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FORUM MONDIAL FAO/OMS
DES RESPONSABLES DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS

Marrakech (Maroc), 28 – 30 janvier 2002

Améliorer l’efficacité et la transparence
dans les systèmes de sécurité sanitaire des aliments
Partager l’expérience

APPENDICE VII

ALLOCUTION D'OUVERTURE:
"AMÉLIOIRER L'EFFICACITÉ ET LA TRANSPARENCE
DANS LES SYSTÈMES DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS
PARTAGER LES EXPÉRIENCES"

Questions concernant la sécurité sanitaire des aliments, un enjeu international

par
Mamdouh GABR
M. D., F. R. C. P.
Professeur de pédiatrie à l'Université du Caire (Égypte)
Ancien Président de l'Union internationale des sciences de la nutrition
Ancien Président de l'Association internationale de pédiatrie



Introduction

La sécurité sanitaire des aliments a été au centre des préoccupations de l'humanité dès les premières civilisations. La fermentation, une méthode primitive de préservation de la sécurité sanitaire des aliments, encore employée de nos jours, était connue des civilisations égyptiennes et chinoises. Des structures élaborées comme les silos à grains, étaient bâties pour le stockage des produits alimentaires. Il est stupéfiant qu'en l'absence de connaissances scientifiques, les Égyptiens de l'antiquité cherchaient, lorsqu'ils construisaient ces silos, à combattre l'humidité et à éviter la contamination animale et humaine en pratiquant une ouverture dans la partie inférieure de la structure pour en prélever les grains qui y étaient déversés par le haut.

Plus récemment, la découverte des microorganismes, l'utilisation généralisée des pesticides et des engrais, les progrès réalisés dans l'industrie alimentaire et l'expansion rapide du commerce mondial des produits alimentaires ont rendu nécessaire l'adoption de diverses mesures de sécurité sanitaire des aliments.

Le système des Nations Unies a reconnu le rôle crucial de la sécurité sanitaire des aliments et ses conséquences sur le plan économique et sanitaire. Le Codex Alimentarius a été établi en 1963 dans le but de protéger la santé des consommateurs et pour assurer des pratiques loyales dans le commerce des denrées alimentaires. Divers comités et sous-comités ont été constitués. Des déclarations et des accords internationaux ont été formulés. Des stratégies de prévention innovatrices ont été mises au point pour assurer la sécurité des approvisionnements alimentaires. L'une des plus importantes est le cadre mis en place pour l'analyse des risques et le Système HACCP pour l'analyse des risques et maîtrise des points critiques. En dépit de ces efforts, on estime que dans les pays développés un tiers de la population est victime chaque année de maladies d'origine alimentaire. La situation est plus grave dans les pays en développement où les cas signalés ne représentent que la pointe de l'iceberg. Les maladies diarrhéiques d'origine hydrique et alimentaire tuent chaque année quelque trois millions de personnes. Deux à trois pour cent des maladies transmises par voie alimentaire sont responsables d'un mauvais état de santé durable.

Les enjeux actuels sont divers. D'autres viendront s'y ajouter. Je m'arrêterai brièvement sur certains d'entre eux.

L'APPROCHE DE L'ÉVALUATION QUANTITATIVE DES RISQUES

Au travers de l'histoire, l'évaluation de la sécurité sanitaire des aliments a été qualitative plutôt que quantitative. Les décisions étaient le plus souvent basées sur des observations et des évaluations subjectives. Avec les progrès scientifiques, des efforts ont été faits pour quantifier les risques liés à l'alimentation. La démarche adoptée pour l'établissement des priorités, est généralement l'approche coûts-avantages. Le recours à l'évaluation quantitative des risques suppose l'existence d'une solide base scientifique, qui peut faire défaut, surtout dans les pays en développement. Les coûts et les avantages des réglementations en matière de sécurité sanitaire des aliments sont souvent intangibles et difficiles à traduire en des quantités monétaires. Il est souvent difficile de confronter les risques, qui pourraient être exprimés en termes subjectifs, aux avantages susceptibles d'être exprimés en termes économiques. Comment pouvons-nous quantifier la qualité de vie ou pire encore le coût d'une vie humaine?

