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Chapitre 9. Les services d'approvisionnement en intrants et en matériel et de commercialisation des produits


OBJECTIF

L'objectif de ce chapitre est d'analyser les éléments spécifiques des services d'approvisionnement en intrants et en matériel et de commercialisation des produits qu'il faut prendre en compte pour décider des formes et méthodes pertinentes de décentralisation.

POINTS CLÉS

9.1 La nature des services d'approvisionnement en intrants et en matériel et de commercialisation des produits

Il est utile de subdiviser l'offre d'intrants en trois grands types de services:

La commercialisation des produits constitue un quatrième type de services et sera également abordée dans ce chapitre.

Les intrants, le matériel et les produits agricoles constituent pour l'essentiel des biens privés car ils sont pour la plupart exclusifs et rivaux. La production et la commercialisation des intrants et du matériel agricoles sont d'ailleurs, tout comme la vente des produits, des activités qui incombent typiquement au secteur privé dans la plupart des pays de l'OCDE. A de rares exceptions près qui seront abordées ultérieurement, il doit donc, dans les pays en développement, être en principe possible de décentraliser ces services en libéralisant les marchés, en incitant les organisations du secteur privé ou associatif à les proposer et en améliorant l'efficacité ou en cédant les organismes du secteur public.

Les dysfonctionnements des marchés

Cependant, pour que les pouvoirs publics puissent correctement se désengager, les marchés doivent être suffisamment développés et ne pas faire l'objet d'imperfections générales ou spécifiques. Les pouvoirs publics doivent également ne pas avoir de raisons d'intervenir comme dans le cas des biens méritoires ou lorsqu'ils souhaitent favoriser une redistribution du revenu. Les types spécifiques de dysfonctionnements du marché qui correspondent aux services ici considérés et certaines autres caractéristiques des produits qui devront être prises en compte lors d'une décentralisation sont abordés dans le paragraphe qui suit.

9.2 Les éléments qui affectent la demande et l'offre

9.2.1 Les fertilisants et produits chimiques

Une demande instable?

Apparemment, la distribution des fertilisants offre un cas idéal de service pouvant être assuré par le secteur privé car les engrais peuvent être considérés comme de purs biens privés, étant à la fois exclusifs et rivaux. Mais la demande en fertilisants et en produits chimiques est une demande dérivée qui dépend non seulement du prix de cet intrant mais aussi du prix et de la rentabilité des cultures pratiquées. En outre, l'utilisation d'engrais tend à amplifier les risques des producteurs lorsque les précipitations sont insuffisantes ou que les prix sont inférieurs à ceux qui étaient attendus. Ces caractéristiques font que la demande en fertilisants apparaît comme instable et saisonnière. Les marchés financiers étant imparfaits et incomplets, les paysans qui n'ont pas accès au crédit ont par ailleurs des difficultés à acheter des engrais, à moins que l'accès à de nouveaux circuits de financement ne leur soit facilité. C'est là l'un des inconvénients possibles des systèmes uniques et segmentés de commercialisation. En outre, et même s'il s'agit là de problèmes conjoncturels, la dévaluation du taux de change qui accompagne généralement les premières étapes d'une libéralisation et l'élimination des subventions provoquent souvent de fortes hausses des prix intérieurs des fertilisants et une chute brutale de la demande exprimée.

Des retombées positives?

Dans le cas des pays à bas revenu, on avance parfois qu'en stimulant la sécurité alimentaire, l'emploi des fertilisants sur les cultures vivrières génère des retombées positives et que les pouvoirs publics ont donc quelque raison d'intervenir en subventionnant les engrais. C'est effectivement le cas lorsque la demande en fertilisants est élastique par rapport aux prix et que la baisse des prix des engrais provoque une hausse sensible de la production vivrière et de la sécurité alimentaire[63].

Les imperfections de l'information

Il y a deux types d'imperfections de l'information qui concernent l'emploi des fertilisants et des produits chimiques. La première porte sur la qualité du produit considéré. Les effets d'une application d'engrais ne sont généralement pas visibles avant plusieurs mois. Dans ces conditions, il est donc parfaitement envisageable qu'un commerçant dénué de scrupules vende aux paysans des produits de mauvaise qualité. La seconde imperfection a trait à la pertinence du conseil relatif à l'application du produit. Lorsque aucun conseil n'est fourni, il y a de fortes chances que l'intrant soit mal utilisé ou même s'avère contre-productif. Or, dans le cas des fertilisants, ce conseil devrait être adapté au lieu et à l'espèce cultivée car les modalités d'emploi dépendent fortement des conditions pédologiques et climatiques. Comme pour toute autre information, ce conseil a les caractéristiques d'un bien public, ce qui conduit à penser que les pouvoirs publics devraient participer à sa diffusion. Dans le cas des pesticides et des herbicides, une utilisation incorrecte risque d'avoir de sérieuses retombées préjudiciables tant pour la santé que pour l'environnement, ce qui justifie amplement une intervention publique en la matière.

Résumé

Pour résumer, les dysfonctionnements spécifiques aux marchés des fertilisants et aux produits chimiques sont les suivants:

9.2.2 Les semences et matériaux de plantation

L'offre de semences est une activité particulièrement complexe qui recouvre trois grandes fonctions:

Dans les situations de pré-réforme, les organisations du secteur public sont généralement responsables de ces trois fonctions mais il n'y a pas de raison économique qu'il en soit ainsi. Ceci étant, la nature des technologies des semences et les caractéristiques des produits laissent penser que le secteur public devrait continuer à jouer un rôle dans les fonctions de recherche et de réglementation.

