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Chapitre six - L’utilisation de l’eau pour l’agriculture, l’environnement et la santé


Aspects écologiques

L’agriculture peut avoir des effets externes négatifs bien spécifiques sur la quantité d’eau et sa qualité. Les pâturages et les cultures occupent 37 pour cent de la superficie terrestre de la planète. L’agriculture est le plus grand utilisateur d’eau et la principale source de pollution des terres et des eaux de surface par les nitrates, et aussi l’activité qui pollue le plus par l’ammoniaque. En outre, elle participe pour beaucoup à la pollution des voies navigables et à la libération des gaz à effet de serre, tels le méthane et l’oxyde nitreux, dans l’atmosphère. La dégradation des sols, la salinisation, le prélèvement excessif des eaux souterraines et la réduction de la diversité génétique des cultures et du bétail portent atteinte aux fondements de l’avenir de l’agriculture elle-même. La disparition de la mer d’Aral est un exemple frappant de l’impact irréversible de l’excès de prélèvements d’eau et de pollution. L’irrigation fait l’objet d’une attention croissante de la part de la société civile à mesure que les écosystèmes se dégradent alors que les retombées économiques et sociales que faisaient espérer les systèmes d’irrigation tardent à se manifester pleinement. La concurrence entre citadins et agriculture pose de plus en plus problème et risque d’aggraver les contraintes sur l’environnement. Dans les pays développés, les préoccupations écologiques ont souvent été la force motrice à l’origine de la modernisation des systèmes d’irrigation.

Historiquement, la valorisation des zones humides a souvent été un facteur essentiel de la croissance de l’agriculture. De nombreuses zones humides offrent des possibilités intéressantes au développement de l’agriculture en raison de la présence d’eau dans leurs sols pendant une grande partie de l’année et de leur relative fertilité. L’utilisation de ces terres provoque toutefois de graves dommages écologiques, un phénomène qui a été reconnu par l’adoption de la Convention pour la protection des zones humides (Ramsar, 1971). Il reste dans les pays en développement quelque 300 millions d’hectares de zones humides susceptibles d’être exploitées pour la production agricole, dont seul un relativement faible pourcentage est actuellement utilisé à cet effet. Dans les régions où il n’y a plus d’autres ressources en terres disponibles pour l’exploitation, les zones humides seront inévitablement converties en terres agricoles. C’est le cas dans de nombreuses parties de l’Afrique sub-saharienne, où la situation nutritionnelle est mauvaise et où les zones humides présentent un intérêt certain pour le développement agricole.

L’utilisation inconsidérée des zones humides peut entraîner la dégradation de l’environnement. On a souvent procédé au drainage de ces zones en assumant à tort qu’elles sont inutiles et sans valeur. Il est possible d’utiliser les zones humides de manière durable en choisissant des cultures adaptées aux conditions qui y règnent, en utilisant des technologies appropriées de gestion de l’eau et des sols et en planifiant soigneusement leur développement et leur gestion dans le cadre plus général du bassin hydrographique. En ce qui concerne les zones humides particulièrement importantes sur le plan national ou international en raison de leur intérêt particulier en matière d’écologie, de botanique, de zoologie ou de biodiversité, il faudrait les interdire au développement agricole et les protéger contre les influences des activités agricoles des zones situées en amont.

