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4. Aperçu technique: le défi de l’approvisionnement alimentaire des villes d’Asie


Pourquoi est-il urgent de résoudre le problème posé par l’approvisionnement alimentaire des villes - et des villes d’Asie en particulier? Le lecteur trouvera, dans cet aperçu technique, les données de base concernant les mouvements d’urbanisation, en particulier dans la région asiatique, et leur importance pour les systèmes urbains d’approvisionnement et de distribution alimentaires (SADA). Puis il trouvera une description des effets produits par le développement rapide des cités asiatiques sur les schémas de consommation alimentaire des citadins. Il trouvera ensuite un exposé des problèmes spécifiques liés aux SADA, depuis la production alimentaire périurbaine jusqu’aux marchés de gros. Les dernières sections sont axées sur la gestion des déchets d’origine alimentaire, de même que sur la nécessité d’élaborer des politiques et des programmes tournés vers l’approvisionnement et la distribution alimentaires (ADA) dans les villes d’Asie, et enfin sur la coopération technique Nord-Sud et Sud-Sud entre les différentes autorités municipales et locales (AML).

4.1 Le contexte

Il ne fait pas de doute que la question de l’approvisionnement alimentaire de la population croissante des villes de la planète, notamment celles du Sud, doit être résolue avec la plus grande urgence. Or, les solutions simples n’existent pas, et les politiques ou les mesures d’application concernant l’approvisionnement alimentaire des citadins doivent prendre en compte les aspects qui vont de la productivité agricole jusqu’aux technologies post-récolte, en passant par la commercialisation et la distribution, ou encore la sécurité sanitaire des aliments et le niveau de revenu des consommateurs. Ces préoccupations débordent le cadre de compétence géographique des AML pour atteindre le niveau national et, en fin de compte, l’échelle planétaire. De plus, les préoccupations liées à l’approvisionnement et à la distribution alimentaires sont étroitement liées à des thèmes plus larges touchant aux volets socioéconomique, politique et culturel; de ce fait, toute réflexion devra les associer à l’élaboration de politiques dans toute une gamme de secteurs. Les défis ne manquent pas, même si cette situation n’est pas sans ouvrir aux intéressés de nombreuses voies de coopération tournées vers un approvisionnement alimentaire efficace et équitable des villes de notre monde. Trois raisons militent principalement en faveur d’une optique urbaine pour la solution des problèmes de SADA et de sécurité alimentaire des défavorisés. Le monde connaît un phénomène d’urbanisation rapide. Selon les estimations des Nations Unies, d’ici 2005, plus de la moitié de la population de la terre vivra dans des zones définies comme «urbaines» - les définitions variant d’un pays à l’autre. Certes, l’expansion du tissu urbain a aussi des causes naturelles, mais elle découle en grande partie du phénomène migratoire qui a poussé vers les villes les habitants des campagnes à la recherche de conditions d’existence moins précaires et de nouvelles perspectives. Or, les habitants des villes doivent pouvoir trouver de l’eau, de la nourriture et des circuits d’élimination des déchets alimentaires, outre les besoins traditionnellement reconnus comme le logement, l’emploi, le transport et l’instruction.

Par ailleurs, le phénomène de la pauvreté gagne lui aussi rapidement du terrain dans les villes. Une bonne partie des pauvres de notre planète migre vers les villes à la recherche de sources de revenu. Souvent, les citadins pauvres souffrent de malnutrition, en raison principalement de la faiblesse de leur pouvoir d’achat et du prix élevé des denrées alimentaires. De ce fait, la pauvreté en milieu urbain, ainsi que le problème connexe de la sécurité alimentaire constituent une préoccupation de premier plan pour les autorités locales et les autres entités concernées.

Figure 4.1: La Croissance démographique dans les villes d’Asie

Source: CNUEH, 1996.

La disparition des terres arables est une conséquence directe de l’urbanisation. En effet, les villes sont généralement implantées dans des régions propices à l’agriculture, si bien que l’expansion du tissu urbain provoque un empiétement graduel sur les terres cultivables périurbaines. Parallèlement, la croissance des villes met à contribution les terres agricoles restantes dans les régions rurales plus éloignées. Or, il est parfois difficile de répondre à de telles sollicitation par suite des carences de la productivité, des problèmes de transport et d’entreposage et du fait que l’activité agricole ne cesse de perdre de sa rentabilité économique dans de nombreuses régions du monde. L’urbanisation rapide, les taches de pauvreté qui ne cessent de s’élargir sur le tissu urbain, l’insécurité alimentaire qui en découle, ainsi que la disparition de terres agricoles productives sont, par conséquent, des problèmes de premier plan pour les villes de l’Asie, région la plus peuplée du monde puisqu’on y trouve plus de la moitié de l’humanité. Selon les estimations, d’ici 2015, 16 des 26 villes du monde ayant une population supérieure à 10 millions d’habitants seront situées en Asie. On trouve déjà dans l’est, le sud-est et le sud de l’Asie certaines des agglomérations les plus importantes de la planète. La population urbaine de l’Asie est en croissance rapide. Ainsi, le nombre des citadins chinois augmente de 15 millions chaque année, et celui des citadins de l’Inde d’environ la moitié de ce chiffre (FAO, 2000b). Comme l’indique la figure 4.1, des villes comme Dhaka, Delhi, Karachi, Séoul et Beijing dépassent toutes les 10 millions d’habitants, alors que Shanghaï en compte plus de 15 millions.

Cependant, les villes d’Asie présentent une grande variété de caractéristiques socioéconomiques, géographiques et politiques, et une gamme variée de préoccupations et d’expérience. On ne saurait, par exemple, faire abstraction des différences d’ordre politique, économique et culturel qui forment le contexte des villes d’Asie occidentale comme Amman, relativement à des villes comme Manille ou Séoul. Toutefois, on note des similitudes au niveau des SADA de villes d’Asie apparemment différentes, et ces similitudes de même que les contrastes peuvent être exploités aux fins de la coopération technique.

Entre 20 et 40 pour cent des habitants des villes d’Asie appartiennent à la catégorie des pauvres (FAO, 2000b). Parallèlement, la croissance économique rapide de certaines villes de la région a entraîné la constitution d’une nouvelle classe moyenne, qui alimente la hausse du coût de la vie dans les métropoles - ce phénomène persiste même après les effets dévastateurs de la crise économique asiatique de 1997. Bangalore et Bangkok illustrent parfaitement le fossé entre les riches et les pauvres, car les différences de revenu d’un groupe à l’autre y sont très marquées. Cette disparité ne manque pas d’affecter le prix des denrées alimentaires, ainsi que les schémas de consommation, comme démontré dans la prochaine section.

Tous les aspects de l’approvisionnement alimentaire, qu’il s’agisse de la distribution, de la consommation ou de la gestion des déchets, comportent une considération omniprésente: la sécurité sanitaire des aliments et l’hygiène du milieu ambiant. Il faut rappeler que les risques de contamination des denrées alimentaires sont encore plus poussés dans les zones chaudes et humides, comme celles de l’Asie des moussons, qui constituent des foyers de reproduction idéaux pour les bactéries aquatiques ou celles contenues dans les aliments.

Figure 4.2: Augmentation de la demande alimentaire dans les villes d’Asie, 2000-2010

Source: FAO, 2000b.

Table 4.1: Consommation de poisson dans un échantillon de villes d’Asie

Villes

Population
de la ville
relativement
à la population
nationale (%)

Consommation de protéines animales
par habitant, échelle nationale

Consommation
nationale
de poisson
par habitant
(kg/an)

Total
grammes/jour

Dont poisson
grammes/jour

Pourcentage
du poisson
relativement
au total

Bangkok

10

22.9

9.6

41.9

32.5

Beijing

1

23.1

5.4

23.1

22.2

Colombo

3

11.9

6.1

51.6

18.1

Dhaka

5

5.9

2.8

48.0

9.5

Djarkarta

4

11.5

5.9

51.4

17.4

New Delhi

0.3

9.7

1.3

13.7

4.3

Kuala Lumpur

6

25.2

15.3

35.4

55.0

Manille

12

43.1

12.5

49.4

33.4

Séoul

100

56.3

9.3

16.6

31.9

Singapour

9

55.2

26.0

47.1

70.9

Tokyo

2

35.2

15.8

44.9

51.1

Asie

24

18.8

4.9

26.2

17.2

Monde


26.4

4.5

16.4

16.3

Source: Ruckes, 2000, p. 1-2. bactéries aquatiques ou celles contenues dans les aliments.

4.2 La consommation alimentaire

L’urbanisation rapide a pour conséquence naturelle d’augmenter la demande de nourriture en général, et de certaines catégories d’aliments en particulier. Dans la présente section, le caractère dynamique des schémas de consommation alimentaire urbains, notamment en ce qui a trait aux villes d’Asie est mis en évidence.

