d'une politique de «saine» gestion

La «saine» gestion implique pour l'organisme public les modalités de gestion suivantes[48]:

Cette définition doit éventuellement être quelque peu modifiée lorsque les organismes publics ont pour attribution des fonctions sociales ou non-commerciales. Un des objectifs recherchés lorsqu'on demande aux prestataires publics de services d'appui au secteur agricole d'appliquer des mesures de saine gestion est de rendre plus transparentes les subventions explicites et implicites octroyées via le système. Cela a deux effets:

Le premier pas de cette démarche consiste à clarifier les objectifs de l'organisme. Une fois cela fait, il est alors en principe plus facile de distinguer les fonctions «commerciales» et «sociales». Or, dans certains cas, ces différentes fonctions sont mieux assurées par des organismes distincts. Cela permet en effet de mieux préciser les objectifs et de mieux définir et suivre des indicateurs de résultats. Comme précisé ci-après, il y a toutefois des situations dans lesquelles il est parfois plus rentable de combiner les fonctions sociales et commerciales.

La mise en place de comptes de gestion séparés pour chacune des fonctions permet de définir des formules ou des procédures de comptabilité analytique servant à déterminer le niveau des subventions nécessaires pour financer les objectifs sociaux ou non-commerciaux de l'organisme public concerné. Les subventions peuvent donc être accordées par le ministère de tutelle à l'aide de ces formules. Dans la même logique, les recettes générées par les fonctions commerciales peuvent être plus facilement comparées avec les coûts ce qui permet de préciser les domaines susceptibles de faire l'objet d'une compression des coûts ou d'un ajustement des prix.

Souvent les entreprises publiques se font subventionner de manière implicite, en empruntant à des taux favorables auprès d'institutions publiques ou de banques commerciales. Les coûts réels des organismes du secteur public deviennent donc plus transparents lorsque le financement est obtenu selon les règles commerciales courantes. De même, lorsque les pouvoirs publics demandent à une entreprise publique de fournir un bien ou un service à un prix déterminé, inférieur à celui du marché, l'entreprise doit satisfaire à cette demande par une subvention explicite et non par un mécanisme non défini et implicite.

La mise en place d'une saine gestion peut malheureusement se heurter à des difficultés pratiques:

Dans la mesure où il oblige à présenter les véritables coûts financiers liés à certains services, le principe de saine gestion a néanmoins l'intérêt de forcer les pouvoirs publics à reconsidérer leurs priorités en leur fournissant les informations nécessaires à cela, aussi imparfaites soient-elles. Il est par conséquent essentiel de poursuivre dans cette voie et d'instaurer ce principe. Le fait que des entreprises publiques continuent de fonctionner dans le flou budgétaire et entretiennent ainsi l'inefficacité n'est somme toute que le reflet du manque de volonté de certains gouvernements de faire face à ces réalités.

Les contrats de performance

Une fois précisées les fonctions des entreprises publiques et mise en place une comptabilité adaptée, les cadres dirigeants devraient pouvoir profiter d'un système d'incitations qui récompense leurs performances selon des engagements de résultats (voir encadré 4.2). La Banque mondiale (1995) souligne cependant que ce type d'engagements contractuels joue rarement un rôle incitatif et fait plus de tort que de bien. Divers arguments viennent en appui à cette position, le principal étant que les contrats de performance ne modifient pas l'asymétrie d'information qui profite à l'encadrement. En d'autres termes, même lorsque les comptes sont mis à plat, la direction peut toujours négocier des objectifs aisément réalisables. En s'arrangeant pour les multiplier, les modifier ou changer leur importance relative au cours du temps, elle peut en outre s'assurer que chaque objectif n'a finalement que peu d'effet. Par ailleurs, les objectifs généralement retenus dans cadre de ces engagements, comme par exemple les objectifs de production ou les mesures partielles de la productivité et de la productivité du travail, ne débouchent pas nécessairement sur une amélioration de la performance économique globale. De plus, la direction peut empêcher les procédures de contrôle en retardant par exemple la transmission d'informations essentielles ou de rapports d'audit.

Encadré 4.2 Les contrats de performance

Les contrats de performance sont définis comme étant:

«des accords négociés entre les pouvoirs publics et des entreprises publiques dans lesquels des objectifs quantifiés correspondant à une période donnée sont explicitement mentionnés, les résultats devant être mesurés en fin de chaque période par rapport aux objectifs initialement fixés» (Banque mondiale, 1995).