La pollution des eaux, la dégradation de l’habitat et les prélèvements massifs d’eau peuvent priver les communautés de pêcheurs de leurs moyens d’existence et les mettre en situation d’insécurité alimentaire. L’impact écologique de ces phénomènes sur les ressources de la pêche dans les eaux intérieures peut être catastrophique. Même dans les zones estuariennes et côtières situées à l’extrémité inférieure des bassins fluviaux, les ressources halieutiques sont touchées par la pollution, la dégradation de l’habitat et les prélèvements et l’utilisation d’eau en amont. Par contre, il est de plus en plus admis que l’agriculture a aussi des effets externes positifs, dont les services rendus à l’environnement et les produits écologiques. La nature multifonctionnelle de l’agriculture est de plus en plus reconnue et encouragée, et de ce fait les agriculteurs ne sont plus seulement considérés comme des producteurs de denrées, mais sont aussi appréciés en tant que citoyens travaillant à leur propre compte, régisseurs et protecteurs des paysages et partenaires des communautés locales. La difficulté du choix entre la sécurité alimentaire et l’environnement peut encore être atténuée grâce aux technologies actuelles ou nouvelles et aux pratiques de gestion des terres. Il est également possible de réduire l’impact négatif de l’agriculture sur l’environnement par l’utilisation de méthodes de production plus durables. L’agriculture peut contribuer pour beaucoup à renverser la tendance négative de son impact grâce à l’utilisation rationnelle de l’eau, au traitement biologique des déchets, à l’amélioration de l’infiltration des eaux pour réduire le ruissellement de crue, à la protection de la biodiversité naturelle et agricole et au stockage du carbone dans les sols.

Détérioration de la qualité de l’eau

L’augmentation de la demande a rapidement provoqué l’accroissement des préoccupations concernant la qualité de l’eau. Les charges polluantes ont considérablement augmenté, et parallèlement les quantités d’eau permettant de les diluer diminuent. La situation est particulièrement alarmante dans les pays en développement tandis que dans les pays développés, la mise en vigueur d’une réglementation sur la qualité de l’eau s’est traduite par une amélioration dans la plupart des cours d’eau. Les eaux de mauvaise qualité constituent une grave menace à la viabilité et à la sécurité des produits agricoles issus des systèmes d’agriculture intensive sur lesquels la sécurité alimentaire mondiale repose toujours davantage. La sécurité et la stabilité des ressources alimentaires de ce siècle seront étroitement liées à l’efficacité du contrôle de la qualité de l’eau. Les matières organiques, lorsqu’elles ne contiennent pas d’agents pathogènes, peuvent être bénéfiques pour l’agriculture irriguée (voir encadré 7), mais la contamination de l’eau par des produits chimiques dangereux peut la rendre impropre à la production alimentaire.

ENCADRÉ 7 UTILISATION DES EAUX USÉES POUR L’IRRIGATION

On constate souvent que l’environnement aquatique et les utilisateurs situés en aval sur les rivières, dans les estuaires et dans les zones côtières font les frais d’une évacuation des eaux usées d’origine urbaine dont le coût environnemental est rarement pris en compte dans les études économiques. Pourtant, les eaux usées sont considérées comme une ressource, en particulier dans les régions où l’eau est rare. Si le pollueur paie réellement, ces eaux sont gratuites ou de faible coût, elles sont fournies en temps voulu et proches des marchés urbains. En plus des avantages directs qu’elles offrent aux agriculteurs qui autrement diposeraient de peu (voire pas du tout) d’eau pour l’irrigation, elles améliorent la fertilité des sols et réduisent la contamination des eaux en aval. L’ensemble des terres irriguées avec des eaux usées non traitées ou partiellement diluées représenterait au total 20 millions d’hectares répartis dans cinquante pays, soit un peu moins de 10 pour cent de toutes les terres irriguées dans les pays en développement. Les eaux usées utilisées pour l’irrigation devraient subir un traitement primaire et secondaire, mais cela n’est souvent pas possible dans les pays pauvres où elles sont employées non traitées. Les inconvénients et les risques de l’utilisation d’eaux usées insuffisamment traitées menacent surtout les ouvriers qui travaillent dans l’irrigation et les consommateurs qui sont exposés à des bactéries, amibes, virus et nématodes parasites, ainsi qu’à des contaminants organiques et chimiques et à des métaux lourds. Dans les régions pauvres, ces eaux sont utilisées dans des secteurs non structurés et non réglementés mais les préoccupations sanitaires interdisent l’exportation de ces produits et aussi, au moins partiellement, leur accès aux marchés alimentaires locaux. Les gouvernements et les spécialistes du développement soutiennent les efforts réalisés pour que les eaux usées soient réutilisées dans le respect des méthodes du développement durable, mais les pays et les municipalités qui disposent de peu de ressources ont du mal à faire face au coût du traitement de l’eau. Etant donné la rareté de l’eau et le coût relativement élevé de l’eau douce potable nécessaire aux municipalités, on prévoit que l’utilisation des eaux usées traitées augmentera à l’avenir dans les milieux urbains.