La recherche et le développement d'hybrides et de variétés à pollinisation libre

Les problèmes généraux liés à la recherche agricole et aux produits vendables et non-vendables ont été analysés au chapitre 6. La technologie des semences est rivale mais elle n'est exclusive que dans le cas des variétés hybrides. Les variétés à pollinisation libre peuvent être reproduites par les agriculteurs eux-mêmes et diffusées par des mécanismes de distribution informels. Ces variétés constituent par conséquent des biens qui font partie d'un fonds commun. Même si les entreprises privées souhaitent mener des recherches pour élaborer de nouveaux types de semences hybrides, elles n'ont donc généralement guère intérêt à développer de nouvelles semences de variétés à pollinisation libre. Dans certains cas exceptionnels, elles disposent cependant d'un net avantage en termes de qualité et de fiabilité de leurs produits, ce qui leur permet de capter une part significative du marché. Dans certains pays développés, les sélectionneurs disposent en outre de droits qui leur assurent une protection suffisante pour que la production par le secteur privé de variétés à pollinisation libre soit rentable. Mais il n'est guère évident que cela soit applicable ou même pertinent dans le cas de pays en développement. Dans les petits pays pauvres ayant un marché potentiel des semences limité, il est donc probable que le secteur public ou que les organisations non-gouvernementales continueront dans tous les cas de jouer un rôle essentiel pour venir à bout de ce problème spécifique de dysfonctionnement du marché.

La saisonnalité de la demande

La forte saisonnalité de la demande constitue l'un des problèmes auxquels tout nouvel agent potentiel du secteur des semences se trouve confronté. Il lui faut en effet se composer un important stock de semences périssables. L'immobilisation d'un important fonds de roulement et l'investissement dans des moyens de stockage suffisants sont dès lors indispensables. Cela signifie également que le secteur privé doit pouvoir faire jeu égal avec le secteur public ou avec les ONG, ce qui n'est pas toujours possible lorsque ceux-ci subventionnent la production ou la vente de semences.

Les imperfections de l'information

Divers aspects de la réglementation du secteur des semences nécessitent que le secteur public assure certaines fonctions pour résoudre les problèmes potentiels de dysfonctionnement des marchés. Même si elle peut être menée par une instance privée, la certification des semences doit ainsi être commanditée par le secteur public. L'administration doit également réglementer les essais de semences même si des entreprises essayent dans le même temps de se créer une image de marque et d'appliquer leurs propres procédures de contrôle et que des associations de producteurs de semences peuvent offrir ce service à leurs membres.

9.2.3 L'offre de machines et de matériels agricoles

Les imperfections et asymétries d'information posent des problèmes potentiels de dysfonctionnement des marchés. Comme dans le cas des fertilisants, il n'est pas toujours facile pour les agriculteurs d'évaluer la qualité intrinsèque des machines, ce qui pose des difficultés particulières lorsque les biens concernés impliquent un investissement substantiel qui n'est réalisé que très exceptionnellement.

9.2.4 La commercialisation des produits

Lorsqu'on envisage la question de la décentralisation, trois problèmes potentiels de dysfonctionnement des marchés doivent être pris en compte en matière de commercialisation des produits agricoles. La commercialisation est tout d'abord risquée du fait des variations imprévisibles de la valeur du produit causées par les fluctuations des prix et revenus. Ce phénomène peut en outre provoquer une situation d'insécurité alimentaire. Le second problème tient à ce que la sécurité alimentaire peut avoir des effets externes positifs qui justifient certaines formes d'intervention publique. La répartition géographique a enfin pour conséquence que certains petits producteurs isolés manquent d'information et se font exploiter par les commerçants.

9.2.5 Résumé

De nombreux problèmes de dysfonctionnement des marchés influent sur l'offre et la demande des services d'appui à l'agriculture qui sont ici considérés. Les plus courants de ces problèmes se posent dans des situations où l'on rencontre un des éléments suivants ou toute combinaison de ces éléments:

9.3 Les formes pertinentes de décentralisation

9.3.1 Introduction

Comme cela a déjà été mentionné précédemment, dans les pays en développement, il devrait en principe être possible de décentraliser la plupart des services d'approvisionnement en intrants et en matériel et de commercialisation des produits agricoles en libéralisant les marchés, en incitant les organisations du secteur privé ou associatif à proposer de tels services et en améliorant l'efficacité des organismes du secteur public ou en s'en défaisant. Nombre des éléments qui doivent être pris en compte lors d'un tel processus de réforme ont déjà été abordés dans les chapitres 4 et 5. Le «retrait» de l'état a par ailleurs joué un rôle dans les mesures qui ont pu être mises en place jusqu'à présent en incitant notamment:

Même si le secteur privé assume à présent un rôle plus important dans l'approvisionnement en intrants et la commercialisation des produits agricoles, les pouvoirs publics ont encore un rôle essentiel à jouer, tant au niveau central que des collectivités territoriales, afin de créer un environnement favorable aux activités privées. Tirées des expériences menées jusqu'à présent par certains pays ayant conduit ce type de politiques, certaines fonctions à prendre en compte lors du processus de réforme seront maintenant analysées dans le paragraphe 9.3.2. Les besoins éventuels en matière de financement seront abordés dans le paragraphe 9.3.3. L'administration centrale et les collectivités territoriales devant toujours assumer une importante fonction de réglementation, les questions portant sur cet aspect seront abordées au paragraphe 9.3.4.

9.3.2 Le développement des marchés et le soutien au secteur privé et au secteur associatif

Le développement de marchés concurrentiels des intrants agricoles requiert que soient entre autres réunies les conditions suivantes:

Naturellement, pour que le marché concurrentiel des intrants permette une répartition efficace des ressources dans l'économie agricole d'un pays, il faut également que le marché des produits soit effectivement concurrentiel. Quatre conditions doivent alors être réunies:

La nature à long terme du développement des marchés

Le développement de marchés privés opérationnels ne constitue pas un objectif à court terme. Dans de nombreux pays en développement, et notamment dans ceux qui se situent en bas de l'échelle des revenus, il n'existe pas à proprement parler de «secteur privé» capable d'être porteur de nouvelles initiatives et cela prend du temps pour arriver à ce résultat. Dans les pays plus importants où l'économie est plus développée, le secteur privé est par contre dominé par les grands commerçants qui concentrent les activités d'import-export et l'approvisionnement des zones urbaines, domaines où le volume des affaires est le plus important et les marges de bénéfices significativement plus fortes que dans le secteur rural. Dans nombre de zones rurales des pays moyens et sensiblement plus développés, la situation n'est donc pas nécessairement différente de celle en vigueur dans les pays les plus petits et les moins développés.

