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Chapitre 7 - Les partenariats de gestion par Evelyn PINKERTON


School of Resource and Environmental Management, Simon Fraser University, Colombie britannique, Canada

1 INTRODUCTION: LES PARTENARIATS PERMETTENT DE RÉSOUDRE DES PROBLÈMES, MAIS SONT PEU CONNUS DES GESTIONNAIRES

Le chapitre 1 a donné un aperçu des problèmes mondiaux auxquels sont confrontés les gestionnaires des pêcheries, notamment la surexploitation des ressources aquatiques et la perte d'habitats, ainsi que des problèmes locaux connexes concernant le manque de données et d'analyse des données, la faible légitimité des réglementations et, en conséquence, le peu de respect de ces dernières. Le présent chapitre décrit comment de nouvelles formes de partenariat entre les communautés locales et/ou les organisations non gouvernementales (ONG) et les responsables gouvernementaux des réglementations peuvent permettre de résoudre bon nombre de ces problèmes mondiaux et locaux, et il analyse des exemples de tels partenariats. Ces exemples, ainsi que bien d'autres cités dans les ouvrages, démontrent que les utilisateurs peuvent participer utilement à toutes les fonctions et les responsabilités de l'aménagement des pêcheries précisées à la figure 1 du chapitre 1, qu'il s'agisse de la collecte des informations, de leur analyse, de l'élaboration des plans, de la formulation des règlements, du respect des mesures ou de la répression des infractions. L'idée que les usagers peuvent, et devraient souvent, participer à toutes les étapes de la gestion, au lieu d'être simplement consultés par les responsables gouvernementaux des réglementations en tant que «rajouts» alors que les plans et règlements de pêche sont presque terminés, peut modifier profondément la façon de concevoir l'aménagement, si la prise de décisions est fortement centralisée.

Ce chapitre s'intéresse non seulement aux partenariats classiques entre le gouvernement et les petites communautés de pêche, mais aussi aux partenariats plus complexes et novateurs entre des parties qui exercent des activités à différents échelons. Par exemple, de petites communautés et de grosses entreprises de pêche peuvent être engagées ensemble dans des accords de cogestion. Les partenariats à plusieurs échelons sont plus rares mais tout aussi importants pour résoudre les problèmes, en particulier lorsqu'il y a des interactions entre les pêcheries hauturières et les pêcheries côtières.

Cependant, si les partenariats sont si utiles, on pourrait se demander pourquoi nous n'en avons pas encore. Une réponse rapide est qu'ils doivent être élaborés avec soin pour s'adapter à la situation, et être responsables et efficaces. Pas toutes les situations se prêtent aux partenariats, et les partenariats ne réussiront pas dans toutes les conditions. La bonne nouvelle est que nous avons maintenant de bons indicateurs de succès. Ces 20 dernières années, les spécialistes des sciences sociales ont rassemblé une riche documentation qui nous permet de déterminer les conditions et les situations qui laissent prévoir les partenariats promis à la réussite. Le présent chapitre résume certains de ces documents.

Malheureusement, les renseignements sur l'existence des partenariats, de même que sur les conditions de leur succès, font souvent défaut dans la formation et l'expérience des gestionnaires des pêcheries, ainsi que dans les organes d'aménagement où travaillent les experts en sciences naturelles. Malgré cela, bon nombre de ces derniers ont reconnu la nécessité d'incorporer une «dimension humaine» dans nos systèmes de gestion. Peter Larkin nous a rappelé il y a 10 ans qu'en centrant notre attention sur les poissons nous oublions souvent que nous gérons les poissons surtout en gérant des personnes. Comme nous le verrons dans ce chapitre, gérer des personnes signifie comprendre comment les organisations humaines et les valeurs humaines peuvent œuvrer en faveur des objectifs de l'aménagement des pêcheries, au lieu d'œuvrer contre ces objectifs.

En effet, le fait que nous n'ayons pas géré efficacement les personnes s'est avéré le principal facteur limitatif dans l'aménagement actuel des pêcheries. Même si les réglementations en matière d'exploitation des pêcheries ou les mesures de protection des habitats sont bien conçues, les efforts d'aménagement risquent d'être vains si les pêcheurs ou les pollueurs trouvent le moyen de les contourner. Mais quand les communautés ou les organisations de pêcheurs interviennent en tant que partenaires dans la planification, l'élaboration et l'application des réglementations, quand elles prennent part à la protection des habitats et, plus encore, quand elles se comptent parmi les artisans des politiques qui sous-tendent les décisions de gestion, elles octroient alors la pleine légitimité aux règlements, et ce sont elles qui défendent, surveillent, font respecter et mettent en œuvre avec le plus d'énergie ces décisions. Les partenaires de la communauté/des ONG peuvent même aider les organisations à mieux cerner un problème et à mettre au point une meilleure stratégie pour le résoudre. Les paragraphes 6.13 et 6.16 du Code de conduite pour une pêche responsable insistent sur l'importance du rôle des partenariats dans l'aménagement des pêcheries.

Intéresser les communautés ou les ONG à la gestion peut aussi être le seul moyen de mobiliser assez de ressources pour une gestion efficace. Dans certains cas, il s'agit de ressources qui servent à des évaluations même rudimentaires de l'abondance des stocks. Dans d'autres cas, les ressources serviront à étudier les interactions entre espèces et les valeurs des écosystèmes dans l'aménagement. Notre connaissance des systèmes naturels ayant évolué, nous savons maintenant qu'il nous faut mettre en place des systèmes de gestion qui traduisent la complexité et la diversité de ce que nous aménageons (voir chapitre 9). Néanmoins, nous n'avons pas les structures administratives souples et les ressources qui nous permettraient d'y parvenir. Nous savons que les gouvernements ne seront jamais en mesure d'accomplir seuls cette tâche ambitieuse. Des documents de plus en plus nombreux montrent comment les partenariats ont déjà donné une réponse appropriée à certains aspects importants de ce défi.