Bien que le concept d'approche quantitative des risques soit à maintenir, il doit néanmoins inclure la prise en compte subjective d'éléments non quantifiables, ainsi que les divers déterminants qui affectent la sécurité sanitaire des aliments.

ÉTABLISSEMENT ET MISE EN APPLICATION DE RÉGLEMENTATIONS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS

Quelle que soit la politique adoptée en matière de sécurité sanitaire des aliments, la difficulté est de la mettre en œuvre et de faire respecter les lois et les règlements y afférents. Il est nécessaire de combler le fossé entre la politique et la pratique, entre la théorie et la réalité. Les erreurs de priorité ne sont pas rares, induites par des politiciens cherchant le soutien du public ou par des organisations ou des institutions scientifiques concurrentes. Dans les pays en développement, la situation est plus grave. L'infrastructure peut faire défaut. Bien d'autres priorités sanitaires, sociales et économiques entrent en jeu. Comment convaincre un décideur dans un pays pauvre à consacrer des fonds d'un budget santé limité, au contrôle d'un contaminant alimentaire comportant un risque carcinogène potentiel à long terme, lorsque la plus grande partie de la population est destinée à mourir pour d'autres raisons avant de développer un cancer?

Les organisations internationales et les scientifiques du monde entier doivent soutenir les pays en développement pour susciter la volonté et développer la capacité d'effectuer un contrôle de la sécurité sanitaire des aliments compte tenu des obstacles et des capacités. Ils devraient les aider à réaliser des études épidémiologiques sur la prévalence des maladies d'origine alimentaire, à réviser leurs lois et leurs règlements alimentaires et à mettre en place des centres de formation et des laboratoires compétents au niveau national et régional. Les organisations des Nations Unies se doivent de sensibiliser les décideurs afin que les questions de sécurité sanitaire des aliments ne reçoivent pas un faible degré de priorité.

SENSIBILISATION DU PUBLIC

L'opinion publique influe avec de plus en plus de force sur les décisions des gouvernements en matière de sécurité sanitaire des aliments. Dans les pays développés, le public réclame dans ce domaine des mesures plus rigoureuses, qui souvent ne sont pas justifiées d'un point de vue scientifique. Les craintes du public à l'égard du monde alimentaire sont un effet non voulu du développement des connaissances. Les médias exploitent souvent cette crainte au lieu d'évaluer les faits. Les débats au sein de la communauté scientifique peuvent parfois être interprétés à tort par le public comme la manifestation d'incertitudes.

Il revient à la communauté scientifique d'élaborer son propre système d'information, qui doit être dynamique et proactif, pour fournir au bon moment au public des informations scientifiques fiables concernant la sécurité sanitaire des aliments et atténuer ainsi les craintes inutilement coûteuses.

Dans de nombreux pays en développement, c'est tout l'inverse. Le public est peu sensibilisé aux dangers et aux conséquences d'une nourriture insalubre. Les populations réagissent avec indifférence aux mesures de contrôle de la sécurité sanitaire des aliments. Les facteurs socioculturels, la pauvreté, l'analphabétisme et la résistance à certains pathogènes endémiques d'origine alimentaire comptent parmi les nombreuses causes de cette indifférence. Pour des raisons économiques ou politiques, les décideurs peuvent hésiter à prendre des mesures destinées à sensibiliser davantage le public.

La communauté scientifique devrait lancer une campagne d'information du public pour surmonter ces obstacles, considérant notamment que dans les pays en développement, elle jouit d'une crédibilité supérieure à celle des gouvernements.