Dans ces conditions, les politiques visant à développer des marchés ruraux opérationnels doivent être étayées par une vision à long terme. De nouvelles règles et mesures doivent être mises en place et appliquées de façon cohérente et sur la durée. Il s'agit là d'un enjeu majeur qui n'est que rarement abordé correctement. De fait, la persistance des effets externes négatifs des marchés imparfaits et les différents éléments liés à la configuration de pouvoir des institutions publiques impliquées ont d'ailleurs souvent servi de prétexte aux pouvoirs publics pour continuer d'intervenir sur les marchés agricoles à titre prétendument «conjoncturel». Certaines de ces mesures ont ainsi signifié un véritable retour en arrière par rapport à la réforme, décourageant l'initiative privée et compromettant sérieusement les résultats de la décentralisation[64].

La création d'une demande solvable

Avec le temps, les entreprises privées seront amenées à satisfaire la demande solvable en intrants agricoles. Cette demande découle du développement et de la promotion des nouvelles techniques agricoles qui permettent aux paysans d'améliorer significativement leurs résultats économiques. Généralement, cela suppose des actions tant de la part du secteur privé que du secteur public. Les grandes compagnies commerciales spécialisées dans la transformation des produits d'exportation et la production d'intrants partagent le même intérêt de promouvoir la croissance de la demande en intrants car cela permet non seulement de vendre plus d'intrants mais aussi de commercialiser plus de produits agricoles. Ces entreprises peuvent dépasser le niveau estimé des marchés existants et disposent des moyens nécessaires pour y parvenir. Pour être dynamique, le marché des engrais devra, par exemple, être entretenu par le biais de recherches sur la fertilité des sols, sur les réponses des végétaux aux différentes conditions agroécologiques, sur le développement variétal ou encore sur les façons culturales. Dans le cas de «cultures de vente», les distributeurs d'intrants et les acheteurs des produits agricoles sont ainsi impliqués dans les activités de recherche et de vulgarisation. Et ce n'est pas seulement le cas des grandes compagnies multinationales. Au Kenya, par exemple, diverses entreprises privées de taille moyenne impliquées dans la production de semences et l'exportation de produits horticoles sont ainsi maintenant également engagées dans des activités de recherche et de vulgarisation.

Pour promouvoir une augmentation de la demande exprimée des paysans spécialisés dans les productions marchandes, il suffit généralement, au niveau de la recherche et de la vulgarisation, d'analyser les systèmes de culture afin d'identifier les paquets techniques qui intéressent les agriculteurs, et de stimuler la demande en intrants et la production des variétés qui intéressent les acheteurs. Pour les autres paysans, tournés vers les productions vivrières, les problèmes sont sensiblement plus complexes. Une approche en termes de systèmes de production avec de multiples diagnostics participatifs des problèmes et une démarche de sélection sur l'unité de production est alors nécessaire. Mais comme on l'a vu au chapitre 6, il y a peu de chances que de telles activités s'avèrent rentables dans un cadre privé. Diverses formes de financement public ou d'autres institutions seront donc probablement nécessaires.

Le soutien public aux techniques alternatives

L'intervention publique se justifie également lorsque les entreprises privées ont tendance à se limiter à la production et à la distribution de produits qui impliquent un fort niveau de monopole, comme les produits chimiques ou les semences hybrides. Dans de tels cas, les pouvoirs publics peuvent légitimement appuyer le développement de technologies alternatives, telles que la protection intégrée, ou soutenir les producteurs de semences étiquetées de variétés composites et de matériaux sains de plantation de racines et tubercules, car ces techniques peuvent aisément être reproduites par de petits paysans. Comme on l'a vu précédemment, la diffusion du savoir-faire concernant la protection intégrée peut constituer une activité de recherche et de vulgarisation soutenue par le secteur public car elle permet de réduire les externalités défavorables et de renforcer la concurrence sur le marché des techniques de protection des végétaux. Elle répond en outre aux besoins de différents types d'utilisateurs. La meilleure façon pour les pouvoirs publics d'offrir leur appui dépend donc des conditions spécifiques nationales et locales. Dans la majorité des cas, des formes de dévolution au secteur privé ou associatif s'avèrent cependant utiles, le secteur public conservant alors des fonctions telles que le conseil technique, l'offre de semences de produits de base, l'étiquetage par les producteurs et la mise en œuvre de contrôles phytosanitaires par les laboratoires de recherche publics.

En ce qui concerne les questions liées aux services d'approvisionnement en intrants et de commercialisation des produits et notamment la gestion des subventions, les collectivités territoriales ne semblent pas être un lieu de décision réellement adéquat à cause de l'existence d'externalités. Les produits subventionnés dans une zone peuvent en effet être par exemple vendus à prix de marché dans une autre zone.

... au renforcement des capacités

Il y aurait beaucoup à dire concernant le rôle que peut jouer l'administration centrale dans le renforcement des capacités institutionnelles et la formation des OSC (associations paysannes, coopératives locales, ONG) à s'occuper de services d'approvisionnement en intrants et de commercialisation des produits. Les organisations faîtières du secteur associatif peuvent notamment assumer un rôle essentiel pour limiter l'impact des asymétries d'information dont souffrent les agriculteurs et notamment les petits paysans en matière d'achat d'intrants et de vente de produits.