Les partenariats diffèrent quant à la portée de leurs activités, l'échelle géographique des zones d'eau de mer ou d'eau douce en jeu, le type et le nombre des parties concernées et le degré de pouvoir détenu par les parties non gouvernementales. Les sections qui suivent étudient différents types de partenariats sous ces quatre angles, et le coût de leur mise en place.

2 PARTENARIATS DE PORTÉE LIMITÉE OU DE VASTE PORTÉE

Dans le cadre le plus restreint, un administrateur du gouvernement peut s'associer à un groupement de la région pour recueillir des données sur un stock local (ou un stock secondaire), ou surveiller la pollution ou la perte d'habitats. Les recherches récentes les plus intéressantes sur les connaissances locales ou traditionnelles en matière d'écologie reposent en bonne partie sur ce type d'arrangement (Neis et Felt, 2000). Sans doute, les pêcheurs de la région connaissent-ils déjà bien le comportement et l'importance d'un stock local. Les gestionnaires peuvent travailler avec ces pêcheurs simplement pour noter leurs connaissances et leurs observations annuelles sur les modifications du stock, mais ils peuvent aussi associer les pêcheurs aux activités de suivi et de contrôle du stock (voir Code de conduite, paragraphe 6.4). Il s'agit souvent là des seules informations dont le gouvernement dispose sur les populations ichtyques locales. Etant donné que pour de nombreuses espèces les stocks sont composés de stocks secondaires locaux, distincts et plus petits, ces informations peuvent être essentielles pour l'aménagement de l'espèce tout entière.

La connaissance du stock secondaire peut aussi mettre en évidence des caractéristiques spatiales ou temporelles qui sont masquées par des données d'enquête recueillies sur une plus grande échelle et à l'intérieur d'un calendrier différent. Par exemple, le suivi continu, à l'échelon local, des homards dans les îles Magdalen a fourni d'amples informations sur leur répartition spatiale, l'utilisation de l'habitat et les interactions avec d'autres espèces, autant de données qui jusqu'à présent faisaient défaut (Gendron et al., 2000). Les pêcheurs locaux ont généralement développé des hypothèses sur ces interactions en s'appuyant sur des décennies d'observation. Ils proposent souvent de tenir compte de certains facteurs qui auraient échappé aux gestionnaires.

En résumé, ce type de partenariat de portée limitée offre de multiples avantages qui ne pourraient pas être obtenus sans partenariat avec les pêcheurs locaux.

Le partenariat peut:

Supposons que, outre la collecte et l'interprétation des données, les pêcheurs aient également aidé à voir comment les réglementations ont influencé la manière de pêcher et qu'ils aient même aidé à élaborer des réglementations plus efficaces. Ainsi, les connaissances locales serviraient à analyser les lacunes en matière de réglementation et à concevoir de façon dynamique des démarches qui auront de meilleures chances de succès. Cela a été fait pour les homards des îles Magdalen, où les pêcheurs locaux ont aidé les gestionnaires à interpréter les données sur les prises, les amenant à comprendre que l'efficacité de pêche s'était accrue, malgré des réglementations plus strictes. Les gestionnaires ont ainsi été amenés à penser que limiter l'effort de pêche en fermant des saisons ou des zones pourrait se révéler moins efficace pour réduire la mortalité que limiter le nombre de licences ou de pièges (Gendron et al., 2000).

S'associer en partenariat dans ce cadre d'aménagement légèrement plus grand permet de:

Les types de partenariats de portée limitée indiqués ci-dessus peuvent être très économiques si les pêcheurs sont disposés à donner gratuitement de leur temps et à utiliser l'équipement pré-existant, et si le gouvernement peut fournir au départ un peu de temps des fonctionnaires pour établir une relation avec les pêcheurs, ce qui permettra d'identifier des contrôleurs de confiance. Il y aura probablement des volontaires si l'activité fait déjà partie de la journée de travail, ou s'il s'agit d'une activité agréable pour le pêcheur, ou si ce dernier apprend quelque chose de nouveau et d'intéressant, ou participe à une activité qui offre un meilleur accès à l'information ou au pouvoir. Cependant, cette bonne volonté à se porter volontaire ne persistera probablement que si les gestionnaires sont capables d'accepter leurs partenaires pêcheurs et de les traiter avec respect. L'idéal serait que les gestionnaires remarquent que de nombreux pêcheurs s'intéressent avec passion à la santé de la ressource et peuvent beaucoup apporter dans l'interprétation des données, si on leur permet d'accéder à ces dernières et d'indiquer ce qu'elles peuvent signifier. Il y a de fortes chances que s'établisse une précieuse relation de confiance et de respect mutuels si les pêcheurs les mieux informés et les plus réfléchis sont traités comme des collègues dont on apprécie l'opinion. Dans une relation de ce genre, on leur permettra d'accéder librement aux données du gouvernement et de participer à la fois à l'analyse des données et à l'élaboration des réglementations s'appuyant sur ces données, activités décrites de façon détaillée au chapitre 5.

Dans de nombreux cas, les ONG peuvent fournir un peu de temps du personnel ou d'argent pour épauler une activité de suivi essentielle. Il est plus probable qu'elles le fassent et qu'il y ait des volontaires, si l'autorité chargée de l'aménagement a une bonne situation budgétaire et/ou peut apporter elle-même un certain appui financier, même modeste. Pour ce faire, il est souvent nécessaire que les gestionnaires oublient l'idée bien ancrée que les pêcheurs sont incapables de voir autre chose que leur propre intérêt, limité et à court terme. Ils doivent se rappeler que les pêcheurs agiront souvent dans l'intérêt public général et à longue échéance s'ils estiment qu'ils auront aussi des avantages à long terme. Autrement dit, les pêcheurs et les communautés investiront dans leur avenir s'ils sont sûrs que les contraintes actuelles ou l'effort volontaire leur apporteront des avantages. (Une analyse plus détaillée des conditions favorisant cette situation est donnée ci-après.)

