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CHAPITRE 8
POLITIQUES DE TECHNOLOGIE AGRICOLE
(Cont.)

8.4 NOUVELLES ORIENTATIONS DE LA RECHERCHE AGRICOLE

En réaction aux problèmes évoqués plus haut dans ce chapitre, les systèmes de recherche agricole sont en train d'évoluer dans l'ensemble du monde en développement. Pour une large part, cette évolution constitue une réaction aux restrictions budgétaires, mais d'autres facteurs jouent également un rôle. Le rôle du gouvernement est presque partout réévalué. Les systèmes de recherche sont également sous pression pour répondre à d'autres préoccupations, comme la réduction de la pauvreté, et tout ceci appelle de nouvelles façons de faire.

Malgré un succès d'ensemble, mentionné plus haut dans ce chapitre, la recherche agricole en Afrique présente des points faibles, entre autres dans l'amélioration des rendements:

… en dépit de l'introduction de nouvelles variétés, l'impact sur les rendements a été inférieur aux attentes, surtout pour les variétés cultivées dans des environnements difficiles et sans recours à d'autres intrants externes… on annonce un rendement économique considérable des investissements dans la recherche (et la vulgarisation) mais les performances varient selon les pays et les cultures. Les cultures vivrières des régions où dominent les agriculteurs commerciaux, où règnent des conditions plus favorables et où l'on pratique une gestion améliorée, répondent mieux à l'investissement de recherche que là où l'évolution se limite au passage à de nouvelles variétés. Les résultats reflètent également une variabilité considérable selon les pays, du fait des facteurs agro-climatiques et de la politique, qui peut affecter l'offre de semences et d'autres intrants, ainsi que la continuité et la stabilité des investissements de recherche85.

Mudahar et al. ont résumé «certains des principaux changements en cours dans les systèmes de recherche agricoles mondiaux» en ces termes:

Si le financement et les capacités du personnel demeurent au cœur des problèmes de la recherche agricole, trois autres points essentiels sont la définition des priorités, les modalités de la recherche et les dispositions relatives au transfert de ses résultats. Il faut définir les priorités pour obtenir ces « engagements de ressources basés sur les résultats attendus de la recherche appliquée » que mentionnent Mudahar et al. Pour définir les bonnes priorités, il faut des mécanismes adaptés d'identification des problèmes auxquels les agriculteurs sont confrontés. Les modalités de la recherche incluent le mode de structuration du système de recherche et le rôle des institutions non gouvernementales, universitaires et bénévoles, ainsi que des agriculteurs eux-mêmes, dans le processus de recherche. Les dispositions de transfert des résultats de la recherche dépendent en partie de la définition du rôle des agents de vulgarisation et des agriculteurs dans la recherche. Elles portent également sur les programmes de production des semences de base, leur contrôle qualité et leur multiplication. (Le contrôle qualité des semences est un problème majeur dans de nombreux pays en développement. Il n'est pas rare de s'apercevoir que des individus peu scrupuleux emballent et vendent des semences défectueuses comme s'il s'agissait de semences certifiées, allant même jusqu'à contrefaire le sceau officiel de certification. Du fait de la faiblesse des systèmes judiciaires, il peut s'avérer difficile de les poursuivre en justice et de les contraindre à mettre un terme à ces pratiques. Il s'agit là d'un des nombreux exemples de la manière dont les problèmes de gouvernance peuvent entraver le développement de l'agriculture).

La présente section commence par étudier la question cruciale de l'élaboration d'objectifs pour la recherche agricole, puis traite des modalités de la recherche, c'est-à-dire, en grande partie, le problème de ses structures institutionnelles et du rôle des paysans. On trouvera ensuite l'examen de plusieurs alternatives de financement de la recherche agricole. Sont abordés ensuite les problèmes liés à la pertinence de la recherche agricole pour les agriculteurs pauvres et les agricultrices. Le transfert des résultats de la recherche est évoqué brièvement dans la présente section, et traité plus directement dans la suivante, dans le contexte des nouvelles orientations de la vulgarisation agricole.

8.4.1 Identification et mise en œuvre des objectifs de la recherche

En général, les systèmes de recherche agricole des pays en développement souffrent de financements insuffisants et parfois d'une pénurie de personnel qualifié cela fait l'objet d'un consensus international87. Mais il existe un autre problème tout aussi fondamental: les objectifs de la recherche sont davantage liés à la science qu'aux besoins des agriculteurs. Couramment, ils font totalement l'impasse sur les besoins des agricultrices. La recherche agricole est avant tout une affaire scientifique et son but explicite est d'appliquer la science aux problèmes du secteur. Néanmoins, les scientifiques ne sont pas toujours les mieux placés pour identifier les priorités de la recherche. Voici pourquoi:

Qamar a formulé comme suit la question de la pertinence:

Si la technologie transférée répond aux besoins de ses utilisateurs potentiels, elle a de grandes chances d'être adoptée. Cela suppose que le programme de recherche soit basé sur les problèmes réels rencontrés sur le terrain. Une façon d'y parvenir est l'approche de la recherche participative, selon laquelle chercheurs, agents de vulgarisation et agriculteurs se voient offrir l'occasion d'exprimer leurs observations et leurs préoccupations. Faute de quoi, la recherche restera un luxe académique, et un fardeau pour le maigre budget des organismes de recherche dans les pays en développement88.

Il est possible de mieux adapter les objectifs de la recherche aux besoins des agriculteurs et donc de faire en sorte qu'ils améliorent la productivité du secteur, s'ils sont définis en collaboration avec les producteurs. Cela répond à l'observation d'Antholt sur l'importance fondamentale de la pertinence des nouvelles technologies. Ce point est largement admis mais le mettre en pratique n'est pas simple, compte tenu de la dispersion géographique des agriculteurs, de leurs niveaux d'éducation souvent faibles (qui influent sur leur capacité à exprimer leurs problèmes davantage qu'à les percevoir) et de la tendance centralisatrice des institutions bureaucratiques. Il faut également reconnaître que cela s'applique davantage aux petits agriculteurs dont les conditions de culture sont hétérogènes, souvent en régions montagneuses, qu'aux agriculteurs commerciaux.

Des réactions classiques à ce problème ont été d'inclure des représentants des associations d'agriculteurs au conseil d'administration des institutions de recherche, et de réaliser à intervalles réguliers des enquêtes de terrain sur les problèmes agronomiques. En outre, le service de vulgarisation est supposé faire remonter aux chercheurs les informations relatives aux problèmes agricoles les plus pressants, encore qu'en général, ce mécanisme ne fonctionne pas très bien.

Mais faire siéger des représentants des agriculteurs aux conseils d'administration des organismes de recherche ne sert pas à grand chose. Ces instances se réunissent rarement et, en général, les grandes orientations de la recherche sont choisies longtemps avant par les chercheurs eux-mêmes et filtrées par l'encadrement de ces organismes. De toutes façons, les représentants des agriculteurs sont habituellement minoritaires dans ces conseils. En outre, il est plus utile de débattre des priorités de la recherche au niveau local qu'au niveau national. Les enquêtes menées auprès des agriculteurs constituent des sources d'information intéressantes pour définir les objectifs de la recherche, mais leur intérêt dépend fortement de leur sérieux et du moment auxquels elles sont menées, ainsi que des procédures mises en place pour que les chercheurs en internalisent les résultats. En pratique, elles n'influent que de manière marginale sur le programme de recherche.

La vallée de Jalapa, au Nicaragua, est une vallée fertile à fort potentiel agricole. Elle souffre d'une pauvreté généralisée mais on y trouve également des exploitations de taille moyenne. Les discussions qui y ont eu lieu en janvier 2001 entre des agriculteurs et des agents de vulgarisation ont révélé que la vallée n'avait pas bénéficié du système de recherche agricole national. Les efforts de recherche s'étaient concentrés sur les zones plus arides du pays, et les variétés céréalières produites pour ces zones ne se plaisent pas dans les conditions plus humides de Jalapa. Lors des discussions ultérieures avec les responsables du système de recherche agricole national, ceux-ci ont convenu que le programme national avait négligé jusqu'alors, à tort, Jalapa et des régions similaires. On peut relater des exemples identiques à propos de nombreuses régions agricoles du monde en développement. La décentralisation de la recherche est le seul moyen viable de répondre à ce type de préoccupations.

