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Le rôle du marché des gaz à effet de serre
dans les revenus forestiers

M.C. Trexler

Mark C. Trexler est Président de Trexler and Associates, Inc., Portland, Oregon, Etats-Unis.

Incitations, innovations commerciales et redistribution des coûts et bénéfices sont examinées pour leur potentiel de rendre la gestion des forêts plus rentable.

Les forêts et leurs sols emmagasinent d’énormes quantités de car-bone; ce carbone, associé à d’autres gaz à effet de serre comme le méthane, contribue aux changements climatiques mondiaux lorsqu’il est libéré à la suite du déboisement ou de la dégradation des forêts. Inversement, les différentes utilisations des terres, leurs changements d’affectation et la foresterie (LULUCF) peuvent transférer le dioxyde de carbone de l’atmosphère à la biomasse et aux sols (piégeage du carbone), contribuant ainsi à l’atténuation des changements climatiques.

Les mécanismes du marché comme les échanges d’émissions sont parfaitement adaptés aux objectifs d’atténuation des changements climatiques. Une molécule de dioxyde de carbone, indépendamment de sa source, peut se trouver à n’importe quel endroit de la planète en l’espace d’un peu plus d’une semaine. En revanche, une réduction des émissions de gaz à effet de serre a le même effet sur l’atmosphère, quel que soit l’endroit où a lieu cette réduction. C’est ainsi que, grâce au marché des émissions, les entreprises des pays industrialisés tenus à réduire leurs émissions peuvent acheter des crédits de gaz à effet de serre auprès de projets de contrepartie de la fixation du carbone dans des pays en développement ou dans d’autres pays industrialisés.

En 1989, bien des années avant le Protocole de Kyoto ou même la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l’AES Corporation, un producteur d’énergie américain indépendant a lancé le premier projet de contrepartie de la fixation du carbone. Le projet, qui mettait l’accent sur la foresterie sociale et les interventions agroforestières au Guatemala, a préparé le terrain pour la mise en place de mécanismes visant la monétisation des services de piégeage du carbone fournis par les forêts du globe. Près de 15 ans se sont écoulés depuis cette première initiative. Désormais des douzaines de projets forestiers intéressant des millions d’hectares dans le monde revendiquent le statut de «contrepartie de la fixation du carbone». Pourtant, les capacités techniques des forêts d’atténuer le changement climatique restent largement inexploitées. Si le Protocole de Kyoto entre en vigueur, assisterons-nous à une explosion du nombre de projets forestiers visant l’atténuation, et comment seront-ils mis en œuvre?

Ce sont là des questions difficiles. Les projets forestiers de contrepartie de la fixation du carbone se sont révélés douteux. De nombreux observateurs ont craint que les projets LULUCF inonderaient le marché des gaz à effet de serre et évinceraient d’autres sources de crédit d’émissions, y compris les améliorations de l’efficacité énergétique. De ce fait, partiellement, les projets de conservation des forêts (qui formaient initialement un important pourcentage des projets LULUCF en cours) ont été exclus des crédits, du moins pour la première période d’engagement du Protocole de Kyoto. L’avenir s’annonce incertain même pour les projets de boisement et de reboisement, les deux catégories de projets des pays en développement approuvés au titre du Mécanisme pour un développement propre (MDP) du Protocole de Kyoto.

La confusion entourant ces projets touche aussi les projets d’atténuation des changements climatiques en général; le MDP en est encore à ses débuts et de nombreuses règles et procédures devront encore être élaborées. Le principal domaine de litige, cependant, concerne le manque potentiel de «permanence» des projets LULUCF. Sous l’angle des gaz à effet de serre, les avantages de ces projets, contrairement à ceux d’autres mesures d’atténuation, sont sujets à un revirement potentiel. Une forêt, qui est établie ou protégée aujourd’hui dans le but de piéger le carbone, pourrait fort bien être abattue plus tard ou être incapable de réaliser son objectif en raison d’un incendie, de maladies ou d’autres causes, ce qui annulerait largement les avantages des efforts déployés aujourd’hui. Les règles et modalités visant à établir une situation équilibrée de «permanence» pour les projets liés au changement d’affectation des terres et à la foresterie et les autres initiatives d’atténuation sont en cours d’élaboration et devraient être mises en circulation lors de la neuvième Conférence des Parties à la CCNUCC en novembre 2003.

Ces incertitudes et d’autres encore ont déterminé ces dernières années une forte diminution des investissements dans les projets LULUCF d’atténuation des changements climatiques. Néanmoins, de nombreux observateurs espèrent que ces investissements s’accroîtront rapidement après que l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto aura donné une impulsion au marché mondial des gaz à effet de serre. La poursuite des projets LULUCF reste donc un point d’interrogation pour de nombreux individus et organisations.


Suivant quels critères le Mécanisme pour un développement propre approuve-t-il un projet?