Les projets de faible portée au coût peu élevé sont plus efficaces si une corrélation étroite est établie entre l'importance qu'un lieu représente ou l'identification avec ce lieu - ce qui est souvent le cas dans les communautés de pêche - et les objectifs du suivi ou d'une autre activité de portée limitée. Par exemple, de meilleures données sur tel stock local permettront d'établir des plans de pêche plus appropriés pour ce stock et de mieux comprendre comment d'autres facteurs affectent son abondance dans la zone considérée. Des réglementations s'appuyant sur ces données améliorées seront considérées comme davantage légitimes et elles seront mieux respectées. En outre, il est probable que les pêcheurs continueront de se porter volontaires pour assurer le suivi s'ils sont assurés d'être les premiers à avoir accès aux stocks reconstitués (voir aussi chapitre 6).

Les partenariats de plus vaste portée associent les communautés de pêche ou les ONG à tous les aspects de la gestion, même l'identification des questions de politique et l'élaboration de la politique générale. Un bon exemple de partenariat de vaste portée est le système élaboré dans l'Etat de Washington, aux Etats-Unis; les tribus qui ont conclu la convention cogèrent la pêcherie de saumon avec le Département du poisson et du gibier de Washington. Les tribus rencontrent le Conseil du gouverneur de l'Etat parallèlement à tous les départements qui gèrent des ressources naturelles, afin d'identifier les questions de politique qui sont source de préoccupation et de mettre au point des approches. Autrement dit, les tribus ont une relation de gouvernement à gouvernement avec le Département du poisson et du gibier, même si leurs ressources ne sont pas égales. Ce type de partenariat est étudié ci-dessous dans la section sur les différents niveaux de pouvoir. L'évolution des relations entre les tribus et l'Etat a permis plus de transparence dans les données, grâce à l'ordinateur de l'Université de Washington, et la répartition des tâches de gestion pour éviter les chevauchements.

Les partenariats de vaste portée exigent normalement beaucoup de personnel et un renforcement des capacités des partenaires des ONG; ils sont généralement financés par de multiples services publics. Aux Etats-Unis d'Amérique, les administrateurs des tribus reçoivent notamment des fonds du Bureau des affaires indiennes. Cependant, le Canada fait une expérience de financement des organisations régionales de vaste portée par le biais du Département des pêches et des océans. (Cela se produit habituellement après que de longs conflits aboutissent à un renforcement de la coopération, et le Département estime que la gestion sera mieux desservie si l'on finance les régions sur une base expérimentale, pour ensuite les institutionnaliser dans le long terme si elles obtiennent de bons résultats.) Ces organisations ont toutefois obtenu des financements de fondations privées et de diverses instances gouvernementales lors de leur démarrage. Les initiatives de ces organisations en matière de recherche suscitent aussi l'intérêt des universités, de même que des chercheurs travaillant pour le gouvernement, et peuvent souvent devenir des centres de financement et d'activités provenant de multiples sources privées et publiques. Les avantages du partenariat de vaste portée peuvent se résumer comme suit:

Il est important de noter que, dans de nombreux pays en développement et états insulaires, il existe des communautés de pêche qui réglementent leur effort de pêche de façon informelle, en s'appuyant sur l'observation de l'abondance du poisson et sur la lecture des indicateurs qui prévoient l'abondance à long terme. Beaucoup de géographes, anthropologues, scientifiques politiques et biologistes ont recueilli une documentation sur ces cas et en ont fait des synthèses. Citons notamment Johannes (1978, 1981), Klee (1980), Spoehr (1980), Ruddle et Johannes (1985), Cordell (1989), Dyer et McGoodwin (1994), Wilson et al. (1994), Schlager et Ostrom (1993), Durrenberger et King (2000). Le Japon a réalisé la série la plus «complète» et intégrée de partenariats, en intégrant les anciens systèmes locaux d'aménagement dans la planification des pêcheries à tous les niveaux de l'administration locale, régionale et nationale (Yamamoto et Short, 1992; Pinkerton et Weinstein, 1995). Ces cas permettent d'estimer que le grand défi que doivent relever les pays en développement est sans doute de déterminer s'il existe déjà de tels systèmes «domestiques» et, si tel est le cas, de les soutenir et les intégrer dans la gestion régionale et nationale par le biais d'accords de cogestion. Le financement qui permet de faciliter la phase de démarrage de ces systèmes peut parfois être obtenu par l'intermédiaire d'organismes de recherche internationaux ou d'universités (Stoffle et al., 1994).

3 PARTENARIATS À PETITE OU GRANDE ÉCHELLE

Les exemples ci-dessus de partenariats de portée limitée sont aussi des partenariats à petite échelle, étant donné que la zone géographique est restreinte (mais il faut noter que dans une zone restreinte l'échelle de temps peut être de grande ampleur). Ames et al. (2000) soulignent la nécessité d'incorporer de nombreuses échelles d'espace et de temps quand ils analysent comment la pêche altère les processus écologiques. Cette façon de faire s'oppose à l'approche conventionnelle appliquée aux décisions en matière d'aménagement, qui s'appuie sur la mesure de la mortalité par pêche d'un stock unique à un seul échelon spatial - l'éventail des poissons - et un seul échelon temporel - une année. Les scientifiques ont remarqué depuis longtemps que la surexploitation des fonds de pêche a souvent un rôle de dégradation méconnue des habitats. Bien entendu, la nécessité de protéger l'habitat des poissons ne sera prise en compte que si les gestionnaires comprennent bien comment contrôler les liens entre habitats et espèces. Ainsi, les analystes allèguent que souvent la surexploitation n'est pas décelée, à moins que les gestionnaires ne surveillent la composition des espèces de la communauté écologique à laquelle les poissons appartiennent et la suppression graduelle des systèmes secondaires. Cet argument laisse entendre qu'en matière d'aménagement les groupements locaux sont peut-être les mieux placés pour protéger les composantes de faible envergure d'un écosystème. Ainsi, les mesures d'aménagement des pêcheurs locaux ou des partenaires locaux devraient être intégrées dans une institution directrice adaptative à plusieurs niveaux, afin de correspondre aux multiples échelles du système halieutique (Ames et al., 2000).