Les difficultés de suivi des résultats sont par ailleurs accrues lorsque les fonctionnaires qui négocient ou assurent le suivi des contrats sont d'un rang ou d'une fonction inférieure à celle des représentants de l'entreprise publique, notamment lorsque ces derniers ont un pouvoir politique. Ce problème peut toutefois être contourné en invitant des intervenants extérieurs - type auditeurs professionnels - à venir renforcer l'équipe de l'administration centrale face à celle de l'entreprise.

Lorsque les objectifs sont relativement flous et que des primes sont payées pour leur réalisation, les cadres n'ont pas vraiment de raison de chercher à améliorer plus encore les performances d'autant que, dans de tels cas, les sanctions pour mauvais résultats sont rarement appliquées. Il arrive en outre que les pouvoirs publics sapent eux-mêmes la crédibilité des contrats de performance en modifiant arbitrairement les termes des services attendus des organismes du secteur public sans changer en parallèle le contenu des engagements contractuels. Les pouvoirs publics doivent par ailleurs parfois renégocier les contrats lorsque la réalisation de ces derniers les oblige à prendre des mesures ayant un coût politique particulièrement élevé comme, par exemple, le licenciement des travailleurs en surnombre dans le cadre de mesures de réductions des coûts. Les contrats de performance risquent enfin d'être peu suivis s'ils sont perçus comme une condition voulue ou imposée par les bailleurs.

En dépit de ces divers inconvénients, il est essentiel d'introduire certaines formes de suivi et d'incitation à l'amélioration des performances lorsque les entreprises publiques fonctionnent dans un contexte dénué de réelle concurrence. Certains des pièges qui pourront ainsi être évités viennent donc d'être soulignés. Reste évidemment que plus la concurrence à laquelle l'entreprise publique devra faire face sera forte et plus les contraintes budgétaires seront marquées, plus cette entreprise devra améliorer son efficacité pour se maintenir et plus cela rendra nécessaire l'introduction de la saine gestion et de la réelle mise en concurrence.

Les investissements en capital physique

La médiocrité des performances tient parfois simplement à ce que les investissements en matériel ont été négligés. C'est souvent le cas lorsque les politiques publiques n'ont pas considéré comme prioritaires les besoins des organisations et du secteur agricole et que ce dernier a donc dû fonctionner avec du matériel techniquement obsolète ou sans les ressources nécessaires pour acheter des pièces détachées ou pour réparer les usines et équipements. D'un point de vue économique, la solution la plus évidente consiste évidemment à ce que le gouvernement reconsidère ses priorités en matière d'investissements et autorise les entreprises publiques à investir ou, pour le moins, à entretenir leurs installations en bon fonctionnement, à condition que le taux de rentabilité reflète le coût d'opportunité ou la valeur de rareté des capitaux investis. Les capitaux dont disposent les pouvoirs publics et leur capacité d'emprunt étant limités, cela se traduit évidemment dans la valeur de rareté. Mais si l'entreprise publique dispose du bon statut juridique, elle devra pouvoir trouver d'autres sources de capitaux auprès du secteur commercial suivant des critères de saine gestion. L'une des contraintes possibles dans ce cas tiendra à ce que, du fait de la nature des services proposés, le taux de rentabilité sociale sera éventuellement satisfaisant alors que le taux de rentabilité économique restera faible. Ce problème pourra cependant là encore trouver sa solution si les pouvoirs publics acceptent de subventionner en conséquence l'entreprise qui assure ces fonctions sociales.