... et à l'amélioration des infrastructures de transport

Une des principales contributions des pouvoirs publics visant à réduire les dysfonctionnements du marché consiste à améliorer les infrastructures de transport. La plupart des spécialistes seraient probablement d'accord pour reconnaître que si les ressources financières et humaines dépensées pour préserver les interventions publiques directes dans la commercialisation des produits, l'approvisionnement en intrants et l'offre de crédit qui leur est associée avaient été utilisées pour améliorer les infrastructures rurales de transport et pour concevoir des mécanismes pertinents d'entretien du réseau des routes secondaires et des pistes, l'histoire du développement agricole et rural des pays en développement aurait certainement débouché sur de meilleurs résultats.

L'offre décentralisée d'infrastructures de transport

La décentralisation permet souvent d'apporter de réponses possibles aux problèmes d'offre d'infrastructures de transport. Dans la plupart des pays, la construction et l'entretien des routes sont en effet généralement de la compétence du Ministères des travaux publics (MTP). Or, normalement, les routes rurales restent hors de la responsabilité de ce MTP, ce qui crée de sérieux problèmes institutionnels, le pouvoir et les ressources nécessaires n'étant finalement attribués à aucune instance en particulier. La construction de nouveaux tronçons routiers par le MTP est en outre généralement déterminée en fonction de l'importance des centres urbains, sans tenir compte du potentiel agricole des zones rurales. Immanquablement, cela conduit à ce que des zones agricoles à fort potentiel, mais dont les infrastructures de transport sont inadaptées, produisent finalement moins et génèrent donc moins de trafic que ce qu'elles pourraient si elles bénéficiaient de meilleures infrastructures. Ce phénomène est bien connu des économistes ruraux et des planificateurs et on dispose sur ce point de nombreuses preuves empiriques de l'impact des programmes des routes rurales sur les productions végétales et animales. De sérieux arguments vont cependant aussi à l'encontre du caractère prioritaire de la construction de ces réseaux secondaires. Sont notamment invoqués les difficultés logistiques et les coûts élevés d'entretien qu'ils occasionnent, en particulier en milieu tropical et équatorial.

Le financement de la construction et de l'entretien de voies de communication rurales

La dévolution des compétences à planifier, construire et entretenir les voies de communications rurales constitue une solution qui a été essayée par différents pays avec l'appui de la Banque mondiale. Dans certains cas, les collectivités territoriales (de niveau régional ou départemental) ont ainsi profité d'une dévolution du financement par le biais d'une subvention égale à la somme versée pour construire et entretenir les voies de communications rurales. Ces subventions ont généralement été financées à l'aide, pour une part, des revenus fiscaux obtenus par l'administration centrale auprès des usagers de la route (via, par exemple, un pourcentage prélevé sur les taxes appliquées au diesel et aux carburants) et, pour l'autre part, des impôts locaux également prélevés auprès des usagers. La collectivité territoriale sous-traite ensuite la conception, la construction et l'entretien auprès de diverses entreprises privées. Les services déconcentrés des ministères techniques fournissent l'appui nécessaire à la collectivité territoriale pour sous-traiter et superviser le travail des consultants et des parties contractantes. Les avantages d'une telle solution sont les suivants:

... par le biais de subventions égales à la somme déboursée par les collectivités territoriales

Cette méthode comporte cependant certains inconvénients qu'il convient de prendre en compte et, si possible, de résoudre. Sont notamment en cause:

En pratique, un certain temps sera donc nécessaire pour rendre ce nouveau système opérationnel et ses résultats risquent de varier sensiblement selon la collectivité territoriale concernée.

... et par des mesures de partenariat avec des OSC

Une autre solution consiste à financer les projets communautaires via une OSC en accordant, dans le cadre de mesures de partenariat, une subvention d'un montant équivalent aux sommes dépensées. Cette démarche apparaît comme particulièrement adaptée lorsque les projets de voies de communication ne concernent que des villages isolés et non un ensemble de villages sachant que, selon le principe de non-superposition des compétences, ce second cas relève plutôt du département. De tels petits projets peuvent être financés à coûts partagés, la communauté fournissant en préalable le travail ou une participation monétaire afin de confirmer son engagement. Les arguments qui vont en faveur de cette solution partent du principe que si les gens sont réellement libres de choisir les projets de route qu'ils souhaitent, ils préfèreront un projet qui profite exclusivement à leur propre communauté. Ayant investi volontairement leurs propres ressources dans la construction de la route, il y a en outre de fortes chances qu'ils prennent soin ensuite de son entretien.

L'aide publique aux communications

Les pouvoirs publics disposent également, comme moyen pour améliorer le fonctionnement des marchés privés, de la possibilité de proposer de meilleurs systèmes de communication. Les moyens de communication de masse (radio, télévision) sont de plus en plus souvent utilisés par les organismes publics de vulgarisation. Les progrès techniques réalisés en matière de téléphonie donnent, par exemple, à des paysans ou des groupes de paysans la possibilité d'utiliser pour un coût raisonnable de petits téléphones portables fonctionnant sur batterie. Cela leur permet d'obtenir dans un cadre privé de précieuses informations sur les prix de leurs produits, sur la demande du marché, etc., et donc de réduire les inconvénients liés aux asymétries d'information. Pour que cela soit possible, il faut cependant que ces services couvrent effectivement les zones rurales.

Les programmes de stabilisation des prix et stocks de régulation

Les fluctuations des prix qui constituent un facteur important de la commercialisation des produits non seulement posent un véritable problème aux paysans mais ont en outre de réelles implications sur les marchés des intrants. Au niveau global, les marchés des produits ont mis en place des institutions très complexes afin d'attirer les investisseurs privés et de limiter les effets négatifs des brusques et irrégulières variations des prix des produits agricoles. On peut ainsi citer en exemple les services globaux d'information par produit, les bourses de marchandises, les produits financiers tels que les marchés à terme ou encore les grandes installations commerciales de stockage. Leur impact global est positif mais les fluctuations des prix restent une caractéristique intrinsèque des marchés internationaux des produits agricoles. L'expérience de la plupart des pays en développement en matière de programme de stabilisation des prix et de stocks de régulation s'est par ailleurs avérée suffisamment négative pour que les tenants des politiques de réforme se prononcent de manière convaincante en faveur de l'abandon de ce type de programmes. L'argument le plus couramment exprimé avance le fait qu'il n'est pas souhaitable de défendre le principe d'une intervention des pouvoirs publics dans les marchés des produits d'exportation car un état n'a pas vraiment les moyens d'influencer plus les marchés globaux que ce que les grandes institutions commerciales font déjà et qu'on court alors un risque considérable de gaspiller des ressources financières limitées.