COORDINATION

Les institutions des Nations Unies intéressées par la sécurité sanitaire des aliments peuvent jouer un rôle plus important en surmontant les divergences existant au niveau régional ou national sans compromettre pour autant la liberté des différents partenaires. Les réactions opposées à la maladie de la vache folle (ESB) en sont un exemple. Les divergences entre l'Europe et les États-Unis concernant l'adoption du principe de précaution, en sont un autre.

Les organisations des Nations Unies devraient promouvoir l'approche du "rapprochement réglementaire" pour surmonter, grâce à la coordination, à la reconnaissance réciproque ou à l'harmonisation, les divergences existant entre les pays au niveau des réglementations en matière de sécurité sanitaire des aliments. Pour des raisons politiques, économiques et sociales, il ne s'agit pas là d'une tâche aisée. Il convient d'en faire un objectif à atteindre dans les dix prochaines années.

La coordination interdisciplinaire au niveau national doit être renforcée. Aux États-Unis, la responsabilité de la réglementation de la sécurité sanitaire des approvisionnements alimentaires revient à plusieurs agences (USDA, FDA, EPA, etc.), donnant parfois lieu à d'inutiles controverses. Dans les pays en développement, un comité national du Codex devrait être autorisé à coordonner les responsabilités des différents ministères chargés du contrôle de la sécurité des approvisionnements. L'élaboration de stratégies basées sur les risques nécessite l'adoption préalable d'une approche interdisciplinaire prévoyant une solide collaboration entre tous les secteurs qui s'occupent du contrôle des maladies d'origine alimentaire et de la sécurité sanitaire des aliments.

COMMERCE INTERNATIONAL DES DENRÉES ALIMENTAIRES

Les exportations alimentaires représentent une partie importante du revenu de bon nombre de pays en développement exportateurs de produits alimentaires. Il est dans l'intérêt économique de ces pays de porter la qualité et la sécurité sanitaire de leurs denrées au niveau international. D'un autre côté, des restrictions non nécessaires aux fins de la sécurité sanitaire des aliments, et ne reposant pas sur de solides preuves scientifiques, pourraient entraver les exportations de produits alimentaires et donc le développement économique de ces pays, aggravant ainsi la pauvreté. Pour les populations pauvres qui n'ont pas les moyens d'acheter de la nourriture, c'est la disponibilité et non pas la sécurité sanitaire des aliments, qui revêt la priorité. Combattre la pauvreté dans les pays exportateurs de produits alimentaires apportera en soi une contribution importante aux mesures de contrôle de la sécurité sanitaire des aliments, au niveau à la fois intérieur et international. Ces enjeux ont été spécifiquement pris en compte dans l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) et dans l'Accord sur les obstacles techniques au commerce. Les pays ont été autorisés à adopter pour les aliments des normes de sécurité sanitaire différentes à condition que celles-ci soient justifiées par les preuves scientifiques disponibles et qu'elles ne créent pas d'obstacles techniques inutiles au commerce international. Comment garantir un tel équilibre? Les comités du Codex Alimentarius n'ont pas qualité pour obliger leurs membres à mettre en application les normes du Codex. À la suite de l'Accord SPS, les normes du Codex ont été reconnues comme l'étalon à adopter ou la référence à suivre pour les prescriptions nationales. De nouvelles négociations internationales sont nécessaires pour rendre les recommandations du Codex Alimentarius plus contraignantes, que ce soit à titre volontaire ou obligatoire.

ENTREPRISES ALIMENTAIRES

Les services nationaux de contrôle des produits alimentaires adoptent de plus en plus souvent l'approche des mesures d'autocontrôle de la qualité par les entreprises. La surveillance officielle revient aux autorités gouvernementales responsables qui vérifient la conformité des produits avec les règlements nationaux ou internationaux. La part des multinationales de l'alimentation dans la consommation alimentaire est en augmentation. Les industries alimentaires tiennent à préserver leur réputation en offrant des produits sains et de qualité. Une bonne partie d'entre elles ont mis en place des usines de transformation dans les pays en développement où les mesures de contrôle de la sécurité sanitaire des aliments sont parfois moins sévères que dans les pays développés, et où le gouvernement peut avoir une capacité de contrôle limitée. Les multinationales devraient maintenir un niveau de qualité maximal, où que les usines se trouvent.