La décentralisation de l'effort de recherche par la création de centres locaux, répartis en fonction de la variabilité des conditions agronomiques et de la distribution des cultures, et autorisés à formuler leurs propres objectifs, s'est avérée une approche utile. Naturellement, elle tend à rapprocher les chercheurs des préoccupations des agriculteurs, mais cela risque de ne pas suffire. En dépit de l'importance d'une décentralisation judicieuse, certains systèmes de recherche agricole se sont recentrés par suite des restrictions budgétaires. Il est clair qu'il faut parvenir à un équilibre, mais il est important de créer des centres de recherche locaux aussi souvent que possible.

Voici quelques mesures susceptibles de compléter la décentralisation:

En tant que groupe, les agriculteurs détiennent un riche patrimoine de connaissances sur les pratiques agraires, et même les variétés, comme l'a attesté l'expérience citée plus haut dans laquelle des agricultrices colombiennes et rwandaises ont sélectionné des variétés de haricots plus performantes que celles des chercheurs. Comme le soulignent Van Veldhuizen et al., «toute organisation participant au développement participatif de technologies doit réaliser qu'elle ne possède pas la réponse aux problèmes des agriculteurs; elle doit être prête à apprendre grâce à ses relations avec eux» (1997, p. 8).

Créer des équipes de recherche dont les membres passent le plus clair de leur temps dans les villages des paysans constitue le cœur du processus de recherche participative, tel qu'il a été testé et recommandé par ces auteurs et d'autres. Cela permet de puiser dans le réservoir des connaissances locales et d'orienter la recherche vers les problèmes les plus pressants auxquels se heurtent les agriculteurs.

Dans son texte consacré aux questions de «participation précoce des producteurs à la conception et à l'évaluation des technologies, utilisation de critères centrés sur les agriculteurs dans l'évaluation économique, et approches plus participatives», Sara Scherr observe:

L'intégration des fonctions de recherche et de vulgarisation dans des programmes-pilotes de terrain basés sur le diagnostic, la conception, le retour d'information et la révision de la conception avec les agriculteurs s'est avérée une stratégie extrêmement efficace. Le développement de technologies sous la direction des agriculteurs avec soutien technique et scientifique constitue une autre approche émergente89

Le processus de développement participatif des technologies s'appuie sur le fait que «de nombreux agriculteurs mènent leurs propres petites expériences dans le cadre de l'évolution progressive de leurs systèmes agraires» (Van Veldhuizen et al., 1997, p. 4). Les membres extérieurs de l'équipe de recherche doivent encourager et soutenir ce processus. Cette approche est particulièrement utile avec les petits agriculteurs confrontés à des conditions agronomiques diversifiées. Elle ne se substitue pas aux travaux menés de manière plus traditionnelle dans des stations de recherche, surtout en matière d'améliorations variétales. Les deux approches sont complémentaires. Les programmes de recherche traditionnels porteront probablement davantage leurs efforts sur l'amélioration des cultures (nouvelles variétés), bien que les agriculteurs puissent intervenir dans la définition des priorités et la sélection variétale, comme le montre l'exemple des productrices de haricots. La recherche participative s'orientera probablement davantage sur la conduite des cultures (techniques agraires) et la gestion des ressources naturelles, bien qu'elle puisse contribuer à l'identification des priorités de la recherche variétale et aussi développer directement de nouvelles variétés.

L'un des tous premiers exemples de recherche participative, et peaut être le plus audacieux et le plus réussi, en matière de sélection variétale et d'amélioration des méthodes de culture, fut celui lancé au début des années 90 dans le département de Cauca Valley, en Colombie, où l'initiative de la recherche locale fut confiée aux agriculteurs (comme on l'a mentionné brièvement à la section 8.2 ci-dessus). Un Comité local de recherche agricole (CIAL, en espagnol) est formé de quatre personnes au moins, élues par la communauté, et soutenu par un facilitateur et par un modeste subside. En neuf ans environ, leur nombre avait atteint 229 dans huit pays d'Amérique latine, et de nombreux CIAL s'étaient ramifiés en entreprises connexes, surtout pour le commerce des semences, mais aussi pour la meunerie et autres installations de transformation.

Les CIAL exploitent un riche gisement, à savoir la tradition qu'ont les paysans de pratiquer des expérimentations variétales et culturales sur leurs propres parcelles - habituellement sur un petit bout de terrain. Un soutien extérieur leur est nécessaire, surtout les deux premières années, mais les comités qui franchissent cette étape ont montré qu'ils étaient ensuite tout à fait capables de se maintenir. Les facilitateurs, qui travaillent avec les CIAL sur une base hebdomadaire ou bihebdomadaire, sont évalués par les CIAL eux-mêmes; ils fournissent les semences à tester et diverses informations, et dans certains cas ont commencé à établir dans les collectivités concernées des centres de communication par internet90.

Les paysans sont prompts à absorber les concepts élémentaires et la terminologie de la recherche, et les CIAL leur donnent une plus grande capacité d'interaction avec les autres institutions extérieures. Les CIAL travaillent aussi sur la diversification des cultures et explorent les options de mise en marché. Dans le domaine de la lutte raisonnée, ils fonctionnent à peu près comme les écoles paysannes de terrain (FFS) évoquées plus haut. Il est important que les parcelles expérimentales restent petites, surtout au début, pour minimiser les risques. Quant au support extérieur qui leur est nécessaire, il ne faut pas qu'il soit envahissant, parce que les paysans doivent rester maîtres du dispositif. Nombreux sont les CIAL qui ont remarquablement élevé le revenu de leurs membres. Certains sont conduits par des agricultrices.

D'autres exemples de recherche participative et d'utilisation du savoir paysan ont été relevés par le Fonds international pour le développement agricole (FIDA):

À travers le monde, plus de 300 millions de dollars² de pois d'Angole, une culture des paysans pauvres, sont détruits chaque année par le foreur de cosses. En Inde…, lors d'une rencontre entre paysans organisée par une ONG, un ancien a fait la démonstration d'une méthode désuète qui consistait à secouer doucement les larves au dessus d'une bâche plastique, et en nourrir les poulets… En 1999, cette méthode s'était répandue auprès de milliers de paysans…
Les variétés de millet de l'ICRISAT et celles de maïs [du CIMMYT] sont croisées avec des variétés locales pour correspondre aux conditions et aux préférences locales, même si cela fait perdre de la vigueur hybride du maïs, comme cela se pratiquait à la fin des années 90 par les petits exploitants du Chiapas, au Mexique91.

Faire contribuer financièrement les agriculteurs au budget de la recherche remplit deux objectifs: cela leur permet de s'approprier le processus - et donc les incite davantage à exiger que la recherche réponde à leurs préoccupations prioritaires - et couvre en partie le coût de la recherche. Ce deuxième objectif constitue une préoccupation croissante. Echevarría, Trigo et Byerlee soulignent également qu'un tel système va dans le sens de l'équité, puisque les principaux bénéficiaires de la recherche en paient également une partie92. Cette approche est utilisée de longue date par les agriculteurs des régions irriguées du Mexique, qui sont organisés en patronatos dans le but de financer l'irrigation. Dans l'État mexicain de Sinaloa, ils versent 0,16% de la valeur de leur production, ce qui représente près de la moitié du budget local de recherche agricole. En Colombie, la recherche reçoit l'appui financier des associations de producteurs de café, huile de palme, cacao, riz, sucre et d'autres cultures; les sommes sont collectées par prélèvement d'une surtaxe sur les exportations ou les ventes locales, selon la culture. En Uruguay, les producteurs paient 0,4% de la valeur de leur production pour soutenir la recherche, ce qui a permis de doubler en cinq ans le budget du système national de recherche agricole93.

Ces démarches, qui visent à rapprocher la recherche des agriculteurs et à mieux traiter leurs besoins, permettent de responsabiliser la recherche vis-à-vis des agriculteurs, ce qui est l'un des principaux chevaux de bataille du nouveau consensus international en matière de recherche agricole. De cette responsabilisation il découle que ce n'est plus l'offre, mais la demande ou la satisfaction de la clientèle qui pilote la définition des objectifs de la recherche.

Lorsque les agriculteurs et les agents de vulgarisation deviennent partenaires de la recherche elle-même, ils en deviennent aussi les agents de diffusion. C'est en partie la raison d'être des écoles paysannes de terrain de la FAO, dont l'efficacité a été prouvée en Indonésie, en Bolivie et dans de nombreux autres pays. Sur la côte atlantique de la Colombie, le gouvernement néerlandais finance un projet de recherche participative, connu sous le nom de PBA, qui implique des paysans pauvres dans la sélection de variétés biotechnologiques de cultures vivrières telles que la banane plantain et le manioc. Les agriculteurs participants y ont trouvé un revenu supplémentaire par la multiplication et la vente des semences. Ce type d'approche résout directement la question des liens entre recherche et vulgarisation. Il n'est plus nécessaire de mettre en place des mécanismes complexes de coordination institutionnelle qui, dans tous les cas, ne présentent qu'une efficacité restreinte.