Parmi les partenariats qui ont obtenu les meilleurs résultats, certains fonctionnent à une échelle régionale, avec un intérêt commun pour un bassin versant ou un bassin secondaire. Un partenariat de faible portée à l'échelle régionale, par exemple celui de la rivière Kuskokwim en Alaska, concerne la collecte de données sur les mêmes stocks par différentes communautés situées à des points différents de la rivière, alors que les stocks remontent le courant. En associant leurs données en temps réel et leurs connaissances locales traditionnelles des schémas de migration des différents stocks dans diverses conditions, les communautés riveraines sont en mesure de travailler avec le Département du poisson et du gibier de l'Alaska, en vue de fournir une bonne évaluation des stocks et de l'abondance des espèces. Cette approche est efficace parce qu'un partenariat à l'échelle régionale peut porter sur un éventail plus large de conditions et de facteurs que ne le fait la pêcherie dont le contrôle est unique, ou la clôture de comptage que le gouvernement utilisait auparavant. Le partenariat est né de la controverse à propos de l'exactitude de l'indice d'abondance du gouvernement. Avec le partenariat à l'échelle régionale, l'évaluation de l'abondance est maintenant considérée comme légitime, et le gouvernement a une base de données beaucoup plus riche pour prendre ses décisions en connaissance de cause (Pinkerton et Weinstein, 1995). Le partenariat se fondait également en grande partie sur le contrôle volontaire effectué par les pêcheurs, avec des contributions en nature fournies par une association régionale, un organisme du gouvernement fédéral et une entreprise de transformation du poisson. Le Département du poisson et du gibier de l'Alaska a apporté sa contribution sous forme de temps de travail du personnel pendant la première saison pour former un responsable du suivi appartenant à la communauté - qui par la suite est devenu un partenaire digne d'une très grande confiance - et de temps de travail pour des réunions pendant la saison afin de rassembler et d'interpréter les données en collaboration avec les partenaires de la communauté.

Un partenariat de plus vaste portée à l'échelle régionale pourrait prévoir des effets sur les habitats du bassin et des activités de valorisation dans ses plans de pêche, comme l'a fait le Skeena Wathershed Committee en Colombie britannique ou le Mitchell River Waterhshed en Australie. Autrement dit, les multiples parties intéressées de la communauté et les multiples services publics prennent les décisions sur la base de critères multiples. Du point de vue de la communauté, les pêcheurs acceptent plus facilement de voir se réduire leur occasion de capturer des espèces moins abondantes, s'ils participent au processus de planification visant à augmenter l'abondance d'autres espèces et à reconstituer les stocks des espèces dépeuplées. Dans ce cas-là, la planification consiste aussi à améliorer la protection des habitats, à participer à la restauration de ces derniers et à se livrer à des activités en vue d'accroître la production en eau douce des alevins et des tacons. Le plus important est peut-être que les pêcheurs concernés et les représentants de la communauté appartenant au comité voient au-delà de leurs propres intérêts immédiats et sentent qu'ils font partie d'un vaste programme visant à rétablir la santé du bassin versant. Le fait de vaincre l'isolement géographique et de coopérer à l'échelle régionale peut agir puissamment sur les parties, ces dernières se rendant alors compte qu'en coopérant elles ont le pouvoir d'effectuer des changements positifs à une échelle plus importante, tout en améliorant, ou tout au moins en stabilisant, leur propre situation. Elles s'aperçoivent aussi qu'il ne sera possible d'améliorer la pêcherie que si toutes les parties dont les situations diffèrent y contribuent. Ainsi, elles sont souvent disposées à «donner pour obtenir», même en retardant leur propre «compensation». Les services publics peuvent aussi être mieux à même de faire des compromis dans le souci d'obtenir de meilleurs résultats à longue échéance (Pinkerton et Weinstein, 1995).

L'opération du Skeena Watershed Committee entrait dans le cadre d'une expérimentation gouvernementale ambitieuse et coûteuse qui mettait en jeu énormément de recherches sur les stocks de la part des scientifiques de l'Etat et l'embauche d'un animateur professionnel. Cependant, elle a aussi permis d'obtenir des fonds d'autres organismes gouvernementaux et de sources privées, et tous les participants y ont consacré du temps et des efforts. Selon les ressources humaines disponibles, il peut être possible de développer la coopération à l'échelle régionale sans de gros financements. En résumé:

4 PARTENARIATS À DEUX OU PLUSIEURS PARTIES

Le partenariat entre un seul service public et une seule communauté ou ONG est la forme la plus simple de partenariat. Mais quelle que soit la portée des décisions communes en matière d'aménagement ou l'échelle géographique de l'unité de gestion, les partenariats mettent souvent en jeu de multiples «communautés» et services publics, comme le montrent les exemples ci-dessus d'aménagement de bassins versants.