4.2.1 Questions générales liées à la demande alimentaire

La figure 4.2 propose des estimations concernant l’augmentation des besoins alimentaires des villes d’Asie au cours des dix prochaines années[4]. Selon les pronostics de la FAO, la demande de céréales augmentera de plus de 11 millions de tonnes au cours des dix prochaines années, ce qui représente près de la moitié (49 pour cent) de l’augmentation totale de denrées vivrières à l’état brut. Le chiffre concernant les céréales est suivi d’une augmentation combinée de près de 8 millions de tonnes des fruits et légumes; quant au reste de la demande alimentaire, elle est attribuable aux racines et tubercules (2,2 millions de tonnes), puis aux viandes (1,9 million de tonnes). On obtient ainsi une augmentation globale de plus de 23 millions de tonnes de denrées alimentaires. Or, cette nourriture est le résultat d’activités agricoles, d’entreposage, de transformation et de distribution aux niveaux intermédiaires puis, au niveau du consommateur final. Or, dans la plupart des villes d’Asie, et notamment dans les économies pauvres, les carences de l’infrastructure ne permettent guère de faire face à une augmentation de la demande.

Dans le même ordre d’idées, comme l’indique le tableau 4.1 ci-avant, les Asiatiques consomment davantage de poisson par habitant que la moyenne des habitants de la planète, soit 17,2 kg selon les estimations. En outre, on prévoit que cette consommation devrait augmenter, si bien que le déclin des stocks mondiaux de poisson vivant à l’état sauvage ne manquera pas de rendre plus difficile la satisfaction de ce besoin, à laquelle l’aquaculture devrait apporter une importante contribution.

Parmi les produits d’origine animale dont le besoin ira croissant au cours des 10 prochaines années, citons la viande, les œufs et les produits laitiers. La demande de produits d’origine animale connaît une augmentation constante dans les villes d’Asie. Partout, les œufs font l’objet d’une demande soutenue, tandis que la consommation d’autres produits d’origine animale varie d’une région à l’autre, l’Asie du Sud occupant la première place pour les produits laitiers, tandis que la viande et le poisson sont de plus en plus recherchés en Asie de l’Est et en Asie du Sud-Est.[5] À l’intérieur de la région, on observe d’autres différences: ainsi, l’Asie du Sud consomme moins de fruits et légumes frais que l’Asie de l’Est et l’Asie du Sud-Est; les schémas de consommation varient également en ce qui concerne certains types de viande, notamment le porc et le bœuf (voir Inoue et Titapiwatanakun, 2000).

4.2.2 La diversité des modes de consommation urbains et ruraux

Les schémas de consommation alimentaire en milieu urbain sont, en eux-mêmes, complexes et variés (voir Aragrande et Argenti, 2001: Chapitre 2). À l’exception des agriculteurs de la frange périurbaine, la plupart des citadins ne pratiquent pas l’autoconsommation de produits animaux ou végétaux. En d’autres termes, en dépit de l’importance prise par la production alimentaire urbaine et périurbaine, la plupart des citadins doivent, pour obtenir de quoi manger, passer par une transaction dont le truchement est généralement l’argent. Plusieurs facteurs liés aux schémas de consommation alimentaire des ménages urbains établissent une distinction relativement aux habitudes alimentaires prévalant dans les campagnes. «Selon les estimations de la FAO, ces ménages dépensent entre 60 à 80 pour cent de leur budget pour la nourriture, soit 30 pour cent de plus que les ménages ruraux» (Argenti, 2000, p. ii).

Encadré 4.1: «Les boutiques prix équitables» de Delhi (Inde)

La majorité de la population de Dehli obtient des livraisons mensuelles de blé, de riz et de sucre par le biais des boutiques prix équitables gérées sous l’égide de l’administration locale. Ces dizaines de milliers de boutiques Prix équitables sont approvisionnées par les entrepôts de la Dehli Food and Civil Supplies Corporation, laquelle est à son tour ravitaillée par trois ou quatre grands entrepôts de la Food Corporation of India. Ces débits fournissent leurs denrées à plus de 2,5 millions de porteurs de cartes à des prix fixes et subventionnés. Compte tenu des contrôles bureaucratiques exercés sur l’achat et la distribution de ces denrées, le niveau de service, de même que la qualité et la satisfaction des consommateurs restent médiocres. Toutefois, les prix y étant inférieurs à ceux des marchés, ces boutiques sont prises d’assaut par les pauvres des villes, les petits salariés, etc. (version révisée de Jakhanwal, 2000: p. 3).


Encadré 4.2: Consommation alimentaire à Hanoï (Viet Nam)

Au cours des dernières décennies, les schémas de consommation alimentaire ont évolué à Hanoï. Le régime alimentaire du passé, basé sur les denrées telles que le riz, le maïs et les tubercules, les légumes et les haricots, a évolué vers une alimentation englobant davantage de viande, de poisson, d’œufs, de lait, d’huile et de matières grasses, de confiseries et de boissons gazeuses, ainsi que de produits alimentaires en conserve et transformés. Les repas préparés à la maison ont été graduellement remplacés par ceux pris au restaurant ou dans la rue. Les repas consommés au domicile incorporent à présent des produits alimentaires de transformation tels que les saucisses, les pâtes instantanées et les nouilles de riz, avec également l’introduction récente de produits alimentaires de transformation industrielle. La demande en expansion d’une nourriture cuisinée de haute qualité a favorisé la croissance, dans la ville de Hanoï, de «marchés de la restauration» servant des repas complets, mais la demande est encore loin d’être satisfaite (Quang et Argenti, 1999: p. 1).

Il existe, pour les citadins pauvres, un lien étroit entre la sécurité alimentaire et leur pouvoir d’achat, ou encore leur capacité à gagner un revenu suffisant pour euxmêmes et pour leurs familles. En conséquence, il y a lieu de considérer l’obtention de moyens d’existence viables pour les catégories pauvres des villes comme un problème relevant de la sécurité alimentaire.

Les catégories vulnérables de citadins sont: les chômeurs, les nouveaux migrants, les mères célibataires avec enfants à charge, les retraités, les personnes handicapées et les personnes âgées sans soutien familial, les autochtones, les minorités ethniques, les travailleurs du secteur formel dont le revenu est en déclin ou instable, et ceux qui dépendent d’activités «saturées» du secteur informel (Argenti, 2000, p. 5).

Il est une question fondamentale qui se rattache à la sécurité alimentaire des pauvres des villes, et c’est l’accès à une eau salubre. Or, cet aspect de la sécurité alimentaire est souvent pris pour acquis par la classe moyenne.

4.2.3 La diversité des schémas de consommation alimentaire des citadins

On trouve, dans les villes, un large éventail de types de nourriture, mais aussi d’habitudes de consommation, dont découle l’existence d’une myriade de commerces de détail. Les différentes typologies de comportement des consommateurs sont liées à des facteurs tels que le revenu disponible, les itinéraires domicile-travail, le travail rémunéré des femmes hors du foyer, les facteurs politiques, l’accès à la terre pour la production vivrière et, entre autres, les habitudes culturelles. Reprenons de façon détaillée chacun de ces facteurs.

Lorsqu’on cherche à comprendre les habitudes qui régissent l’achat de denrées alimentaires, le revenu disponible constitue l’un des paramètres les plus décisifs. La disponibilité de revenus augmente les options offertes aux consommateurs. Les citoyens asiatiques aisés sont mieux à même de fréquenter les supermarchés et les centres d’achat de style occidental ainsi que les «box stores» de création récente, qui vendent des produits alimentaires et articles ménagers non étiquetés dans les villes comme Bangkok et Manille. Par ailleurs, les classes moyenne et supérieure, de même parfois que leurs employés domestiques, fréquentent également les marchés traditionnels et les étals de rue. Quant aux pauvres des villes, leur choix de lieux pour se ravitailler est limité. Ils consacrent une plus grande part de leur revenu à l’achat de nourriture, souvent parce qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter en grande quantité, et ces achats exigent davantage de temps et d’efforts. La faiblesse du revenu des citadins pauvres explique en partie l’apparition d’établissements tels que le «sari-sari store» philippin, mercerie-épicerie où se vendent notamment des denrées alimentaires, en quantités minimes et souvent à crédit.

Les habitudes alimentaires des consommateurs sont également conditionnées par l’itinéraire domicile-travail. De plus en plus de citadins asiatiques vont gagner leur vie à une grande distance de leur foyer. Cette distance rend difficile la prise des repas à la maison, en particulier le déjeuner, d’où une demande de nourriture bon marché pour le repas de midi. Par ailleurs, les embouteillages rendent plus difficile de dîner chez soi. Les problèmes de circulation, conjugués à l’évolution du rôle des femmes, stimulent la demande de repas à emporter, mais favorisent aussi les restaurants et les autres commerces de détail, comme les vendeurs de rue.