Les objectifs de la recherche nationale doivent prendre en compte, non seulement les besoins des clients, mais aussi les occasions d'adapter avec succès la recherche en provenance d'autres pays. La plupart des nations en développement étant incapables de traiter l'ensemble des aspects importants de recherche agricole les concernant, elles doivent adapter les résultats de la recherche menée dans d'autres pays et par les institutions internationales. Il leur faut renforcer leurs liens avec l'extérieur, aussi bien avec les systèmes de recherche agricole nationaux d'autres pays qu'avec les organismes de recherche régionaux et internationaux. L'exemple d'une collaboration fructueuse de ce type est donné par le travail de l'Institut international d'agriculture tropicale (IITA) du Nigéria pour développer des variétés améliorées de manioc et les diffuser à de nombreux pays africains94.

Lorsque les systèmes nationaux de recherche agricole mettent en place des centres locaux dans différentes régions d'un pays, l'une de leurs priorités doit être la création de laboratoires d'analyse des sols. La nature des sols est l'une des premières, et des plus fondamentales, questions posées par les agriculteurs et les agents de vulgarisation et, malheureusement, les moyens d'y répondre font défaut à de nombreuses régions des pays en développement. L'existence de ce type de moyen est indissociable de la volonté d'aligner davantage la recherche agricole sur les besoins des agriculteurs exerçant leur activité dans des situations hétérogènes.

À l'autre extrémité de la filière agro-économique, une priorité de la recherche elle aussi fréquemment négligée est celle qui porte sur les techniques de gestion après récolte et les technologies de transformation et de manutention. En ces temps de mondialisation, la qualité des produits constitue un facteur de plus en plus déterminant de réussite de la mise en marché, qu'on ne peut négliger sans risque de graves conséquences sur le revenu des agriculteurs. Se soucier seulement de l'aspect quantitatif de la production agricole ne suffit plus. Pour relever ce défi, il faut revoir la gestion de la recherche et ses procédures. Les gestionnaires doivent élaborer des mécanismes qui permettent de suivre l'évolution des tendances et les attentes des marchés de produits agricoles. À Xalapa, au Mexique, un institut local de recherche universitaire a investi dans le développement de procédures de gestion après récolte et d'emballage pour les cultures non traditionnelles avant de s'attaquer à l'adaptation variétale et à la conduite des cultures.

Un aspect de plus en plus important de la pertinence d'une technologie agricole est sa durabilité environnementale. Les technologies qui font un usage intensif des produits chimiques contaminent les sols et l'eau et perdent leur efficacité contre les ravageurs à mesure que ceux-ci développent des mutations. Les technologies fortes consommatrices d'eau risquent d'entraîner la dégradation des systèmes d'irrigation au fil du temps du fait de l'engorgement et de la salinisation, et d'épuiser les réserves d'eau souterraine. Dans le Punjab indien et pakistanais, où la Révolution verte a connu quelques uns de ses premiers succès, l'apparition de certains de ces problèmes a saboté les progrès de productivité:

Certains signes laissent à penser que le système blé-riz du Punjab indien a souffert du fort abaissement de la nappe phréatique, tandis que l'élévation du niveau de l'eau dans la région blé-coton s'est traduite par un grave engorgement. Les données du Punjab pakistanais confirment un sérieux problème d'engorgement des terres et de salinité, dû en partie à la détérioration de la qualité de l'eau des puits tubulaires (révélée par l'augmentation importante de carbonates résiduels et par l'électroconductivité de l'eau souterraine). Au Pakistan, la qualité du sol (en termes de matières organiques mobilisables et de phosphore) s'est également détériorée, en particulier dans la zone blé-riz…
Dans le système blé-riz, la dégradation des ressources a plus qu'annulé les gains de productivité qu'avaient apportés le changement technologique, l'éducation et l'infrastructure. La [dégradation des ressources comprend] le développement de complexes de ravageurs suite à la monoculture céréalière et à un usage inadéquat des pesticides.
… pour stopper la dégradation des ressources, il va falloir que les systèmes de recherche, qui orientaient leurs efforts sur le développement de technologies faisant appel à des ensembles d'intrants modernes, s'intéressent davantage à des pratiques sans danger pour l'environnement et visant l'efficacité des intrants. Cela va nécessiter un important travail de recherche local sur des thèmes tels que la protection intégrée, la gestion des nutriments et les systèmes de production. Il faudra également diversifier les rotations et y inclure des légumineuses et le labour conservatoire. Nombre de ces pratiques demandent une multitude d'informations, qui nécessiteront des efforts de diffusion et de vulgarisation beaucoup plus intensifs. Les systèmes de recherche [du Punjab indien et pakistanais] ont commencé à s'orienter dans cette voie pendant les années 90.
Les résultats de cette étude… soulèvent de graves préoccupations quant à la pérennité des systèmes d'irrigation intensive de la Révolution verte du fait de la dégradation des ressources. Pour le Pakistan, cette étude livre la première preuve quantitative de l'impact de la dégradation des ressources: on y estime qu'elle ralentit d'un tiers la croissance d'ensemble de la productivité, et qu'elle annule pratiquement l'effet du changement technologique en ce qui concerne le système blé-riz95.

Tournant le dos à l'ancienne vision de l'agriculture en tant que processus quasi industriel selon lequel, dans des conditions uniformes de culture, on applique davantage d'intrants matériels pour obtenir davantage de production, les nouvelles orientations de la recherche agricole visent à mieux apprécier la complexité et la fragilité des systèmes agricoles. L'amélioration de la productivité apparaît désormais davantage comme un processus adaptatif aux approches très diversifiées et nécessitant une étroite communication avec les personnes qui, au final, prennent les décisions techniques sur le terrain, c'est-à-dire les agriculteurs.

8.4.2 Gestion et structures institutionnelles de la recherche agricole96

Pour que la décentralisation d'un système de recherche agricole national porte ses fruits, il faut changer de style de management, être prêt à accorder une autonomie suffisante aux centres de recherche locaux et mettre l'accent sur la liaison entre le siège et les établissements locaux. Cela nécessite également une liaison entre les centres de recherche internationaux, les centres de recherche des pays voisins aux conditions agronomiques similaires et les centres de recherche locaux du pays. En général, ce type de liaison est mal développé dans les systèmes de recherche existants. Il faut soumettre le travail des centres locaux à un examen attentif permanent afin de comprendre la nature des problèmes traités, puis scruter l'inventaire des technologies développées dans d'autres pays afin de déterminer si des approches pertinentes ont déjà été élaborées ailleurs. En ce sens, la décentralisation d'un système de recherche accorde davantage de poids à la fonction de liaison entre les efforts de recherche à différents niveaux. La technologie internet peut grandement faciliter cette liaison avec un minimum de ressources financières.

En même temps, du fait de la réduction des budgets de recherche, les institutions de recherche agricoles sont obligées d'utiliser plus efficacement leurs ressources. Il convient de gérer les systèmes de recherche agricole nationaux davantage comme des entreprises et insister sur la commercialisation des résultats de la recherche, afin de récupérer la totalité des coûts lorsque les utilisateurs peuvent s'en approprier les bénéfices. À choisir entre un personnel plus nombreux ou plus qualifié, c'est toujours le second qui doit l'emporter. De la même manière, il faut que les dépenses en équipement et matériels de recherche soient suffisantes pour soutenir les travaux des scientifiques. Le recrutement d'un personnel de qualité et la mise en place d'un bon système de motivation deviennent des thèmes centraux dans la gestion de la recherche, en même temps qu'une attention plus grande à la clientèle.

L'amélioration de l'efficacité est l'un des nouveaux leitmotiv de la gestion de la recherche. Pour y parvenir, il faut changer de méthodes, et nombreux organismes de recherche agricole se réorganisent pour devenir moins bureaucratiques et de s'inspirer du style de direction des entreprises privées.

Un éventail plus large d'institutions commence à participer à la recherche agricole, comprenant des universités, des entreprises privées, des fondations, des ministères autres que celui de l'agriculture, des ONG du type associations professionnelles d'agriculteurs, et même des collectivités paysannes à travers des mécanismes tels que les CIAL.