Les projets liés au changement d’affectation des terres et à la foresterie doivent répondre à un certain nombre de critères de qualification:


Comment les avantages seront-ils quantifiés?

La quantification des avantages du piégeage du carbone réalisés par les projets LULUCF comprend différents éléments:


D’où viendra l’argent?

La réalisation des gains financiers potentiels d’un projet comporte un certain nombre d’étapes:

Pour suivre ce processus, un grand nombre de projets de contrepartie de la fixation du carbone empruntent des chemins différents. Certains parmi les plus intéressants prévoient la remise en état de la forêt plutôt que l’établissement de plantations industrielles. Au Brésil, par exemple, le projet d’action sur le climat de Guaraqueçaba, mis en œuvre par The Nature Conservancy, en partenariat avec la Société pour la recherche sur la faune sauvage et l’enseignement environnemental (Sociedade de Pesquisa em Vida Selvagem e Educação Ambiental, SPVS) et American Electric Power, achète des ranches de buffles dans des zones désignées afin de reboiser les pâturages dégradés. Pour éviter les fuites que pourrait déterminer le simple transfert de troupeaux de buffles d’une zone à une autre, le projet travaille de concert avec les communautés locales, mettant au point des pratiques intensifiées de gestion des buffles, et adaptant et améliorant les modèles de production agricole afin de créer de nouveaux débouchés. Au Costa Rica, une technique différente a été adoptée. Plutôt que d’acheter des terres à reboiser, le Gouvernement fournit des incitations financières aux propriétaires fonciers pour les encourager à entreprendre des activités d’amélioration de la forêt.


CONCLUSIONS

Les informations concernant les mesures que devront prendre les projets liés au changement d’affectation des terres et à la foresterie pour obtenir l’approbation du MDP s’améliorent, encore que de fortes incertitudes demeurent. Il était estimé initialement que ces projets représentaient un moyen très économique d’atténuer les changements climatiques, mais la situation s’est déjà modifiée. Aujourd’hui, les projets doivent être conçus, quantifiés et vérifiés beaucoup plus rigoureusement, et les règlements en suspens régissant la permanence accroîtront inévitablement les coûts des crédits d’émissions de gaz à effet de serre des projets LULUCF. Au lieu de coûter des centimes par tonne de carbone ou de CO2 piégé (comme, apparemment, les projets antérieurs), de nombreux projets de qualité élevée pourraient coûter de 3 à 10 dollars EU la tonne d’équivalent CO2 ou davantage (de 10 à 35 dollars la tonne de carbone).1

Une inconnue importante dans la prédiction de l’impact du marché des gaz à effet de serre sur la foresterie est la valeur marchande des crédits d’émissions en général. Là aussi règnent de profondes incertitudes. Le Protocole de Kyoto entrera-t-il en vigueur? Les Etats-Unis se joindront-ils aux efforts mondiaux d’atténuation des changements climatiques? Les objectifs de réduction des émissions pour les pays industrialisés seront-ils beaucoup plus contraignants après 2012 (créant une demande accrue de crédits)? Aujourd’hui, les prix des crédits de gaz à effet de serre sont encore très faibles (de 1 à 5 dollars EU la tonne d’équivalent CO2). D’après la plupart des observateurs, ces prix augmenteront avec l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto, mais certains analystes estiment actuellement qu’ils resteront très bas, du moins tant que les Etats-Unis n’adhéreront pas au protocole. Loin d’inonder le marché comme le craignaient initialement beaucoup d’observateurs, les projets LULUCF pourraient avoir du mal à devenir concurrentiels dans un marché caractérisé par des prix aussi faibles.

Les défis que pose le recours au marché des gaz à effet de serre pour promouvoir les projets forestiers sont évidents à court terme. La mise de fonds initiale pour la préparation d’un projet à soumettre à l’approbation du MDP sera souvent importante et les gains financiers risquent d’être modestes. La promesse d’un marché des gaz à effet de serre comme source de milliards de dollars à destiner au financement du secteur forestier restera presque certainement vaine dans un avenir prévisible. Néanmoins, certains projets forestiers bien conçus seront en mesure, dans le court terme, de tirer des avantages du marché des gaz à effet de serre en développement.

Zone du Projet d’action sur le climat de Guaraqueçaba au Brésil, qui achète des ranches de buffles dans des zones désignées afin de régénérer les pâturages dégradés

PROJET D'ACTION SUR LE CLIMAT DE GUARAQUEÇABA



1 Bien que les forestiers pensent en termes de carbone, l’unité monétaire sur le marché est le CO2 ou, du fait que six gaz potentiels sont en jeu, l’équivalent CO2. Pour convertir un montant en dollars EU par tonne de CO2 en un montant en dollars EU par tonne de carbone, il faut multiplier le premier par 3,67.

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