L’intégration participation des femmes à la population active affecte directement la nature de la consommation alimentaire. Étant donné que les femmes ont généralement la principale responsabilité, au sein du foyer, en ce qui a trait à la nourriture, y compris les achats, la cuisine et le nettoyage, la participation à des activités rémunérées stimule la demande de produits alimentaires à valeur ajoutée qui économisent du travail. En Asie du Sud-Est, où l’on trouve dans la plupart des pays un taux élevé de travail féminin même pendant les années de fécondité, on a vu se développer des «fast food» traditionnels, tels que les «plats à emporter», les traiteurs et les commerces de rue.

Les facteurs politiques tels que les initiatives gouvernementales visant à subventionner des denrées alimentaires et autres mesures d’aide sociale s’appuyant sur la nourriture, affectent la capacité d’achat des consommateurs pauvres. Les subsides sont plus représentatifs des économies socialistes, comme celles du Viet Nam ou de la Chine, et l’on peut s’attendre à un déclin des subventions aux produits alimentaires par suite de la libéralisation de la plupart des économies centralisées.

Les modalités d’accès à la terre aux fins de l’agriculture périurbaine et de la tenue de potagers urbains influencent la capacité de production vivrière des ménages, qu’elle porte sur les fruits et légumes ou sur les œufs et produits laitiers ou encore sur la viande provenant du bétail. Il est fréquent que l’on observe, dans les agglomérations urbaines du Sud, tout un éventail d’activités de production alimentaire.

Enfin, les habitudes culturelles ont une influence déterminante sur nombre de facteurs déjà évoqués ici, et conditionnent en outre le choix des aliments, son contexte et les acteurs de ce choix. La dimension culturelle des habitudes alimentaires est notamment illustrée par les modes de consommation des jeunes gens aisés des villes et par l’attraction qu’exercent sur eux les «fast food» occidentaux et les habitudes importées de l’étranger. Relativement aux régions rurales, de tels exemples sont représentés de façon disproportionnée dans les secteurs urbains, où les innovations culturelles se font fortement remarquer.

4.2.4 Problèmes et perspectives touchant le consommateur urbain d’Asie

Le citadin asiatique doit faire face à trois principales préoccupations en tant que consommateur. La première concerne le coût croissant de la nourriture, notamment pour les citadins pauvres; la deuxième a trait à la sécurité sanitaire des aliments et à la nutrition; la troisième touche à la nécessité d’obtenir une plus grande variété et une meilleure qualité de produits transformés ou à valeur ajoutée, afin de répondre à la demande de produits alimentaires nécessitant peu de préparation. Dans ce contexte, les associations de consommateurs bien organisées peuvent jouer un rôle important en attirant l’attention des autorités gouvernementales comme du secteur privé sur ces trois préoccupations.

L’augmentation du prix des denrées alimentaires des villes d’Asie est une conséquence directe de l’inefficacité des mécanismes d’approvisionnement et de distribution alimentaires et des carences correspondantes de l’infrastructure de distribution. L’insuffisance des liaisons entre les régions rurales et les agglomérations urbaines ont pour conséquence un taux élevé de détérioration des denrées qui réduit le volume du ravitaillement tandis que les prix augmentent. Selon de nombreux experts, on pourrait obtenir une réduction sensible des prix des denrées alimentaires en améliorant la distribution et en introduisant des technologies post-récolte.

Les difficultés liées à la sécurité sanitaire des aliments et à la nutrition sont axées sur l’hygiène des matières premières et des produits transformés vendus sur les marchés publics, dans la rue ou dans les restaurants. Les menaces pour la santé du consommateur proviennent de l’absence d’eau salubre pour le lavage des fruits et légumes, de la contamination des denrées alimentaires par la poussière et les polluants en suspension dans l’air, des mauvaises conditions sanitaires, de l’entreposage inadéquat, de la détérioration des environnements urbains et, enfin, du risque de propagation des maladies contagieuses par le biais de la chaîne alimentaire (typhoïde).

Enfin, compte tenu de l’intégration des femmes comme des hommes à la population active rémunérée, il importe que soient disponibles des produits alimentaires de transformation de bonne qualité, à un prix abordable et de préparation facile.

4.3 L’approvisionnement et la distribution alimentaires des villes

Les systèmes d’approvisionnement alimentaire des villes sont des ensembles complexes combinant une variété d’activités, de fonctions et de relations (production, manutention, entreposage, transport, transformation, emballage, vente en gros, vente au détail, etc.) qui permettent aux villes de satisfaire leurs besoins en produits alimentaires et qui sont exécutés par des agents économiques d’une grande diversité: producteurs, assembleurs, importateurs, distributeurs, grossistes, détaillants, transformateurs, commerçants, marchands de rue, prestataires de services (par exemple crédit, entreposage, transport par porteurs, information et vulgarisation). Contribuent également de façon indirecte à ces activités les fournisseurs d’emballages, les organismes publics tels que les autorités municipales et locales, les offices publics de commercialisation de denrées alimentaires, les ministères de l’agriculture et des transports, mais aussi les associations privées qui comprennent des négociants, des transporteurs, des commerçants et des consommateurs (Aragrande et Argenti, 2001, p. 7).

4.3.1 Problèmes importants d’ordre général: les ressources, la santé et l’environnement

Les systèmes d’approvisionnement et de distribution alimentaires en milieu urbain se caractérisent par des problèmes à la fois généraux et importants, dont certains n’ont pas pu être facilement insérés dans les thèmes débattus lors des ateliers organisés à l’occasion du séminaire. En premier lieu, la détérioration rapide de l’environnement urbain des villes du sud - parmi lesquelles de nombreuses agglomérations asiatiques - est de plus en plus préoccupante. A titre d’exemple, la dégradation de la qualité de l’air peut entraîner une contamination des cultures vivrières et des produits distribués dans les villes et dans leurs environs par les métaux lourds et autres résidus de processus chimiques.

En deuxième lieu, les ressources nécessaires à la production alimentaire destinée à la nutrition humaine de façon générale, l’eau en particulier, se raréfient, tant en volume qu’en qualité. L’eau sert non seulement à la consommation humaine et aux usages sanitaires, mais également à la production agricole, aux activités industrielles liées à la transformation des aliments et à la cuisine. Par chance, l’Asie des moussons, à savoir la région qui s’étend depuis l’Asie du Sud-Est jusqu’à l’Inde méridionale et le Sri Lanka, reçoit des précipitations suffisantes pendant la majeure partie de l’année. Cependant, certaines parties de la région, comme Mindanao, ont connu la sécheresse et aujourd’hui, notamment du fait des changements climatiques qui se produisent à l’échelle planétaire, la gestion durable des bassins versants se profile comme un grave problème pour de nombreuses régions urbaines[6]. De manière générale, l’accès à une eau potable et à des conditions sanitaires élémentaires reste un problème pour la plupart des citadins d’Asie. Par ailleurs, d’autres ressources sont également importantes pour la sécurité alimentaire des villes: la terre, la main-d’œuvre et l’énergie.

L’utilisation inappropriée d’intrants agricoles, en particulier les engrais chimiques et les pesticides, pose plusieurs problèmes d’ordre environnemental et sanitaire. Ainsi, les travailleurs des secteurs alimentaire et agricole sont particulièrement vulnérables à l’empoisonnement dû à une exposition prolongée à ces substances chimiques. Par ailleurs, les consommateurs des villes d’Asie se montrent de plus en plus préoccupés par l’incidence que pourraient avoir ces produits chimiques sur leur santé.

De manière plus générale, plusieurs facteurs extérieurs influencent les SADA dans une région donnée, à savoir le contexte économique, social et politique de la municipalité concernée, ainsi que les cadres juridiques, institutionnels et réglementaires et les autres caractéristiques relevant de la localisation. Tous ces facteurs doivent être pris en considération lorsqu’on analyse les SADA destinés à une région urbaine donnée, étant donné leur impact direct ou indirect sur le fonctionnement de la ville.

4.3.2 L’approvisionnement alimentaire des villes

Le sous-système d’approvisionnement alimentaire des villes englobe toutes les activités nécessaires à la production de denrées alimentaires et à leur acheminement vers les villes. L’analyse peut être ainsi décomposée: production nationale de denrées alimentaires, y compris la production urbaine, les importations de l’étranger et les corrélations entre les secteurs rural, périurbain et urbain: transformation, entreposage, assemblage, manutention, emballage, transport, etc. (Aragrande et Argenti, 2001: p. 7).