Un dispositif de plus en plus utilisé pour enrôler de nouvelles institutions dans la recherche agricole est celui des appels d'offres pour la recherche sur fonds publics. Dans cette formule, universités, ONG, associations de producteurs et offices publics eux-mêmes entrent en compétition pour les fonds mis à disposition, sur la base de la qualité des propositions de recherche. En évaluant ces propositions, la qualité peut être interprétée selon plusieurs dimensions, comprenant la réponse aux besoins des agriculteurs, le rapport coût-efficacité, et les preuves existantes d'une réelle capacité de recherche. Un tel dispositif peut faire beaucoup pour diversifier les institutions prenant part à la recherche, et pour les pousser à renforcer leurs capacités et leur efficacité. PRONATTA en Colombie est une réussite dans ce domaine: dans ce programme, financé par la Banque mondiale, les décisions d'allocation des financements de la recherche sont prises au niveau des provinces par des groupes d'experts97.

Néanmoins, cette approche valable n'est pas une panacée, car il est difficile pour un organisme de créer et pérenniser l'investissement d'une infrastructure de recherche sur la base de contrats de recherche épisodiques et incertains. Si l'institution dispose d'autres moyens pour entretenir son infrastructure essentielle, alors la participation aux appels d'offre lui permet d'acquérir une plus grande expérience de recherche et de renforcer ses capacités sur des sujets particuliers. Dans les autres cas, des projets de recherche au coup par coup, de durée limitée, peuvent convenir pour certains types de problèmes.

Bien que le secteur privé soit de plus en plus présent dans la recherche agricole des pays en développement, il joue un rôle davantage complémentaire que concurrent de celui du secteur public. Les obstacles à un plus grand rôle du privé tiennent à la difficulté de capturer les bénéfices de certaines recherches – à cause de leur caractère de biens publics - et à la petite taille du marché pour certaines innovations. Il est peu probable que le privé puisse jouer un rôle significatif en recherche fondamentale, ni dans les cas où le cadre juridique de protection des droits de propriété intellectuelle n'est pas bien développé. En outre, les chercheurs peuvent penser qu'il n'y a guère de potentiel productif dans les terres marginales qui sont souvent celles cultivées par les paysans pauvres. Les entreprises privées sont surtout intéressées par la recherche sur le machinisme agricole, sur les produits chimiques et sur les produits biologiques (dans cet ordre), et peu par la technologie agricole proprement dite. Par contre, les agriculteurs tendent à être des chercheurs efficaces dans ce dernier domaine, s'ils sont organisés et soutenus comme il convient.

La recherche participative pose des problèmes de gestion particuliers. La meilleure manière de coordonner un programme national de recherche participative sera probablement de confier cette fonction à une institution consacrée au développement rural, ou à quelqu'autre forme de soutien à la population rurale, parce que des efforts réussis de facilitation sont la clé du bon fonctionnement de la recherche participative. Bien qu'une telle recherche demande le soutien technique des organes scientifiques de la recherche, il n'est pas forcément bon qu'un programme participatif soit administré par le système national de recherche, à cause de la tentation presque irrésistible des chercheurs de transmettre leurs idées et leurs priorités par une démarche d'en haut vers en bas. Le risque est d'étouffer les efforts d'encouragement d'une recherche au niveau des communautés rurales par des messages et un pilotage depuis le centre98.

8.4.3 Financement de la recherche agricole

Il faut diversifier les sources de financement et la structure institutionnelle de la recherche agricole. Les budgets du secteur public ne suffiront pas à eux seuls à prendre en charge le nécessaire renforcement de l'effort et de la qualité de la recherche. Outre le financement entièrement privé, et celui faisant intervenir le mécanisme des appels d'offre ouverts, Echevarría et al. (1996) ont identifié comme suit les principaux canaux potentiels de financement de la recherche:

Il faut signaler aussi que des ONG interviennent dans le financement de la recherche participative avec les agriculteurs, lorsque les besoins financiers sont mineurs par rapport à la fourniture des services de facilitation.

En matière de commercialisation de la recherche financée par le secteur public, ces auteurs mentionnent (1996, p. 12) le cas de EMBRAPA, au Brésil, dont le budget est maintenant financé à hauteur de 8% par la vente des résultats de ses travaux. Ils citent également le cas de l'Uruguay (p. 13), où les agro-transformateurs ont versé 100 000 dollars aux institutions de recherche publiques pour améliorer l'orge de malt, ce qui a débouché à la fois sur le développement de nouvelles variétés et sur de meilleures pratiques de conduite de la culture.

Confier la recherche aux universités ne résout pas les problèmes de financement, mais, étant donné les effectifs dont elles disposent, elles peuvent s'avérer d'un bon rapport coût-efficacité pour mener la recherche, une piste généralement sous-exploitée dans les pays en développement.

Dans le cas du Honduras évoqué dans l'encadré, la fondation s'intéressait surtout à la recherche en matière de cultures non traditionnelles et elle a soutenu les essais par les agriculteurs. Elle est parvenue à promouvoir l'exportation de cultures non traditionnelles dans ce pays. Des représentants des associations d'agriculteurs siègent à son conseil d'administration, aux côtés de représentants du gouvernement et de l'USAID. À long terme, la création d'une fondation de recherche agricole convenablement dotée constitue l'une des meilleures réponses au dilemme du financement des programmes de recherche. Cependant, la vente des résultats de la recherche au secteur privé et la mise en place d'une contribution financière des producteurs constituent eux aussi des volets importants de la solution.

La création de fondations de recherche peut constituer une réponse valable au souci d'assurer la durabilité des activités de recherche agricole. Créer une fondation et convaincre des bailleurs de fonds de contribuer à sa dotation nécessite un effort considérable, mais qui peut avoir des répercussions extrêmement favorables sur le développement du secteur. L'USAID a donné l'exemple en Amérique latine pour aider au financement de ce type d'institutions, comme en témoignent les exemples de la Jamaïque (Jamaican Agricultural Development Foundation - JADC), du Honduras (Honduran Foundation for Agricultural Research (FHIA)) et de l'Equateur (Agricultural Development Foundation (FUNDAGRO)). (R. G. Echevarría, E. J. Trigo et D. Byerlee, 1996, pages 18–19)

Enfin, résoudre ce problème nécessite également de renforcer le soutien apporté à la recherche aussi bien par les agriculteurs que par les citoyens. En général, le rendement économique élevé de la recherche agricole et le caractère de bien public d'un grand nombre de ses produits sont très mal connus, même des membres des assemblées nationales. Il faut informer le public des avantages de la recherche agricole par des campagnes intenses et répétées, y compris au moyen du lobbying (soutenu par les agriculteurs) auprès des gouvernements et des assemblées. Pour l'essentiel, les systèmes de recherche agricole nationaux ne se sont pas suffisamment préoccupés de mener des campagnes de cette nature. Si le grand public ne prend pas davantage conscience de l'importance de la recherche agricole et ne lui accorde pas son soutien, il sera difficile de résoudre la crise du financement de manière durable.

8.4.4 Recherche agricole et lutte contre la pauvreté

On a reproché à la recherche agricole de faire beaucoup pour les gros exploitants commerciaux et peu contre la pauvreté rurale. Les conclusions des études empiriques ont souvent abondé en ce sens. Dans une large mesure, ce résultat provient davantage des différences entre gros et petits agriculteurs en termes de dotation en facteurs, en particulier la taille des exploitations et la qualité des sols, et de leur capacité à acheter les intrants, plutôt que de stratégies de recherche qui favoriseraient explicitement les gros exploitants. Comme l'a écrit Mitch Renkow:

Presque par définition, les technologies agricoles améliorées ont un moindre impact, au final, sur la productivité des zones marginales que sur celle des zones favorisées. Et là où la «marginalité» se combine à l'éloignement physique, à la médiocrité des infrastructures ou aux imperfections institutionnelles, la moindre disponibilité et le coût plus élevé des intrants complémentaires tendent à aggraver davantage encore les disparités régionales en termes d'effets directs des nouvelles technologies. En outre, parce que ces derniers sont en général plus importants dans les zones favorisées, les retombées par le biais des marchés de facteurs et de produits tendent également à être plus importantes lorsqu'elles émanent de zones favorisées99.