De tels partenariats sont souvent mis sur pied au Canada, sur les deux côtes. Sur la côte ouest de l'île de Vancouver, dans la province de la Colombie britannique, un partenariat entre les Premières Nations aborigènes et les communautés non aborigènes, parallèlement aux gouvernements municipaux et régionaux, à des groupements locaux environnementaux et à des institutions de développement communautaire, se développe depuis le début des années 90. Il est officiel depuis 1997; les termes de référence ont été approuvés en février 2001, et la formation du conseil a commencé en novembre 2001 (Pinkerton, 1999; Loucks et al., 2002). Sur la côte est du Canada, des groupements utilisant plusieurs engins et des représentants de la communauté ont constitué des conseils pour mettre sur pied des plans de pêche et surveiller les livraisons de poisson (Loucks et al., 1998; deYoung et al., 1999). Sur les deux côtes, ces organes locaux de planification sont établis au sein d'organisations régionales plus vastes, comprenant de multiples parties et communautés locales qui sont guidées par l'intérêt public général.

Le fait que de multiples communautés puissent collaborer présente d'énormes avantages. Du point de vue du gouvernement, un des avantages est le règlement des conflits, car souvent se trouvent ainsi réglés les problèmes des répartitions entre les secteurs en conflit - pêche sportive, commerce, secteurs aborigènes - dont les différends nuisaient à la qualité de l'aménagement. Du point de vue de la communauté/des ONG, la collaboration accroît les possibilités de développer une vision à long terme et le sens de la gestion autour de cette vision. Etant donné que les points de vue sont multiples et que certains partenaires sont souvent des communautés (qui ont un intérêt général dans la prospérité à long terme de la région, contrairement aux pêcheurs, qui peuvent avoir un intérêt particulier pour certains stocks), la vision bénéficie d'un large soutien et sera probablement durable. L'importance de développer de tels partenariats est traitée par exemple dans les paragraphes 6.13, 7.1.2 et 7.6.6 du Code de conduite.

5 PARTENARIATS AVEC DIFFÉRENTS NIVEAUX DE TRANSFERT DES POUVOIRS À LA COMMUNAUTÉ: LA RESPONSABILITÉ

Au plus la portée des actions auxquelles participe une communauté ou un conseil régional est vaste, au plus le degré de pouvoir détenu par les ONG a des chances d'être élevé. Cependant, comme le partage du pouvoir fait généralement l'objet de négociations, il est possible qu'une communauté/ONG détienne beaucoup de pouvoir dans un domaine de gestion et peu dans un autre. Par exemple, un accord visant à cogérer une pêcherie pourrait prévoir une égalité de pouvoir pour l'élaboration d'un plan de pêche, mais pas de pouvoir de la communauté/ONG pour décider qui peut avoir accès au poisson, ou pour élaborer une politique générale concernant l'orientation ou la vision des futurs objectifs d'aménagement.

Autrement dit, il existe différents niveaux de pouvoir, ou un pouvoir pour les différents niveaux de la prise de décisions, quelle que soit l'échelle des décisions. Un partenariat égal pour décider comment collecter et analyser les données est une forme de pouvoir importante, mais cependant assez faible comparée au pouvoir de décider comment la pêcherie sera dirigée ou qui a le droit de participer à une pêcherie, quelle quantité pourra être prélevée, etc. Nous pourrions penser à une hiérarchie de niveaux de pouvoir. En bas de la hiérarchie, se trouvent les décisions concernant les opérations ou les activités, qui peuvent elles-mêmes être rangées par ordre ascendant d'importance. Au niveau suivant, il y a les décisions établissant qui doit élaborer les règles de fonctionnement et qui est exclu du secteur de la gestion concerné par les décisions (adhésions). Au sommet de la hiérarchie, se trouvent les décisions sur la manière dont les règles aux deux autres niveaux doivent être élaborées, et quels sont les groupes qui peuvent participer à leur élaboration (Ostrom, 1990). Les tribus qui ont conclu le traité dans l'Etat de Washington détiennent un statut égal à celui du Département des pêches de Washington à chaque niveau de la prise de décisions, et ont ainsi le pouvoir de partenariat maximal, de même qu'une marge de manœuvre maximale dans la prise de décisions (dans tous les domaines de la gestion). (A l'opposé, l'échelle géographique du territoire sur lequel chaque tribu a autorité est relativement limitée, de sorte que les tribus coordonnent leurs négociations par l'intermédiaire d'un organe qui n'a pas d'autorité légale, la Northwest Indian Fish Commission).

Tous ces niveaux de pouvoir peuvent être opposés au simple statut consultatif que les gestionnaires gouvernementaux attribuent souvent aux associations de pêcheurs (Berkes et al., 1991). Il est important de noter que les conseillers diffèrent des partenaires et de tenir compte du fait que les relations consultatives ne procurent pas les avantages des relations de partenariat. Si les conseillers s'aperçoivent qu'ils ont peu de pouvoir et d'influence, ils retourneront aux politiques clientélistes habituelles qui créent des dissensions. Cela met en évidence les principaux avantages du partage du pouvoir: la résolution des conflits et la mobilisation de l'énergie pour résoudre les problèmes dans les parties essentielles du système. Cela vaut également pour la résolution de conflits entre le gouvernement et les communautés et entre des parties concurrentes, qui participent parfois à la cogestion régionale par le biais de partenariats régionaux.

Souvent, le gouvernement n'est pas conscient du fait que les ressources humaines représentent une forme précieuse d'énergie, qui ne peut être mobilisée et utilisée que dans des conditions appropriées. Les sociologues nous disent que les gens «se donneront à fond», en apportant une contribution bien au-delà de celle qui leur est officiellement demandée quand a) ils croient en l'objectif d'un partenariat; b) ils sentent qu'ils font partie d'une équipe de travail dans laquelle il existe un respect mutuel et une préoccupation pour les conditions de vie de tous les partenaires; c) ils sentent qu'ils sont à même d'apporter une contribution à l'équipe qui est respectée et appréciée par les autres partenaires (Senge, 1990). Ces trois conditions s'appliquent dans les partenariats de gestion des pêcheries où il existe une situation de responsabilité entre les partenaires et parmi eux. La responsabilité exige:

Quand la responsabilité fait défaut, les ressources humaines ne sont pas mobilisées. En outre, l'énergie va dans la direction opposée. Au lieu de faire des heures supplémentaires pour résoudre les problèmes, les pêcheurs et les communautés subvertissent activement les plans et mesures d'aménagement des gestionnaires qui, selon eux, n'ont pas une attitude responsable.