Table 4.2: Augmentation estimative du nombre de chargements de camions de 10 tonnes nécessaires à l’alimentation d’un échantillon de villes d’Asie d’ici 2010

Villes d'Asie

Nombre
supplémentaire
de chargements
de camions

Bandung

58 200

Bangkok

104 000

Beijing

302 700

Bombay

313 400

Dhaka

205 000

Davao

21 500

Delhi

196 500

Hanoï

32 000

Ho Chi Minh-Ville

83 500

Hong Kong

18 300

Djarkarta

205 000

Karachi

217 000

Kuala Lumpur

17 800

Lahore

115 000

Grand Manille

163 400

Pusan

29 900

Séoul

85 700

Shanghaï

359 700

Yangon

86 900

Source: Données de la FAO traitées par Argenti. Année de référence: 2000.

Afin de satisfaire la demande croissante, il faut produire des quantités de plus en plus importantes de denrées alimentaires et les transporter dans les villes. Les habitants des villes d’Asie consomment des céréales comme produit de base (normalement le riz ou le blé), et complètent le régime par des produits alimentaires obéissant aux critères culturels et nutritionnels tels que les légumes, les légumineuses, les fruits, la viande, le poisson, les œufs et les produits laitiers. Une bonne partie du ravitaillement des villes doit être produite dans les zones urbaine et périurbaine, parallèlement aux régions purement rurales, pour répondre à la demande en augmentation constante que présente la population toujours plus nombreuse des villes d’Asie. La production, la transformation et la commercialisation des denrées alimentaires de production nationale nécessitent des liens efficaces entre les villes et les campagnes, sous forme d’infrastructures, de manutention, d’emballage et d’entreposage. Nous analyserons ces liens dans le rapport avec les différents sous-aspects de l’approvisionnement alimentaire des villes exposés dans les paragraphes qui suivent, de même que dans la section suivante consacrée à la transformation alimentaire.

Une partie de la nourriture nécessaire à l’approvisionnement du nombre croissant de citadins asiatiques est importée de l’étranger, en fonction des conditions locales et nationales de disponibilité des denrées alimentaires et de l’évolution des prix. Pour que l’importation de denrées alimentaire se déroule de façon efficace, il faut lui appliquer une logistique moderne, des services connexes et une infrastructure telle que les installations portuaires et les entrepôts, ainsi que l’infrastructure de transport ferroviaire, par voie d’eau ou routière et avec l’encadrement réglementaire nécessaire. Parmi les villes d’Asie, la Cité-État de Singapour représente un exemple classique d’économie «entrepôt», plaque tournante important et distribuant des produits du monde entier avec une efficacité remarquable.

Encadré 4.3: L’ampleur des pertes après-récolte de denrées alimentaires

Selon les estimations antérieures, le volume total des pertes de riz (paddy) subies à la ferme, en Asie, serait de l’ordre de 25 à 30 pour cent. Des études plus récentes conduites par la FAO réduisent de moitié ces estimations. Même si les chiffres récents sont moins frappants que les estimations initiales, des pertes de 12 pour cent en Inde et au Sri Lanka, 13 pour cent au Bangladesh, 15 pour cent en Thaïlande et 16 pour cent au Népal n’en représentent pas moins un gaspillage non négligeable de nourriture, de main-d’œuvre et d’intrants. Même s’il était possible, dans des conditions économiques, de réduire ces pertes d’à peine 25 pour cent, on pourrait épargner, en Asie, près de 15 millions de tonnes de nourriture par an (Shepherd, 1996, p. 8).

Dans les sections suivantes, nous décrivons à grands traits le défi que représente l’approvisionnement alimentaire des villes d’Asie et nous mettons en relief certaines des préoccupations qui entourent divers thèmes connexes.

4.3.2.1 La production rurale, périurbaine et urbaine

La majeure partie de la nourriture nécessaire à l’alimentation des villes d’Asie en croissance constante est produite dans ce que l’on appelle des zones «rurales». À la lumière de l’analyse précédente concernant les prévisions d’augmentation de la consommation alimentaire dans les villes d’Asie au cours de la prochaine décennie, les zones rurales et les océans de la planète, déjà compromis, seront mis à contribution pour produire davantage de nourriture. Or, il existe un manque criant de ressources telles que la terre, l’eau, le crédit, la technologie et les autres intrants pouvant servir l’augmentation de la production. On prévoit que la production alimentaire réalisée en Asie rurale accusera un déclin au cours de la prochaine décennie si l’on ne veille pas à la répartition équitable d’éléments patrimoniaux tels que la terre, le savoir-faire et les ressources, en particulier pour les agriculteurs et les pêcheurs d’Asie.

Les activités de production alimentaire intéressent également les villes d’Asie et leurs périphéries, sous forme d’horticulture, d’élevage et d’aquaculture. L’horticulture prend souvent la forme de potagers commerciaux situés à la périphérie des villes, où l’on cultive des fruits et des légumes hautement périssables tels que les tomates. Les citadins pratiquent également la culture dans des potagers d’arrière-cour ou dans des parcelles inutilisées. Ce type d’agriculture informelle est particulièrement important pour la sécurité alimentaire des pauvres des villes. Quant à l’élevage, il peut prendre une grande variété de formes dans les agglomérations urbaines asiatiques, depuis la présence très répandue de bétail dans les villes de l’Inde jusqu’à l’engraissement des porcs, qui constitue un moyen d’existence important pour les femmes des villes des Philippines. Enfin, l’aquaculture représente une activité fermement établie dans plusieurs régions d’Asie où le poisson constitue l’un des éléments principaux du régime alimentaire, notamment en Asie du Sud-Est, au Bangladesh et dans les États indiens du Bengale occidental et de l’Orissa.

La Photo 4.1 montre un micro-élevage porcin à Hanoï (Viet Nam), où les porcs servent à convertir les déchets d’une fabrique d’amidon à base de manioc. La photo 4.2 montre une chèvre laitière avec son chevreau, dans l’arrière-cour d’une famille de classe moyenne, à Malany (Indonésie).

(Source: Schiere 2000, 41).

Toutes les activités énumérées ci-avant peuvent être regroupées sous la rubrique générale «production alimentaire urbaine et périurbaine». La production alimentaire découlant de ces activités représente une portion importante de l’approvisionnement alimentaire des villes d’Asie.

Selon les estimations, 80 pour cent des légumes frais, 50 pour cent de la viande de porc et de volaille et des poissons d’eau douce, ainsi que 40 pour cent des œufs consommés à Hanoï proviennent des zones urbaines et périurbaines. À Shanghaï, 60 pour cent des légumes, plus de la moitié de la viande de porc et de volaille et plus de 90 pour cent du lait et des œufs proviennent des zones urbaines et périurbaines. À Bangkok, les choux et les oignons proviennent de la région de Chiang Mai, située à plus de 200 kilomètres de distance, tandis que les légumes feuillus tels que la moutarde chinoise, les épinards ou les laitues, proviennent des régions périurbaines (Moustier, 2000).

De nombreuses méthodes d’horticulture et d’aquaculture mettent à profit les eaux usées et les déchets solides municipaux recyclés, souvent sous forme de compost. La promotion de ces activités peut non seulement améliorer l’approvisionnement alimentaire des villes, mais également favoriser la bonne gestion des déchets urbains.

4.3.3 Les liens campagne-ville

Il convient, afin d’optimiser l’efficacité du transport des denrées alimentaires produites dans les régions rurales vers les points de distribution au détail dans les villes, de tenir compte d’un certain nombre d’étapes intermédiaires, et notamment de veiller au respect des critères qualitatifs et quantitatifs concernant:

- les centres de collecte: notamment les marchés ruraux, où les producteurs peuvent rassembler leurs produits et rencontrer une grande diversité d’acheteurs éventuels;

- la préparation des produits alimentaires et leur manutention: cette rubrique comprend le lavage, le tri et le calibrage des articles;

- l’emballage: cette activité facilite la manutention, favorise la bonne hygiène et la subdivision en unités vendables;

- l’entreposage: cette rubrique intéresse les greniers et les installations d’entreposage à froid et de réfrigération, souvent déficientes, mal gérées ou trop onéreuses;

- le transport de la campagne vers la ville: la consommation accrue de nourriture dans les villes intensifie la pénétration et la circulation de véhicules, et notamment de camions de livraison, à l’intérieur de la zone urbaine. À Shanghaï, il faudra prévoir d’ici 2010 plus de 350 000 cargaisons supplémentaires de camions de dix tonnes, pour assurer l’approvisionnement alimentaire de cette mégapole (voir le tableau 4.2). Toujours en 2010, on prévoit que 313 400 cargaisons de camions d’un tonnage identique entreront dans Mumbai. Or, de tels véhicules exigent une infrastructure appropriée, à savoir des routes, des marchés de gros et de détail adéquatement situés, de bonnes installations d’appontage et d’entreposage. Le Tableau 4.2 indique le nombre estimatif de cargaisons supplémentaires de camions de dix tonnes requis pour un certain nombre de villes d’Asie d’ici l’année 2010.