Ce penchant en faveur des grandes exploitations résulte aussi des orientations traditionnelles de la recherche agricole sur: a) les nouvelles variétés, plutôt que la conduite des cultures et la gestion des ressources naturelles; b) les cultures prises une par une, plutôt que les systèmes de production; c) les variétés nécessitant une quantité relativement importante d'intrants modernes, plutôt que les variétés indigènes; et d) l'approche d'en haut vers en bas dans le développement de la recherche et la transmission de ses résultats. La question demeure donc posée de savoir si un changement d'orientation vers d'autres variétés, vers les systèmes de cultures et la gestion des ressources naturelles, et en direction de la recherche participative, permettrait aux agriculteurs pauvres de tirer davantage de profit de la recherche. Sur l'autre versant de ce débat, les sceptiques affirment que les avantages totaux de la recherche agricole seront toujours plus importants si davantage d'agriculteurs commerciaux en adoptent les résultats, compte tenu de leur capacité à en dériver une productivité supérieure (à la marge). Le débat se retrouve donc posé en termes de compromis entre équité et efficacité.

À ce jour, peu de faits directs l'ont alimenté. Par exemple, les doutes exprimés par Byerlee, mentionnés plus haut dans le présent chapitre, quant au recours à des objectifs de lutte contre la pauvreté pour guider les stratégies de recherche, s'appuyaient sur une comparaison des programmes de recherche existants (par cultures) en termes d'incidence [sur différents groupes d'agriculteurs] de leurs avantages. Il se demandait si transférer les ressources de la recherche, de certains programmes vers d'autres, bénéficierait davantage aux pauvres ruraux, et concluait que non. Cependant, dans cette étude concernant le Pakistan, il n'a pas examiné l'option de différents types de recherche variétale ni, ce qui semble encore plus important, celle de la recherche participative avec les agriculteurs pauvres sur la conduite des cultures.

Fan et al. ont analysé les conséquences des variétés à haut rendement et autres interventions publiques sur les agriculteurs de périmètres irrigués et pluviaux en Inde. Ils ont conclu que l'amélioration des technologies et des infrastructures rurales a fortement contribué à la croissance agricole et à la lutte contre la pauvreté, mais que cet impact varie entre zones irriguées et pluviales et entre les différents types de zones pluviales100. Ils ont avancé (p. 427), en apparente contradiction avec les conclusions de Renkow citées plus haut, que c'est maintenant dans les zones pluviales que les rendements marginaux des investissements publics dans certains types de technologies et d'infrastructures sont les plus élevés, y compris dans quelques zones apparemment à faible potentiel. Cependant, si cette conclusion est peut-être vraie pour certaines régions de leur échantillon, leurs résultats statistiques laissent planer un doute101. Il faut aussi noter que les auteurs ne se sont penchés que sur l'effet de variétés à haut rendement existantes. On peut appliquer les mêmes réserves que celles émises plus haut au sujet des travaux de Byerlee: les avantages possibles pour les pauvres d'autres types de stratégies de recherche n'ont pas été analysés. Ainsi, certaines des questions fondamentales sur le potentiel de la recherche agricole à lutter contre la pauvreté demeurent sans réponse.

Dans le cas des Philippines, Keijiro Otsuka a avancé que, s'agissant de la lutte contre la pauvreté, le principal avantage de la recherche agricole est l'accroissement de la production totale, qui entraîne une baisse du prix des aliments pour tous, pauvres compris.102 Cet argument soulève deux problèmes. Tout d'abord, dans une économie relativement ouverte et sans influence sur les prix mondiaux, l'accroissement de la production agricole peut se traduire par une baisse des importations ou une augmentation des exportations, sans incidence sur les prix intérieurs. Ensuite, les nombreux pauvres ruraux disposant de petits excédents commercialisables souffrent d'une chute des prix alimentaires. De fait, même les familles sans terres et les agriculteurs dont les parcelles sont trop petites pour générer un excédent commercialisable bénéficient en général d'une augmentation des prix à la ferme, parce que cela stimule la production et donc augmente la demande en main d'œuvre agricole. L'étude menée par Dean Schreiner et Magdalena García, citée au chapitre 4 du présent volume, montre que la strate de revenu la plus basse des zones rurales a été, sans conteste, la principale bénéficiaire de l'augmentation des prix alimentaires au Honduras. Au bout du compte, l'effet de lutte contre la pauvreté d'un changement des prix alimentaires est une question empirique qui dépend en partie du nombre des ruraux sans terres par rapport au nombre d'agriculteurs.

Otsuka observe à juste titre (2000, pages 459–460) qu'orienter la recherche consacrée au riz sur les zones agricoles moins favorisées en complique grandement la tâche et risque d'en amoindrir considérablement les avantages d'ensemble, y compris pour les pauvres. Il avance en outre (2000, p. 460) un argument relatif à la cohérence de la recherche avec les avantages comparatifs d'une région, qui s'applique à de nombreuses situations:

Nous ne prétendons pas que la recherche agricole devrait renoncer à développer de nouvelles technologies pour les régions marginales. Au contraire, nous disons qu'il faudrait allouer davantage de ressources à une recherche pour des technologies adaptées à ces régions. Mais nous contestons une recherche consacrée au riz pour les régions défavorisées, simplement parce que le développement de technologies convenables est hautement improbable. Nous voudrions suggérer que le développement de nouvelles technologies d'agroforesterie, pour l'arboriculture commerciale, possède un fort potentiel parce que cette approche est beaucoup plus efficace qu'un changement de type de culture. Le développement et l'adoption à grande échelle de nouveaux systèmes d'agroforesterie plus efficaces amélioreront les revenus des agriculteurs pauvres dans les régions marginales parce qu'ils renforceront l'efficacité de l'usage des terres et contribueront à la restauration partielle des environnements forestiers. Pourtant, de manière surprenante, aucun centre de recherche agricole international n'a mené de recherches sérieuses sur ces technologies prometteuses. D'autres cultures et d'autres technologies particulièrement bien adaptées aux zones agricoles marginales existent peut-être également103.

La suggestion d'Otsuka est reprise de manière élargie par Hazell et Haddad, qui soulignent l'importance d'améliorer les technologies de gestion des ressources naturelles sur les terres agricoles moins favorisées. Si les agriculteurs pauvres occupent des terres marginales, ce qui est souvent le cas, l'amélioration de la gestion des ressources naturelles est essentielle à la hausse de leur productivité économique:

Si certains types de recherche sur les cultures semblent essentiels pour les régions moins favorisées - amélioration de la tolérance à la sécheresse, rendement en dépit de la rareté des nutriments des plantes, teneur en nutriments alimentaires, résistance aux ravageurs et aux maladies, santé et productivité du bétail - on convient de plus en plus que les améliorations principales de productivité viendront d'abord de l'amélioration des pratiques et des technologies de gestion des ressources naturelles (GRN)104.

Cette observation milite pour une approche de la lutte contre la pauvreté passant par des technologies améliorées basées sur des zones agro-économiques, plutôt que par l'identification de groupes cibles selon des critères de revenus, ce qui est toujours plus difficile en milieu rural qu'en milieu urbain.

De toute évidence, le choix d'une stratégie de recherche axée sur les pauvres ruraux dépend beaucoup du contexte. Renkow a résumé le débat en ces termes:

Pour apprécier l'impact contre la pauvreté de différentes activités de recherche en matière de sélection et de conduite des cultures, il faut évaluer avec soin l'endroit où vivent les pauvres, les activités rémunératrices qu'ils pratiquent et la manière dont les nouvelles technologies agricoles modifient le rendement des ressources dont disposent les membres des ménages. Les observations disponibles ne permettent pas de généralisation facile en ce qui concerne les solutions les mieux adaptées pour améliorer le bien-être des pauvres dans les régions marginales. Elles renforcent, au contraire, la nécessité d'examiner en permanence et au cas par cas diverses options possibles de politique et de stratégies d'investissement …
Pour certaines régions marginales, il ne fait aucun doute que la recherche agricole ciblant précisément les environnements de production difficiles représente l'investissement public le plus favorable aux pauvres. Ceci sera sans doute particulièrement vrai des zones où l'agriculture représente une part élevée du revenu des pauvres, où la situation agronomique limite l'adoption de technologies développées pour des environnements de production plus favorables, et où les perspectives de réussite de la recherche sont relativement élevées. Cependant, dans de nombreux cas, les investissements publics dans l'infrastructure et les réformes institutionnelles ont bien des chances de générer des avantages beaucoup plus importants et rapides, pour les pauvres des régions marginales, que les investissements dans la recherche agricole visant ces mêmes régions - surtout lorsque les sources de revenu non agricoles sont relativement importantes105.
Lorsque la recherche a négligé les environnements agricoles les plus difficiles et les plus hétérogènes, on peut arguer pour une recherche agricole participative comme instrument valable de lutte contre la pauvreté. La coopération entre agriculteurs et chercheurs peut conduire à une meilleure identification des caractéristiques variétales intéressantes pour les producteurs, et orienter la recherche vers leurs priorités parmi lesquelles lutte contre les ravageurs, gestion des ressources naturelles, amélioration variétale ou technologies d'après récolte. Les paysans peuvent aussi s'avérer des acteurs habiles pour la sélection variétale au sein de leur contexte agro écologique familier.
Ashby et al. ont souligné combien la recherche participative peut bénéficier aux agriculteurs pauvres:
Grâce à l'accent qu'il met sur la prise de contrôle [par les paysans], le processus des CIAL devrait avoir un impact important sur l'équité. Dans plusieurs cas, des groupes très pauvres ou marginalisés, habituellement laissés pour compte par le développement, ont pris part avec enthousiasme au processus106.