Un problème assez complexe à résoudre se pose pour décider sur les investissements là où il y a une possibilité que les actifs soient liquidés à une étape ultérieure de la réforme. Certains arguments vont en faveur de la réalisation de ces investissements. On considère en particulier que l'efficacité de l'organisme en sera améliorée et que même si les actifs sont ensuite liquidés, les gains de productivité réalisés devront finalement se retrouver dans le prix de vente. On considère par contre, en défaveur des investissements, qu'il est peut probable que l'amélioration potentielle de l'efficacité arrive à se manifester sans que soient résolus l'ensemble des problèmes de gouvernance dans lesquels sont immergées la plupart des organisations. Ce second raisonnement conduit donc à retarder l'investissement tant que les procédures de saine gestion n'ont pas été adoptées. Un autre argument met en avant le fait que toute amélioration de l'efficacité contribuera à renforcer la détermination des groupes ayant acquis des intérêts qui les amènent à s'opposer à toute modification du statut de l'organisme. Or si les investissements permettent effectivement d'améliorer l'efficacité de l'entreprise publique considérée, la nécessité de poursuivre la réforme risque de s'en trouver réduite d'autant. L'amélioration de l'efficacité peut en outre favoriser la création de nouveaux groupes de pression motivés par l'acquisition des actifs de l'entreprise. Ce sera par exemple le cas des cadres dirigeants intéressés par un rachat.

Dans le passé, les bailleurs se sont montrés très favorables à financer les investissements en infrastructures des entreprises publiques. Mais plus récemment, ils ont commencé à manifester une certaine réticence. Cela tient en partie à ce que, conformément aux arguments antérieurs, certains bailleurs ont le sentiment de gaspiller des ressources lorsque ces investissements sont réalisés sans que la gouvernance des organisations du secteur public n'ait été améliorée. Actuellement d'autres bailleurs refusent par ailleurs de continuer de soutenir les entreprises publiques pour des raisons exclusivement idéologiques, et ce indépendamment de leurs résultats réels ou potentiels. Ce faisant, ils semblent oublier que dans certains domaines, notamment dans certaines branches de la recherche agricole, les entreprises publiques restent bien souvent les formes d'organisation présentant le meilleur rapport coût-efficacité.

Les investissements en capital humain

Une autre raison aux médiocres performances des organisations du secteur public tient au niveau de rémunération et de formation offert aux membres clés du personnel. Dans certains pays, les échelles salariales des entreprises publiques sont en effet alignées sur celle de la fonction publique et, ce qui est plus important encore, les mêmes rapports contractuels sont appliqués. D'un côté, il est donc difficile de proposer à des cadres de haut niveau des rémunérations qui correspondent à celles accordées dans le secteur privé pour un niveau similaire de responsabilité et d'implication commerciale. De l'autre, il est souvent difficile de licencier les cadres ou salariés peu performants. Les entreprises publiques se retrouvent donc souvent avec un personnel faiblement motivé et de médiocre qualité. Ce personnel est en outre généralement mal formé, soit parce qu'il n'y a aucune incitation à suivre une formation professionnelle, soit parce que l'encadrement n'offre aucune opportunité en ce sens.

Tant que les entreprises publiques ne peuvent offrir des niveaux de rémunération similaires à ceux du secteur privé, accompagnés des modalités de récompenses et de sanctions correspondantes, ces problèmes restent particulièrement difficiles à résoudre. Dans certaines circonstances, il faut donc envisager de modifier le statut juridique des entreprises. Une fois la nouvelle structure en place, l'investissement dans la formation et le renforcement des capacités du capital humain apparaît alors comme un facteur décisif d'amélioration de l'efficacité interne. Lorsqu'enfin il n'y a aucune possibilité de renforcer la qualité de l'encadrement, le transfert du contrôle ou de la propriété des actifs de l'entreprise apparaît en définitive comme l'option préférable.

4.3.3 Le développement du marché

Améliorer les conditions de fonctionnement du marché

La concurrence réelle et potentielle à laquelle une organisation doit faire face constitue un facteur clé de son efficacité interne, et ce indépendamment des améliorations qui peuvent être réalisées. Dans de nombreux pays, il pourra donc s'avérer nécessaire de commencer par améliorer substantiellement les conditions de fonctionnement du marché pour rendre la concurrence réellement effective. L'existence de ces bonnes conditions de fonctionnement du marché est également indispensable à la bonne marche des entreprises publiques lorsqu'il est envisagé de les démanteler et de transférer leur contrôle ou leur propriété au secteur privé. Ci-après seront donc analysés les principaux points clés qui nécessitent une intervention pour encourager le développement des activités des secteurs privé et associatif. La démarche suivie s'inspire de Smith (1992). Sachant que du temps sera nécessaire pour que la plupart de ces interventions soient pleinement mises en œuvre, il est important de les envisager à un stade précoce de la réforme.