Ne pas tenir suffisamment compte de la liaison entre les campagnes et les villes signifie s’exposer à de gros gaspillages de nourriture. «Selon les estimations, les pertes de denrées alimentaires entre la phase de la production et celle de la vente au détail sont de l’ordre de 10 à 30 pour cent, et sont attribuables à un ensemble de facteurs de détérioration qui interviennent à la ferme, durant le transport ou la distribution, et qui se font sentir davantage dans les villes que dans les campagnes» (FAO, 1998: p. 3-4). En Inde seulement, le taux d’avarie atteint de 30 à 40 pour cent de la production annuelle de légumes (Bhogle, 2000). «Selon le Ministère des approvisionnements alimentaires et civils, 10 pour cent de la production céréalière totale de l’Inde, à savoir 20 millions de tonnes, sont dévorés par les rongeurs et attaqués par les insectes, du fait de l’inadéquation des installations d’entreposage» (Roy, 2000: p. 67-68).

L’amélioration des modes de transformation et de distribution de la nourriture en vue de réduire les pertes après-récolte peut réduire de façon marquée les coûts subis par les consommateurs.

Au cours des dix prochaines années, il importe de réaliser de toute urgence en Asie, des investissements privés et publics afin de renforcer la liaison ville-campagne, notamment pour améliorer les systèmes et les réseaux de transport de denrées alimentaires. La mauvaise qualité des liaisons, notamment du réseau routier, entraîne un taux important de détérioration de la nourriture avant qu’elle n’atteigne le marché. Étant donné que l’amélioration de l’infrastructure de transport est un processus lent et coûteux, qui nécessite souvent un financement international pour les villes pauvres du continent asiatique, il convient de prendre acte de l’importance de facteurs connexes comme la transformation des aliments, thème auquel nous consacrons la section suivante.

4.3.4 La transformation des aliments

La transformation des aliments est une activité «d’aval» qui conduit à un traitement à valeur ajoutée des matières premières alimentaires par le biais d’une série d’opérations telles que pelage, découpage, moulure, broyage, saumurage, fermentation, déshydratation et autres méthodes de conservation[7]. Elle comporte, en fin de circuit, la cuisson comme l’une des formes finales de transformation avant la consommation. Le traitement comprend également, de façon indirecte, l’emballage et autres activités analogues liées au traitement des aliments.

Certaines activités de traitement des aliments sont encore effectuées au foyer, bien que, par suite de l’évolution historique vers l’industrialisation, ces activités soient aujourd’hui le fait d’entreprises de tailles différentes: microentreprise, petite, moyenne ou grande entreprise. Il est important de tenir compte de la transformation des aliments, et ce pour trois raisons principales.

En premier lieu, comme nous l’avons déjà vu, compte tenu des pertes après-récolte dans les pays pauvres manquant d’une infrastructure de transport adéquate, il convient d’adopter des technologies postrécolte simples de manière à éviter la détérioration des aliments.

En deuxième lieu, le traitement des aliments doit être considéré comme un aspect central de l’approvisionnement alimentaire des villes asiatiques, en raison du fait que l’évolution démographique entraîne une augmentation rapide de la demande de produits alimentaires à valeur ajoutée. Les modes de vie urbains, et notamment l’entrée massive des femmes sur le marché du travail, ne laissent que peu de temps pour le traitement et la cuisson des aliments au foyer. Alors que, par le passé, il était d’usage que les familles préparent leurs propres conserves, portent les sacs de céréales au moulin et cuisinent la plupart des aliments à domicile, aujourd’hui, on tend de plus en plus à acheter des produits prêts à la consommation, qui font gagner du temps et du travail.

En troisième lieu, la demande de produits alimentaires à valeur ajoutée offre de nombreuses perspectives rémunératrices. En effet, les denrées alimentaires se prêtent à la transformation par toute une gamme de microentreprises ou de petites et moyennes entreprises. Les femmes, qui par tradition savent cuisiner et préparer les aliments, sont bien placées pour entreprendre de transformer les aliments dans un but commercial; en Asie du Sud-Est par exemple, elles tendent à prédominer dans ce secteur. Cependant, les microentrepreneurs du domaine alimentaire ont intérêt à suivre une formation dans le domaine de la manutention des aliments et de la gestion des entreprises, afin d’améliorer la sécurité sanitaire des aliments tout en augmentant leurs perspectives de gains.

La transformation des aliments comme activité générale s’accompagne d’un certain nombre d’autres préoccupations et difficultés qui se trouvent souvent aggravées lorsqu’elles surgissent de façon concentrée dans les villes et à leur périphérie.

Tout comme la production et la distribution alimentaires, la transformation des aliments nécessite que l’assemblage, l’emballage et le transport des denrées soient accomplis de façon adéquate depuis le lieu de fabrication jusqu’à celui de la consommation. Dans le même ordre d’idées, il est nécessaire d’améliorer l’accès des petites entreprises de transformation alimentaire à l’information, au crédit et aux services de commercialisation.

La transformation des produits alimentaires d’origine animale mérite une grande attention, non seulement du fait de l’augmentation de la demande, mais aussi en raison du risque de contamination lié à la consommation de viande, de poisson, d’œufs et de produits laitiers, tous types d’aliments qui sont particulièrement vulnérables aux bactéries et aux virus. Ainsi, les préoccupations suscitées par l’encéphalopathie spongiforme bovine, liées aux modalités d’alimentation des animaux, ont débouché sur un problème de sécurité sanitaire de premier plan touchant l’industrie de la viande bovine. D’autres problèmes de santé publique liés à l’alimentation animale, tels que la contamination par la dioxine et l’utilisation impropre de produits antimicrobiens, ont souligné la nécessité d’imposer des contrôles adéquats tout au long de la chaîne de production animale, y compris en ce qui a trait à l’alimentation des bêtes. En conséquence, si l’on veut répondre au goût de plus en plus prononcé des consommateurs urbains d’Asie pour la viande et les produits d’origine animale tout en respectant les règles d’hygiène, il convient d’accorder l’attention nécessaire à tous les aspects de la production et de la transformation des produits d’origine animale, ainsi qu’aux conditions sanitaires des circuits de distribution.

L’élevage intensif du bétail pose de sérieux problèmes de santé animale, de dégradation de l’environnement et de santé publique, notamment dans les villes et à leurs périphéries, comme le démontre l’épidémie de fièvre aphteuse qui sévit en Europe. À mesure que le revenu augmente, les populations urbaines d’Asie consomment davantage de viande, d’œufs et de produits laitiers et il faut s’attendre à ce que les conséquences s’en fassent sentir davantage au cours des prochaines années.

Dans de nombreuses villes d’Asie, les abattoirs ont souvent un débit insuffisant et sont mal gérés. Leur état de délabrement mérite une attention immédiate, de même que la cruauté inutile des méthodes employées dans nombre d’entre eux. De plus, une proportion notable de la viande consommée dans les villes d’Asie provient d’animaux élevés et abattus dans des microentreprises familiales du secteur informel, qui échappent à toute réglementation (Heinz, 2000).

Comme nous l’avons vu, les Asiatiques consomment une grande quantité de poisson, de fruits de mer et de produits connexes. Le poisson et les fruits de mer, très vulnérables à la contamination, présentent des difficultés particulières de traitement dans de bonnes conditions sanitaires. Parallèlement, on trouve en Asie de l’Est et du Sud-Est des activités traditionnelles de transformation du poisson et des fruits de mer en vue de la fabrication de produits comestibles tels que la sauce de poisson, la pâte de poisson fermentée, les produits à base de surimi (pâte de poisson) tels que les boulettes de poisson, et les condiments tels que les flocons de poisson. Les industries maison solidement établies pourraient être développées comme moyen d’existence pour les pauvres des villes et de leurs périphéries.

4.3.5 La distribution alimentaire dans les villes

Nous proposons, dans cette section, un aperçu des questions liées à la distribution alimentaire dans les villes d’Asie. L’expression «distribution alimentaire dans les villes» couvre ici les questions liées au transport intra-urbain, aux marchés de gros et de détail, ainsi qu’un ensemble d’autres activités de distribution au détail dans les zones urbaines, telles que les débits de produits alimentaires de différentes tailles et catégories, les supermarchés et les services de restauration allant du petit vendeur de rue au restaurant classique.

4.3.5.1 Le transport intra-urbain

Afin que les produits alimentaires puissent passer du circuit de gros à celui des débits de détail, il faut que les autorités municipales et locales reconnaissent qu’il importe de disposer d’un système de transport intra-urbain bien conçu et en bon état de fonctionnement. Pour améliorer la qualité du transport intraurbain, il faut réduire les embarras de circulation, notamment autour des marchés et fournir de bonnes installations d’entreposage et de manutention, notamment pour les denrées périssables telles que la viande, le poisson, les produits laitiers et les œufs. Si l’attention nécessaire n’est pas accordée au transport intra-urbain, on verra apparaître une myriade de problèmes tels que:

Étant donné que de nombreuses villes d’Asie souffrent déjà des difficultés évoquées plus haut, il est encore plus urgent d’améliorer le transport intra-urbain.