Selon les estimations, les mauvaises pratiques de drainage et d’irrigation ont provoqué l’engorgement et la salinisation d’environ 10 pour cent des terres irriguées du monde, et réduit leur productivité en conséquence. La concentration des sels présents dans les sols est un phénomène courant dans les bassins fluviaux irrigués des régions arides. Dans les grands projets d’irrigation, l’engorgement et la salinisation procèdent dans bien des cas de l’absence d’une infrastructure de drainage, qui a souvent été négligée à la conception de l’aménagement pour rendre le projet moins coûteux et plus attrayant. Ces problèmes sont généralement associés au développement de l’irrigation à grande échelle dans des climats arides et semi-arides, comme dans les bassins fluviaux de l’Indus, du Tigre et de l’Euphrate et du Nil. On connaît les solutions à ces difficultés, mais leur mise en œuvre reste coûteuse.

Santé et irrigation

Les principales maladies à transmission vectorielle liées à l’irrigation sont la malaria, la bilharziose et l’encéphalite japonaise. Le développement de l’irrigation s’est parfois accompagné, dans le passé, d’effets négatifs sur l’état de santé des communautés locales. Ces problèmes procèdent essentiellement des changements apportés aux écosystèmes, qui créent des conditions propices à la transmission des maladies à transmission vectorielle, et de l’approvisionnement en eau potable et des conditions d’hygiène qui provoquent des troubles gastro-intestinaux. Il est difficile d’établir la responsabilité de l’irrigation ou de certains de ses aspects dans ces maladies dans des situations particulières. C’est seulement lorsque l’irrigation est introduite dans une région aride où les maladies n’existaient pas au préalable que le lien entre le bouleversement du paysage qui en résulte et l’augmentation explosive de l’incidence et de la prévalence des maladies peut clairement être établi. Dans la plupart des cas, il existe un mélange complexe de déterminants contextuels de la maladie et de plusieurs facteurs confusionnels. Par exemple, dans certaines régions de l’Afrique sub-Saharienne, la malaria se transmet si intensément toute l’année que les facteurs de risque supplémentaires dus au développement de l’irrigation ne font guère de différence sur la propagation de la maladie. La bilharziose, associée avec raison à l’irrigation en Afrique, est également déterminée par le comportement humain et par la situation sanitaire.

Dans les zones irriguées, de nombreux problèmes de maladies à transmission vectorielle sont imputables à l’absence de système de drainage ou à un système inadéquat. Les différents types d’irrigation de surface impliquent tous un accroissement des risques de maladies à transmission vectorielle, tandis que l’irrigation par aspersion et l’irrigation goutte à goutte ne comportent pour ainsi dire pas de risque de ce type. La sélection des cultures peut être importante. Ainsi le riz en paddy et la canne à sucre impliquent un risque important de maladie à transmission vectorielle. L’agriculture irriguée exige souvent l’application d’intrants chimiques pour protéger les cultures et l’application de pesticides peut perturber l’équilibre de l’écosystème et favoriser certains vecteurs; elle peut aussi contribuer à accélérer le développement de la résistance aux insecticides dans les espèces de vecteurs de maladies.