Garantir un contexte relativement stable offrant des opportunités potentiellement intéressantes

La plupart des individus et organisations sont peu disposés à prendre des risques et préfèrent investir dans des activités économiques dont les résultats sont relativement prévisibles. L'état peut les aider à cela de trois façons:

Un code juridique efficace et un système judiciaire accessible et peu coûteux

Pour réduire les coûts de transaction et encourager les investissements du secteur privé, l'état doit au préalable instaurer un système juridique efficace, peu coûteux et facilement accessible qui définisse clairement les règles de fonctionnement du droit de propriété et d'établissement des contrats et qui permette d'obtenir facilement réparation en cas d'infraction. La définition d'un code juridique précis applicable aux investisseurs privés tant nationaux qu'internationaux est également indispensable. La révision du code du droit des affaires apparaît aussi comme un préalable à la réussite de toute politique de privatisation (Guislain, 1997). Dans le même temps, il semble nécessaire de s'assurer que le secteur privé opère bien dans le sens de l'intérêt national ce qui, comme on le verra plus loin, implique la mise en place d'une législation interdisant les pratiques anti-concurrentielles.

Une attitude positive de la bureaucratie à l'encontre du secteur privé

Tout état se compose d'individus, de groupes et de coalitions qui sont généralement plus préoccupés à défendre leurs propres intérêts qu'à promouvoir la recherche du bien public. Des secteurs de la bureaucratie peuvent donc s'opposer à la décentralisation ou au développement du secteur privé parce qu'ils ont l'impression que leur tâche s'en trouvera menacée. D'autres secteurs souhaiteront de leur côté taxer lourdement le secteur privé afin d'en tirer des recettes. Plutôt que de manifester ces attitudes négatives, il serait préférable que la bureaucratie comprenne que le développement du secteur privé est de son intérêt à long terme et constitue un moyen pour accroître la base d'imposition et les recettes fiscales. Pour y parvenir, les plus hautes autorités politiques doivent alors manifester fermement leurs intentions et leurs instructions. Si nécessaire, les secteurs de la bureaucratie qui ne jouent plus de rôle économique peuvent également être démantelés ou redéployés. Il s'agit là bien sûr d'une procédure pénible mais le maintien de tels secteurs improductifs pourrait s'avérer préjudiciable au développement du secteur agricole dans la mesure où ceux-ci revendiquent une part des recettes budgétaires et s'opposent à la croissance du secteur privé.

Une réglementation minimale et adaptée à des services structurés

L'instauration d'un cadre réglementaire constitue souvent le meilleur moyen de s'attaquer aux très nombreuses externalités qui affectent les secteurs agricole et alimentaire et de s'opposer aux entraves commerciales et aux pratiques anti-concurrentielles. Nécessitant le maintien d'une importante bureaucratie, les réglementations sont toutefois aussi potentiellement à l'origine de rentes économiques et d'une augmentation des coûts de transaction des entreprises du secteur privé. Dans de nombreux cas, des groupes d'agents économiques sont cependant parvenus à internaliser ces externalités par le biais de mécanismes d'autorégulation. Des exportateurs ont ainsi pu considérer qu'il allait de leur intérêt de définir des normes communes de qualité et des marques de fabrique qui protègent la renommée d'un produit national particulier. Les pouvoirs publics doivent par conséquent apprécier à tout instant la pertinence du cadre réglementaire afin de maintenir un équilibre adéquat entre la réglementation publique et les activités autorégulées.

Participer sur un pied d'égalité

Le développement des secteurs privé et associatif risque d'être sérieusement gêné si les entreprises et organisations privées doivent entrer en concurrence avec des entreprises publiques qui bénéficient d'un traitement nettement plus favorable de la part de l'état. L'introduction au sein de ces entreprises privées de toutes les composantes d'une saine gestion évoquées précédemment a toutefois des chances d'éliminer certains de ces biais potentiels. Mais il faut aussi compter avec d'autres contraintes, imposées par les bureaucraties nationales et locales, qui devront être levées pour que le secteur privé puisse concurrencer les entreprises publiques sur un pied d'égalité. Il faut néanmoins remarquer qu'il s'agit là d'un processus à double sens dans la mesure où le bon fonctionnement de nombreuses entreprises publiques est lui-même gêné par tout un ensemble de contraintes qui interdisent à la concurrence d'opérer réellement.