4.3.5.2 Marchés d’alimentation en gros et au détail

Les préoccupations urgentes touchant aux marchés de gros et de détail tiennent à leur emplacement, à leur configuration, à leur entretien et à leur gestion. Les marchés de gros continuent de jouer un rôle central dans les SADA d’Asie, du fait, principalement, de la préférence que manifestent les Asiatiques pour l’achat de nourriture dans de petits marchés de proximité plutôt que dans les supermarchés. Cette situation n’a plus cours dans de nombreux pays occidentaux, où l’on voit prédominer «des systèmes à intégration verticale de distribution de la nourriture, depuis la ferme jusqu’au supermarché», à l’exception de l’Europe du Sud où l’on peut encore trouver des marchés traditionnels de gros et de détail.

Sur les quatre marchés de gros que l’on trouve à Hanoï, seul le marché Long Bien a été planifié, tandis que ceux de Cau Giay, Bac Qua, Nga Tu So et Trung Hien se sont développés spontanément, opérant tôt le matin sans véritables installations ou gestion du marché. Ils sont aujourd’hui situés au centre-ville, si bien que les camions doivent traverser des embouteillages devenus la règle plutôt que l’exception, et il n’y a pas suffisamment de stationnement. Les marchés et les entrepôts sont déficients et mal entretenus, malgré le droit de séjour versé par les commerçants. En conséquence, les denrées subissent des pertes et des dégâts et leur qualité se détériore, notamment pour les produits frais. De ce fait, les prix à la consommation sont plus élevés que nécessaire (Quang et Argenti 1999, p. 1).

L’exemple de Hanoï que nous avons cité met en relief la myriade de difficultés suscitées par le développement des marchés de gros dans les villes d’Asie. Il souligne la nécessité d’une planification avancée, d’une bonne gestion et de l’existence de services aux vendeurs de marchés, comme les entrepôts et les appontements. Rappelons que les conflits de territoire suscités par l’espace entourant les marchés publics et l’augmentation du prix des aliments sont, l’histoire l’a démontré, source de violence dans les villes.

L’évolution des marchés de gros dans les villes d’Asie, ainsi que le besoin auquel ils sont censés répondre laissent en suspens toute une série de questions, parmi lesquelles la détermination du type et de l’échelle des marchés requis, les facteurs techniques, financiers et institutionnels entrant en jeu et, notamment dans le cas de la viande et du poisson, les préoccupations d’ordre sanitaire (voir Tracey-White, 1991, 1997 et 1999).

Les marchés de détail sont spécialisés dans la vente de denrées brutes telles que les fruits et légumes frais, la viande, le poisson, les œufs et les produits laitiers. Toutefois, les marchés alimentaires de détail des villes d’Asie présentent plusieurs déficiences, qui s’appliquent pour la plupart aux marchés de gros:

L’amélioration des marchés alimentaires est essentielle à la vente, dans de bonnes conditions d’hygiène, de la viande et des autres produits d’origine animale. L’apparition de nouveaux points de vente au détail de produits alimentaires dans les villes d’Asie entraîne d’ores et déjà une évolution du système de distribution alimentaire des produits d’origine animale.

Encadré 4.4: L’élaboration d’une politique d’ADA à Amman (Jordanie)

Les autorités locales d’Amman ne se préoccupent guère de la sécurité des aliments consommés en milieu urbain. De manière générale, elles perçoivent mal l’importance et l’incidence des SADA sur le développement socioéconomique de la ville et de son contexte, d’où la carence de données concernant un système alimentaire. En conséquence, les interventions visant à améliorer les SADA urbains devront être axées sur les autorités municipales et leur conférer le rôle de chef de file dans la coordination d’un processus d’élaboration des politiques impliquant de nombreuses parties prenantes.

Il est urgent d’adopter des programmes spécifiques pour les micro-entreprises et les petites entreprises du secteur alimentaire. En effet, plus de 17 000 micro-entreprises et petites entreprises opérant dans le secteur alimentaire ont été dénombrées à Amman. Ces activités économiques jouent un rôle important pour l’approvisionnement alimentaire de la ville et constituent une source de revenus pour les familles qui possèdent ou exploitent les entreprises.

Cependant, le contexte juridique et financier tend à entraver plutôt qu’à promouvoir la création de telles entreprises. L’absence de programmes de formation et la faible influence dont peut se réclamer le secteur alimentaire expliquent que ces besoins ne soient pas pris en compte par les autorités locales. Il est par conséquent jugé nécessaire de créer une «unité centrale pour le développement des microentreprises et petites entreprises du secteur alimentaire» dans la région de l’agglomération d’Amman (Awamleh, 2000; Sunna, 2000).

Le système traditionnel de commercialisation de viande et de lait non réfrigérés dans le laps de temps d’à peine quelques heures qui s’écoule entre la production et la consommation est voué à tomber en désuétude dans de nombreux endroits. Ce phénomène tient à l’allongement des circuits de distribution depuis les abattoirs/ateliers de transformation jusqu’aux consommateurs, et à la mise en place de nouvelles modalités de vente des produits alimentaires par le biais de supermarchés, de débits de restauration rapide, etc. (Heinz, 2000, p. 4).

4.3.5.3 Les autres points de vente au détail des produits alimentaires

C’est dans les différents points de vente au détail des produits alimentaires que les consommateurs urbains ont le contact le plus direct avec les SADA. Ils peuvent y acheter de la nourriture sous une forme relativement «brute» (transformée ou semi-transformée) ou «prête à manger». Ces débits peuvent être des marchés publics et privés de taille variable, comme nous l’avons vu plus haut, des supermarchés de style occidental, des marchés alimentaires itinérants, des boutiques, des vendeurs de rue et des établissements plus importants de type «service-restauration» comme les restaurants.

La vente au détail de produits préparés se fait, dans les villes d’Asie, par le truchement d’un éventail d’établissements qui vont de l’étal itinérant et autres types de vente dans la rue à des établissements plus formalisés tels que les cantines, les cafétérias et les restaurants.

Selon la définition de la FAO, les aliments vendus dans la rue sont «des produits alimentaires et des boissons prêts à manger préparés et/ou vendus par des vendeurs ou des marchands itinérants plus particulièrement dans la rue et d’autres espaces publics analogues» (FAO, 1997). La nourriture vendue dans la rue joue un rôle important dans la satisfaction des besoins alimentaires des consommateurs pauvres comme de ceux de la classe moyenne tels que les mères travaillant à l’extérieur, les jeunes et les étudiants (Tinker, 1997). Leur prix peu élevé et le bon rapport «produitprix », associés aux facteurs culturels, stimulent la demande pour ce type d’alimentation.

La vente de nourriture dans la rue est un moyen d’existence pour les pauvres des villes et, dans certaines régions d’Asie, notamment en Asie du Sud-Est, les femmes occupent une position prépondérante dans ce secteur. À l’échelle mondiale, la préparation et la vente de nourriture dans la rue est une entreprise familiale et une source de revenu particulièrement précieuse en période de crise économique, lorsqu’il est difficile de trouver d’autres emplois.

La sécurité sanitaire des aliments, de même que la valeur nutritionnelle de la nourriture vendue dans la rue, sont souvent mises en cause à l’échelle collective. En effet, bien que les aliments cuisinés et vendus immédiatement soient relativement salubres, on trouve souvent un taux élevé de coliformes dans les aliments qui restent exposés pendant de longues périodes, notamment lorsque le climat est chaud et humide. Il faut par conséquent améliorer la qualité de la nourriture vendue dans la rue. En outre, «les mauvaises conditions d’hygiène, la pollution et les difficultés de circulation des piétons comme des véhicules sont souvent citées comme aspects négatifs de la vente de nourriture dans la rue» (Clarke, 2000: p. 1).

Dans certaines villes d’Asie comme Singapour, les vendeurs itinérants de produits cuisinés ont souvent été relogés dans des centres de restauration, les «hawker centres», et ce processus pourrait être envisagé pour d’autres villes d’Asie. Il est indéniable que, dans l’ensemble de la région, il conviendra d’adopter des politiques municipales progressistes et dynamiques reconnaissant l’importance du secteur alimentaire «informel» et la nécessité de l’appuyer. Ces politiques ne devront pas négliger les microentreprises de distribution alimentaire moins visibles, telles que les microtraiteurs.

Les établissement de «service-restauration» plus importants ne sont pas à l’abri des risques de contamination alimentaire liés à la vente dans la rue, et génèrent eux aussi des déchets liquides et solides. Le nombre croissant de cantines «formalisées», de cafétérias et de restaurants où un nombre croissant de citadins asiatiques viennent acheter leur repas doit être considéré comme faisant partie du circuit de distribution alimentaire des villes. Il faut enfin noter que les supermarchés ainsi que les magasins de proximité sont de plus en plus nombreux à vendre des produits alimentaires «prêts à manger». Cette tendance souligne la nécessité de ne pas s’arrêter à la nourriture vendue dans la rue lorsqu’on passe en revue l’hygiène alimentaire, et met également en relief la concurrence de plus en plus aiguë exercée dans ce domaine par les autres secteurs.