Y a-t-il moyen de limiter les variations de prix avec une intervention publique minimale?

Sur les marchés domestiques, les fluctuations des prix de produits sont plus prononcées et présentent de brusques variations saisonnières qui combinent les effets des variations inter annuelles. L'instabilité des prix constitue l'un des principaux risques auxquels les producteurs agricoles doivent faire face et le manque d'infrastructures et d'institutions commerciales adaptées apparaît comme une des causes essentielles des dysfonctionnements des marchés des pays en développement, notamment dans le cas des cultures vivrières. L'impossibilité d'assurer la sécurité alimentaire nationale est en outre une véritable menace pour la stabilité politique. Le problème auquel se heurtent les promoteurs des réformes de décentralisation est par conséquent de savoir comment mettre en place des mécanismes efficaces pour limiter les fluctuations des prix agricoles mais qui ne nécessiteront de la part des pouvoirs publics qu'une implication directe minimale. Les politiques de prix de garantie offrent heureusement quelques exemples réussis de gestion par des agents publics. Le BULOG, un organisme public indonésien, contrôle par exemple le prix minimal du riz paddy par des opérations de marché qui portent sur moins de trois pour cent de la production nationale. Il y parvient grâce à un suivi déconcentré du fonctionnement des marchés locaux et grâce à un réseau efficace d'acheteurs qui disposent des ressources nécessaires. Il est vrai que le riz paddy est une culture irriguée dont les variations de la production sont moindres que celles du riz pluvial, ce qui permet de stabiliser les prix plus facilement. Mais l'expérience du BULOG mérite d'être connue. Ceci étant, à quelque niveau qu'elles soient menées, la gestion des stocks de céréales et la stabilisation des prix nécessitent de grandes compétences en gestion, une administration transparente et responsable des opérations, une absence totale de corruption et une profonde connaissance des réactions et des comportements des marchés. Un tel programme ne peut en outre en aucun cas permettre de minorer l'impact de longues sécheresses ou de calamités exceptionnelles.

Le lien entre les programmes communautaires de stockage et la politique de l'administration centrale

Les politiques de décentralisation comportent d'autres expériences réussies. Peuvent ainsi être cités les programmes villageois de stockage communautaire de plusieurs pays africains qui, pour plusieurs d'entre eux, ont effectivement permis d'améliorer les prix au producteur. Le bilan global de ce type d'expériences reste cependant mitigé. Certains ont été mal conçus, mettant surtout l'accent sur la construction de moyens physiques de stockage et non sur les besoins en fonds de roulement, et sans liens réels avec les moyens de financement commerciaux. Plusieurs ont été mis en œuvre dans des zones déficitaires avec un objectif de sécurité alimentaire plutôt que d'amélioration de la commercialisation. Or, ce type de démarche a surtout des chances de fonctionner dans des zones productrices d'excédents où les stocks de céréales des paysans pourront atteindre des prix supérieurs durant la mauvaise saison. Le stockage dans le cadre de groupements offre de réels avantages, notamment la possibilité d'obtenir des crédits auprès des banques commerciales par le biais de procédures de «stocks de garantie» (FAO, 1999), la possibilité de disposer de meilleures informations sur les marchés, ou encore de réduire les coûts de transport en vendant en gros et non au détail. Pour éviter que les stocks publics ne soient vendus au mauvais moment et ne sapent la rentabilité des opérations de stockage villageoises, il est par ailleurs nécessaire de coordonner la politique de gestion des stocks de l'administration centrale avec les programmes communautaires.

9.3.3 Un rôle dans le financement

Les subventions sont-elles justifiées?

En termes généraux, il n'y a guère d'arguments qui justifient l'application par les pouvoirs publics de subventions dans le cas des intrants et du matériel. Il est en outre souvent avancé que ces subventions ne sont pas «adaptées» mais cela tient surtout à la confusion qui est faite entre les «besoins» techniques et la demande exprimée. De nombreux exemples, où des programmes spécifiques par produit sont associés à des mesures de subvention des intrants, prouvent d'ailleurs que cela peut parfaitement fonctionner mais il n'est pas évident de savoir si cela tenait avant tout aux mécanismes de subvention, à l'existence de conditions de marché favorables, d'infrastructures adaptées ou encore au caractère approprié des technologies. D'un autre côté, de nombreux autres exemples montrent que la demande potentielle a finalement été surestimée car les planificateurs du développement agricole sous-estiment régulièrement certains facteurs essentiels à la détermination du niveau de la demande. Parmi ces facteurs, on peut citer les suivants:

9.3.4 Les problèmes de réglementation

Même lorsque les pouvoirs publics se déchargent de leurs responsabilités dans la production, la distribution et le financement des intrants et services de commercialisation, ils conservent un rôle fondamental pour instituer un cadre de réglementation avec des règles[65] permettant de régir le commerce des intrants, matériels et produits agricoles. Ce cadre doit garantir un bon fonctionnement des marchés et limiter l'impact de leurs imperfections. L'examen de ce cadre de réglementation constitue un élément important de toute procédure de décentralisation.