6 PARTENARIATS INHABITUELS PERMETTANT DE RÉSOUDRE CERTAINS PROBLÈMES D'ÉQUITÉ: LIER LES PÊCHERIES DE HAUTE MER AUX COMMUNAUTÉS CÔTIÈRES

Outre la responsabilité, une des conditions nécessaires au succès des partenariats est l'équité. Normalement, l'équité s'entend de la représentation démocratique de différents groupes d'engins, ou de pêcheurs dont la situation diffère, ou de représentants de la communauté dans les conseils de cogestion qui partagent le pouvoir avec le gouvernement.

La plupart des pays sont également confrontés à un autre dilemme à propos de l'équité. Comment devraient-ils équilibrer l'activité des flottes hauturières fortement capitalisées et très performantes avec les besoins d'accès des communautés côtières qui soutiennent de nombreuses pêcheries artisanales ou de subsistance? Ce dilemme a été bien saisi dans un film documentaire sur les grèves des pêcheurs côtiers et des petits commerçants en poisson, qui ont eu lieu en Inde dans les années 90 et ont pris une ampleur nationale. Le Gouvernement indien voulait que la flotte qui pêchait au chalut en haute mer soit une importante source de liquidités et de devises. Cependant, les pêcheurs côtiers et les commerçants ont remarqué que les espèces de poissons qu'ils avaient coutume de capturer dans leurs pêcheries côtières artisanales étaient en train d'être éliminées. Ils ont organisé des protestations dans tout le pays et ont finalement réussi à stopper définitivement la flotte hauturière, ou tout au moins ses composantes non indiennes (Thalenberg, 1998).

Dans la plupart des cas, il n'est probablement ni réaliste ni même souhaitable d'arrêter complètement les flottes hauturières. Parfois, elles peuvent capturer des espèces qui ne se trouvent pas dans les eaux douces. Cependant, il arrive souvent que ces flottes soient non seulement tributaires des espèces migratoires aussi capturées dans les eaux douces, mais qu'elles capturent accidentellement beaucoup d'autres espèces dont les communautés de pêche côtière dépendent. Ainsi, savoir comment équilibrer ces deux impératifs est en général un dilemme auquel est confrontée la politique. En Alaska, un partenariat novateur appelé programme des quotas de développement communautaire (QDC) a été mis sur pied en vue de traiter les questions importantes que pose ce dilemme.

En Alaska, environ 10 pour cent d'une pêcherie d'une valeur de 1 milliard de dollars visant les lieux jaunes, flétans, morues charbonnières, crabes et autres poissons de fond dans la mer de Bering, qui étaient capturés principalement par des flottes hauturières (établies dans des centres de production éloignés de l'Alaska) ont été alloués à six coalitions de villages (comprenant en tout 62 villages) dans l'ouest de l'Alaska. Les villages, traditionnellement tributaires des pêcheries d'eaux douces (à l'exception du lieu jaune), étaient isolés géographiquement et avaient un accès limité aux sources de revenus en espèces. Le but du programme, démarré en 1992, était d'aider les communautés à mettre en place l'infrastructure et à avoir le personnel nécessaire pour favoriser une participation à long terme dans le secteur halieutique, et à établir ainsi une base économique et sociale plus solide (National Research Council, 1999). Le programme visait à résoudre le problème de l'exclusion et de la marginalisation de ces communautés qui ne pouvaient pas participer au secteur ou accéder à toutes les pêcheries. On considérait qu'il était essentiel parce que même les licences originales pour le saumon, le hareng et le flétan octroyées à ces villages étaient en général vendues ailleurs en Alaska, dans des centres urbains ou des communautés plus grandes. Certains villageois n'avaient jamais reçu de licence car ils ne pêchaient que pour leur subsistance.

Les coalitions communautaires sont organisées comme des sociétés à but non lucratif qui fixent les buts généraux et les objectifs spécifiques, et soumettent des plans annuels de travail au Département des affaires communautaires et régionales de l'Alaska. Les rapports sur les résultats qu'elles obtiennent dans la réalisation de ces buts sont examinés par l'Etat, qui effectue un gros travail de supervision. L'Etat a le pouvoir de modifier la répartition du quota entre les six communautés en fonction de leurs résultats, et il a déjà exercé ce pouvoir.

Les communautés n'ont pas de rôle direct dans les décisions portant sur l'aménagement des pêcheries en ce qui concerne la pêcherie de lieux jaunes (la principale pêcherie hauturière à grande échelle), mais leur présence dans la pêcherie en tant que partenaires ou matelots signifie qu'elles devraient normalement faire entendre leur voix à propos des captures accessoires et/ou de la destruction des habitats par cette flotte quand elle affecte les espèces qu'elles capturent dans les pêcheries communautaires (essentiellement le flétan et le saumon). Et elles ont vraiment un rôle de gestion dans les pêcheries communautaires de moindre envergure exploitant d'autres espèces, que la plupart des villages ont créées grâce aux recettes de la pêcherie de lieux jaunes. Les communautés reçoivent essentiellement des royalties de la flotte industrielle, qu'elles utilisent pour accroître leur propre participation à la pêcherie ou pour l'éducation. Ces activités sont contrôlées par le Service national des pêches maritimes, l'instance fédérale dont la juridiction s'exerce au-delà de 3 milles de la côte de l'Alaska. Les communautés ont plusieurs possibilités: recevoir les royalties en espèces; négocier des emplois pour les membres de la communauté à bord des navires pêchant le lieu jaune auxquels elles louent à bail leur part de captures; utiliser les espèces pour des bourses d'études ou l'achat d'engins, de navires ou de licences; louer à bail une partie du quota à des pêcheurs de la communauté; ou créer une pêcherie locale de flétans utilisant des skiffs.