Tous les secteurs du SADA, y compris les ménages, contribuent à générer des volumes énormes de déchets. Nous consacrons la section suivante aux modalités de gestion durable de ces déchets.

4.4 La gestion des déchets provenant du système alimentaire urbain

La gestion des déchets provenant du système alimentaire urbain, et notamment des marchés et des abattoirs, est l’un des principaux problèmes que doivent affronter les responsables municipaux. Les déchets provenant des abattoirs sont à l’origine d’une foule de problèmes d’hygiène, de santé et d’environnement, et doivent par conséquent être éliminés dans le respect des normes sanitaires. «Les volumes croissants de déchets provenant des usines et ateliers de transformation, des marchés et des abattoirs, ainsi que l’élimination des emballages de plastique et la combustion des déchets aggravent les risques pour la santé ainsi que la pollution de l’eau, du sol et de l’atmosphère» (Argenti, 2000: p. 4). Ces problèmes sont encore aggravés par le fait que les villes manquent des espaces nécessaires aux décharges destinées aux déchets solides[8].

Nous présentons, dans cette section, trois types de déchets alimentaires qui se prêtent à une amélioration des pratiques actuelles en matière d’élimination dans les villes d’Asie, à savoir: les déchets provenant des abattoirs et des marchés alimentaires, la transformation en compost organique des déchets provenant des cuisines ménagères, et l’utilisation des eaux usées pour l’aquaculture périurbaine.

La question des déchets provenant des abattoirs constitue un problème délicat de gestion, de technologie et d’information, avec des répercussions sérieuses pour la santé et pour l’hygiène. En effet, l’augmentation de la consommation de viande et de volaille engendre une quantité croissante de déchets provenant des abattoirs dans la plupart des villes d’Asie. C’est pourquoi il convient d’acquérir la technologie appropriée afin de transformer ce type de déchets extrêmement instables, et de communiquer aux employés concernés les connaissances permettant une utilisation correcte de cette technologie. A n’en pas douter, la gestion de ce type particulier de Aperçu technique: le défi de l’approvisionnement alimentaire des villes d’Asie déchets alimentaires soulève un problème environnemental et de santé publique[9].

Les déchets organiques provenant des marchés alimentaires tels que les déchets de fruits et légumes doivent être considérés comme une ressource non négligeable, en raison de la facilité avec laquelle ils peuvent être compostés lorsqu’ils sont adéquatement manutentionnés avant de quitter le marché. Pour une bonne manutention, il faut avant tout veiller à séparer à la source les déchets organiques des déchets non organiques.

Dans les régions marécageuses situées à la périphérie de Calcutta et de Dhaka, l’aquaculture irriguée au moyen des eaux d’égout constitue une pratique traditionnelle et respectueuse de l’environnement, qui permet d’obtenir la majeure partie du poisson consommé par des millions de citadins. Cette pratique a également cours au Viet Nam. La pratique de l’aquaculture au moyen d’eaux usées constitue une réponse partielle à la question posée par les importants volumes d’eaux usées provenant des mégapoles d’Asie.

Deux considérations prévalent lorsqu’on se penche sur les problèmes évoqués plus haut: en premier lieu, le rôle des autorités locales dans la planification et le fonctionnement des marchés de gros et de détail; deuxièmement, la promotion des investissements privés dans les activités et les installations d’ADA, y compris les marchés.

4.5 Les besoins des villes d’Asie en matière de politiques, de stratégies et de programmes d’approvisionnement et de distribution alimentaires (ADA)

Il va sans dire que si l’on ne prend pas des mesures concrètes pour y faire face, les problèmes et les contraintes présentés dans les sections précédentes de cet aperçu technique seront aggravés par l’urbanisation. Les AML sont en mesure de jouer un rôle central face aux défis qui ont été évoqués dans les sections précédentes, et ce rôle leur incombe. Il consiste, dans la perspective d’un meilleur ADA, à esquisser en la matière une politique qui peut se définir comme suit:

«... un ensemble de buts, d’objectifs, de stratégies et de programmes couvrant les secteurs aux niveaux régional, métropolitain, urbain et local. Cet ensemble s’inscrit dans un cadre temporel précis et sa formulation est élaborée en collaboration étroite avec toutes les parties intéressées. Il guide les autorités municipales et locales dans l’utilisation des ressources relevant de leur ressort ou provenant des investissements privés, afin d’améliorer l’accès des ménages urbains à des approvisionnements stables en nourriture de bonne qualité, grâce à des systèmes d’approvisionnement et de distribution alimentaires efficaces, respectueux de l’hygiène, des normes sanitaires et de l’environnement» (Argenti, 2000: p. 12).

4.5.1 Le pourquoi des politiques, des stratégies et des programmes ADA

Plusieurs raisons militent en faveur de l’adoption de politiques appropriées par les AML en matière d’ADA. En premier lieu, les politiques nationales, lorsqu’elles existent, négligent souvent de prendre en compte les conditions et les besoins locaux. De manière générale, les questions liées à l’alimentation sont perçues comme relevant des gouvernements centraux plutôt que des autorités locales; de ce fait, les politiques présentent souvent un caractère général et risquent de ne pas entrer suffisamment dans le détail pour s’appliquer avec pertinence et efficacité à des villes données. En deuxième lieu, les AML sont en contact étroit avec la communauté locale et gèrent d’ores et déjà de nombreuses institutions clés du SADA telles que les marchés et les abattoirs, mais aussi les mécanismes réglementaires du secteur de l’alimentation tels que les services d’inspection. Par ailleurs, les AML sont responsables de l’infrastructure et des institutions indirectement liées au SADA telles que le transport intra-urbain, et il leur incombe par conséquent de planifier et de gérer leurs villes en gardant à l’esprit les besoins présents et futurs du SADA.

Enfin, étant donné que la tendance est au transfert du pouvoir décisionnel du niveau national au niveau local pour de nombreuses questions relevant de la planification économique, l’élaboration d’une politique solide au plan technique et concrètement réalisable en matière d’ADA permettra aux AML d’entreprendre des partenariats dynamiques avec toute une gamme d’acteurs au niveau local. Ces acteurs comprennent des entreprises du secteur privé - dont le secteur dit «informel» - d’autres organismes gouvernementaux à différents niveaux et, enfin, la société civile.

4.5.2 Le rôle et les besoins des autorités municipales et locales

Avant d’entreprendre l’élaboration d’une politique en matière d’ADA, il convient que les AML d’Asie aient une perception exacte de leur participation aux SADA. Elles peuvent, à ce titre, jouer cinq rôles principaux (Argenti, 2000, p. 7-11):

Pour que le SADA fonctionne avec fluidité, il doit s’appuyer sur une planification appropriée et coordonnée aux niveaux municipal, métropolitain et régional. Il importe, par conséquent, de sensibiliser de façon prioritaire les planificateurs et les gestionnaires municipaux, urbains et régionaux à l’importance des SADA et à la nature des circuits d’approvisionnement alimentaire de leurs localités.

«... les planificateurs doivent, entre autres tâches prioritaires, comprendre les mécanismes de fonctionnement des SADA en ce qui a trait à la production, au transport et à la distribution, de même qu’à l’infrastructure et aux services nécessaires et aux solutions techniques et financières les plus appropriées. En outre, les gestionnaires de l’agglomération urbaine doivent identifier les solutions présentant le meilleur potentiel de mobilisation des ressources disponibles à l’échelon local, tout en définissant des normes et des critères conformes aux capacités du secteur public comme du secteur privé» (Balbo, 2000, p. 1).

Parallèlement, il faudra veiller à inculquer aux maires ainsi qu’aux responsables et aux planificateurs municipaux, une attitude positive à l’égard du secteur alimentaire.

Les démarches adoptées pour l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique urbaine en matière d’ADA doivent être basées sur la consultation, la participation, l’ouverture d’esprit, la recherche d’alliances et la solidité des paramètres techniques (Argenti, 2000: p. 18). Mais d’autres principes s’appliquent, tels que veiller à promouvoir la concurrence, résister aux «modes passagères»[10] et laisser le secteur privé gérer les activités correspondant au travail des entreprises.

Il convient toutefois de combler plusieurs lacunes techniques avant que les AML ne puissent concevoir et mettre en œuvre avec succès une politique d’ADA. Ces lacunes tiennent au manque d’informations critiques et de savoir-faire technique nécessaires à un rôle significatif. Nombre de ces lacunes peuvent être comblées par le biais de la formation et de collaborations bien conçues avec d’autres villes (voir la section suivante).