Favoriser les activités bénévoles

La conduite d'activités bénévoles par des associations de commerçants ou de producteurs permet de résoudre certains problèmes de dysfonctionnement du marché en garantissant aux membres de ces associations un accès à certains biens collectifs et biens de «clubs». Ces associations peuvent en outre remplir de nombreuses autres fonctions utiles, que ce soit en tant que groupe d'échange d'informations, pour régler des conflits ou pour proposer des mécanismes d'assurance mutuelle entre membres. Leur développement devrait par conséquent être en général bien vu et favorisé. Mais les politiciens et les bureaucrates leur manifestent parfois une certaine réticence. Ils considèrent en effet les activités de ces associations en tant que groupes de pression revendiquant des changements favorables à leurs membres, voire même en tant que mouvements de masse exprimant leurs propres demandes, comme une menace pour la propre légitimité des politiciens.

La législation sur la concurrence

Les associations posent par ailleurs un véritable problème dans la mesure où elles sont en mesure d'entreprendre des activités anti-concurrentielles en cherchant à former des cartels, en créant des entraves à la libre concurrence ou encore en instaurant certaines barrières d'accès. Pour neutraliser ces tentatives, les pouvoirs publics doivent donc mettre en place une législation s'opposant aux pratiques anti-concurrentielles et aux monopoles et permettant de faire la différence entre les actions qui renforcent la contribution du secteur privé au développement et à la protection sociale en général, et celles qui sont susceptibles de lui faire obstacle.

Les investissements du secteur public qui renforcent la productivité du secteur privé

Les investissements publics en infrastructures, dans la recherche et le développement, dans l'éducation et la formation peuvent très souvent constituer un excellent moyen pour accroître la productivité du secteur agricole. Une infrastructure bien développée, avec des routes, des chemins de fer, des télécommunications, etc., permet de réduire les coûts de transport, d'arbitrage et de transaction et d'améliorer l'intégration au marché. Il est par ailleurs utile que l'administration collecte et diffuse des renseignements et informations sur le marché afin de contrecarrer les asymétries d'information bien que le rôle qu'elle peut jouer dans les opérations d'arbitrage soit souvent surestimé. Le développement et l'amélioration des réseaux d'irrigation et des techniques permettent d'accroître la productivité du sol et l'efficacité de l'utilisation de l'eau. La recherche agricole sur de nouvelles variétés végétales, sur le contrôle sanitaire et épidémiologique ou sur de meilleures techniques d'élevage et les investissements dans des techniques de vulgarisation plus efficaces débouchent généralement sur une hausse de la production et de la productivité agricoles. Des dépenses supplémentaires en formation et éducation rurale, abordant également des aspects de sensibilisation au fonctionnement du marché et à la gestion, permettent enfin d'accroître la productivité humaine.

Chacun de ces domaines d'activité ayant des caractéristiques de biens collectifs, il semble difficile d'en assurer le financement ou la prestation par le biais des individus ou du secteur privé. En outre, chacun d'entre eux contribue à améliorer le contexte institutionnel et matériel, ce qui favorise l'investissement et la croissance du secteur privé. Une évaluation plus précise du taux de rentabilité social des investissements publics dans les domaines liés à l'agriculture permettrait donc probablement de justifier une augmentation des dépenses publiques en la matière ou, pour le moins, une répartition plus efficace, en tant que coup de pouce au développement des secteurs privé et associatif.

S'attaquer aux marchés incomplets

L'existence de marchés fragmentés et incomplets constitue un des principaux facteurs limitant les échanges et le développement du secteur privé. Même si, comme cela vient d'être mentionné, les infrastructures doivent parfois être améliorées, souvent il y a en effet un véritable besoin de renforcer les marchés du crédit et des capitaux afin d'accroître les possibilités de financement des intrants et des immobilisations. Lorsque les bailleurs souhaitent encourager la participation des secteurs privé et associatif à l'économie, ces fonctions d'appui au développement des marchés sont susceptibles de concerner tous les domaines. La difficulté d'accès aux capitaux leur permettant de développer leurs activités constitue en effet la principale contrainte à laquelle les petits commerçants et les petites entreprises doivent faire face. L'existence de marchés financiers structurés et bien organisés permet en outre d'accroître le nombre de méthodes possibles de privatisation des entreprises publiques. Le développement du secteur financier apparaît par conséquent comme l'une des principales priorités nationales à mettre en œuvre en soutien à l'expansion du secteur privé.