Dans les cas où les communautés ont créé une pêcherie locale, elles appliquent des limites sur les sorties en mer et les saisons, afin de répartir les possibilités entre les pêcheurs. Elles utilisent surtout des skiffs d'une longueur maximale de 36 pieds, et les organisations qui mettent en œuvre le programme de QDC surveillent les niveaux de capture et contrôlent le rythme de la pêcherie (Langdon, 1999). Ces nouvelles pêcheries ne sont pas à l'origine d'une «course à l'exploitation» ni de navires surcapitalisés; leur envergure reste largement limitée. Une association villageoise a construit quelques embarcations de plus grande taille, mais elle leur demande de pêcher à 5 milles du village, de façon que les skiffs locaux aient un territoire qui leur soit réservé. Certains villages ont ajouté de la valeur et conservé des emplois dans la communauté en construisant de petites usines de transformation. Des usines à but lucratif possédées par des organisations à but non lucratif ont également retenu 20 pour cent des quantités débarquées par les pêcheurs pour garantir que les prêts de démarrage soient remboursés en temps voulu. Bref, les villages ont bien su voir comment intégrer une pêcherie commerciale dans leur économie de subsistance par le biais d'un plan de développement (Langdon, 1999).

Le programme de QDC de l'Alaska pourrait s'appliquer de façon plus générale à toute communauté vivant de la pêche dont les perspectives d'activité économique sont limitées. Les partenaires de la communauté peuvent détenir des droits pour prendre des décisions ne concernant que leur qualité de membre et la façon de conduire leur propre pêcherie dans les zones côtières. Ces partenariats peuvent toutefois traiter les difficiles problèmes d'orientation politique concernant l'équité. Ils illustrent comment:

Si l'on reconnaît que ce secteur ne lutte pas beaucoup pour obtenir des droits d'accès aux pêcheries, mais joue cependant un rôle essentiel dans la diversité sociale et économique et le bien-être d'un pays, ce dernier peut alors utiliser ce mécanisme pour assurer que les communautés jouent un rôle permanent dans la pêcherie.

7 LES ÉCARTS DE POUVOIR DES DIVERS PROTAGONISTES DANS LES CONSEILS RÉGIONAUX

Un autre cas particulier d'équité intéresse le dilemme sur la façon de représenter les puissants intérêts non locaux dans les conseils régionaux, où les protagonistes extérieurs ont des droits de pêche dans la région qui seront affectés par les décisions des conseils régionaux. Le problème est que l'on ne peut pas s'attendre à ce que les protagonistes extérieurs aient le même degré de préoccupation que la communauté en ce qui concerne la protection des habitats locaux, les liens des écosystèmes ou l'exploitation durable des stocks locaux. Cela tient au fait que les protagonistes extérieurs s'identifient moins à la région, ont moins l'occasion de développer une éthique de prise en charge et sont plus susceptibles d'avoir d'autres perspectives d'avenir diversifiées (ils sont moins tributaires des stocks locaux et de leurs habitats). On peut les caractériser comme ayant un intérêt économique dans la région, mais pas un intérêt de prise en charge. Le conseil de l'île de Vancouver, sur la côte ouest, a résolu ce problème en faisant représenter ces protagonistes dans des comités où participent des pêcheurs locaux, qui établissent des plans de pêche mais ne sont pas représentés directement dans le conseil responsable de la politique générale. Cela conduit à l'important corollaire ci-après.

Condition. Les intérêts économiques extérieurs peuvent être représentés dans les conseils communautaires ou régionaux, pourvu qu'ils n'aient pas la possibilité de prédominer.

Un autre effort pour modeler les liens et favoriser l'équité entre les flottes hauturières (qui utilisent de gros navires) et les groupements de pêcheurs opérant près des côtes ou dans les eaux douces (qui utilisent des bateaux plus petits), est représenté par l'Alliance maritime de l'Atlantique Nord-Ouest (NAMA), créée en 1997 à Saco, dans le Maine, aux Etats-Unis. La NAMA reçoit actuellement le soutien des organisations de pêcheurs des Etats du Maine, New Hampshire, Massachusetts et Rhode Island, ainsi que du Canada maritime. Il s'agit d'une coalition-cadre qui encourage la recherche en collaboration, pour dispenser un enseignement sur les liens des écosystèmes et la pêche sélective. La NAMA facilite également les efforts des parties prenantes pour élaborer une réglementation des embarcations qui ne défavorise pas les navires pêchant dans les eaux douces, ou transfère l'effort de pêche des zones de haute mer vers les zones d'eaux douces, menaçant ainsi l'équilibre historique de l'attribution de l'effort de pêche et sa répartition géographique. Comme la réglementation de la pêche élaborée par le Conseil d'aménagement des pêcheries de Nouvelle-Angleterre ne tiennent pas obligatoirement compte des conditions locales, la NAMA se mobilise en faveur du droit des zones locales à élaborer des règlements pour leurs propres zones qui soient plus appropriés que les règlements généraux établis par le Conseil. Parmi ces derniers, beaucoup ont tendance à accroître l'effort de pêche des flottes hauturières et à augmenter les captures accessoires et les déchets par le biais de rejets réglementaires, en raison par exemple de sorties en mer quotidiennes très peu limitées. La NAMA préconise l'équilibre et la communication entre le secteur hauturier et le secteur côtier dans une perspective de conservation axée sur les écosystèmes, qui se fonde sur les relations communautaires, sur une prise de conscience plus nette à l'égard des pratiques de pêche qui détruisent les valeurs et les relations des écosystèmes, et sur la nécessité d'améliorer les stocks. Elle cherche à inclure parmi ses membres toutes les parties intéressées pertinentes concernées par les ressources marines (http://www.namanet.org; interviews 2000). L'existence de la NAMA est une autre illustration du fait que les initiatives en matière de conservation dans le cadre de l'industrie halieutique prennent souvent naissance dans le secteur côtier, davantage tourné vers la communauté, mais que ce dernier est capable d'aller vers le secteur hauturier et de l'intégrer en appliquant l'autorité et les conditions qui conviennent. La NAMA bénéficie du soutien de personnalités importantes, ainsi que d'une idéologie à l'intérieur de l'Etat, selon laquelle les communautés côtières vivant de la pêche ne devraient pas être les premières à être repoussées hors de l'industrie. Cette organisation à but non lucratif est financée par les dons des fondations, les contributions individuelles et collectives et les adhésions. La NAMA emploie deux personnes et reçoit une aide équivalant à deux autres emplois, grâce au volontariat des membres du Conseil.