L’un des principaux obstacles à l’élaboration de politiques d’ADA par les AML tient au rôle croissant que jouent ces dernières dans tous les domaines du développement local face à l’amenuisement des ressources, financières en particulier. C’est pourquoi toutes les recommandations que l’on trouvera dans ce rapport partent de l’hypothèse que l’on dispose en suffisance de ressources monétaires, humaines et institutionnelles pour élaborer et mettre en œuvre les politiques d’ADA et en suivre l’application.

4.5.3 Le rôle et les responsabilités des autres institutions

Les AML doivent être l’institution chef de file dans la formulation des politiques d’ADA en milieu urbain. Leur rôle doit consister à coordonner plutôt qu’à obliger les autres parties relevant des différents niveaux des pouvoirs publics, du secteur privé - y compris les entreprises «informelles» et les organisations de la société civile - dans la formulation d’une politique d’ADA et des buts, des objectifs et des stratégies associés. L’exemple que nous donnons ci-après, de formulation d’une politique d’ADA à Amman, en Jordanie, souligne la nécessité de placer les AML à la tête du peloton des institutions concernées.

Une fois que toutes les parties intéressées se seront entendues sur les objectifs généraux, les buts concrets et les stratégies spécifiques, les AML devront prendre la direction des opérations en ce qui a trait à la conception des programmes d’ADA ayant une incidence sur les juridictions municipale, métropolitaine et régionale. Ces programmes, qui doivent porter sur le ravitaillement et la distribution des aliments ainsi que sur les préoccupations connexes d’ordre sanitaire et environnemental, se composent de sous-programmes distincts. Chaque sous-programme devra, à son tour, contenir des plans d’action spécifiques assortis de résultats clairement identifiables pouvant être mesurés immédiatement, à court, à moyen et à long termes.

4.5.4 En quoi consiste une politique d’ADA efficace

Pour être efficace, une politique d’ADA doit: 1) répondre de façon efficace et équitable à l’évolution prévue des volumes et des sources d’approvisionnement alimentaire nécessaires; 2) s’adapter à l’évolution des goûts des consommateurs; 3) mettre à la disposition de tous les habitants de la ville une alimentation de bonne qualité à des prix accessibles; 4) atténuer et, si possible, éliminer les problèmes sanitaires liés à l’alimentation. Ces quatre domaines doivent constituer des priorités pour les AML.

Les objectifs d’une politique globale d’ADA en milieu urbain sont triples: économiques tout d’abord, afin d’améliorer l’efficience et d’abaisser les coûts; sociaux ensuite, afin de renforcer l’équité et la sécurité alimentaire; sanitaires et écologiques enfin, pour faire reculer les maladies transmises par les produits alimentaires ainsi que la détérioration de l’environnement liée aux systèmes alimentaires urbains. On pourrait fixer comme objectif une meilleure localisation des marchés publics d’alimentation dans les villes.

Par objectifs des politiques, on entend les mesures concrètes qui doivent être adoptées pour atteindre les objectifs des politiques. En règle générale, les objectifs concernent le court terme et intéressent plusieurs unités opérationnelles. Pour être efficaces, les objectifs doivent être accessibles, réalisables, crédibles, techniquement fondés, conformes aux priorités du gouvernement central et acceptables au plan social comme au plan politique. Citons, comme exemple d’objectifs de politiques se rapportant au but susmentionné de garantir une meilleure localisation des marchés publics, la mise en vigueur de règlements concernant l’utilisation des terres dans la ville concernée afin de favoriser la relocalisation des marchés publics au cours des trois prochaines années.

Les stratégies de politique mettent en lumière les modalités permettant d’atteindre des objectifs clairement définis. Pour prolonger l’exemple ci-dessus, une stratégie pertinente en la matière pourrait consister à consulter et à impliquer les parties intéressées susceptibles de s’opposer à ce changement. Une telle initiative garantirait que leurs besoins sont pris en compte et que leurs points de vue sont incorporés au processus d’amendement du plan d’utilisation des terres.

Il convient en outre que les buts, les objectifs et les stratégies connexes d’une politique d’ADA proposés par une CLA viennent compléter les politiques qui s’y rapportent, notamment en matière de santé et de développement économique. On veillera en outre à prévoir les éventuels conflits entre politiques et programmes afin d’en atténuer l’impact négatif.

4.5.5 Les critères de succès

Le succès d’une politique d’ADA se mesure par la présence des éléments suivants:

Il importe de disposer de ce genre de critères afin de pouvoir jauger l’impact d’une politique d’ADA dans une région urbaine donnée.

4.6 La coopération technique entre les autorités municipales et locales (AML)

La coopération technique entre les AML dans le domaine des SADA est relativement récente. Cependant, ce secteur pionnier offre un énorme potentiel de partage d’expériences, de bonnes pratiques, d’informations et de savoir-faire technique entre les villes du monde en développement (coopération Sud - Sud), de même qu’entre les villes d’Asie et celles d’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord (coopération Nord - Sud). Le fait qu’il existe déjà des réseaux internationaux bien établis d’autorités locales tels que CityNet ou l’Union internationale des autorités locales, facilite la coopération technique entre les AML en matière d’ADA. Les technologies de l’information et de la communication ouvrent la porte à un échange rapide et efficace d’expériences et d’informations, notamment par le biais de bases de données virtuelles ou de mise en réseau englobant les ressources servant à l’information.

Un certain nombre de mesures préliminaires doivent être adoptées afin de garantir une coopération technique fluide entre les AML. Pour que règnent la coopération et la concorde, tous les acteurs impliqués doivent:

Les AML peuvent coopérer selon une orientation Nord-Sud ou Sud-Sud afin d’échanger et d’élaborer ces informations, de renforcer la sensibilisation à l’importance des questions de SADA et de mettre au point des ensembles de formation ciblant des domaines techniques tels que la gestion des terres urbaines et périurbaines, le fonctionnement des marchés de gros et le développement des entreprises du secteur alimentaire. CityNet et le Programme «Urbs pour l’Asie» de l’Union européenne ont déjà pris des initiatives pour encourager la coopération technique entre les AML dans le secteur de l’ADA. Les ateliers du Séminaire ont énuméré plusieurs domaines dans lesquels les AML d’Asie pourraient profiter d’une coopération technique:

Les AML peuvent favoriser leur coopération réciproque en collaborant avec les réseaux existants au niveau régional, tels que CityNet et les organisations internationales présentant un savoir-faire en matière d’ADA, comme la FAO. Citons, entre autres exemples de matériels et d’activités pouvant être produits pour faciliter des échanges de données, ainsi que la formation:

4.7 Conclusion

L’éventail des problèmes liés à l’ADA en milieu urbain que nous évoquons dans cet aperçu technique met en relief un certain nombre de difficultés auxquelles sont confrontées les villes d’Asie, difficultés qui ne manqueront pas de s’exacerber au cours des dix prochaines années si l’on n’intervient pas avec détermination. Cependant, ces problèmes qui concernent tant le présent que l’avenir des SADA ne manquent pas d’offrir des perspectives pour une coopération technique créative Nord - Sud et Sud - Sud englobant la participation des AML, des organismes internationaux et de la myriade d’autres parties prenantes des diverses activités qui entourent l’approvisionnement alimentaire des villes d’Asie en croissance constante.

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[4] Des instruments financiers doivent être établis afin de soutenir le gouvernement local dans son rôle et ses responsabilités en ce qui concerne le développement des SADA.
[5] Par suite de l’absence d’une tradition pastorale, une bonne partie de la population d’Asie de l’Est et du Sud-Est présente une intolérance au lactose. Malgré cela, les grandes multinationales agroalimentaires sont nombreuses à commercialiser de façon très intensive leurs produits laitiers dans les villes des deux régions.
[6] En Asie, les villes de Bangalore, Bangkok et Cebu illustrent les difficultés d’approvisionnement des populations citadines en eau. Pour plus d’informations concernant le réchauffement de la planète et la sécurité alimentaire, voir les travaux du Groupe de travail intergouvernemental sur les changements climatiques.
[7] La mise en conserve est une activité de transformation commune qui s’exécute au domicile mais nécessite une formation sérieuse avant de pouvoir être entreprise à l’échelle commerciale.
[8] Les décharges sont souvent considérées, aujourd’hui, comme un mode inefficace et dépassé de gestion des déchets solides.
[9] Pour de plus amples explications concernant les problèmes causés par le compostage des déchets d’abbatoirs, voir Sawant (1997: p. 18-19).
[10] Lorsqu’il parle de «mode», Argenti se réfère à des évolutions qui encouragent des objectifs tels que la «modernisation» ou la préservation de la tradition, tout en perdant de vue l’objectif principal qui consiste à atténuer la pauvreté en renforçant les possibilités d’activités rémunérées et en abaissant le coût de la vie.

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