Rapportée au nombre d'agriculteurs qui en bénéficient, l'approche participative peut sembler coûteuse en ressources humaines, mais, bien conduite, elle a fait ses preuves en Afrique, en Amérique latine et, spécialement pour le traitement des ravageurs, en Asie. D'une façon générale, pour que la recherche serve mieux les paysans pauvres, il faut encourager un dialogue permanent entre les agriculteurs pauvres, femmes comprises, et les scientifiques agricoles, et ne pas limiter la collaboration à des visites occasionnelles des chercheurs sur les exploitations et dans les villages. De nombreux scientifiques craignent que la participation au «développement» ne les empêche de faire de la «bonne science». Il n'y a néanmoins pas de raison pour que ces deux objectifs soient contradictoires et le second devrait être considéré comme venant étayer le premier. Sinon l'argument en faveur d'un soutien financier de la recherche agricole risque de se trouver très affaibli.

8.4.5 Questions de genres et recherche agricole

Les approches participatives de recherche agricole seront encore plus bénéfiques si elles insistent tout particulièrement sur la participation des femmes au dialogue. Le cas du Malawi est instructif quant à l'avantage de tenir compte du point de vue des femmes rurales, aussi bien en matière de recherche que de vulgarisation:

… pendant les années 80 et au début des années 90, le taux d'adoption de… variétés de maïs améliorées était décevant… les très nombreux agriculteurs produisant du maïs pour la consommation familiale étaient réticents à les adopter pour plusieurs raisons. Pour bien croître, elles nécessitaient des engrais et des pesticides coûteux, hors de portée du budget des femmes et des agriculteurs pauvres; elles ne résistaient pas aussi bien à la sécheresse que les variétés locales et présentaient donc un risque d'insécurité alimentaire; elles étaient beaucoup plus difficiles à stocker et à moudre, et donc prenaient encore plus du peu de temps dont disposaient les femmes; et elles ne possédaient pas la saveur du maïs local, que les femmes savaient particulièrement appréciée par les membres de leur famille
À la fin des années 90, le gouvernement du Malawi… a réussi à réorienter les activités de recherche et de vulgarisation pour tenir compte de ces problèmes. La recherche s'est concentrée avec succès sur le développement d'un maïs amélioré qui possède les caractéristiques de goût, de stockage et de pilonnage du maïs local et son adoption a fait dire [que le Malawi connaît une] «révolution verte à retardement»107.

Bien que, en général, la recherche agricole ne tienne pas compte des questions de genres, le SEAGA Marco Manual (2001) de la FAO cite d'autres exemples où leur prise en compte s'est soldée par des succès:

Au Pérou, le Centre international des pommes de terre teste et améliore les cultures vivrières de base cultivées par les femmes africaines, telles que la patate douce, pour combiner maturité précoce et haut rendement avec une certaine tolérance à la sécheresse. Souvent utilisées par les femmes en périodes de famine et de pénurie, ce type de culture est consommé avant la récolte principale ou lorsque la récolte de base est peu abondante.
En Côte d'Ivoire, la West African Rice Development Association (WARDA) a mené des enquêtes pour identifier les préférences des hommes et des femmes en matière d'adoption des variétés de riz améliorées. Elle s'est aperçue que si les hommes préfèrent des variétés courtes à fort rendement, les femmes n'aiment pas les cultiver parce qu'il est difficile de les récolter avec des bébés sur le dos. Du coup, WARDA a réorienté ses recherches sur le développement de variétés à tiges moyennes ou hautes.
Au Burkina Faso, l'étude de la dynamique des genres dans l'irrigation a conduit à adopter des technologies appropriées qui ont multiplié les possibilités de production des femmes et des pauvres. La construction de petits barrages d'irrigation a permis la plantation d'arbres fruitiers et pour le bois de feu, et facilité l'accès à l'eau domestique. Une formation technique, organisationnelle, au crédit, aux intrants et à la mise en marché a aussi été dispensée. De cette manière, la technologie bénéficie à tous les membres de la communauté et des ménages108.

Comme le montrent ces exemples, la prise en compte des questions de genres dans la recherche agricole ne présente pas de difficulté, mais nécessite une volonté soutenue de la part des institutions de recherche. Il faut commencer par mener une analyse de genres des technologies nouvelles et existantes, et identifier les activités des femmes rurales. Elles varient selon le contexte, mais incluent souvent l'après récolte et la mise en marché, la culture des aliments de base et/ou des légumes, le désherbage des cultures de plein champ, la reproduction et l'élevage du petit bétail, la collecte d'eau et de bois de feu et nombre d'autres corvées ménagères. Une approche participative dans les programmes de recherche permet d'identifier ces activités et la manière dont on peut améliorer la productivité du travail des femmes. Sur les 249 CIAL en activité en 2000, 7% étaient entièrement féminins, et 37% mixtes109.

Une recherche soucieuse des questions de genres peut donner naissance à des technologies domestiques et agraires qui réduisent les besoins en main d'œuvre de certaines tâches des femmes, leur laissant plus de temps pour se livrer à des activités plus productives. Les avantages potentiels de technologies domestiques améliorées ont été quantifiés pour le Burkina Faso dans l'étude de Lawrence et al. citée à la section 8.2 ci-dessus. La recherche peut également s'orienter vers l'amélioration du rendement des cultures produites en général par les femmes et l'efficacité d'activités telles que la gestion après récolte qui, en général, leur revient.

Il faut toujours accompagner la recherche agricole par des investissements d'infrastructure, des programmes d'amélioration de l'accès à la terre et autres efforts visant à améliorer la base de ressources des agriculteurs, mais ceci est encore plus vrai des agricultrices. Doss et Morris ont conclu, de leur étude des facteurs qui déterminent le taux d'adoption des technologies chez les agricultrices du Ghana, que:

Globalement, les résultats du Ghana laissent à penser que les décisions d'adoption des technologies dépendent avant tout de l'accès aux ressources plutôt que du genre per se. Cette conclusion doit cependant être nuancée parce que cela ne signifie pas nécessairement que les variétés et les engrais modernes soient des technologies où le genre n'entre pas en ligne de compte. Si l'adoption de variétés et/ou d'engrais modernes dépend de l'accès aux terres, à la main d'œuvre ou à d'autres ressources, et si, dans un contexte donné, les hommes tendent à avoir un meilleur accès à ces ressources que les femmes, alors les hommes et les femmes ne tireront pas un bénéfice égal de ces technologies. Il faudra donc peut-être modifier la politique pour améliorer l'accès des femmes aux ressources clés; ou bien on demandera à la recherche de cibler délibérément des technologies particulièrement adaptées aux ressources dont disposent les femmes. Au bout du compte, il est important d'examiner à la fois la technologie elle-même et le contexte physique et institutionnel dans lequel elle est mise en œuvre110

D'un côté, ces remarques rappellent l'intérêt d'une approche holistique du développement agricole et rural; de l'autre, elles suggèrent le potentiel d'une réorientation, au moins partielle, de l'effort de recherche agricole dans chaque pays, afin de mieux prendre en compte les facteurs liés aux genres et qui influencent le taux d'adoption des nouvelles technologies.

Par dessus tout, un programme de recherche soucieux des questions de genres nécessite un effort soutenu de maintien de la communication avec les agricultrices, et des changements dans l'organisation et la conduite de la recherche et de la vulgarisation.