La réglementation commerciale

Dans un système décentralisé de gouvernance et lorsqu'on cherche à mettre en œuvre des politiques économiques libérales, les réglementations qui régissent le commerce jouent un rôle crucial pour créer un environnement satisfaisant. En ce qui concerne les services d'approvisionnement en intrants et en matériel et de commercialisation des produits, les principales questions à aborder sont les suivantes:

La réglementation commerciale peut être administrée à différents niveaux de gouvernance. Classiquement, c'est l'administration centrale qui édicte la réglementation ou, pour le moins, le cadre au sein duquel les réglementations précises seront formulées par d'autres agents. Elle peut également déléguer le pouvoir de mise en œuvre opérationnel à des niveaux inférieurs de gouvernance. Dans certains cas, les compétences en matière de formulation des réglementations peuvent aussi être attribuées par dévolution à des niveaux inférieurs. L'encadré 9.1 propose, dans un but exclusivement d'illustration, certains exemples de décentralisation des tâches et fonctions nécessaires pour remplir les principaux objectifs des réglementations commerciales.

Encadré 9.1 La décentralisation des fonctions de réglementation

Exemple de décentralisation de la fonction de réglementation (conception et application) pour remplir des objectifs politiques sur le marché des produits et intrants agricoles

Objectifs des règles

Niveaux de gouvernance

Administration centrale

Collectivités territoriales

OSC

Services centraux

Services déconcentrés

Agents délégués du secteur public

Information des usagers sur la qualité

Les règles sont formulées au niveau central

Les pouvoirs centraux prennent des mesures contre les contrevenants

Mènent les inspections

Rendent compte des infractions

Peuvent édicter des réglementations si la compétence leur a été déléguée

Mènent les inspections

Rendent compte des infractions

Les associations des consommateurs rendent compte des problèmes et des infractions

Certification de la qualité



Accordent les certifications


Compétence éventuellement dévolue aux organisations professionnelles

Prévention des retombées négatives


Mènent des inspections

Rendent compte des infractions


Peuvent ajouter des réglementations locales

Mènent les inspections

Prennent des mesures contre les contrevenants


Statistiques

L'administration centrale décide des données qui doivent être conservées

Collectent les informations selon des procédures établies

Les organismes de statistique gèrent des banques de données

Collectent les informations directement ou auprès des autres agents

Collectent les informations selon des procédures établies


La fraude et les effets externes négatifs

En matière d'approvisionnement en intrants agricoles, les réglementations commerciales jouent un rôle particulièrement important pour protéger les agriculteurs des pratiques peu scrupuleuses de certains commerçants et pour empêcher ou réguler certaines externalités négatives. Il n'est pas simple du tout d'arriver à instaurer des règles pertinentes, notamment lorsqu'elles soulèvent des questions techniques complexes. Et leur mise en œuvre n'est pas facile non plus. Il vaut donc souvent la peine de se contenter d'une bonne réglementation qui reste simple mais qui pourra aussi être résolument appliquée. Il est en outre parfois utile de décentraliser sa mise en œuvre et d'accorder un certain degré de dévolution aux organisations professionnelles et aux associations de consommateurs pour améliorer l'efficacité de la réglementation. L'existence de règles trop nombreuses, ou trop vagues, ou encore confuses ou même contradictoires peut par ailleurs avoir des effets dévastateurs. Une sur-réglementation débouche ainsi généralement sur des résultats exactement à l'opposé des objectifs recherchés par l'autorité de réglementation. Cela se traduit couramment par le fait que moins la décentralisation est poussée, plus les réglementations sont nombreuses et plus les procédures à appliquer sont complexes. Dans le même temps, les possibilités d'abus de la part de fonctionnaires publics sont alors multipliées.

Trois questions spécifiques qui concernent la réglementation commerciale méritent une attention particulière, à savoir:

Les licences

Tous les pays du monde ont mis en place des licences commerciales. Mais dans une perspective de bonne gouvernance, il faut que les procédures d'obtention de ces licences soient simples, transparentes et équitables. Or les critères appliqués jusqu'à présent étaient plutôt opaques et s'accompagnaient de délais exagérés. Dans le secteur agricole, les redevances et documents exigés par l'administration pour émettre une licence constituent souvent par ailleurs un sérieux obstacle pour les petits négociants. Selon le principe de subsidiarité, on peut en outre penser que la responsabilité de l'émission des licences devrait normalement être confiée à des unités locales déconcentrées de l'administration centrale ou dévolue aux collectivités territoriales dans le but d'éviter la «paperasserie» et les délais excessifs dans le traitement des demandes.

La réforme des procédures administratives

Dans de nombreux pays, la libéralisation du marché et la privatisation n'ont pas toujours été accompagnées par une réforme des procédures administratives. De plus, même lorsque de profondes modifications des procédures et politiques ont été mises en œuvre, les informations nécessaires n'ont pas toujours été diffusées, ni transparentes. Or, tant que les procédures ne sont simplifiées et que la population n'est pas correctement informée au sujet des changements, il n'y a aucune raison qu'on arrive à réduire les délais, les coûts de transaction (de type formel ou informel) ou les autres facteurs qui limitent la portée des politiques économiques de libéralisation. Les positions de monopole des bureaucraties ne sont par conséquent pas sérieusement remises en cause, ce qui fait que le secteur privé a peu de chances d'arriver à jouer effectivement le rôle qu'on attend de lui. Dans un système démocratique de gouvernance, les pouvoirs publics ont pour responsabilité de rendre intelligibles et de faire connaître à tous les règles et réglementations, or un tel rôle va bien au-delà d'une simple publication dans un journal officiel par ailleurs souvent difficilement trouvable, même dans la capitale des pays développés. Lorsque les cadres locaux sont effectivement responsables de leurs activités devant une base politique locale, la déconcentration et la dévolution peuvent alors aider à réduire ce risque.