Le fonctionnement du marché des changes doit lui aussi être libéralisé et développé afin de soutenir les importations et exportations du plus grand nombre possible d'intrants nécessaires à la production, au transport, à la transformation et à la distribution des produits, et de faciliter l'accès aux devises nécessaires aux investissements.

Les marchés domestiques des intrants et des produits risquent également d'être peu développés, généralement à cause du manque d'infrastructures et de la faiblesse des marchés financiers et du commerce extérieur, mais du fait aussi de l'intervention de l'état dans ces domaines. De nombreux pays auraient ainsi besoin de bourses de commerce offrant des moyens de passer des contrats à terme, des facilités d'assurance et de couverture des risques.

La formation

La question de la formation professionnelle a elle aussi de l'influence sur le développement des échanges mais elle gagne à être traitée séparément. Elle revêt une importance toute particulière dans les domaines où le secteur privé était jusqu'alors inexistant du fait de la place occupée par le secteur public et elle renvoie tant aux questions techniques, telles que le maniement et le stockage des fertilisants, qu'aux problèmes de gestion commerciale du type formulation de contrats d'import-export ou autres. Dans certaines circonstances, les instances du secteur public spécialisées dans ce genre d'activités ont toutes les chances d'assurer de meilleures formations. Mais dans d'autres, les techniques seront bien mieux enseignées par des organismes spécialisés ou directement issus du monde professionnel, habitués à les mettre eux-mêmes en œuvre. Dans certaines occasions enfin, il peut aussi s'avérer nécessaire de faire appel à des institutions internationales sur des domaines de formation très spécifiques.

4.4 Conclusions

Le fait de mettre en œuvre la réforme et la décentralisation en suivant une démarche méthodique et prudemment échelonnée s'avère généralement payant à long terme. Il est donc essentiel de n'entreprendre le processus qu'une fois bien définis les objectifs à long terme et qu'après avoir replacé la réforme de toute organisation du secteur public dans son contexte général.

La première étape du processus consiste à déterminer s'il y a bien lieu de procéder à une réforme en examinant si le service considéré répond toujours à un besoin, quels sont les coûts encourus pour l'apporter, et si des modalités moins coûteuses de prestation existent ou peuvent être conçues.

Il est également essentiel d'évaluer si une volonté politique de réforme existe bien et de susciter un consensus en faveur de ce processus. Cet aspect requiert souvent du temps. Le rythme exact des réformes apparaît donc un élément fondamental de leur éventuel succès. Lorsqu'on décide de la méthode appropriée de réforme, il est en outre nécessaire d'avoir bien conscience que chaque forme de décentralisation aura ses effets politiques spécifiques.

Il est tout à fait concevable que chacun des objectifs de la réforme (ou même tous) puisse être atteint en améliorant simplement l'efficacité interne des organisations du secteur public par le biais d'une saine gestion budgétaire, de modifications des systèmes de motivation et du cadre réglementaire, d'investissements en équipements ou même de formations. Il existe par ailleurs des avis divergents, selon les écoles de pensées, sur le fait qu'il faille ou non attendre d'avoir radicalement modifié le système de gouvernance avant d'essayer d'améliorer l'efficacité interne des organismes du secteur public.

Dans tout processus de réforme, le renforcement de la concurrence réelle ou potentielle à laquelle font face les organismes proposant des services d'appui à l'agriculture constitue un élément crucial. Dans cette perspective, il y a une très grande variété de mesures qui sont susceptibles d'être mises en œuvre et qui contribueront à améliorer les conditions de fonctionnement des marchés et à renforcer les activités des secteurs privé et associatif.


[46] Ce chapitre reprend pour l'essentiel le travail publié dans Smith (1999).
[47] Littéralement: «règles villageoises».
[48] Banque mondiale (1995).
[49] En cas d'asymétrie d'information, un «principal» qui emploie un «agent» pour remplir une certaine fonction est généralement moins informé que celui-ci. L'agent peut dès lors avoir un comportement «opportuniste».

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