8.5 NOUVELLES APPROCHES EN MATIÈRE DE VULGARISATION AGRICOLE

Bien que l'on trouve des agents de vulgarisation intelligents et dévoués dans toutes les régions agricoles, les faiblesses des systèmes de vulgarisation existants ne sont que trop familières dans l'ensemble du monde en développement: faible pertinence des messages, expérience agricole des agents de vulgarisation insuffisante pour qu'ils soient crédibles auprès des agriculteurs, absence de mécanismes de transmission des principales préoccupations des agriculteurs aux chercheurs agricoles, faiblesse des liens entre recherche et vulgarisation, rémunération insuffisante et manque de motivation des agents de vulgarisation, budgets de soutien insuffisants confinant souvent les agents dans les bureaux en ville par manque de moyens de transport.

Farrington s'exprime en termes moins sévères:
On peut citer de nombreux exemples de vulgarisation réussie par le secteur public… Pourtant, dans de nombreux cas, les ressources sont trop dispersées pour être utiles et la rigidité et l'incapacité à s'adapter à l'évolution des contextes infrastructuraux et institutionnels constituent la norme111.

Si les crises budgétaires qu'ont connues les pays en développement ces dernières années constituent l'une des causes de ces difficultés, il existe aussi des problèmes fondamentaux de gestion et de structure des systèmes de vulgarisation, relatifs entre autres aux dispositifs de motivation des agents et à leurs critères de recrutement. À ce stade, il est clair que les systèmes centralisés d'autrefois ne sont plus viables et qu'il faut recourir à de nouvelles approches.

Dans la section 8.3 ci-dessus, on a noté que le contexte de la vulgarisation s'est transformé profondément ces dernières années. Les principaux aspects mentionnés par de nombreux observateurs incluent, outre la performance médiocre que l'on constate dans de nombreux systèmes, les restrictions budgétaires; l'implication croissante du secteur privé, des associations de producteurs, des groupes communautaires et des ONG; les effets de la mondialisation sur l'agriculture; le changement des priorités des donateurs; et dans certains cas, les effets dévastateurs du VIH/SIDA sur les collectivités paysannes.

C'est pourquoi les systèmes de vulgarisation ont fait l'objet d'études et de réformes intensives dans le monde entier. D'autres moyens d'enrichir et de transmettre le savoir en matière de technologies agricoles reçoivent en outre une attention croissante.

8.5.1 Alternatives pour les systèmes de vulgarisation agricole

Le Groupe de Neuchâtel a formulé et expliqué six principes directeurs d'élaboration des nouvelles démarches de vulgarisation agricole, en des termes applicables à toute région du monde112:

-    Les échanges directs entre producteurs comme un moyen de diagnostiquer les problèmes, d'échanger les expériences, de diffuser les améliorations confirmées, et même de modeler des projets communs.

-   Les relations entre producteurs et fournisseurs de services (y compris la vulgarisation agricole publique). La vulgarisation conseille, elle ne prescrit pas. Ceci demande aux vulgarisateurs d'être des ‘participants à’, et non des ‘outils de' la vulgarisation. Il faut que la confiance s'établisse entre le petit paysan-client et le conseiller. Une solide expertise technique demeure indispensable, mais les capacités du vulgarisateur doivent aller bien au-delà. Il doit aujourd'hui connaître les techniques participatives, et savoir puiser intelligemment dans un mélange de méthodes de communication et de technologies. Il lui faut penser en termes d'opportunités commerciales, de meilleurs revenus pour les producteurs, et de gestion d'ensemble de l'exploitation…

-   les organisations paysannes gèrent leurs propres services techniques;

-   les groupes de producteurs et des centres privés … ou publics de service travaillent ensemble sur base contractuelle;

-   les producteurs peuvent diriger le financement vers la solution de leurs problèmes spécifiques.

-   établir des buts communs et cadrer les politiques;

-   harmoniser les méthodes et instruments de travail;

-   capitaliser sur la base des expériences et échanges d'information;

-   conduire le suivi et l'évaluation;

-   orchestrer les activités et assurer l'équité envers les groupes cibles;

-   assurer que les ressources publiques sont efficacement réparties;

-    mettre en commun les moyens de recherche et formation.

Ce dialogue doit être équitable. La coordination ne doit pas redevenir un contrôle central déguisé.

Une conclusion centrale de ces principes est que le développement des technologies et le travail de vulgarisation doivent devenir davantage orientés par la demande:

Il y a désormais un accord de plus en plus large sur le fait que créer un système technologique orienté par la demande, cela veut dire impliquer directement les paysans dans l'identification des problèmes, l'établissement des priorités, et la réalisation sur l'exploitation d'activités de recherche et vulgarisation … Etablir un équilibre entre les ‘systèmes d'offre’ institutionnels et ceux de vulgarisation et technologie voulus par les agriculteurs et orientés par la demande devrait être, dans de nombreux cas, le but ultime des pays soucieux de progresser vers davantage de développement et une plus grande aptitude à la compétition113.

Bien que les réponses aux besoins en information des paysans doivent être apportées par différentes institutions, Rivera (2001, p. 27) avertit qu'il ne faut pas toujours identifier pluralisme avec partenariat. Ce dernier aboutit à un apprentissage par toutes les institutions impliquées, et constitue une relation entre pairs. Faute d'une bonne structuration du processus, l'existence de plusieurs fournisseurs de service sous contrat avec le gouvernement pourrait tout simplement être une autre forme d'exécution du mandat gouvernemental, le processus restant sous contrôle central.

Le développement participatif des technologies peut être mené de manière relativement indépendante des systèmes de vulgarisation, bien que la nécessité d'entretenir des contacts avec les instituts de recherche et les sources durables de financement militent en faveur d'une forme ou d'une autre d'institutionnalisation, même peu structurée. Diverses autres approches de diffusion des bonnes pratiques agricoles ont été tentées. Farrington a résumé quelques façons de mettre en œuvre l'approche participative:

Les Écoles paysannes de terrain de la FAO, esquissées ci-avant en fin de section 8.2, sont une forme efficace d'implication des paysans à la fois dans la recherche et dans la vulgarisation, comme le sont les expériences des CIAL en Amérique latine, du programme PBA au nord-est de la Colombie, et les efforts pionniers de développement participatif de technologies au Zimbabwe, au Malawi et en d'autres pays d'Afrique. Au travers des expérimentations participatives, les agriculteurs deviennent eux-mêmes des vulgarisateurs pour leurs voisins et les collectivités alentour. En fait, l'une des clés de la multiplication des CIAL a été de former des paysans comme formateurs, aptes à aller ailleurs expliquer et faciliter l'application de la démarche.

Farrington poursuit en indiquant que les gouvernements réagissent de diverses manières à l'existence de ces moyens «non traditionnels» de vulgarisation:

En premier lieu, le gouvernement a tendance à retirer les agents de vulgarisation des villages pour des raisons financières, mais aussi en raison de la capacité croissante des agriculteurs à accéder à des niveaux plus élevés du système de génération et de transfert de technologies [par le biais de leurs propres organisations et des ONG] afin d'en tirer des technologies adaptées. Le gouvernement réduit donc sa présence, mais la frontière se déplace nécessairement de manière non uniforme; le retrait doit être plus marqué chez les producteurs de cultures commerciales pouvant facilement obtenir des informations techniques auprès des fournisseurs d'intrants du secteur privé et des organisations de transformation et de commercialisation, que chez les producteurs de cultures vivrières de subsistance.
En second lieu, le nombre d'organisations représentant les pauvres ruraux ou travaillant pour eux se multiplie rapidement. Certains ministères commencent à leur apporter un soutien technique et à tirer les leçons des informations qu'elles leur transmettent… En outre, ils doivent fournir un environnement qui soutiendra l'émergence et le développement de ces organisations…

Enfin, on commence à fournir aux agriculteurs pauvres les fonds leur permettant d'acheter des services de vulgarisation auprès des services publics ou d'ONG115

Un enseignement général de ces expériences est qu'il existe de nombreuses manières de diffuser la technologie agricole, dont certaines sont plus efficaces (et d'un meilleur rapport coût-efficacité) que les services de vulgarisation formels tels qu'ils étaient organisés autrefois. Un autre enseignement est que la clé d'une vulgarisation réussie réside dans l'organisation des agriculteurs au niveau local, surtout dans le cas d'agriculteurs à bas revenus et d'agricultrices. Souvent les ONG sont les premières à encourager l'organisation des communautés.