Traiter la question des effets externes négatifs

Cet objectif requiert que les utilisateurs d'intrants soient correctement informés des effets externes potentiellement négatifs des produits qu'ils essayent d'utiliser sur la durabilité de leurs ressources. Il s'agit là principalement d'un problème de contenu de la vulgarisation qui ne peut cependant pas être confié aux distributeurs de produits car cela susciterait alors un conflit d'intérêt. Cela implique également que les utilisateurs soient clairement et pleinement informés des caractéristiques spécifiques et des effets contraires qu'une utilisation inappropriée du produit ferait peser sur leur santé (dans le cas, par exemple, de poisons) ou sur la santé des animaux et végétaux. Un tel résultat peut en partie être atteint si les produits sont correctement étiquetés et si les distributeurs chargés de la commercialisation des produits ont une politique transparente de communication. L'administration a, à cet égard, une responsabilité politique générale vis-à-vis des commerçants et des fabricants qu'elle doit appliquer sans faillir. Les services de vulgarisation ont par ailleurs comme tâche spécifique de mettre en garde les paysans illettrés contre les produits dangereux qui (légalement ou pas) circulent sur le marché.

La protection des droits des utilisateurs

La protection des droits des utilisateurs est particulièrement importante dans le cas des semences car la qualité de ces produits constitue une composante essentielle du prix fixé par les fabricants et un élément du choix des consommateurs lors de l'achat. Ceci étant, les caractéristiques extérieures du produit ne rendent généralement pas compte de sa qualité, ce qui facilite la fraude. Il est par conséquent de la responsabilité des pouvoirs publics de réglementer la qualité des semences commercialisées sur le marché. Les règles qui seront alors édictées dépendent des choix effectués quant à la stratégie à suivre pour améliorer le contrôle de la qualité et, suivant le principe de spécialisation, de leurs conséquences organisationnelles en matière, par exemple, de délégation à des agents autonomes. Les quatre principales options auxquelles seront confrontés les décideurs politiques sont synthétisées dans l'encadré 9.2. Elles dépendent cependant de l'espèce considérée.

Encadré 9.2 Les options stratégiques concernant le contrôle de la qualité des semences

· La certification par un organisme public spécialisé. Un organisme de réglementation du secteur public est mis en place pour inspecter les champs des producteurs de semences, prélever des échantillons de leurs produits et garantir certains facteurs tels que la variété, la pureté du produit, les taux de germination, etc., selon des normes fixées par la loi. Cette option est particulièrement coûteuse, n'offre que peu de flexibilité dans la fixation des normes, n'assure qu'une couverture limitée et laisse le champ libre à la corruption.

· La certification par des organismes privés indépendants. Certains producteurs et consommateurs peuvent préférer obtenir des semences certifiées par une équipe technique privée indépendante. Cette option permet la flexibilité et la transparence des normes. La charge financière pour l'état est limitée car ce sont les groupes de producteurs et de consommateurs qui assument le coût de la certification selon des accords privés de partage des coûts. L'efficacité de cette option dépend du niveau de compréhension par les consommateurs de l'intérêt des services de certification. L'état doit cependant garantir les normes professionnelles des équipes privées de certification des semences par le biais de licences et de fréquents contrôles systématiques de leur respect des normes professionnelles reconnues.

· Les semences de qualité déclarée. Les producteurs de semences et les commerçants qui souhaitent vendre des semences de qualité déclarée fixent leurs propres méthodes de contrôle et divulguent les normes (de qualité) des produits qu'ils vendent. Chaque année, les agents publics chargés de la réglementation prélèvent, de manière tournante, de petits échantillons sur les parcelles de production de semences et dans les points de vente afin de tester la véracité des déclarations. Cette option est encore moins coûteuse pour l'état et pour les utilisateurs que les options précédentes, elle permet une certaine flexibilité des normes et une large couverture et elle favorise la propagation des compétences en contrôle de qualité au sein du secteur des semences. Elle requiert une bonne mise en œuvre des méthodes de contrôle systématique, une application claire des règles et des techniques de mise en œuvre constantes.

· L'étiquetage conforme. Les normes minimales à satisfaire peuvent être établies par l'organisme de réglementation ou laissées à la discrétion des producteurs de semences. Les producteurs sont censés garantir la qualité des produits qu'ils annoncent de sorte que les normes puissent varier et les prix des produits refléter ces variations, ce qui facilite une meilleure adaptation aux demandes des différents clients. Les consommateurs sont censés contrôler les performances de produits et transmettre leurs doléances à l'organisme de réglementation qui joue un rôle de supervision globale par des contrôles systématiques. Dans le cas où les produits ne correspondent pas à ce qui est annoncé, le tribunal est habilité à régler les différends entre consommateurs et producteurs même si cette possibilité a toutes les chances de ne pas être d'une grande aide aux agriculteurs des pays en développement. Dans le cadre de cette option, le coût des contrôles de qualité est assumé par les producteurs de semences et le coût de la supervision qui incombe à l'organisme public de réglementation reste limité.

Source: Carney (1998) et parmi d'autres références FAO (1995).

Autres méthodes de réglementation

Une nouvelle approche se dessine actuellement quant à la façon d'aborder le rôle de l'administration dans le contrôle des résultats et de la qualité. Elle repose sur des arguments économiques néoclassiques et sur certaines observations empiriques en matière de coûts et d'avantages de la fonction de réglementation[66]. Dans cette optique, les réglementations ont un coût direct pour l'état et les distributeurs (les salariés du secteur public coûtent de l'argent, les fabricants qui traitent les procédures dépensent certaines sommes), qui peut, ou non, être comparé aux bénéfices obtenus. Certaines réglementations peuvent donc déboucher sur un résultat net négatif. Par exemple, retarder longuement l'introduction de nouveaux produits jusqu'à ce que tous les tests de résultats et de qualité soient menés à bien priverait ainsi les utilisateurs des gains considérables qu'ils pourraient obtenir s'ils pouvaient utiliser les produits et découragerait les fabricants privés de chercher à développer de nouveaux produits.