La planification, la conception et l’exploitation des périmètres d’irrigation offrent de nombreuses occasions d’intégrer des mesures de protection aux systèmes: les structures hydrauliques peuvent par exemple être conçues de manière à ne pas offrir d’habitat favorable à la reproduction des vecteurs. Il est aussi possible de réduire celle-ci en choisissant des pratiques de gestion de l’eau améliorées telles que l’alternance de l’arrosage et de l’assèchement des rizières irriguées, l’assèchement en rotation des canaux d’irrigation parallèles, le nettoyage des structures hydrauliques où stagne l’eau et l’élimination des plantes aquatiques dans les canaux. En outre, le développement infrastructurel qui accompagne généralement l’aménagement des systèmes d’irrigation et le développement économique qu’ils occasionnent améliorent l’accès aux services sanitaires ainsi que le pouvoir d’achat, permettant ainsi l’acquisition de médicaments, de moustiquaires et d’autres outils et produits de prévention et de protection.

Jusqu’aux années 80, les projets d’irrigation négligeaient souvent d’inclure une composante relative à l’alimentation en eau potable. La situation s’est améliorée, mais il arrive encore que les deux types d’utilisation de l’eau se contrarient. L’augmentation importante des intrants chimiques en zones irriguées peut polluer les eaux souterraines et certaines collectivités locales équipées de systèmes d’approvisionnement en eau potable par pompage à partir de la nappe aquifère ont dû revenir à l’utilisation des eaux des canaux parce que la qualité de l’eau de leurs pompages s’était détériorée. L’accès facile à de grandes quantités d’eau dans les canaux d’irrigation, susceptibles d’être employées pour les besoins domestiques autres que l’eau potable, améliorera réellement les conditions générales d’hygiène. De plus, les travaux d’exploitation et d’entretien des aménagements d’irrigation et de drainage et ceux des services d’approvisionnement en eau potable et d’hygiène font souvent double emploi; la résolution de ce problème permettrait d’importantes économies d’échelle. Une étude menée dans trois pays d’Afrique (voir encadré 8) montre par exemple que l’installation de petits barrages et de puits a servi de catalyseur et apporté le changement, grâce à des initiatives qui ont généré des revenus et permis aux intéressés de diversifier leur régime, d’accéder aux services sanitaires et de mieux affronter les périodes de l’année où la nourriture manque.

ENCADRÉ 8 INTÉGRATION DE L’IRRIGATION, DE LA NUTRITION ET DE LA SANTÉ

La FAO a évalué l’impact de trois projets de petite irrigation sur la santé et les conditions de vie de villageois du Burkina Faso, du Mali et de la République unie de Tanzanie. Cette évaluation indique que l’installation de petits barrages et de puits a servi de catalyseur et apporté le changement, grâce à des initiatives qui ont généré des revenus et permis aux intéressés de mieux affronter les périodes de l’année où la nourriture manque, de diversifier leur régime et d’accéder aux services sanitaires. Ces projets ont encouragé la production, le traitement et la préparation d’un éventail de cultures indigènes, l’apprentissage de la nutrition et la participation des groupes de femmes. Dans les trois cas, l’irrigation a suffisamment augmenté la production alimentaire ou les revenus pour offrir un repas supplémentaire par jour, même pendant la saison précédant la récolte où la nourriture est rare, (FAO, 2001b). Dans les pays arides d’Asie, les eaux sont saumâtres dans de vastes zones et les gens se procurent l’eau dans les canaux d’irrigation pour tous les usages, y compris domestiques. Une étude de l’Institut international de gestion des ressources en eau montre qu’il est possible d’utiliser sans risque l’eau des canaux d’irrigation si les ménages disposent de réservoirs d’eau dans les maisons et d’un approvisionnement en eau permanent pour l’assainissement et l’hygiène. Les résultats indiquent également qu’il y a beaucoup moins de cas de retards de croissance chez les enfants des ménages disposant d’une grande capacité de stockage de l’eau à la maison que chez ceux des familles sans réserves d’eau. L’augmentation de la quantité d’eau d’irrigation disponible pour les usages domestiques et l’installation de toilettes sont les mesures les plus importantes pour assurer la diminution des cas de diarrhée et de malnutrition.


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