Les ONG ont commencé à jouer un rôle plus important dans la vulgarisation agricole, en concentrant fréquemment leurs efforts sur des domaines que le gouvernement avait négligés. L'une des raisons de leur succès a été leur focalisation sur les communautés. En Afrique de l'ouest, par exemple, le programme Se servir de la saison sèche en savane et au Sahel (6S) encourage les organisations villageoises, aide les groupes à mettre en place des programmes de développement de communauté et apporte financement et assistance technique aux projets, y compris en matière d'artisanat villageois, de banques de céréales, de maraîchage commercial, de protection des sols et de reforestation. Avec un budget annuel de 1,25 million de dollars, 6S fonctionne maintenant au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal. Depuis sa création en 1976, on lui doit 2 000 organisations d'agriculteurs (avec une moyenne de quatre-vingts membres par groupe) dans près de 1 000 villages… Dans le nord du Ghana, le Agricultural Information Service, financé par la Presbyterian Agricultural Station de Langbensi, travaille avec plus de vingt stations agricoles paroissiales et en coordination avec la station de recherche gouvernementale de Nyankpala… (D. Umali-Deininger, 1997, pages 214–215).

Alors que les programmes de recherche participative éliminent parfois le besoin d'un effort parallèle de vulgarisation là où ils fonctionnent, la vulgarisation continue à contribuer de façon très utile à la grande majorité des agriculteurs, et elle peut dans certains cas renforcer les programmes de recherche participative. A cet égard, un troisième enseignement est que les ONG constituent une force très utile en matière de transferts de technologies. Cependant, la politique officielle ayant tardé en général à reconnaître cette contribution, celle-ci n'est pas toujours aussi efficace qu'elle le pourrait. Les ONG rurales de nombreux pays opèrent en totale autonomie, sans liens même entre elles. Cette situation leur assure une plus grande souplesse pour travailler en étroite collaboration avec les communautés rurales mais elle présente aussi des inconvénients. L'un d'entre eux est que les ONG ne partagent pas leurs réussites de conduite des cultures et de gestion des ressources, ni entre elles, ni avec les agents de vulgarisation du secteur public, ce qui en limite la portée. Autre faiblesse: les agents de vulgarisation des ONG ne bénéficient pas de l'expérience du système de vulgarisation du secteur public, et leurs liens avec la recherche agricole sont généralement lâches. En d'autres termes, si précieuse que soit leur contribution, elle pourrait aller encore plus loin par une plus grande coordination avec d'autres initiatives. Il arrive qu'une ONG s'efforce de redécouvrir la roue, alors que d'autres ONG ou des experts du secteur public du même pays y sont déjà parvenus.

La coordination des ONG rurales est un point délicat, car elles voient de grands avantages à leur autonomie, ce qui est compréhensible. Cependant, une coordination non étouffante pourrait transmettre aux populations rurales des connaissances de meilleure qualité. Le secteur public pourrait utilement parrainer différents types de forums d'échange d'expériences, auxquels participeraient des experts des ONG, puis en collationner les enseignements et les diffuser encore plus largement. Ou bien, les ONG elles-mêmes pourraient confier cette mission à des organisations ‘ombrelles’ créées par elles116. On en trouve un exemple en Amérique latine, où huit ONG travaillant dans sept pays ont créé le Consorcio Latinoamericano para la Agroecología y Desarrollo (CLADES) dans le but de renforcer leurs efforts de diffusion des technologies agricoles aux petits agriculteurs117.

Le rôle d'internet comme outil d'information ne doit pas être négligé, même dans les régions rurales pauvres, bien qu'il n'ait encore été que peu exploité à ce jour.

85 M. K. Maredia, D. Byerlee et P. Pee, 2000, p. 554.

86 M. S. Mudahar, R. W. Jolly et J. P. Srivastava, 1998, pages 36–37.

87 Le Brésil constitue une exception majeure à cette situation. Il est richement doté de chercheurs agricoles bien formés et convenablement rémunérés, suite à des décennies d'investissement dans leur formation supérieure.

88 M. K. Qamar, 1999, p. 56.

89 Sara J. Scherr, A downward spiral? Research evidence on the relationship between poverty and natural resource degradation, Food Policy, vol. 25, № 4, août 2000, p. 494.

90 Ces commentaires se fondent sur un entretien avec Jacqueline Ashby du CIAT à Cali, Colombie, et sur la publication citée plus haut, Ashby et al., 2000.

91 FIDA, Rapport 2001 sur la pauvreté rurale: comment mettre fin à la pauvreté rurale, Oxford University Press, Oxford, Royaume-Uni, 2001, p. 147.

92 Rubén G. Echevarría, Eduardo J. Trigo et Derek Byerlee, Cambio institucional y alternativas de financiación de la investigación in América Latina, Banque interaméricaine de développement, Washington, D.C., août 1996, p. 20. Ce document a également été publié en Anglais par la Banque mondiale sous le titre Institutional Change and Effective Financing of Agricultural Research in Latin America, Rapport technique de la Banque mondiale № 330, Washington, D.C., juillet 1996.

93 Exemples tirés de R. G. Echevarría, E. J. Trigo et D. Byerlee (1996) et de l'expérience personnelle de l'auteur.

94 M. K. Maredia, D. Byerlee et P. Pee, 2000, p. 556.

95 Rinku Murgai, Mubarik Ali et Derek Byerlee, Productivity Growth and Sustainability in Post-Green Revolution Agriculture: The Case of the Indian and Pakistan Punjabs, The World Bank Research Observer, vol. 16, № 2, automne 2001, pages 204–205, 210, 214 (souligné par nous).

96 Les points principaux de cette section sont examinés plus à fond dans D. Byerlee (1998), R. G. Echevarría, E. J. Trigo et D. Byerlee (1996), C. Pray et D. Umali-Deininger (1998), C. Thirtle et R. G. Echevarría, Privatization and the roles of public and private institutions in agricultural research in sub-Saharan Africa, Food Policy, volume 19, № 1, février 1994.

97 Un autre exemple de recours à la compétition pour le financement de la recherche agricole est celui du Fonds de recherche agricole (FIA) au Chili, fondé en 1981 (voir R. G. Echevarría, E. J. Trigo et D. Byerlee, 1996, p. 17).

98 L'auteur remercie Jacqueline Ashby pour leur discussion de ces questions.

99 Mitch Renkow, Poverty, productivity and production environment: a review of the evidence, Food Policy, vol. 24, № 4, août 2000, pages 475–476.

100 S. Fan, P. Hazell et T. Haque, 2000, p. 426.

101 Leurs résultats montrent que ce n'est que dans six des treize zones pluviales que l'effet des variétés à haut rendement contre la pauvreté est supérieur, par unité de dépense, à l'effet dans les périmètres irrigués. En fait, dans cinq de ces zones, cet effet s'avère nul (par ailleurs, leurs coefficients de l'effet des variétés à haut rendement n'étaient pas statistiquement significatifs au seuil de 5% pour trois des zones pluviales). L'intervention qui lutte le plus efficacement contre la pauvreté, et de loin, est la construction de routes rurales dans les zones pluviales.

102 Keijiro Otsuka, Role of agricultural research in poverty reduction: lessons from the Asian experiences, Food Policy, vol. 24, № 4, août 2000, p. 447.

103 À l'occasion d'initiatives de travail participatif parrainées par la FAO avec les communautés rurales de l'Ouest du Honduras, la diversification des cultures, agroforesterie comprise, et l'amélioration de la conduite des cultures par les agriculteurs pauvres de montagne se sont traduites par une hausse importante de leur niveau de revenu.

104 Peter Hazell et Lawrence Haddad, Agricultural Research and Poverty Reduction, Food, Agriculture, and the Environment, Discussion Paper № 34, Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, Washington, D.C., août 2001, p. 27.

105 M. Renkow, 2000, pages 475–476.

106 J. A. Ashby et al., 2000, p. 140.

107 FAO, 2001, module 12.

108Ibid.

109 J. Ashby et al., 2000, p. 84.

110 C. R. Doss et M. L. Morris, 2001, p. 39.

111 J. Farrington, 1995, p. 540.

112 Groupe de Neuchâtel, 1999, pages 5 et 10–15.

113 W. M. Rivera, 2001, p. 12.

114 J. Farrington, 1995, pages 540–542 [souligné par nous].

115Op. cit., pages 542–543.

116 Ces conclusions ont émergé d'un atelier, qui s'est tenu à Managua en juillet 2000, réunissant des ONG rurales du Nicaragua, financé par l'USAID et animé par l'auteur.

117 D. Umali-Deininger, 1997, p. 215.


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