Un autre enjeu est la question des brevets. Au titre de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), la plupart des multinationales détiennent des droits sur les aliments ou les variétés végétales génétiquement modifiés. Dans les pays en développement, les cultivateurs peuvent ainsi avoir à payer des droits à l'entreprise concernée pour pouvoir réutiliser leurs propres semences récoltées, ajoutant ainsi à leur fardeau économique, ce qui pourrait avoir des répercussions sur le système national de sécurité sanitaire des aliments.

Il est nécessaire de renforcer le partenariat entre les gouvernements et le secteur privé suivant des directives équitables et mutuellement convenues.

TENDANCES FUTURES

Les progrès réalisés dans le domaine des transports et l'essor rapide des échanges commerciaux de produits alimentaires, rendront nécessaire l'élaboration de réglementations plus strictes pour les denrées alimentaires faisant l'objet d'un transport international. Une unique source de contamination peut avoir des conséquences de portée mondiale.

Les mesures de contrôle de la sécurité des approvisionnements alimentaires tireront avantage de l'avancée des technologies de l'information et de la communication, grâce à l'échange rapide d'information au niveau scientifique et de la gestion. Toutefois, des mesures d'éducation du public adéquates devraient être prises afin que la facilité d'accès du public à l'information ne contribue à en alimenter l'incertitude.

Alors que des catastrophes naturelles et causées par l'homme continuent de se produire, des mesures de sécurité sanitaire relatives aux programmes d'aide alimentaire d'urgence doivent être perfectionnées. Les événements tragiques du 11 septembre 2001 ont exacerbé les craintes de la communauté internationale quant à la menace d'une éventuelle contamination biologique, chimique ou radiologique des aliments. Des mesures de prévention, de contrôle et d'intervention adéquates doivent être mises en place et intégrées dans les systèmes de contrôle de la sécurité des approvisionnements alimentaires existants.

La préférence pour des aliments frais et des produits soumis à une transformation minime, pourrait inciter l'industrie à recourir moins souvent à des processus radicaux nécessitant une plus grande attention au niveau de la préparation et du stockage.

BESOINS EN MATIÈRE DE RECHERCHE

Une recherche de base est nécessaire pour faire face aux nouveaux risques liés aux aliments, aux nouveaux pathogènes, zoonoses, agents toxiques et risques de radiation, et aux effets secondaires possibles des aliments génétiquement modifiés ou des nouvelles techniques de transformation des produits alimentaires. Il faudra également entreprendre de nouveaux travaux de recherche pour évaluer les effets tératogènes, mutagènes et oncogènes potentiels à long terme de certains contaminants des aliments.

Les découvertes scientifiques des prochaines années permettront, nous l'espérons, de mettre en place des mesures plus efficaces de contrôle de la sécurité sanitaire des aliments, comportant une charge inférieure pour l'industrie alimentaire. Il est possible toutefois qu'avec l'acquisition de nouvelles connaissances, des techniques sophistiquées plus coûteuses, hors de la portée financière de bien des pays, soient mises au point. Des travaux de recherche appliquée devraient être conduits pour élaborer des méthodologies plus précises, basées sur des données scientifiques, et qui soient à la fois réalisables, abordables, efficaces et en mesure de répondre à la progression rapide des connaissances scientifiques.

C'est avec plaisir que nous attendons le débat libre et constructif qui portera sur ces questions et sur d'autres points. Vos délibérations contribueront à renforcer la coopération internationale pour protéger la santé de l'humanité.

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