Gisselquist et al. (1999) concluent à partir d'études de cas nationales (réalisées au Bangladesh, en Inde, en Turquie et au Zimbabwe) que les résultats semblent indiquer que les bénéfices dérivant de la réglementation des performances et de la qualité sont faibles alors que les coûts (coûts immédiats de renoncement) seraient significatifs. Ils en déduisent par conséquent que «le niveau optimal de ce type de réglementation est égal à zéro». La réglementation pourrait cependant produire d'autres bénéfices, notamment lorsqu'elle permet d'empêcher ou de réduire certains effets externes nettement défavorables. Il semblerait donc que la fonction de réglementation doive être limitée à ces derniers cas et aux situations où il s'agit d'empêcher d'éventuelles fraudes. Le marché tiendrait donc généralement compte des performances et de la qualité en pénalisant les fabricants des produits bas de gamme. L'encadré 9.3 présente la stratégie de réglementation qui pourrait découler de cette analyse.

Une politique de ce genre devrait normalement empêcher que, dans de nombreux pays en transition ou en développement, des agent chargés de la réglementation, qui se méfient des entreprises privées et méconnaissent les mécanismes de marché, n'empêchent l'accès de nouveaux intervenants sur ce marché, ne freinent la concurrence et ne rendent les agriculteurs totalement dépendants de la recherche publique sur les nouvelles technologies et de l'appréciation que ces mêmes agents portent sur la qualité des intrants.

La pertinence de cette stratégie par rapport aux diverses conditions spécifiques dépend cependant essentiellement du niveau de développement atteint par le marché. Elle ne semble opérationnelle que dans le cas d'agriculteurs pleinement insérés dans l'économie de marché, pour des produits techniques vendables et dans le cas de marchés fonctionnant parfaitement. On a de bonnes raisons de penser qu'elle sera nettement moins efficace dans le cas de petits marchés segmentés où les acheteurs subissent des problèmes d'asymétrie d'information et dans le cas de produits techniques non-vendables.

Encadré 9.3 Une stratégie de réglementation pour les fabricants d'intrants?

· Permettre aux différents types de nouvelles entreprises - des petites entreprises locales aux multinationales - de développer une production d'intrants et de la commercialiser à n'importe quel niveau, en se fondant sur de simples exigences objectives (par exemple l'inscription fiscale) comme pour tout autre secteur.

· Permettre aux entreprises de commercialiser des intrants qui impliquent de nouvelles technologies sans avoir à obtenir d'approbation officielle fondée sur des tests de résultats ou sur toute autre procédure qui nécessite du temps, de l'argent ou un jugement subjectif (sauf lorsque des effets externes défavorables sont susceptibles de se manifester comme dans le cas de pesticides conventionnels à hauts risques).

· Permettre aux entreprises de gérer la qualité des intrants et aux agriculteurs de décider de la valeur de cette qualité et des différentiels de qualité en imposant un étiquetage incontestable afin de s'assurer que les marchés transmettent une information correcte (sauf lorsque des effets externes défavorables sont susceptibles de se manifester comme dans le cas de pesticides comportant des impuretés dangereuses et des vaccins pour le bétail qui peuvent provoquer ou diffuser des maladies transmissibles au sein du cheptel).

· Renforcer et recentrer les contrôles sur les menaces réalistes qui peuvent découler des effets externes néfastes.

Source: Gisselquist et al. (1999).

9.4 Conclusions

Même si la plupart des intrants et produits agricoles peuvent être classés en tant que biens privés, leur offre présente certaines caractéristiques qui requièrent certaines formes permanentes d'intervention publique. Même s'il semble approprié dans la plupart des cas de mener une décentralisation qui conduise à des cessions en faveur du secteur privé, la décentralisation sous forme d'une déconcentration ou d'une dévolution vers des niveaux d'administration inférieurs apparaît par conséquent comme préférable pour certains services ou certaines de leurs composantes. Dans plusieurs cas, le partenariat et le soutien aux OSC apparaissent en outre comme la meilleure voie à suivre. L'encadré 9.4 synthétise de manière simplifiée l'impact de la décentralisation sur les principales fonctions des services d'approvisionnement en intrants et de commercialisation des produits.

Un des rôles essentiels des pouvoirs publics est de s'assurer de l'existence d'un cadre de réglementation pertinent. Plusieurs des ses éléments peuvent cependant être décentralisés d'autant que les publications récentes semblent indiquer que les OSC sont en mesure de jouer un rôle plus important qu'auparavant par le biais de mécanismes d'auto-réglementation.

Encadré 9.4 L'impact de la décentralisation sur les fonctions d'approvisionnement en intrants et de commercialisation des produits

Intrants et services

Biens privés

Autres biens

Cession

Réglementation

Décentralisation de l'administration publique

Partenariat avec les OSC

Intrants agricoles

  • Fertilisants

  • Produits chimiques

  • Matériel

Production et distribution par le secteur privé

Renforcement du rôle politique et de réglementation de l'état

Garantit la concurrence

Empêche les effets externes néfastes

Promotion de technologies alternatives non-vendables

Appui aux commerçants privés

Appui aux associations d'usagers

Semences

Hybrides

Certification des semences

Garantit la concurrence

Semences à pollinisation libre: retrait de l'administration centrale de la production, renforcement des contrôles de qualité

Petits paysans qui passent des contrats avec les multiplicateurs de semences

Commercialisation des produits

Retrait de l'administration

Garantit la concurrence

Amélioration des infrastructures de transport

Amélioration des systèmes de communication

Appui aux organisations de producteurs


[63] Les engrais subventionnés peuvent cependant être utilisés sur des cultures non-vivrières et alors ne pas avoir d’effets sur la production vivrière.
[64] Voir l’encadré 7.1.
[65] Dans ce contexte, la notion de «règles» renvoie aux lois votées par le Parlement et aux réglementations édictées par l’administration publique en application de la loi. Des réglementations spécifiques fixent les procédures qui doivent être appliquées pour respecter la loi tant par un citoyen quelconque qui souhaite entreprendre une activité que par les fonctionnaires chargés de faire respecter la loi par les citoyens qui entreprennent ces activités.
[66] Gisselquist et al.(1999).

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