Condition. Les organisations qui contribuent à améliorer la communication et l'enseignement entre différents secteurs et à accroître les types d'engins de la flotte commerciale peuvent encourager une éthique de prise en charge dans tous les secteurs et renforcer la coopération et les règlements appropriés des différents secteurs.

8 CONDITIONS FAVORISANT DES PARTENARIATS EFFICACES

Jusqu'à présent, j'ai examiné les conditions propices aux partenariats, qui ont une incidence sur la responsabilité et l'équité. Dans cette section, j'attire l'attention sur les conditions qui laissent prévoir qu'un partenariat sera efficace. Certaines de ces conditions concernent les caractéristiques des partenaires, d'autres les caractéristiques du partenariat ou des institutions créées par l'intermédiaire du partenariat, et d'autres enfin les caractéristiques de la ressource ou des ressources gérée(s) par le biais du partenariat. Les spécialistes des sciences sociales ne sont pas en mesure d'établir de façon catégorique les conditions nécessaires dans toutes les circonstances, ni les associations avec les uns ou les autres; ils peuvent seulement affirmer que plus il y a de conditions réunies dans un cas particulier, plus la réussite est probable. Il faut noter que les conditions favorisant l'efficacité doivent être examinées en même temps que les conditions favorisant la responsabilité et l'équité, qui ont été analysées plus haut

8.1 Caractéristiques des partenaires

8.2 Caractéristiques du partenariat ou de l'organisme créé par le biais du partenariat

8.3 Caractéristiques de la ressource ou des ressources

9 LES PARTENAIRES DE LA COMMUNAUTÉ PEUVENT AJOUTER DE LA VALEUR À LA RESSOURCE

Une part croissante des poissons de la planète sont exploités et transformés au moyen de stratégies de production massive qui ne donnent pas la possibilité d'ajouter de la valeur. En effet, beaucoup plus de poissons que ne l'exige la demande commerciale sont vendus sous la forme qui a le moins de valeur, tout simplement parce que cela convient à la stratégie de production des grandes compagnies (Pinkerton, 1999).

La production massive encourage également la surexploitation des fonds de pêche, parce que les navires gros consommateurs de capitaux doivent ramener des volumes importants de poisson pour couvrir les coûts de fonctionnement, compte tenu notamment des fluctuations du marché en ce qui concerne les prix du carburant et du poisson. Les cycles d'expansion et de dépression du marché obligent les navires qui ont des coûts de fonctionnement élevés à capturer davantage de poissons pour couvrir les frais, d'où une dégradation des pêcheries qu'ils exploitent (Clapp, 1998).

Les pêcheries communautaires sont d'une envergure plus limitée, demandent moins de capitaux, sont moins vulnérables aux variations des coûts de fonctionnement (maind'œuvre, carburant) et peuvent donc s'adapter plus facilement aux variations des cours mondiaux du poisson ou aux modifications de l'abondance du poisson. Comme elles sont plus petites et exigent davantage de main-d'œuvre, elles ont davantage la possibilité - tout au moins s'il existe des techniques de conservation appropriées - de capturer des poissons vivants ou de préserver plus longtemps la qualité du poisson, et de le transformer en produits de plus haute qualité (davantage de valeur ajoutée) (deYoung et al., 1999).

10 CONCLUSION

Le présent chapitre a examiné les conditions dans lesquelles les problèmes suivants peuvent être traités par le biais de partenariats: données et analyse de données insuffisantes; faible crédibilité des données et de l'analyse des données; réglementation inadéquate en matière d'exploitation; faible légitimité des règlements; mise en application insuffisante des règlements; surexploitation des ressources aquatiques; attention insuffisante accordée aux interactions entre les espèces et aux liens habitatsécosystèmes; captures accessoires; destruction des habitats; incapacité à acquérir la pleine valeur de la ressource. Quatre dimensions de partenariat ont été analysées: leur champ d'application, leur envergure, le nombre de parties et le degré de partage du pouvoir. Les partenariats ont été caractérisés du point de vue de leur responsabilité, équité et efficacité, et les conditions qui laissent prévoir la réussite des partenariats possédant ces caractéristiques ont été identifiées. Les quotas de développement communautaire ont été décrits comme un mécanisme permettant d'associer les pêcheries hauturières aux pêcheries côtières, ou d'accorder simplement l'accès aux pêcheries à des communautés qui sans cela seraient désavantagées sur le plan commercial. Les organisations-cadres régionales et les conseils régionaux ont également été décrits comme des moyens permettant d'intégrer les pêcheries hauturières et les pêcheries côtières et d'encourager la prise en charge.

11 REMERCIEMENTS

Je suis reconnaissant envers le Conseil de recherche en sciences sociales et humanités du Canada pour l'aide qu'il m'a apportée pendant de nombreuses années dans mes recherches sur les institutions de cogestion.

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